Introduction

Il faut bien se rendre compte que quand on lit des informations concernant ce dossier, quand on y réfléchit, quand on en discute, on a toujours tendance à analyser et à commenter les faits selon une vision actuelle du monde et en partant de la réalité des institutions actuelles.

La période examinée se situe entre 1960 et 1961.

Bien qu’à l’époque également, les principes fondamentaux de la démocratie et les règles de base de la politique internationale aient été pleinement applicables, il est utile de rappeler le contexte historique, étant donné qu’à certains égards, les critères, l’éthique et les normes qui régissaient le politiquement correct sur le plan international étaient différents de ce qu’ils sont aujourd’hui.

Le contexte belge était, lui aussi, différent à l’époque. La politique, les institutions, les élites et les médias belges fonctionnaient autrement qu’aujourd’hui.

Le contexte international, lui aussi, était radicalement différent. Il ne faut pas perdre de vue que les faits se déroulent au plus fort de la guerre froide. En raison de celle-ci, chaque action ou acte accompli par un pays, ou par ses leaders, était enregistré et analysé, parfois jusqu’à l’absurde, à la lumière de la situation internationale et de la lutte anticommuniste. Non seulement les rapports de la Sûreté de l’État et des services de renseignement, mais également les comptes rendus du Conseil des ministres et des médias en attestent.

Il ne faut pas non plus oublier quel était le climat politique ambiant et quelles informations paraissaient à ce sujet dans les médias. L’opinion publique belge a en effet été confrontée à longueur de journée, tant dans la presse écrite que dans la presse audiovisuelle, à des récits tragiques d’assassinat et de viol, faits par des compatriotes qui s’étaient enfuis en abandonnant tous leurs biens.

Le grand public a imputé, à tort ou à raison, la responsabilité de ces exactions à une personne, à savoir Patrice Lumumba, et a exigé que le gouvernement réagisse énergiquement.

Les événements s’inscrivent dans le processus de décolonisation qui s’accomplissait sur le continent africain depuis le début des années 50. Ce processus, pour lequel il n’existait pas de recettes toutes faites, revêtait, dans de nombreux cas, un caractère conflictuel.

Les gouvernements des années 50 ont nettement sous-estimé le problème de la décolonisation.

Il y a également lieu d’observer que la décolonisation du Congo a été extrêmement rapide. Déjà en 1955, le professeur Van Bilsen avait plaidé pour un processus progressif. L’indépendance du Congo, qui n’était qu’une des hypothèses politiques réalisables aux yeux de la Belgique, n’a toutefois émergé qu’après les émeutes de janvier 1959. Cinq mois après la Conférence de la Table ronde de Bruxelles, où l’indépendance a été préparée, celle-ci était un fait.

Ce furent indubitablement l’exigence, de plus en plus pressante, des dirigeants congolais eux-mêmes d’obtenir l’indépendance immédiatement, d’une part, et la crainte des pertes humaines et du coût économique qu’entraînerait une guerre d’indépendance pour la Belgique, d’autre part, qui expliquent que l’indépendance ait été accordée dans la précipitation, sans qu’il y ait eu de réflexion approfondie sur les conditions nécessaires pour qu’elle soit réussie. Il est incontestable que cette décision a été influencée par les difficultés rencontrées par la France en Algérie et en Indochine. Les autorités belges ont estimé qu’il était indispensable d’accorder rapidement l’indépendance afin de protéger les intérêts belges contres des influences étrangères.

Il est manifeste que le passage d’un jour à l’autre, du Congo, du statut de colonie à celui d’État souverain ne correspond pas à l’évolution de la mentalité de certains Belges, qui demeurera encore longtemps imprégnée de colonialisme.

La Commission n’a pas voulu sous-estimer l’importance de l’intervention des États-Unis et de l’ONU. Cette intervention n’a toutefois été prise en considération que dans la mesure où elle permettait d’expliquer l’attitude ou l’action de la Belgique.

I- La lutte contre Lumumba

Bien que le Congo fût un État indépendant et souverain depuis le 30 juin 1960, force est de constater que ce statut n’a pas empêché la Belgique et plusieurs autres pays d’intervenir directement dans les affaires intérieures du Congo. Ceci doit être distingué des actions humanitaires entreprises par le gouvernement belge pour protéger les Belges au Congo immédiatement après l’indépendance.

Même s’il a fallu attendre les résolutions des Nations Unies, adoptées par l’Assemblée générale en 1965, 1970 et 1981, pour que le principe de non-intervention soit repris dans le corpus de règles universel, ce principe figurait néanmoins déjà dans le droit international en vigueur en 1960. C’est ainsi que, dans la résolution 290 (IV) du 1 er décembre 1949, l’Assemblée générale des Nations unies invite les États à : " s’abstenir [...] de tout acte direct ou indirect, visant à compromettre la liberté, l’indépendance ou l’intégrité d’un État quel qu’il soit, à fomenter des luttes intestines [...] dans quelque Etat que ce soit " (§ 4). Dans sa résolution 1236 (XII) du 14 décembre 1957, l’Assemblée générale des Nations Unies rappelle que les États doivent développer " des relations d’amitié et de tolérance fondées " notamment sur " a non intervention dans les affaires intérieures des États " (3 e considérant).

