Qu’est ce que la Missile Defense aujourd’hui, au début du printemps 2001, alors que le Président Clinton a laissé à son successeur la responsabilité de se prononcer sur le déploiement de la NMD et que la nouvelle administration n’a eu de cesse de dénoncer ce projet ? Nul ne le sait, ni en Europe, ni même aux Etats-Unis. C’est là une réalité qu’il faut rappeler, tant la densité d’articles, de prises de position pourrait laisser penser le contraire. L’heure est à l’examen de variantes d’autant plus nombreuses que le nouveau mot d’ordre à Washington est MD, et non plus NMD, c’est-à-dire l’abolition de la distinction entre défense de théâtre et défense du territoire national.

Des projets limités de l’administration Clinton...

L’administration Clinton n’a eu de cesse d’insister sur le caractère " limité " du projet de NMD. Il est vrai que l’architecture du projet développé par la Ballistic Missile Defense Organisation (BMDO) est relativement simplifiée par rapport à ses prédécesseurs immédiats, IDS et GPALS. Il repose sur cinq composantes :

 100 intercepteurs basés au sol, dont le nombre final serait de 250 en 2011, chargés de détruire les missiles assaillants par interception directe ;

 un système de gestion de l’engagement, cerveau du dispositif qui intègre les données issues des radars et des satellites d’alerte et de surveillance et évalue en permanence la situation ;

 un radar à bande large et très haute résolution chargé de traquer le missile assaillant et de distinguer les leurres ;

 un réseau de radars d’alerte avancée optimisés (basés aux Etats-Unis, au Groenland et au Royaume-Uni) chargés de détecter et de suivre les missiles assaillants ;

 des satellites d’alerte à système infrarouge chargés de détecter les tirs de missile ennemis. A terme, six satellites en orbite géostationnaire ou elliptique, selon les zones à couvrir, doivent compléter 24 satellites en orbite basse opérationnels dès 2005.

Pour se conformer au calendrier de déploiement négocié avec le Congrès, le Président Clinton devait annoncer une décision positive de déploiement en 2000, après la réalisation de trois essais. Le 1er septembre 2000, le Président Clinton déclarait cependant qu’il ne pouvait tirer la conclusion des informations dont il disposait que les Etats-Unis pouvaient se fier à l’efficacité opérationnelle d’un système de NMD et qu’il ne pouvait par conséquent annoncer le déploiement du système. Il cita également l’opposition résolue de la Chine et de la Russie au projet, de même que la très forte réticence des alliés européens et confia par conséquent la décision à son successeur. En réalité, dans un contexte de campagne électoral, il lui était quasiment impossible de prendre une décision sur un projet politiquement très lourd, sur lequel les Républicains portaient les jugements les plus négatifs, et qui suscitait, à l’échelle internationale, de fortes réticences.

Aux options multiples envisagées par l’administration Bush

Pendant la campagne présidentielle américaine, le candidat George Bush a promis " de construire des défenses antimissiles efficaces fondées sur les meilleures options disponibles, le plus tôt possible ". De fait, il s’agit d’un thème phare des débuts de la Présidence Bush. Dans ces conditions, quelles sont les options techniques qui s’offrent aujourd’hui aux Etats-Unis, étant bien entendu qu’aucun système déployable immédiatement n’existe ? Trois hypothèses, complémentaires et non exclusives, peuvent être envisagées.

Le choix du déploiement d’un système basé à terre, similaire dans son principe au projet envisagé par l’administration Clinton, représente l’option la plus " réaliste ". Les nombreuses critiques du camp républicain à l’encontre des plans de la précédente administration laissent cependant penser que le choix se porterait d’emblée sur ce qui représentait la troisième phase du plan Clinton, caractérisée par l’existence de 250 intercepteurs, basés en Alaska et au Dakota du Nord, et trois radars à bande large supplémentaires, sur chaque façade maritime du territoire et, éventuellement, en Corée du Sud. Si la nouvelle administration décidait de maintenir cette option ainsi que le calendrier actuel, elle devrait lancer au cours du printemps 2001 la construction du radar dans les îles aléoutiennes, c’est-à-dire violer le traité ABM. Telle ne semble pas être la voie choisie. Il n’en reste pas moins que l’option terrestre ne sera probablement pas abandonnée mais qu’on s’oriente vers un système à composantes multiples.

Dans ce cadre, l’adjonction de systèmes d’interception précoce (Boost-Phase Interception) est probable. L’abandon de la terminologie NMD/TMD (Theater Missile Défense) au profit d’une appellation qui met en avant la coopération avec les alliés en est d’ailleurs un indice : de tels systèmes, qui interviennent sur les lieux de lancement des missiles, intercepteraient tous les missiles, qu’ils soient ou non à destination des Etats-Unis. La question de la faisabilité technique de l’interception précoce est débattue de longue date, sans parler des autres problèmes (pas de destruction systématique de la tête nucléaire, problème des bases terrestres, inefficacité des systèmes basés en mer contre des pays dotés d’une profondeur stratégique importante) qu’elle pose. Ses avantages politiques, dans la mesure où le principe de l’interception précoce a toujours séduit une partie importante du camp républicain, et diplomatiques en font toutefois une option séduisante.

La récente publication d’un rapport parlementaire sur l’espace militaire par Donald Rumsfeld, juste avant sa nomination au poste de Secrétaire à la Défense, incite à envisager une troisième option, qui viendrait s’ajouter aux deux configurations évoquées ci-dessus : l’option spatiale. Ce rapport ne traite pas en lui-même des défenses antimissiles spatiales. Mais, en affirmant de manière extrêmement forte que les Etats-Unis sont à la merci d’un " Pearl Harbour dans l’espace " et que les investissements spatiaux jouent un tel rôle stratégique pour la vie du pays qu’il convient de les protéger, il rejoint les préoccupations des " faucons " du Congrès, qui, même après l’IDS, restent attachés à l’existence d’un volet spatial de la défense antimissile. L’appel à la préservation de l’avantage technologique dans le domaine spatial lancé dans le rapport est un autre indice qui plaide en faveur d’une option spatiale dans la défense antimissile. Si ce choix était fait, on s’orienterait vers une défense antimissile à plusieurs niveaux, selon une approche multicouche seule à même de contenter l’aile dure du parti républicain.

Quel que soit le choix qui sera prochainement opéré par l’administration Bush, il convient de souligner qu’il s’inscrira dans une perspective de moyen terme, dans le cas de la première option, de long, voire de très long terme dans le cas des deux autres. En effet, comme l’avait souligné le général John Costello, commandant de l’Army Space and Missile Defence Command, en août 2000 " la seule option de la NMD qui peut être déployée à court terme - vers 2005, échéance que l’on doit très franchement considérer comme optimiste - est la version basée à terre. Aucune autre option, quelles que soient les sommes d’argent qui sont dépensées, n’est envisageable avant la fin de la décennie. "


Source : Assemblée nationale (France) : http://www.assemblee-nationale.fr