Monsieur le Président,
Monsieur le Secrétaire général,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Messieurs les Ambassadeurs,

Tout d’abord la France veut renouveler ses condoléances à ses amis américains pour la terrible tragédie de la navette Columbia.
Je félicite la Présidence allemande d’avoir organisé cette réunion. Je remercie Colin Powell d’en avoir pris l’initiative. J’ai écouté avec beaucoup d’attention les éléments dont il nous a fait part. Il y a là, des informations, des indices, des questions qui méritent d’être approfondis. Il appartiendra aux inspecteurs d’apprécier les faits, comme cela est prévu dans la résolution 1441. D’ores et déjà, son exposé apporte une nouvelle justification à la voie choisie par les Nations unies ; elle doit renforcer notre détermination commune.

En adoptant à l’unanimité la résolution 1441, nous avons choisi d’agir par la voie des inspections.
Cette politique repose sur trois points fondamentaux :
 un objectif clair, sur lequel nous ne pouvons transiger : le désarmement de l’Iraq ;
 une méthode : un dispositif d’inspections rigoureux, qui exige de l’Iraq une coopération active et qui affirme, à chaque étape, le rôle central du Conseil de sécurité ;
 une exigence : celle de notre unité. Elle a donné toute sa force au message que nous avons, à l’unanimité, adressé à Bagdad. Je souhaite que notre réunion d’aujourd’hui permette de conforter cette unité.

Des résultats importants ont, d’ores et déjà, été enregistrés :
 la CCVINU et l’AIEA sont au travail : déploiement sur le terrain de plus d’une centaine d’inspecteurs, 300 visites par mois en moyenne, multiplication du nombre de sites inspectés ; l’accès total aux sites présidentiels, en particulier, constitue un acquis important ;
 dans le domaine nucléaire, ces deux premiers mois ont permis à l’AIEA de réaliser, comme l’a souligné M. El Baradeï, ’de bons progrès dans sa connaissance des capacités iraquiennes. C’est là un élément essentiel ;
 dans les domaines relevant de la CCVINU, les inspections nous ont apporté des informations utiles.

M. Blix a indiqué, par exemple, qu’aucune trace d’agents biologiques ou chimiques n’a été relevée à ce jour par les inspecteurs : ni à travers les analyses des échantillons prélevés sur les sites inspectés, ni sur les douze ogives vides découvertes le 16 janvier à Ukhaider.

Cette coopération comporte encore néanmoins des zones d’ombre :
 les inspecteurs ont fait état de difficultés réelles. Dans son rapport du 27 janvier, M. Blix a donné plusieurs exemples de questions non résolues dans les domaines balistique, chimique et biologique. Ces incertitudes ne sont pas acceptables. La France continuera de transmettre toutes les informations dont elle dispose pour mieux les cerner ;
 dans l’immédiat, notre attention doit se porter en priorité sur les domaines biologique et chimique. C’est là que nos présomptions vis-à-vis de l’Iraq sont les plus significatives : sur le chimique, nous avons des indices d’une capacité de production de VX et d’ypérite ; sur le biologique, nos indices portent sur la détention possible de stocks significatifs de bacille du charbon et de toxine botulique, et une éventuelle capacité de production ;
 aujourd’hui, le manque de vecteurs de longue portée réduit la menace potentielle de ces armes. Mais nous avons des indications préoccupantes sur la volonté persistante de l’Iraq de se doter de missiles balistiques au-delà de la portée autorisée des 150 km ;
 dans le domaine nucléaire, nous devons notamment faire toute la lumière sur la tentative d’acquisition par l’Iraq de tubes d’aluminium.

C’est donc une démarche exigeante, ancrée dans la résolution 1441, que nous devons mener ensemble. Si cette voie devait échouer et nous conduire à l’impasse, alors nous n’excluons aucune option, y compris en dernière extrémité, le recours à la force, comme nous l’avons toujours dit.

Mais dans une telle hypothèse, plusieurs réponses devront clairement être apportées vis-à-vis de tous les gouvernements et de tous les peuples du monde pour en limiter les incertitudes :
 En quoi la nature et l’ampleur de la menace justifient-elles le recours à la force ?
 Comment faire en sorte que les risques considérables d’une telle intervention puissent, réellement, être maîtrisés ? Cela exige de toute évidence une démarche collective de responsabilité de la part de la communauté internationale.