Ces principes ne seront certes précisés dans la Déclaration de l’Assemblée générale des Nations unies sur l’inadmissibilité de l’ingérence dans les affaires intérieures des États qu’en 1965 et insérés en tant que tels dans la Déclaration de l’Assemblée générale des Nations Unies du 24 octobre 1970 sur les principes du Droit international concernant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations Unies. On considère néanmoins que ces textes se limitent à codifier les règles coutumières existantes.

Force est de constater par ailleurs que, même après le 30 juin, à la suite de la signature du Traité d’amitié, d’assistance et de coopération, la République du Congo et le Royaume de Belgique ont continué d’entretenir des relations privilégiées. En raison de la présence de nombreux fonctionnaires et officiers belges, la Belgique et son ancienne colonie sont restées étroitement liées. D’autant plus qu’une majorité de ces fonctionnaires et officiers estimaient que l’on attendait d’eux qu’ils jouent un rôle important dans l’édification du nouvel État. Dans la pratique, les missions de ces fonctionnaires et officiers ne sont pas toujours apparues clairement, pas plus que n’était clair de qui ils dépendaient, bien que le statut prévoie leur mise à la disposition des autorités congolaises. Ce statut était prévu à l’article 250 de la loi fondamentale du 19 mai 1960, dont la mise en oeuvre devait faire l’objet de conventions prévues par le traité d’amitié du 30 juin 1960.

A- L’élimination politique

Lumumba était une figure marquante, mais controversée. Les uns le tiennent pour un personnage satanique, tandis que les autres le considèrent comme un véritable héros populaire. Ces derniers ont fait de Lumumba un mythe après sa mort. Le fait est qu’il était le premier Premier ministre démocratiquement élu au Congo.

Les diverses allocutions prononcées le 30 juin 1960 confirment la méfiance réciproque qui existe entre Lumumba et le gouvernement belge. Les réactions des deux parties aux événements qui ont suivi sont, sans nul doute, fortement influencées par cette méfiance réciproque. Dès le début de la crise, qui a surpris le gouvernement belge, il est clair que l’on assiste à une rupture fondamentale entre Lumumba et le gouvernement belge et que, petit à petit, non seulement le gouvernement belge, mais aussi d’autres gouvernements ainsi que de nombreuses composantes de la société belge et de la société congolaise s’emploient, de manière coordonnée ou non, à éliminer politiquement Lumumba. Les réactions de l’opinion publique aux événements de juillet 1960 n’ont fait que conforter le gouvernement belge dans son action, en particulier en ce qui concerne l’intervention militaire qui, d’un point de vue humanitaire, était indéniablement une nécessité et n’a, par conséquent, pas été qualifiée d’agression par les Nations unies. Ces dernières ont toutefois demandé le retrait des troupes.

Ainsi qu’il a été souligné, le gouvernement belge subit les pressions d’une opinion publique qui, si elle n’est pas toujours bien informée, n’est pas tendre dans le jugement qu’elle porte sur les événements qui se sont déroulés au Congo après l’indépendance ; il peut difficilement justifier une position strictement attentiste face aux graves dangers auxquels sont exposés plusieurs dizaines de milliers d’Européens installés au Congo et il s’inquiète des pertes économiques et financières que peut entraîner la crise du Congo. En effet, certains groupes financiers belges possédaient des intérêts considérables au Congo. L’attention du pouvoir exécutif a fréquemment été attirée sur ce point.

Entre le 10 et le 14 juillet, c’est-à-dire entre le début de l’intervention militaire belge et la rupture des relations diplomatiques, les deux parties se lancent des accusations de plus en plus virulentes, accusations qui débouchent sur une rupture totale. C’est aussi durant cette période que le gouvernement belge, qui estime qu’il ne doit plus tenir compte du gouvernement Lumumba, fait des tentatives pour influencer la formation d’un nouveau gouvernement congolais :
 le ministre des Affaires étrangères Wigny envoie le diplomate André Wendelen au Congo afin de sonder Bomboko en vue d’un coup d’État ;
 le ministre sans portefeuille Ganshof van der Meersch envoie un agent de la sûreté de l’État (Athos) au Congo afin qu’il fasse un travail de déstabilisation politique en coulisses.

D’une manière générale, on peut affirmer que le gouvernement belge n’a eu, dès le début, que peu de respect pour la souveraineté du Congo.

Le soutien apporté par la Belgique au Katanga et au gouvernement de Tshombe constituera un élément important dans le cadre de la lutte contre le gouvernement Lumumba. Ce n’est pas tant la sécession en soi qui constitue un objectif à cet égard que la restructuration confédérale du Congo, par laquelle le gouvernement belge espère enlever à Lumumba et à son mouvement unitaire, le MNC, le fondement de leur pouvoir et la base économique de celui-ci. Le soutien apporté par la Belgique à la sécession du Sud-Kasaï et les projets visant à créer un Congo fédéral ou confédéral s’inscrivent également dans ce cadre. La politique belge se traduit par l’envoi, à Elisabethville, de la Mission technique belge dirigée par Harold d’Aspremont Lynden. Cette mission a joué un rôle important dans la mise en place, au Katanga, de structures étatiques dans les domaines légal et militaire ainsi que dans le domaine de l’information et du renseignement. La mission sera transformée en un bureau-conseil plus restreint, qui fera rapport au ministre des Affaires africaines, tandis que le consul fait rapport au ministre des Affaires étrangères.

