A) LES ORIGINES DE LA CRISE

Dans la nuit du 23 au 24 janvier 1962, le Ministre d’Etat Emile Pelletier est remercié sans ménagement par le Prince Rainier. Cette décision brutale est fort peu appréciée du Général de Gaulle qui considère par ce fait que la France a été humiliée à travers la personne de ce haut fonctionnaire.

Le congédiement par le Prince de son Ministre d’Etat avait pour toile de fond, déjà, la création par le Souverain d’un paradis fiscal à Monaco attirant sur son sol les contribuables fortunés désireux d’échapper à l’impôt sur le revenu après cinq ans de résidence sur le Rocher, ainsi que les entreprises les plus dynamiques tout aussi intéressées par l’absence d’imposition sur les bénéfices.

En effet, dès son arrivée au pouvoir, le Prince Rainier avait décidé de fonder la prospérité de Monaco en dotant la Principauté d’un statut fiscal privilégié. La très forte expansion économique de Monaco soulignée par la presse de l’époque allait changer la donne et remettre en cause l’équilibre des relations franco-monégasques issu du Traité d’Amitié de 1918.


" Monaco se lance dans les affaires "

" Il est vrai que les affaires monégasques ont pris une forte extension depuis 1950. Quelque 2 000 sociétés s’y seraient établies, dont 150 depuis 1959. Depuis onze ans, leur chiffre d’affaires se serait accru de 150 à 640 millions de francs et doublerait tous les quatre ans. Ce seraient surtout des entreprises des branches chimique et pharmaceutique qui participeraient à ce mouvement. (...) Il en serait de même des entreprises de travaux publics, favorisées par le manque d’espace de la Principauté. "

Paul Keller, Gazette de Lausanne, 14/15 avril 1962.


Tant que la Principauté s’était contentée de tirer ses ressources du jeu et du tourisme mondain, la France avait toléré cette franchise fiscale prévue par la Constitution monégasque. Mais en 1962, la situation avait changé de nature.

Dans ces conditions, les termes du Traité d’amitié de 1918, prévoyant que la France garantissait à Monaco l’indépendance et la souveraineté cependant que la Principauté n’exerçait ses droits qu’en conformité avec les intérêts économiques de la France, se trouvaient altérés.

De surcroît le Prince Rainier avait pris, en 1958, la décision de suspendre, à la suite d’un conflit interne à la Principauté, la Constitution de Monaco du 5 janvier 1911 prévoyant cette exception fiscale.

Le refus d’abrogation, à la demande du Ministre d’Etat, d’une ordonnance souveraine allait servir de prétexte à la crise et conduire au départ précipité d’Emile Pelletier.

Le 14 janvier 1962 la publication d’une ordonnance souveraine ayant pour but d’assurer la prise de contrôle de Radio Monte Carlo par l’Etat monégasque, que l’Etat français contrôlait alors à travers une société de droit monégasque, provoque des réactions vives de la part de la France.

Emile Pelletier est à ce moment confronté à la contradiction congénitale à ce système qui veut que ce Français, Ministre d’Etat, doit être d’une loyauté totale à l’égard du souverain monégasque dont il est chargé de défendre les intérêts, alors que parallèlement, mission lui est donnée par le Général de Gaulle d’obtenir l’abrogation de cette fameuse ordonnance.

L’entrevue avec le Prince Rainier fut orageuse et se solda par un refus de rapporter l’ordonnance et le renvoi sine die du Ministre d’Etat qui fit connaître l’hostilité du souverain monégasque à l’égard de la France et de son Gouvernement. Le Général de Gaulle fit transmettre une lettre faisant savoir que cet incident remettait en question les relations franco-monégasques. L’ordonnance fut annulée ce qui n’empêcha pas le Gouvernement français, irrité par le statut de paradis fiscal de la Principauté, attirant sur son sol entreprises et particuliers, de demander très officiellement la renégociation des accords fiscaux en vigueur.

Au sortir du Conseil des ministres du 11 avril 1962, Maurice Couve de Murville annonçait " le Gouvernement a décidé de dénoncer la Convention du 23 décembre 1951, base des rapports monégasques dans les domaines de la douane, des impôts, des Postes et des Télécommunications et des monopoles ".

Un préavis de six mois était accordé avant de rendre cette dénonciation effective et d’en tirer les conséquences " notamment en ce qui concerne le trafic entre la France et la Principauté ".

Dès cette annonce, le Prince Rainier se déclara prêt à tous les compromis à l’exception de l’instauration d’un impôt frappant ses 7 500 sujets.

