35. Quatre ans après la visite " historique " du Président chinois Jiang Zemin aux Etats-Unis, le 28 octobre 1997, et trois ans après celle du Président Clinton à Pékin, les relations sino-américaines se sont sensiblement dégradées. Il n’est plus question aujourd’hui du " partenariat stratégique ", annoncé par Bill Clinton en juin 1998, ni même du programme moins ambitieux et plus pragmatique de Jiang Zemin consistant à renforcer la communication, accroître les contacts, renforcer le consensus et développer la coopération bilatérale. Au contraire, c’est un climat de méfiance attisé par les nationalistes des deux bords qui s’est installé entre Washington et Pékin. Si le poids des intérêts mutuels, économiques et géopolitiques, semble interdire la rupture, le refroidissement témoigne de la fragilité de leur relation. La première conséquence de ces tensions est l’hostilité chinoise à l’égard du programme de défense antimissile américain et des ambitions hégémoniques de Washington en Asie orientale à travers son projet de TMD. La deuxième conséquence est le resserrement des liens de politique de défense entre la Chine et la Russie.

36. La Chine accuse la défense antimissile américaine de risquer de briser l’équilibre stratégique planétaire, d’entraver gravement le processus du désarmement nucléaire et les efforts internationaux contre la prolifération nucléaire, de menacer la paix mondiale et la stabilité régionale, voire de provoquer une nouvelle course aux armements. Afin de préserver leurs intérêts, les autorités chinoises ne cessent donc de rappeler que le Traité ABM joue un rôle important pour maintenir l’équilibre et la stabilité stratégiques planétaires, promouvoir le désarmement nucléaire et renforcer la sécurité internationale. La Chine, en coopération avec la Russie et le Bélarus, a d’ailleurs proposé une résolution sur la sauvegarde et le respect du Traité ABM, adoptée à une majorité écrasante lors de la 54e Assemblée générale des Nations unies (décembre 1999). Celle-ci rappelait aux pays signataires du traité de ne pas installer de système antibalistique destiné à la protection globale du territoire du pays, et soutenait les efforts continuels de la communauté internationale pour sauvegarder l’inviolabilité et l’intégrité du traité. Cette résolution incarnait donc la volonté de la communauté internationale de lutter contre le développement et la mise en place d’un système balistique par les Etats-Unis et de sauvegarder ainsi le Traité ABM.

37. Depuis, la Chine et la Russie ont renforcé leur position commune sur ce sujet. Le 18 juillet 2000, les chefs d’Etat chinois et russe ont signé à Pékin la Déclaration conjointe sur le problème des missiles antibalistiques, qui souligne que le Traité ABM constitue toujours la pierre angulaire de la stabilité stratégique mondiale et de la sécurité internationale, et fournit un fondement pour les importantes conventions-cadres internationales sur la réduction et la limitation des armes stratégiques offensives et sur la prévention de la prolifération des armes de destruction massive. Enfin, plus récemment, le 16 juillet 2001, Vladimir Poutine et Jiang Zemin ont signé au Kremlin un traité d’amitié et de coopération, dans lequel les deux pays s’engagent à faire des efforts en faveur de l’équilibre stratégique mondial et de la stabilité, et à lutter ensemble contre le projet américain de bouclier antimissile. Pour le Président chinois, le revirement de la Russie au cours de la réunion de l’APEC à Shanghai, les 20 et 21 octobre derniers, est donc difficile à admettre.