La politique du secrétaire général des Nations Unies, Hammarskjöld, qui fait pénétrer les troupes onusiennes au Katanga à partir du 12 août, mais laisse provisoirement en place le gouvernement Tshombe, précipitera la chute de Lumumba.

Pour financer la politique menée contre le gouvernement Lumumba, le gouvernement belge recourt aux " fonds secrets ", dont certains ont été approuvés par le Parlement, et d’autres, pas. La commission a retrouvé la trace d’au moins 50 millions de francs belges (ce qui correspond à 270 millions de francs belges actuels, selon l’évolution de l’indice des prix à la consommation communiquée par la Banque nationale de Belgique). Ces fonds ont servi à subventionner la presse d’opposition, à fournir un soutien à des hommes politiques, à financer des campagnes radiophoniques (radio Makala) à mettre sur pied des actions undercover. Ces fonds secrets étaient gérés au cabinet des ministres successifs des Affaires africaines. Il est impossible de déterminer l’origine de quelque cinquante millions de francs.

Les actions soutenues par le gouvernement belge ne constituent qu’une partie de l’" opposition belge " au gouvernement Lumumba. La sécession katangaise aurait été impossible sans le soutien de l’Union Minière, qui a fourni les moyens financiers nécessaires à la sécession katangaise en payant des impôts au seul gouvernement de Tshombe. Nous constatons que la Forminière a agi au Sud-Kasaï de manière similaire à l’Union Minière au Katanga. Par suite de la perte des recettes fiscales du Katanga et du Sud-Kasaï, le gouvernement Lumumba ne dispose quasiment plus de moyens financiers. Les intérêts du Katanga et de l’Union Minière se mêlaient d’ailleurs à plus d’un égard : la société minière gérait des écoles et des hôpitaux ainsi que des ponts et des routes, situés sur le territoire de ses concessions. L’Union Minière a par ailleurs tenté de créer des groupes militaires et paramilitaires afin de défendre ses intérêts dans la lutte armée contre les partisans armés de Lumumba.

L’action belge entreprise contre le gouvernement Lumumba s’accélère au cours de la seconde moitié du mois d’août. Pendant cette période, le consulat général de Belgique à Brazzaville (Dupret) joue un rôle important dans ce processus en encourageant l’opposition ou en offrant un soutien logistique. Pendant cette période, le Premier ministre Eyskens demande au président Kasa Vubu, par l’entremise de Van Bilsen, conseiller de ce dernier, de révoquer Lumumba. Par le biais de ses diplomates Westhof et Davignon, le ministre Wigny fournit d’ailleurs au président Kasa Vubu un avis juridique sur une telle opération. Dans une note du 12 septembre 1960, le cabinet des Affaires africaines reconnaît explicitement qu’il soutient deux réseaux à Léopoldville, qui, à la demande du département, coordonnent désormais leurs activités. L’un de ces canaux passait par des dirigeants syndicaux, l’autre, par le monde académique. La présence de personnes d’inspiration diversifiée montre le caractère multiple et les motivations hétéroclites de ceux qui étaient opposés à Lumumba.

L’action belge se situe dans un ensemble plus vaste de forces d’opposition. Ainsi, la rupture entre Lumumba et le secrétaire général des Nations Unies Hammarskjöld joue également un rôle crucial dans la chute du Premier ministre congolais, d’une part, parce qu’elle incite Lumumba à rechercher (ouvertement) le soutien de l’Union soviétique et, d’autre part, parce qu’elle incite les États-Unis à organiser (en coulisse) une opposition active contre Lumumba (avec l’élaboration des premiers projets d’élimination physique). Les États-Unis craignent en effet une désintégration de la force des Nations unies, désintégration qui ouvrirait la porte à l’Union soviétique. Sous cet angle, la pression des diplomates américains et onusiens constitue dès lors un facteur important dans la destitution de Lumumba.

En raison de la nature même de sa mission, la commission a concentré ses activités sur la détermination éventuelle de responsabilités belges dans l’assassinat de Patrice Lumumba. Il est toutefois évident qu’une action belge ou même américaine n’avait guère de chance d’aboutir, sinon aucune, sans l’existence d’une opposition interne au Congo lui-même, soutenue par la Belgique, comme démontré plus haut. Cette opposition s’est dessinée de très bonne heure, notamment par l’action publique d’opposants connus de Lumumba tels Bolikango et Kalonji, qui pouvaient compter sur de solides soutiens à Léopoldville. Certaines sources soulignent le rôle important qu’ils auraient joué dans la mutinerie de la Force Publique qui a débuté par des slogans hostiles à Lumumba lui-même. L’antagonisme entre la Conakat de Tshombe et Munongo et le MNC de Lumumba est une des causes de la sécession katangaise. Après la rupture des relations diplomatiques avec la Belgique, le Sénat congolais va devenir, avec des hommes politiques tels Ileo et Adoula, un cénacle dans lequel la politique du gouvernement Lumumba et surtout la politique de propagande du ministre Kashamura sont passées au crible. La politique de Kashamura s’est heurtée à une résistance, même dans les milieux ecclésiastiques, tandis que la politique économique déclenchait l’opposition des milieux syndicaux (tant chrétiens que non chrétiens). Le caractère extraParlementaire, et plus tard même extralégal de l’opposition va s’accentuer tandis que le gouvernement Lumumba recourt de son côté à des mesures d’exception pour se maintenir en place (censure de la presse et tribunaux d’exception). Au cours de la deuxième quinzaine d’août, l’opposition gagne également en violence dans les milieux de la Jabako et de la Jepuna, qui ont formé des milices à l’instar de la Jeunesse lumumbiste. La campagne de l’ANC contre la sécession du Sud-Kasaï va attiser les oppositions congolaises internes et finalement entraîner la rupture entre Lumumba et Kasavubu.

