L’investissement dans des équipements modernes, qui par définition n’ont pas un besoin immédiat de maintenance lourde, est indispensable pour que la charge financière de l’entretien des matériels en service reste supportable. Or, la contrainte qui a pesé sur les crédits d’investissement des armées tout au long de la loi de programmation militaire 1997-2002 a empêché de respecter à la lettre le plan de renouvellement des armements : la revue des programmes de 1998 a conduit à annuler certains investissements prévus ; en outre, dans la grande majorité des cas, la réalisation des programmes confirmés a été décalée dans le temps. Tout étalement des programmes conduit nécessairement à ce que les exemplaires de fin de série ne possèdent pas tout à fait le même équipement que ceux du début de série.

Trois programmes importants, chacun mené pour l’une des trois armées, illustrent tout particulièrement ce constat.

Le char Leclerc, livré à l’armée de terre depuis 1991, est un exemple assez éclairant, dans la mesure où le parc se compose de matériels issus de deux séries différentes, dont chacune comprend elle-même des tranches de fabrication différentes. Alors même que la dernière dotation de 52 exemplaires n’est pas encore totalement livrée, il est devenu nécessaire de moderniser les matériels de la première série : l’armée de terre devra ainsi financer la rénovation de 38 chars.

Le programme d’avion polyvalent Rafale est également révélateur des conséquences des reports de commandes et de livraisons en raison de contingences budgétaires. Lancé au milieu des années 1980, le développement de cet avion capable de remplir des missions multiples (et donc susceptible d’engendrer des économies d’échelle sur l’entretien) a donné lieu à des vols de prototypes en 1991 ; les livraisons à la marine n’ont commencé qu’en 2000 et l’armée de l’air ne recevra ses premiers exemplaires qu’en 2004. Toutes les flottilles de la marine devraient être opérationnelles en 2010, alors que les escadrons de l’armée de l’air seront au complet à l’horizon 2020. Il y a tout lieu de penser, là aussi, qu’une remise à niveau des premiers appareils livrés s’imposera.

Enfin, pour ce qui concerne la marine nationale, on citera le cas des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de nouvelle génération (SNLE-NG). Deux exemplaires, Le Triomphant et Le Téméraire, ont été admis au service actif, respectivement en 1997 et 1999. Le troisième de la série, Le Vigilant, sera opérationnel en 2004. Le dernier, Le Terrible, n’entrera en fonction qu’en 2010, soit près de treize ans après le premier de la série, qui aura presque atteint la moitié de son existence. D’ores et déjà, il est prévu que certains systèmes électroniques du SNLE-NG n° 4 ne correspondront pas à ceux des autres bâtiments, mais plutôt à ceux des sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) de nouvelle génération dits " Barracuda ", dont les livraisons devraient commencer à partir de 2012.

Ces difficultés d’exécution de programmes, dont la cohérence et les gains d’entretien reposent pourtant sur le bon déroulement, se constatent également pour nombre d’équipements moins emblématiques, mais tout aussi essentiels aux missions des armées. Elles comportent deux conséquences fâcheuses pour les matériels qui restent en service, dans l’attente de la livraison des équipements nouveaux :

 une banalisation de la " cannibalisation " des pièces de systèmes installés sur les matériels immobilisés pour cause d’entretien ;

 une utilisation à l’économie de certains équipements sophistiqués, en totale contradiction avec le potentiel pour lequel ils ont été acquis.

A défaut de pouvoir éviter un certain étalement dans la fabrication des équipements des armées, il convient néanmoins de réfléchir à la notion de rechanges : celle-ci doit désormais s’apprécier dans la durée. Ce problème est important, notamment au regard de la tendance à la généralisation des matériels sophistiqués et de leur automatisation, au détriment de leur simplicité d’entretien.


Source : Assemblée nationale (France) : http://www.assemblee-nationale.fr