38. Néanmoins, ce qui contrarie le plus la Chine est le fait que les Etats-Unis aient, depuis 1997, resserré leurs liens de défense avec le Japon, les Philippines et Singapour et annoncé en 1999 leur intention de déployer des systèmes de défense antibalistiques (Theater Ballistic Missile Defense - TBMD) de dernière génération au Japon, en Corée du Sud et, éventuellement, à Taiwan. Ce système permettrait de répondre de façon défensive aux menaces balistiques régionales, en offrant la possibilité d’intercepter les missiles ennemis avant leur impact. La Chine se sent donc indirectement menacée par un système antimissile qui affaiblirait dangereusement la capacité de sa dissuasion nucléaire. Ces boucliers antimissiles réduiraient en effet à l’évidence la marge de manoeuvre que donnent à la Chine son arsenal nucléaire et ses missiles moyenne portée. Le retard technologique considérable de l’Armée populaire de libération (APL), en particulier celui de ses forces navales, contraint par ailleurs Pékin à limiter pour l’instant ses ambitions régionales, notamment vis-à-vis de Taiwan. La perspective d’une mise en place d’armes antibalistiques américaines n’a donc fait qu’accentuer à Pékin la crainte que Taiwan lui échappe, et cela d’autant que le Président taiwanais, activement soutenu par la droite du Parti républicain américain, fait depuis près de deux ans une surenchère périlleuse à propos du statut futur de l’île en réclamant des relations " d’Etat à Etat ".

39. De plus, le Japon développe une TMD à composante navale du type du Navy Wide américain, dont la mobilité lui donnerait la possibilité de protéger l’île de Taiwan si l’occasion se présentait. Donc, si Pékin peut comprendre la nécessité qu’a Séoul de se protéger de la Corée du Nord, les leaders chinois se sentent tout de même menacés par le Japon qui, à l’abri du bouclier que constituerait la TMD et fort de l’alliance nippo-américaine renforcée, pourrait développer son propre armement nucléaire. Le Japon possède en effet un large stock de plutonium à usage civil pouvant être utilisé à des fins militaires, des ordinateurs puissants capables de simuler une explosion et, enfin, il bénéficie d’un programme spatial pouvant lui aussi être utilisé pour la construction de missiles balistiques.

40. Ce contexte pousse naturellement la Chine à adopter des réponses en vue de la mise en place de la TMD. La première consiste à moderniser son armement balistique et nucléaire en nombre et en qualité. La Chine travaille notamment sur le développement d’un système MIRV (multiple independently targeted re-entry vehicle), système initialement élaboré par les Etats-Unis et l’Union soviétique dans les années 1960-1970, qui permet à un missile de porter plus d’une tête nucléaire et donc d’atteindre plusieurs cibles. Les missiles balistiques ainsi équipés sont alors capables d’infliger plus de dégâts lors de la première frappe - et donc d’éviter une riposte - ou de percer plus facilement un système de défense antimissile, puisque à l’approche du but, les différentes têtes se séparent et pénètrent l’espace aérien ennemi indépendamment l’une de l’autre, cette disposition étant renforcée grâce aux contre-mesures qui pourraient être employées afin de déjouer la défense. Même si la Chine, tout en y travaillant depuis les années 1980, ne semble toujours pas avoir déployé ce système sur ses missiles balistiques, cela pourrait changer dans les années qui viennent. Parallèlement au projet MIRV, l’APL a placé l’acquisition d’appareils de surveillance de type AWACS en tête de ses priorités dans le cadre de sa politique de modernisation. La République populaire de Chine (RPC) compte acquérir ce type d’engins vers la fin de 2005. L’acquisition de ces technologies donnerait une réelle capacité d’action à la RPC.

41. Une autre réponse possible de la Chine pourrait être de se détourner du régime de contrôle des armements auquel elle n’avait adhéré que tardivement (TNP - Traité de non-prolifération - en 1992 et CTBT - Traité d’interdiction complète des essais - en 1996). Mais ce type de réponse contribuerait à la prolifération balistique et nucléaire en Asie, d’autant qu’une augmentation de l’arsenal chinois pourrait, par effet de dominos, pousser sa rivale indienne à moderniser son propre arsenal, ce qui risquerait ensuite d’inciter le Pakistan à faire de même. Or, la Chine, qui redoute plus que tout une nouvelle course aux armements, n’a aucun intérêt à ce que ce scénario se réalise. La première réponse reste donc la plus probable.


Source : Assemblée parlementaire de l’Union de l’Europe Occidentale (UEO) http://www.assemblee-ueo.org/