La crise congolaise était d’ailleurs également une crise interne d’un pays immense, présentant une grande diversité dans tous les domaines, dans lequel les forces centrifuges gagnaient du terrain par suite de la disparition de l’administration coloniale et en raison de l’absence de partis nationaux forts, d’une administration solide et d’une armée disciplinée.

Il ressort de ce qui précède qu’il faut admettre diverses responsabilités aussi bien nationales qu’étrangères dans la destitution du Premier ministre Lumumba le 5 septembre 1960.

À partir du 5 septembre 1960 s’ouvrit une période de troubles institutionnels. Lumumba ne voulut pas céder et le nouveau Premier ministre, Joseph Ileo, ne parvint pas à consolider son pouvoir. Le colonel Mobutu neutralisa les deux parties et mit en place son collège de commissaires généraux. Cette action surprend le gouvernement belge. Mobutu n’était pas encore, à l’époque, un personnage incarnant une force politique et ne pouvait donc pas encore compter sur le soutien unanime de l’armée. Un modus vivendi fut finalement trouvé à Léopoldville entre ces pouvoirs rivaux : Kasavubu, Bomboko et Mobutu s’unirent dans leur lutte contre Lumumba. Le gouvernement belge a d’emblée soutenu Kasavubu et Ileo vigoureusement et sans équivoque, même si les relations diplomatiques avec le Congo étaient toujours rompues. Il mit ses canaux diplomatiques à la disposition de Kasavubu, prodigua des conseils d’ordre politique et juridique, insista pour la nomination de ses ministres, poussa Iléo à agir et finança même l’impression en Belgique du moniteur congolais contenant les arrêtés de destitution de Lumumba.

Durant cette période, le gouvernement belge se montra tout particulièrement soucieux des agissements de Lumumba. Après avoir accordé son soutien à son éviction comme Premier ministre, il voulut éviter son retour au pouvoir, éventualité qui était bien réelle. La première mesure en ce sens, et la plus importante, sur laquelle le gouvernement belge insista fortement, fut l’arrestation de Lumumba (" mettre hors d’état de nuire ", selon les propres termes du ministre Wigny).

Le 10 octobre, quand Mobutu se décida à arrêter Lumumba, ce qu’il s’était refusé de faire jusqu’alors, il était prévu que l’opération se réalise en échange de la promesse belge d’une assistance militaire et technique à l’Armée Nationale Congolaise (ANC). Le gouvernement belge s’opposa par la suite à toute forme de réconciliation, directe ou indirecte, entre dirigeants congolais. C’est dans cette perspective qu’il faut comprendre l’expression " élimination définitive ", utilisée par le ministre d’Aspremont Lynden dans un télex du 6 octobre 1960 envoyé à l’ambassadeur Rothschild à Elisabethville.

B- L’élimination physique

L’intervention belge visant à éliminer politiquement Lumumba va toutefois de pair avec d’autres actions qui se déroulent dans un contexte plus trouble et que l’on peut qualifier de " covert actions ".

La commission tient à faire une nette distinction entre l’opposition politique visée au point A et les tentatives d’élimination physique de Lumumba.

1.Les plans et les projets non-aboutis

Il y a eu des projets d’assassinat de Lumumba : cela ne fait aucun doute.

À cet égard, les experts ont procédé à une analyse approfondie du rôle joué par Loos et Marlière. Le major Jules Loos était le conseiller militaire du ministère des Affaires africaines ; le lieutenant-colonel Louis Marlière était, quant à lui, l’ancien officier de la Force publique, resté à Brazzaville et devenu conseiller du colonel Mobutu début octobre. Les deux hommes ont opéré sous la couverture et sous la responsabilité politique du ministre d’Aspremont Lynden. L’analyse de leurs télex nous apprend qu’ils se sont occupés :
 de livraisons d’armes ;
 du soutien à l’arrestation de Lumumba ;
 de l’action 58316, dont la portée n’est pas très claire, mais dans le cadre de laquelle un attentat contre Lumumba aurait pu trouver sa place (c’est dans ce cadre que se situe l’intervention de l’ancien résistant Edouard Pilaet) ;
 de l’enlèvement de Lumumba. Le commandant Noël Dedeken en avait reçu l’ordre du général Charles Cumont, chef d’état-major de l’armée belge, par l’intermédiaire du major Loos. Il fut épaulé à Brazzaville par Marlière.

Durant la même période, il y eut, à côté des " plans " américains, des projets belges pour éliminer physiquement Lumumba. Une première indication à ce sujet date d’avant le 5 septembre 1960, lorsque l’on suggéra de mettre sur pied une " Opération-L ", dans le cadre de laquelle il était proposé de procéder à une substitution de médicaments. Les initiateurs de ce projet nous sont inconnus, mais il pourrait s’agir d’agents de l’ancien service de sécurité belgo-congolais. Début octobre, un certain journaliste dénommé Bogaerts affirme qu’il est venu au Congo pour assassiner Lumumba. Au cours de la première moitié de novembre, un tueur à gages, le Grec " Georges ", est envoyé de Bruxelles au Congo sur instruction de Jo Gérard.

Les deux premiers projets d’assassinat de Lumumba n’ont pas été suivis d’un début de préparation concrète. Le deuxième n’a une existence qu’à travers la vantardise de son auteur. Celui de Jo Gérard a fait l’objet d’un début d’exécution avortée par une escroquerie.

La Commission constate en outre :
 qu’en ce qui concerne l’exécution de certains plans, certains fonctionnaires belges ont également apporté leur collaboration sur place à Brazzaville et à Léopoldville ;
 que l’on n’a pas trouvé trace d’un ordre ou d’une action quelconque visant à déjouer ces plans ;
 qu’aucune procédure disciplinaire n’a été entamée à l’égard des fonctionnaires, fussent-ils diplomates, officiers ou agents de sécurité, qui ont eu connaissance de ces plans ou y ont participé et qui ne relevaient pas de la responsabilité politique d’un ministre.

2. L’assassinat de Lumumba, Mpolo et Okito à Elisabethville

À l’examen, nous constatons qu’il n’est question ni de Mpolo, ni d’Okito dans les telex échangés. Ces deux personnes ne font leur apparition qu’à l’aéroport, comme par hasard. On observera cependant qu’en cas de changement à la tête de l’État, Mpolo était le concurrent de Mobutu et Okito était candidat au remplacement de Kasa Vubu.

Deux choses sont très vite établies avec certitude : l’objectif du gouvernement belge est d’emprisonner Lumumba et de le transférer au Katanga. Conformément aux instructions des ministres compétents et de leurs cabinets, les Belges présents à Léopoldville et à Brazzaville s’emploient à atteindre ces objectifs. On observera que, dans les avis qu’ils donnent au gouvernement katangais, les conseillers belges au Katanga se sont toujours prononcés contre un tel transfert, parce qu’ils y voyaient un danger pour la position du Katanga.

À une exception près (télex Dupret à Belext, Brazza 64, 17 janvier 1961) on ne trouve, avant le début de l’opération elle-même, dans les télex relatifs au transfert au Katanga, pas la moindre préoccupation quant à l’intégrité physique de Patrice Lumumba.

Bien que Lumumba ait été arrêté en vertu d’un mandat d’amener datant de Septembre 1960 fondé sur des chefs d’accusation précis, dans aucun des nombreux télex échangés après la destitution de Lumumba, au cours de sa mise en résidence surveillée dans sa demeure de fonction, lors de sa fuite ou lors de son incarcération au camp militaire de Thysville et finalement lors de son transfert au Katanga, les instances gouvernementales belges n’ont jamais insisté pour qu’il y ait un procès. Une règle essentielle d’un État de droit veut que personne ne soit maintenu en détention que sur décision d’un juge ou à la suite d’une décision de justice.

Au cours d’un débat tenu en commission des Affaires étrangères de la Chambre des représentants le 13 décembre 1960, le député Jos Van Eynde avait pourtant fait observer aux ministres concernés que la vie de Lumumba pouvait être en danger au Katanga. A l’appui de sa déclaration, Van Eynde avait cité un ordre donné le 13 août par Munongo aux chefs de peloton de la gendarmerie katangaise (" [...] s’il arrivait à entrer au Katanga d’une façon ou d’une autre. Il doit, en ce cas, disparaître ").

On observera également qu’ayant séjourné au Katanga, de juillet à août 1960, en qualité de chef de la Mission technique belge, le ministre d’Aspremont Lynden aurait dû pouvoir se faire personnellement une idée de l’état d’esprit des dirigeants katangais et du risque que l’on faisait courir à Lumumba en le transférant au Katanga. En outre, le ministre disposait, notamment en la personne du major Loos, conseiller militaire, d’un collaborateur entreprenant qui possédait une bonne expérience du Congo et entretenait d’excellents contacts au Katanga. Enfin, il n’est pas non plus inutile de rappeler que maints conseillers, diplomates ou fonctionnaires belges ont été reçus au cabinet du ministre des Affaires africaines lorsqu’ils sont rentrés pour quelque temps de Léopoldville, Brazzaville ou Elisabethville.

Le Chef de l’État a été informé au moins une fois, par le biais d’une lettre du major Weber adressée à Son chef de cabinet, que la vie de Lumumba était menacée. Il est prouvé que le Roi a pris connaissance de cette lettre.