En tout état de cause, il doit être clair que, dans le cadre d’une telle option, les Nations unies devront être au cœur de l’action pour garantir l’unité de l’Iraq, assurer la stabilité de la région, protéger les populations civiles et préserver l’unité de la communauté internationale.

Pour le moment, il faut renforcer la voie des inspections, privilégiée par la résolution 1441 et qui n’a pas été explorée jusqu’au bout. L’usage de la force ne peut constituer en effet qu’un dernier recours. Pourquoi aller à la guerre s’il existe encore un espace non utilisé dans la résolution 1441 ?

Dans la logique de cette résolution, nous devons donc franchir une nouvelle étape et renforcer encore les inspections : entre l’intervention militaire et un régime d’inspections insuffisant en raison d’un défaut de coopération de l’Iraq, il faut choisir un renforcement décisif des moyens d’inspection. C’est ce que propose la France aujourd’hui.

Pour cela, il nous faut définir avec MM. Blix et El Baradeï les outils nécessaires pour accroître leurs capacités opérationnelles :
 doublons ou triplons le nombre des inspecteurs et ouvrons de nouveaux bureaux régionaux. Allons plus loin : ne pourrait-on pas mettre en place un corps spécialisé, chargé de maintenir sous surveillance les sites et les zones déjà contrôlées ?
 renforçons très sensiblement les capacités d’observation et la collecte d’informations sur le territoire iraquien. La France est disposée à fournir en ce sens tout son appui : elle est prête à déployer des appareils d’observation Mirage IV ;
 créons collectivement un centre de coordination et de traitement des informations qui fournirait en temps réel et de manière coordonnée à MM. Blix et El Baradeï toutes les ressources en matière de renseignement dont ils pourraient avoir besoin ;
 recensons et hiérarchisons les questions de désarmement non résolues ;
 en accord avec les responsables des inspections, définissons un échéancier exigeant et réaliste pour avancer dans l’évaluation et l’élimination des problèmes. Il faut un suivi régulier des progrès réalisés dans le désarmement de l’Iraq.

Ce dispositif renforcé d’inspection et de surveillance pourrait être utilement complété par un coordonnateur permanent des Nations unies pour le désarmement de l’Iraq, installé sur place et travaillant sous l’autorité de MM. Blix et El Baradeï.

Mais l’Iraq doit coopérer activement. Ce pays doit satisfaire sans délai aux exigences de MM. Blix et El Baradeï, notamment :
 en permettant la tenue sans témoin d’entretiens avec des scientifiques iraquiens ;
 en acceptant l’utilisation d’avions d’observation U2 ;
 en adoptant une législation prohibant la fabrication d’armes de destruction massive ;
 en remettant sans délai aux inspecteurs tous documents pertinents sur les questions de désarmement non résolues, en particulier dans les domaines biologique et chimique ; ceux qui ont été remis le 20 janvier constituent un pas dans la bonne direction. Les 3000 pages de documents découvertes au domicile d’un chercheur démontrent que Bagdad doit faire davantage. A défaut de documents, l’Iraq doit être en mesure de présenter des témoignages crédibles.

Les autorités iraquiennes doivent aussi fournir aux inspecteurs des réponses aux éléments nouveaux présentés par Colin Powell.

D’ici le prochain rapport des inspecteurs, le 14 février, l’Iraq devra fournir de nouveaux éléments. La prochaine visite à Bagdad des chefs des inspecteurs devra être l’occasion de résultats clairs en ce sens.

C’est cette démarche exigeante que nous devons mener ensemble pour une nouvelle étape. Son succès suppose, aujourd’hui comme hier, l’unité et la mobilisation de la communauté internationale.

Notre devoir moral et politique est d’abord de consacrer toute notre énergie à un désarmement de l’Iraq dans la paix, le respect de la règle de droit et de la justice. La conviction de la France est que nous pouvons réussir sur ce chemin exigeant, dès lors que nous restons unis et solidaires. C’est bien là le chemin de la responsabilité collective.

Je vous remercie.