Les mesures de régulation budgétaire ont eu une incidence directe sur la fourniture des rechanges, qui est essentielle en matière de maintenance, ainsi que sur les délais de réparation des matériels. Le niveau de disponibilité des équipements s’en est ressenti.

Le problème des rechanges

Les pièces de rechange sont au c_ur du processus d’entretien des matériels : elles conditionnent pour une large part la remise en état des équipements dans des délais relativement brefs. La défaillance de la gestion des rechanges est la cause de 35% des indisponibilités non programmées des bâtiments de la marine.

Cette situation tient le plus souvent à des difficultés d’ordre budgétaire. A titre d’exemple, c’est une absence de crédits disponibles qui a empêché l’armée de l’air, entre 1995 et 1997, de passer les contrats d’approvisionnement nécessaires au renouvellement de ses stocks. Or, les effets d’inertie de ce type de pénurie ont perduré jusqu’à ces derniers mois. C’est dire les conséquences concrètes d’une gestion trop rigoureuse des financements dévolus à l’entretien des matériels.

L’amélioration de l’organisation des rechanges est désormais un aspect essentiel des réformes de la maintenance des matériels. La structure intégrée de maintien en condition opérationnelle des matériels aériens du ministère de la défense (SIMMAD) est aujourd’hui en charge de la passation des commandes de ce type de pièces pour les aéronefs des armées. De même, cette responsabilité pour les matériels de la marine, qui appartenait auparavant à DCN, est actuellement transférée au service de soutien de la flotte (SSF), qui en assumera la gestion pleine et entière à partir du 1er janvier 2003. Enfin, des restructurations ont également été opérées dans l’armée de terre, avec la fusion du service central des approvisionnements et du service central de gestion en un seul service central du matériel, puis le transfert de la direction centrale des matériels de l’armée de terre (DCMAT) vers Satory de 1999 à 2000.

La réduction des crédits d’entretien programmé ayant provoqué une baisse des marchés de commande de rechanges dans les trois armées, les structures de maintenance ont dû revoir de fond en comble leurs stocks tout en se rapprochant - autant qu’il était possible - d’une gestion en flux tendus, pour s’adapter aux contraintes budgétaires et mieux utiliser les ressources allouées. A contrario, comme les pannes sont par définition difficilement prévisibles, une telle gestion peut aussi allonger considérablement les délais de réparation.

En définitive, la réorganisation des systèmes de gestion des rechanges au sein de chaque armée n’a pas permis de résoudre tous les problèmes, car certaines pièces de rechange sont très difficiles à obtenir et très coûteuses lorsque les équipements concernés sont vieillissants : il arrive que les pièces ne soient plus référencées dans les catalogues des producteurs, car les chaînes de production n’existent plus, les sociétés concernées ayant disparu, ou parce que les délais de production sont extrêmement longs. Les industriels qui doivent soutenir des matériels spécifiques et vieillissants font alors payer au ministère de la défense le prix des structures nécessaires pour assurer la gestion des dossiers de définition et la pérennité des composants. Par exemple, alors que les flottes d’hélicoptères Gazelle étaient immobilisées en raison d’une avarie sur les faisceaux torsiques, il a été très coûteux de relancer la production des pièces en cause chez le concepteur britannique de ce matériel, Westland.

Le déficit en pièces de rechange, pour des raisons budgétaires ou d’ancienneté, est parfois résolu par le recours à la " cannibalisation " des matériels inutilisés, c’est-à-dire le prélèvement d’une partie de leurs pièces pour les installer sur d’autres équipements. Cependant, cette pratique de démontage et de remontage comporte des risques de sécurité et elle n’est guère motivante pour les personnels.

L’allongement des délais de réparation

Les baisses de dotations d’EPM ont pour autre conséquence directe de rendre plus difficile la bonne tenue des délais de réparation. S’ajoutent à cela deux autres facteurs aux effets cumulatifs : tout d’abord, les pièces de rechange manquent en raison de stocks insuffisants, mais aussi d’avaries techniques conjoncturelles ; en second lieu, les personnels qualifiés font défaut, car les mécaniciens sont souvent très spécialisés et les personnels civils qualifiés sont en sous-effectif, quand ils ne sont pas projetés en opérations extérieures.