Aucun signe de réprobation ou de préoccupation concernant la possibilité d’une élimination physique de Lumumba n’a été donné, que ce soit au major Weber, au président Tshombe ou aux autorités congolaises de Léopoldville. Aucun élément indiquant que le gouvernement ou les ministres compétents ont été informés de cette lettre n’a été trouvé.

Après l’arrivée de Lumumba au Katanga, qui a surpris les conseillers belges, ceux-ci adoptent une attitude très attentiste. Rien n’indique qu’ils aient été associés au processus décisionnel - qui a finalement débouché sur l’exécution - ou qu’ils aient été consultés à ce sujet. Rien n’indique non plus qu’une action ait été entreprise afin d’empêcher l’exécution, intervenue moins de cinq heures après son arrivée.

Lumumba a été assassiné sur l’ordre des autorités katangaises, qui avaient également donné leur accord pour son transfert. Si l’on ne peut pas déterminer précisément à quel moment et de quelle manière les autorités katangaises ont pris la décision d’assassiner Lumumba et ses compagnons d’infortune, Mpolo et Okito, on n’a pas d’autre choix que de qualifier cet acte de meurtre avec préméditation. Il y a lieu d’entendre par là que ce crime a été préparé et exécuté d’une manière systématique.

Des ministres katangais ont assisté à l’exécution, qui a été opérée par des gendarmes et des policiers katangais en présence d’un commissaire de police et de trois officiers de nationalité belge, qui étaient toutefois placés sous l’autorité, le commandement et le contrôle des autorités katangaises.

A aucun moment le gouvernement belge n’a protesté auprès du gouvernement katangais contre l’assassinat de Lumumba, de M’polo et d’Okito. Le gouvernement ne fait pas non plus savoir que l’on déplore ou réprouve les faits.

Même au moment où au moins quelques membres du gouvernement sont au courant de l’exécution, l’on continue à nier toute implication dans le transfert de Lumumba et à démentir que l’on sache quoi que ce soit concernant son sort, et ce, tant vis-à-vis de l’opinion publique qu’au cours de réunions à huis clos avec les partenaires de l’OTAN.

Conclusion

a. En ce qui concerne les circonstances précises dans lesquelles Patrice Lumumba a été assassiné : après une analyse approfondie, il peut être admis avec un grand degré de probabilité que le 17 janvier 1961 entre 21.40 heures et 21.43 heures, Lumumba a été assassiné en forme d’exécution dans la brousse, dans les cinq heures suivant son arrivée au Katanga (pour la description détaillée la commission renvoie aux constatations des experts).

b. En ce qui concerne l’implication éventuelle d’hommes politiques belges :

 Le transfert de Lumumba au Katanga a été organisé par les autorités congolaises de Léopoldville. Elles ont, pour ce faire, bénéficié du soutien d’instances gouvernementales belges, et plus précisément des ministres des Affaires étrangères et des Affaires africaines et de leurs collaborateurs. Les conseillers belges en poste à Léopoldville ont prêté leur concours à l’organisation du transfert.

 Il ne ressort d’aucun document ni d’aucun témoignage dont la commission a pris connaissance que le gouvernement belge ou un de ses membres a donné l’ordre d’éliminer physiquement Lumumba.

 Il ne ressort pas de l’enquête qu’il y a eu préméditation d’assassiner ou de faire assassiner Lumumba dans le chef des autorités belges lorsque celles-ci se sont efforcées de le faire transférer au Katanga.

 Il est cependant manifeste que le gouvernement ne s’est pas préoccupé de l’intégrité physique de Lumumba. Il considérait la sécurité de Lumumba comme secondaire, comparée à d’autres intérêts.

 En ne prenant pas en considération les risques éventuels que présentait le transfert et en ne demandant pas de garanties en ce qui concerne l’intégrité physique ou en n’instant même pas pour que lui soit ré servé un traitement conforme à la dignité humaine et un procès normal, le gouvernement belge et, en particulier, le ministre des Affaires africaines ont fait preuve d’un manque de précaution et de respect à l’égard de l’État de droit.

 Après avoir pris connaissance des événements du 17 janvier, le gouvernement, du moins certains de ses membres, a adopté une attitude irresponsable en optant pour la propagation de mensonges à l’intention de l’opinion publique et de ses alliés. Cette attitude a inéluctablement suscité des doutes quant au rôle des autorités belges.

À la lumière de ce qui précède, tenant compte des normes de la morale publique d’aujourd’hui et sans entrer dans les considérations morales personnelles de l’époque, la commission est amenée à conclure que certains membres du gouvernement belge et d’autres acteurs belges ont une responsabilité morale dans les circonstances qui ont conduit à la mort de Lumumba.

II- Constatations

Un passé toujours présent La commission estime que ni la population congolaise, ni les Belges n’ont exorcisé les démons du passé. Des griefs sont formulés de part et d’autre à propos des événements qui se sont déroulés pendant la période coloniale et post-coloniale.

Le champ d’investigation de la commission ne concernait qu’une partie limitée, fûtelle importante, de ce passe non " digéré ". Nombre de griefs sur lesquels ni le monde académique ni le monde politique n’ont pu faire la lumière continuent de tourmenter les esprits.

