1. Les armes antimissiles opèrent dans plusieurs compartiments du champ de bataille. Au niveau le plus étroitement tactique, elles servent à lutter contre les armes antichars et antinavires, voire contre les missiles de croisière en phase de vol terminal. Les systèmes mis en oeuvre sont alors des intercepteurs courte portée ou des canons à très grande cadence de tir, qui visent des systèmes offensifs de faible capacité, relativement lents, inaptes aux frappes de destruction massive (exception faite des missiles de croisière). Au niveau du théâtre, les armes antimissiles visent essentiellement les missiles balistiques tactiques (12), par l’interception en phase basse (quasiment au point de contact avec l’objectif du missile) ou en phase haute (c’est-à-dire au niveau endo-atmosphérique).

2. Les systèmes en phase de certification opérationnelle sont tous basés sur des missiles intercepteurs, agissant soit par interception en cas de collision, soit par destruction par proximité. Des systèmes lasers sont à l’étude aux Etats-Unis et, probablement, en Russie, mais ils demeurent au stade expérimental. Enfin, les systèmes antimissiles stratégiques, actuellement limités par le Traité ABM et le Traité sur l’espace, remplissent des fonctions similaires, l’interception pouvant aussi se faire par explosion thermonucléaire, comme c’est le cas pour les vecteurs russes.

3. La capacité d’interception dépend évidemment de l’intercepteur, mais aussi des caractéristiques de l’objet à intercepter. Celles-ci sont essentiellement fonction des paramètres suivants : la vitesse de pénétration de la tête, les assistances à la pénétration qui accompagnent éventuellement celle-ci, son domaine de vol et sa trajectoire, ainsi que des délais dont dispose le défenseur pour activer ses propres systèmes.

4. La vitesse de pénétration de la tête est directement liée à la portée du missile. Plus la portée est grande, plus la vitesse de pénétration est élevée et plus l’interception est difficile. En simplifiant, il est estimé qu’un missile balistique très courte/courte portée (SRBM - Short Range Ballistic Missile - moins de 300 km de portée aux normes du MTCR - Missile Technology Control Regime) a une vitesse de pénétration inférieure à 1,5 km/s. Un missile tactique classique (MRBM - Medium Range Ballistic Missile - IRBM - Intermediate Range Ballistic Missile) de 1 000 km de portée aura une vitesse de 2,1 km/s, alors que les missiles stratégiques classiques peuvent atteindre des vitesses de pénétration dépassant 6 km/s.

5. Par ailleurs, la portée d’un missile varie en fonction de sa charge. Dans un contexte où des armes ABM (Anti-Ballistic Missiles) sont déployées, la portée effective du missile importe moins que sa capacité d’emport à une distance opérationnelle minimale. Ainsi, la menace que fait peser un système balistique peut être accrue par une possibilité d’emport multitêtes (MRV - Manoeuverable Reentry Vehicle - voire MIRV - Multiple Independently Targetable Reentry Vehicle), mais aussi par les aides à la pénétration qui peuvent accompagner ces charges.

6. Les variations permises dans l’emport d’une charge sont particulièrement importantes si l’on s’attache à analyser la menace balistique sous l’angle conventionnel. Enfin, la prise en considération des caractéristiques des vecteurs balistiques doit être globale. Il est nécessaire, dans la mesure du possible, de connaître la précision du missile13, sa disponibilité opérationnelle, sa fiabilité (au lancement et à l’impact), ou même les carburants utilisés.

7. La frontière entre armes très courte portée (type Frog, Lance ou Scud), tactiques (dérivées des Scud de type Al Hussein et autres) et substratégiques (type SS-23, SS-12, SS-20) tend à se fondre, une même famille de vecteurs pouvant entrer dans diverses catégories suivant les modifications que certains pays pourraient juger bon d’y apporter. Le SS-X-26, dont une des variantes est développée en tant que démonstrateur spatial, pourrait ainsi permettre une augmentation spectaculaire de la portée des missiles utilisés, mais aussi de leur fiabilité et de leur capacité d’emport. De nombreux experts s’attendent à l’irruption sur le marché de vecteurs disposant d’une portée échelonnée entre 3 000 et 10 000 km d’ici vingt ans.

8. Certes, on peut arguer que le Régime de contrôle de la technologie des missiles (MTCR) pourrait prévenir de telles dérives, mais il est permis de se demander quelle est la légitimité du MTCR dès lors qu’un pays adhère strictement au TNP, au CTBT, aux conventions sur les armes chimiques et biologiques et s’équipe de vecteurs à capacité conventionnelle. Le MTCR a en effet été conçu pour prévenir les menaces balistiques liées aux armes de destruction massive. Même si on l’accepte dans son sens le plus large, celui de régime discriminatoire contre les armes offensives, sa légitimité est bien moindre dès lors que ces systèmes sont utilisés comme des armes conventionnelles ordinaires, comparables à une bombe guidée de forte puissance ou à un bombardier stratégique. Dans ce sens, il serait spécieux de se réfugier derrière le MTCR pour refuser de prendre en compte les moyens de lutter militairement contre les missiles balistiques, chaque pays ayant le droit de se doter des armes conventionnelles qu’il désire pour assurer sa sécurité, en particulier s’il s’estime soumis à une menace disproportionnée de la part d’autres puissances.


(12) Les systèmes tactiques courte portée et très courte portée sont généralement compris entre quelques kilomètres et 300 km et sont considérés comme des armes de champ de bataille. Les missiles balistiques de 300 à 3 500 km de portée sont considérés comme tactiques, mais leur rôle dépend autant de la capacité réelle du vecteur que de la situation géographique du pays qui le met en oeuvre et de ses adversaires potentiels. Ils peuvent être considérés comme stratégiques dans certains cas, même si leurs caractéristiques techniques intrinsèques les excluent désormais de ce champ.


Source : Assemblée parlementaire de l’Union de l’Europe Occidentale (UEO) http://www.assemblee-ueo.org/