Actuellement, le problème n’est donc pas tant la qualité des réparations que la durée de celles-ci. Comme l’a souligné une récente étude du contrôle général des armées, il s’avère difficile de conjuguer sur un laps de temps très court l’obtention des pièces, la mise à disposition des matériels et l’intervention des mécaniciens.

Cette situation est particulièrement manifeste en ce qui concerne l’entretien des bâtiments de la marine : le dépassement des délais est un phénomène récurrent et généralisé à l’ensemble des catégories de bâtiments. Ces dépassements concernent aussi bien les opérations d’entretien majeur, par définition plus longues, que celles qui ont trait à l’entretien intermédiaire. Les forces sous-marines elles-mêmes ne sont pas épargnées par ce phénomène.

Dans ce processus, les réductions des crédits d’entretien jouent un rôle non négligeable, car les annulations de crédits de paiement entraînent d’importantes difficultés de trésorerie. Certaines livraisons ne peuvent être payées ; il faut alors attendre pour obtenir les équipements, ce qui allonge d’autant les délais de réparation, et payer des intérêts moratoires, ce qui constitue un gaspillage. En outre, le non-paiement des livraisons affecte les rapports avec les fournisseurs, rendant plus difficiles les négociations pour les nouveaux marchés. La relation de confiance que peuvent entretenir les industriels et le ministère de la défense s’en trouve alors affectée. A cet égard, l’année 1995 constitue un exemple significatif, puisque les très fortes annulations de crédits ont causé la faillite de 800 petites et moyennes entreprises qui travaillaient pour la défense ; les entreprises les plus fragiles ont dû fermer, ne pouvant attendre quatre, voire six mois, pour être payées et aujourd’hui la réactivité du tissu industriel chargé de l’entretien des matériels s’en ressent, surtout dans les secteurs des réparations navales et de l’armement terrestre.

Le nouveau code des marchés publics est également mis en cause de manière récurrente en matière de rechanges et de délais de réparation : le manque de souplesse de ses dispositions aggraverait les effets des réductions de crédits d’EPM.

Le nouveau code, plus encore que l’ancien, oblige à prévoir et à définir préalablement les besoins, d’une manière précise et exhaustive. La prévision exacte des besoins s’avère difficile pour un service de maintenance, car la consommation des pièces de rechange ne peut être connue longtemps à l’avance : elle varie considérablement avec le niveau d’activité des matériels à soutenir, lui-même peu prévisible, notamment dans le cadre des OPEX. Les procédures sont également longues et formalistes, ce qui peut ralentir les opérations d’entretien. La principale d’entre elles, l’appel d’offres, n’est pas nécessairement adaptée à certaines configurations de marchés, notamment lorsque le fournisseur est en situation de quasi-monopole. Par ailleurs, si la procédure des marchés sans formalités préalables permet de réaliser des achats plus rapidement que par un appel d’offres, son utilisation a été rendue plus difficile dans le nouveau code, avec une nomenclature des fournitures et des services plus restrictive ; le recours aux achats de dépannage, notamment, s’avère moins aisé.

Cependant, la mise en place de nouvelles procédures prend en général un certain temps. Une meilleure connaissance de ses mécanismes et une plus grande anticipation des besoins pourraient permettre de surmonter ces difficultés. Une meilleure organisation, par l’utilisation des marchés à commandes, serait possible. En outre, le plafond des marchés sans formalités préalables fixé par le nouveau code des marchés publics a été relevé, ce qui introduit une plus grande souplesse dans les procédures. Par conséquent, l’application des règles du code des marchés publics ne peut être tenue pour principale responsable des difficultés rencontrées dans la fourniture des rechanges et les délais de réparation. Une bonne maîtrise de ses dispositions doit permettre une meilleure gestion du maintien en condition opérationnelle en anticipant suffisamment les besoins à venir. Ainsi, lors de la crise du Kosovo et même à l’occasion du déploiement du groupe aéronaval dans l’Océan Indien, il a été possible de répondre à une situation d’urgence en appliquant les procédures prévues.

A ces problèmes internes des services des matériels, il faut ajouter une attitude parfois peu satisfaisante des industriels, qu’ils soient sous-traitants ou maîtres d’_uvre. Les contrats de vente de matériels neufs ou les demandes d’appui à l’exportation constituent pour une partie d’entre eux des priorités et certains sont peu réactifs sur les marchés intérieurs de rechanges et de réparations.


Source : Assemblée nationale (France) : http://www.assemblee-nationale.fr