Dysfonctionnements dans le processus décisionnel

a. On constate un manque de transparence de la politique mise en oeuvre et un manque de coordination dans le chef des différents ministres concernés par la politique congolaise. Bien que le conseil de cabinet discute régulièrement des problèmes congolais et prenne aussi des décisions à ce sujet, souvent à la demande expresse du ministre Wigny en vue d’obtenir des directives, force est de constater que ces décisions sont plutôt vagues et sont mises en oeuvre différemment par les ministres concernés sur le terrain.

La commission constate par ailleurs que le partage des compétences entre un certain nombre de ministres est mal défini, plus particulièrement entre le ministre des Affaires étrangères Wigny et le ministre des Affaires africaines d’Aspremont Lynden. Il y avait également une différence de vues. Les compétences de ce dernier s’avèrent très extensibles. Elles s’exercent non seule ment sur les régions sous tutelle du Ruanda-Urundi, mais également, dans la pratique, sur le Congo, du fait de l’assistance technique.

Un autre aspect de cette répartition chaotique des compétences concerne le contrôle des militaires belges au Congo. Cette compétence échappe au ministre de la Défense (après octobre 1960) et revient au ministre des Affaires africaines. La politique katangaise échappait de ce fait dans une large mesure au contrôle des Affaires étrangères

b. L’utilisation régulière de flux d’informations et de décisions directs ne suivant pas la voie hiérarchique a contribué aux déficiences constatées dans le processus décisionnel ainsi qu’à des erreurs d’évaluation. C’est ainsi que le réseau du major Loos s’est soustrait au regard du monde politique, mais est intervenu de manière énergique.

Il y avait également une bonne entente entre les fonctionnaires, les militaires et les diplomates aux différents niveaux et postes, qui intervenaient solidairement en fonction de leur vision de la Belgique et de leur méfiance à l’égard du monde politique.

c. En outre et cumulativement, les dysfonctionnements sous a/ et b/ sont encore renforcés par le fait que de nombreuses décisions importantes sont prises en réalité par des officiers, des diplomates ou des fonctionnaires. Au département de la Défense, c’est le général Cumont, le chef d’état-major, qui joue un rôle déterminant. Au département des Affaires étrangères la politique est définie dans une large mesure par la cellule Congo de Rothschild, dont font partie, notamment, Davignon et Lebrun. Aux Affaires africaines, le conseiller militaire du ministre, le major Loos, sera également appelé à jouer un rôle crucial.

Il existe également des indications dont il ressort que les ministres n’ont pas toujours été informés complètement par leurs collaborateurs.

Le rôle du chef de l’État

La commission a constaté qu’il y avait un désaccord entre le chef de l’État et le gouvernement sur certains aspects de la politique congolaise.

Ce désaccord a dans certains cas conduit le chef de l’État à poser des actes autonomes. En outre la commission a constaté que le chef de l’État a obtenu des informations importantes dont il n’a probablement pas informé le gouvernement.

Contrôle du gouvernement

La commission conclut que le contrôle exercé par le Parlement sur la politique étrangère et africaine mises en oeuvre a été insuffisant.

Le gouvernement a réussi à éluder aussi bien le contrôle du Parlement que celui de la Cour des comptes en ce qui concerne le prélèvement et l’affectation de fonds. La commission a trouvé des preuves du fait que des fonds dits secrets d’un montant de 50 millions de francs belges au moins (ce qui correspond à 270 millions de francs belges actuels selon l’évolution de l’indice des prix à la consommation communiquée par la Banque nationale de Belgique) ont été utilisés, alors que le Parlement et la Cour des comptes n’ont eu connaissance que de l’utilisation de 20 millions de francs belges.

Il y a également lieu d’observer que l’affectation de ces fonds est critiquable.

L’État de droit

a. Infractions au droit international

Le gouvernement belge devait " s’abstenir de toute action directe ou indirecte visant à menacer la liberté, l’indépendance ou l’intégrité de tout État, à encourager la lutte interne dans tout État (...). " [§ 4 de la résolution n° 290 (IV) du 1 er décembre 1949, traduction].

La commission constate que cette résolution des Nations unies a été violée, par le développement d’une politique dirigée contre un gouvernement démocratiquement élu.

Le gouvernement a également violé la résolution des Nations unies du 20 septembre 1960, en effectuant des livraisons d’armes et en accordant une aide à diverses parties.

b. Infractions au droit interne

Outre les infractions susmentionnées aux lois coordonnées sur la comptabilité de l’État, il y a lieu de souligner qu’il a été fait preuve d’un très grand laxisme, voire de passivité, face à des actes incriminés en Belgique (recrutement de mercenaires, préparations d’attentats, etc.) et dont des organes du pouvoir avaient eu connaissance.

Sûreté de l’État et sécurité militaire

Nombre de messages et d’informations parviennent à la Sûreté de l’État et à la Sécurité militaire, qui les incorporent dans des rapports : l’exactitude et la qualité des informations laissent souvent à désirer. Les informations essentielles et pertinentes (par exemple, à propos de la mort de Lumumba) ne sont pas transmises ou sont communiquées trop tard.

La situation des fonctionnaires belges

Le gouvernement belge a omis d’informer clairement les fonctionnaires belges au Congo sur leurs droits et leurs devoirs afférents à leur mise à la disposition des autorités congolaises. L’ambiguïté atteint son paroxysme en ce qui concerne certains fonctionnaires, qui, bien qu’ils exercent une fonction de conseiller auprès de ministres congolais, font directement rapport à la Sûreté de l’État belge ou à d’autres services.

Intérêts économiques

À certains moments, en ce qui concerne le Katanga, il y a une confusion entre des intérêts publics et privés.

Des agents de l’État, liés à la Mission technique belge ou au Bureau-conseil ont utilisé pour leur fonctionnement au Katanga des avances et d’autres facilités de l’Union minière du Haut Katanga.

État des archives

La commission a constaté, à l’occasion de ses travaux, que d’importantes archives officielles, dont celles du chef de l’État, risquent de se perdre si l’on ne prend pas les mesures qui s’imposent. En outre, les moyens dont on dispose actuellement, tant sur le plan technique qu’en ce qui concerne les effectifs, ne permettent pas de conserver des archives dignes de ce nom.

La commission constate que le travail d’expertise et d’enquête visant à déterminer les responsabilités des hommes politiques belges dans l’assassinat de Patrice Lumumba a été rendu possible dès lors qu’un grand nombre d’archives privées et publiques ont pu être consultées, ce qui n’était pas le cas auparavant.

III- Recommandations

En ce qui concerne certaines constatations, il a déjà été remédié au dysfonctionnement mis au jour, de sorte qu’il n’en est pas fait état dans les recommandations.

Le contrôle du gouvernement

a. Il ressort de l’enquête de la commission que le gouvernement n’a pas toujours fourni au Parlement des informations complètes et correctes au sujet des initiatives qu’il prenait. Bien qu’il soit évident qu’il n’est pas toujours opportun ni souhaitable de dévoiler certaines initiatives confidentielles, il est tout aussi indispensable que le Parlement soit à tout moment informé correctement et complètement.

La commission reconnaît toutefois que, dans l’exercice de leur fonction de contrôle, les Parlementaires ne respectent pas toujours le caractère confidentiel des informations qui leur sont confiées.

b. La commission estime qu’il serait souhaitable de transmettre à la commission compétente de la Chambre le rapport partiel consacré aux fonds secrets ainsi que la correspondance échangée à ce sujet avec la Cour des comptes et d’autres institutions, l’objectif étant de charger cette commission d’examiner, sur la base de la législation en vigueur, si le législateur a fait en sorte que de tels faits - l’utilisation de fonds sans le consentement du Parlement et le contrôle de la Cour des comptes - ne puissent plus se reproduire.

La commission estime qu’il conviendrait d’élaborer une formule qui permettrait, dans des cas exceptionnels, d’informer le Parlement au sujet de l’action du gouvernement sans porter atteinte à la confidentialité. La commission demande que le Règlement soit modifié, si cela s’avère nécessaire, afin de garantir cette confidentialité, qui est parfois souhaitée.

Le chef de l’État

La commission rappelle les dispositions et les usages constitutionnels au sujet du rôle du chef de l’État.

Chaque acte du chef de l’État qui peut avoir directement ou indirectement une influence politique doit être couvert par un ministre.

Dès lors, des interventions ou des initiatives publiques ne peuvent aller à l’encontre de celles de la politique intérieure et extérieure du gouvernement.

Les services de renseignements

La commission recommande que dans le cadre du contrôle Parlementaire existant, le Comité R accorde également une attention toute particulière à l’efficacité des services de renseignements.

Ce contrôle doit s’exercer de manière permanente et effective.

État des Archives

La commission invite le gouvernement à prendre toutes les mesures qui s’imposent pour rechercher, inventorier, structurer et sauvegarder, par une allocation adéquate d’effectifs et de moyens financiers, les archives des différentes instances fédérales, et, en particulier, celles du chef de l’État. Elle demande que les obligations légales en la matière fassent l’objet d’une évaluation et soient, au besoin, adaptées afin que les archives de l’État puissent être conservées correctement.

La commission recommande de redéfinir les règles concernant l’accès à des documents relevant des pouvoirs publics.

Un passé toujours présent

La commission recommande que l’on encourage les recherches historiques multidisciplinaires et internationales concernant l’époque coloniale et post-coloniale. Le monde politique pourrait, sur la base d’un ensemble d’éléments de fait objectifs et scientifiquement établis, faire un travail de synthèse qui contribue à exorciser le passé.

Un premier pas dans ce sens pourrait consister à publier les résultats des travaux de la commission sous une forme aisément compréhensible et à les diffuser parmi un large public.

Recommandation finale

La commission invite le gouvernement à prendre connaissance de ses conclusions, constatations et recommandations, lui demande de mettre en oeuvre les recommandations qui concernent le pouvoir exécutif et, dans le cadre de son action internationale, de tirer les conclusions qui conviennent ainsi que d’entreprendre les actions sur la base du présent document et du débat qui sera mené à ce sujet au Parlement.

La commission espère que ses travaux auront apporté davantage de clarté au sujet de ces événements tragiques et que ceci contribuera à une meilleure entente entre les deux peuples.

Les rapporteurs, Daniel Bacquelaine, Ferdy Willems, Marie-Thérèse Coenen
Le président, Geert Versnick


Source : Chambre des Représentants de Belgique : http://www.lachambre.be/