33. L’architecture globale nécessaire aux ATBM est désormais largement connue et quantifiée. Quatre programmes américains majeurs, le THAAD (Theatre High Altitude Area Defence System), le NTW (Navy Theatre-Wide), le NABMDP (Navy Area Theatre Ballistic Missile Defence Programme) et le MEADS (Medium Extended Air Defence System), sont en voie de réalisation, le dernier avec la collaboration des pays européens. Ces programmes couvrent, pour les premiers, la défense de zone, pour les seconds, la défense ponctuelle des objectifs militaires. Les systèmes d’interception laser ne sont pas évoqués ici (9).

34. La majorité des systèmes ATBM repose sur l’articulation d’un ensemble de lanceurs/intercepteurs mobiles, de station radar de surveillance et de contrôle de tir et d’un réseau C3I attenant (10). Il faut cependant souligner que l’amélioration des performances de ces systèmes exige qu’ils disposent d’un délai de réaction le plus long possible. La présentation des systèmes ATBM par les Etats-Unis passe généralement sous silence l’exigence de satellites d’alerte avancée et de trajectographie, tels qu’utilisés pour les intercepteurs stratégiques, pour optimiser les performances de base des ATBM.

35. On peut cependant supposer que la possession de tels instruments, ainsi que des systèmes de communication et de gestion des données qui les accompagnent, renforce fondamentalement la capacité de réaction des ATBM, en particulier en permettant une mise en alerte précoce, une détection plus fine, une frappe aux portées optimales de l’intercepteur et un réengagement de la cible en cas d’échec.

36. Cette question a son importance, si l’on songe que la coopération transatlantique, en particulier au sein de l’OTAN, a jusqu’à présent exclu l’Europe du domaine de la détection spatiale militaire. Le statut des Européens dans ce domaine est celui de simples clients, soumis à la bonne volonté d’un fournisseur monopolistique. Il est permis de penser que l’entrée en service de MEADS en Europe ne dérogera pas à la règle, l’alerte avancée dont pourrait bénéficier le système restant probablement exclusivement aux mains des Etats-Unis, ce qui est d’ailleurs compréhensible. De même, dans le domaine des communications sécurisées et du traitement de l’information en temps réel, les capacités européennes demeurent faibles et restent très dépendantes de l’aide des Etats-Unis.

37. On peut donc penser que tout programme ATBM offrant des capacités supérieures à la simple défense ponctuelle et permettant une véritable défense de zone nécessitera une couverture satellitaire minimale que l’Europe ne possède pas. Cette couverture devrait être incluse dans les estimations budgétaires, ce qui n’est actuellement pas le cas. On a en effet coutume d’évaluer le coût des systèmes antimissiles à l’aune des budgets américains, dont sont généralement exclus les coûts satellitaires. L’élaboration d’un système ATBM européen requiert donc que l’on s’inquiète de l’acquisition de ces systèmes à un moindre coût, sachant que les budgets alloués pour la défense strictement conventionnelle du continent sont déjà à leur étiage.

38. Dans ces conditions, il n’est pas question, comme certains commentateurs français le proposent, d’escompter se passer des moyens BMC3I américains. Il est toutefois possible d’envisager de se doter de moyens complémentaires qui permettraient à l’Europe d’accentuer son autonomie à l’égard des systèmes mis à disposition par les Etats-Unis avec, à terme, l’espoir de se doter d’une architecture propre.

39. Dans ce domaine, la coopération avec la Russie offre un certain nombre de pistes intéressantes qu’il conviendrait d’approfondir. A cet égard, l’UEO a montré la voie en se préoccupant des demandes de sécurité et de coopération de la Russie. Ces efforts pourraient avoir des résultats très concrets dans le domaine des ATBM et des architectures concomitantes. Le Centre satellitaire de l’UEO et la Rosvoorougenye, compagnie d’Etat russe, qui gère les contrats d’exportation d’armements de la Fédération, ont en effet passé un accord sur la fourniture d’images vers le Centre (archives et commandes), instaurant les prémices d’une coopération Europe-Russie dans le domaine de la télé-détection, alors que parallèlement, la Russie s’est déclarée prête à collaborer avec le GAEO à l’élaboration de matériels militaires communs.

40. Lors de la visite à Moscou de notre commission, les Russes ont évoqué devant elle la possibilité d’établir des coopérations avec l’Europe dans le domaine satellitaire. La proposition de M. Sergeiev faite à l’OTAN détaille cette offre en évoquant la création d’un centre spatial commun initialement destiné à l’identification et au suivi des tirs balistiques, puis à terme à l’interception des tirs non stratégiques. Un éventuel partage avec le centre russo-américain déjà en place est aussi évoqué.

41. Ces offres doivent être replacées dans un contexte où l’Europe et la Russie tentent de trouver un terrain d’entente pour mener en coopération des missions de type Petersberg. De telles coopérations impliquent que Russes et Européens établissent un cadre de travail élaboré, en particulier dans le domaine des communications, de la gestion de l’information et de la détection. Dans cette optique, l’Europe pourrait trouver avantage à établir un protocole d’accord lui permettant de bénéficier des moyens d’observation et d’alerte avancée mis en oeuvre par la Russie. A moyenne échéance, il est possible d’envisager que ces informations puissent transiter vers le Centre satellitaire (ce qui implique que le Centre dispose d’une capacité de gestion du champ de bataille, qui actuellement lui fait totalement défaut), dans le cadre d’une coopération durable impliquant un échange réciproque d’informations. On peut penser que l’état actuel des techniques de traitement des données permettrait d’éviter la création d’un centre multinational évoqué par M. Sergeiev, synonyme de suspicion entre services de renseignement et, plus globalement, d’incurie. A l’inverse, une association étroite entre les centres de surveillance et d’alerte russes et un centre satellitaire renforcé, en communication permanente, pourrait présenter un certain nombre d’avantages, en particulier si des satellites sont utilisés conjointement par les deux parties. Il pourrait donc être dans l’intérêt des Européens de tenter de pérenniser l’ébauche de coopération qui semble s’établir entre Moscou et le GAEO (Groupe Armement de l’Europe occidentale) dans le domaine des satellites militaires, dans le but d’une production commune. Quoiqu’il s’agisse là d’un domaine ultra-sensible, à propos duquel les Etats n’inclinent pas à la coopération, l’Europe comme la Russie sont demandeurs et pourraient trouver un terrain d’entente sur la création de plates-formes communes, régies selon des normes approchant celles qui lient le satellite Helios au Centre satellitaire.


(9) Voir Document A/1717 de l’Assemblée, op cit., chapitre III (c), " Les lasers aéroportés ou spatiaux ".

(10) C3I : Commandement, contrôle, communication et renseignement.


Source : Assemblée parlementaire de l’Union de l’Europe Occidentale (UEO) http://www.assemblee-ueo.org/