Les négociations engagées en septembre 1962 achoppèrent quelques jours avant l’expiration du délai préalable à la dénonciation de la Convention de 1951. Deux points essentiels restaient en suspens le taux du futur impôt monégasque sur les sociétés et le sort des Français " résidents monégasques " n’ayant pas été domiciliés préalablement pendant cinq ans dans la Principauté.

B) LE RETABLISSEMENT DE LA FRONTIERE ET LE COMPROMIS DE 1963

Dans la nuit du 12 au 13 octobre 1962, la France du Général de Gaulle déclara le blocus de Monaco et instaura un contrôle douanier à la frontière entre les deux Etats.

L’arrivée des douaniers fut qualifiée par certains " d’événement historique " et abondamment commentée par la presse. Dans les faits ces contrôles ne durèrent que quelques heures et ne concernèrent que les automobilistes mais la valeur symbolique de cette présence était autrement plus forte.

Par ce geste, la France entendait rappeler qu’elle n’accepterait pas de la Principauté qu’elle entreprît une politique allant à l’encontre des valeurs de la République et des intérêts français. Une telle décision eut de surcroît un effet psychologique sur la population, la rumeur n’ayant pas tardé à se propager que Monaco serait privé d’eau, de gaz et d’électricité livrés par la France.


" Minuit : heure H... "

" A minuit, le dispositif se mettait en place : deux officiers des douanes et un brigadier encapuchonnés plantaient un panneau indiquant " Arrêt douane " sur la route de la basse Corniche. Et les contrôles commençaient, il est vrai sans grand enthousiasme. Pourtant, on n’avait pas attendu cette heure historique pour connaître les premiers embouteillages. Une centaine de journalistes de toutes nationalités et quelques dizaines de curieux qui avaient bravé la pluie diluvienne pour assister à un instant historique avaient crée sur la route la plus inextricable confusion que la Côte ait enregistrée. Au moins hors saison.

" Bientôt le ton montait. Les occupants des voitures arrêtées se mirent à user de leurs avertisseurs sonores sur un rythme lancé outre-Méditerranée et lors de circonstances beaucoup plus dramatiques. (...)

" De certains véhicules, eux aussi immobilisés, sortaient par instants des drapeaux monégasques ou des pavillons blancs qu’on pouvait interpréter comme des demandes de cessez-le-feu.

" Pendant ce temps, imperturbable sous l’averse et sous le feu des projecteurs, le douanier opérait. Un beau douanier, ma foi. Venu tout exprès de Toulouse et qu’on avait fait tondre de frais l’après-midi. Au vingtième flash, un titi lui lança :

" - Tu n’as pas dû en avoir autant pour ta première communion !

" Voici donc les premiers effets de la mesure : la circulation est notablement ralentie, mais on dispose d’une curiosité touristique supplémentaire. Il était temps. Le douanier va pouvoir prendre la relève des Dolly Sisters. "

Philippe Bouvard, Le Figaro du 13/14 octobre 1962.


Le 17 décembre 1962, entrait en vigueur la nouvelle Constitution monégasque destinée à perfectionner les institutions de la Principauté mais aussi à établir des rapports confiants avec ses voisins.

Le Prince Rainier déclarait " Plus que tout autre, un petit pays a besoin de marques de considération et de confiance... Malheureusement depuis de trop longs mois, la crise qui affecte nos relations traditionnelles avec la France, trouve ses origines, et peut-être sa seule explication dans la perte de cette confiance... "

Le 18 mai 1963, la France et Monaco signaient une Convention fiscale prévoyant notamment l’assujettissement à l’impôt sur le revenu, en France, des personnes de nationalité française résidant ou domiciliées à Monaco à l’exception de celles pouvant justifier avant le 13 octobre 1962 de cinq années de résidence habituelle dans la Principauté.

A cette même date, la signature d’une Convention douanière, d’une convention de voisinage, d’une convention relative à la réglementation des assurances, et d’une convention relative aux relations postales et téléphoniques, définissaient l’étendue des engagements de la France à l’égard de la Principauté.

A l’occasion de ce conflit, la France a montré qu’elle entendait rappeler la Principauté au respect de ses engagements bilatéraux. En exigeant l’abolition du privilège fiscal accordé par Monaco aux ressortissants français, elle invitait l’Etat monégasque, soucieux de préserver ses liens privilégiés avec la France, à respecter la souveraineté fiscale républicaine.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr