47. Afin de mieux comprendre l’état actuel des capacités techniques et industrielles européennes en matière de défense antimissile, il est important de rappeler que l’Europe industrielle de l’armement a connu de profonds bouleversements durant la dernière décennie. Depuis le début des années 1990, l’industrie américaine de défense s’est restructurée en profondeur, aboutissant à la création de cinq grandes sociétés qui bénéficient d’un effet de taille et de synergies significatives et donc d’une capacité concurrentielle renforcée sur leur marché domestique aussi bien qu’à l’export. Dans le même temps, les budgets de défense des pays occidentaux, et européens notamment, ont été réduits de façon continue dans le contexte géopolitique de la fin de la guerre froide. En 1992, à l’occasion du sommet de Maastricht, est né le concept de politique étrangère et de sécurité commune qui devait constituer l’un des trois piliers de la construction européenne. La mise en oeuvre de cette politique nécessite la définition par les Etats européens d’objectifs politiques et opérationnels communs et la mise en place par l’industrie d’une offre commerciale compétitive répondant à ces objectifs. L’évolution de l’Europe industrielle de l’armement, notamment en matière de défense antimissile, est donc à la fois une conséquence et un préalable à l’évolution de l’Europe de la défense et ses perspectives de développement lui sont liées dans une large mesure.

48. La baisse généralisée des budgets de défense amorcée à la fin des années 1980, non compensée par des ventes à l’exportation, a en effet poussé les industriels à se rapprocher. Ceci s’est matérialisé notamment par la création de Matra BAe Dynamics (MBD) en 1996 (fusion des activités missiles du Français Matra Défense et du Britannique BAe Dynamics). Le 9 décembre 1997, une déclaration conjointe des Etats français, allemand et britannique a ensuite appelé les industriels du secteur aéronautique, spatial et de défense à se réorganiser, dans le but d’aboutir à une intégration européenne fondée sur un partenariat équilibré. Le jour même, l’Espagne, l’Italie et la Suède ont déclaré publiquement leur soutien à cette initiative, qui s’est concrétisée sept mois plus tard par la signature par ces six pays de la LdI (Lettre d’intention) destinée à faciliter les restructurations de l’industrie européenne de défense. En juillet 1998, Aerospatiale et Matra ont alors annoncé leur projet de privatisation-fusion et fin 1999, Aerospatiale Matra, DaimlerChrysler Aerospace (DASA) et CASA (Espagne) ont lancé EADS16 (European Aeronautic, Defence and Space company), officiellement créée en juillet 2000. De leur côté, en Grande-Bretagne, British Aerospace et GEC Marconi ont créé BAe Systems début 1999. Le 20 octobre 1999, Matra BAe Dynamics (détenue conjointement par BAe Systems et EADS), Aerospatiale Matra Missiles (appartenant à EADS), Alenia Marconi Systems (détenue conjointement par l’Italien Finmeccanica et le Britannique BAe Systems) et l’Allemand LFK se sont regroupés pour créer MBDA, une compagnie européenne spécialisée dans les missiles et systèmes de missiles.

49. Mais malgré ces initiatives, les avancées technologiques européennes en matière de défense antimissile balistique ont été relativement limitées. Le Royaume-Uni, par exemple, n’a réservé aucune place aux défenses antimissiles dans la Defense Review de 1999. Quant à la France, depuis qu’elle s’est retirée en 1996 du programme MEADS, elle s’intéresse occasionnellement aux défenses antimissiles balistiques tactiques, avec des projets comportant en particulier une extension du programme PAAMS-SAMP/T (système de missile anti-aérien - sol-air moyenne portée/terre) doté du missile Aster. Une composante navale sera déployée sur les frégates Horizon, pour la défense des navires. Il s’agit du système PAAMS antimissile développé en coopération avec l’Italie17. La version terrestre - défense de troupes en opération extérieure (SAMP/T) - ne sera pas opérationnelle avant 2008. Enfin, l’Espagne possède quelques navires Aegis de faibles performances, qui pourraient permettre, une fois modifiés, une défense de zone limitée en Méditerranée.

50. Ce manque de dynamisme vient en grande partie de la faiblesse des budgets alloués à la défense antimissile en Europe. En dehors de l’Aster18, l’autre programme industriel européen (MEADS)19, développé par EADS, dépend en effet encore largement d’une coopération avec les Etats-Unis. EADS est également partenaire de Lockheed Martin et Boeing, pour étudier le système tactique de défense antibalistique de l’OTAN20. Les Européens et les Américains, qui ont donc bien pris conscience de l’importance des transferts de technologie en matière de défenses terminales, commencent aussi à s’investir dans les satellites de détection et de suivi des missiles balistiques, tant pour des raisons stratégiques que de coopération transatlantique. Le coût d’une capacité permettant un début d’autonomie et de coopération est en effet relativement accessible - de l’ordre de 500 millions d’euros pour un ensemble de deux satellites en orbite géostationnaire balayant de façon stéréoscopique la zone couvrant la Méditerranée et le Moyen-Orient.

51. Des avancées dans ce domaine ont ainsi déjà été opérées. Début 2001, EADS a par exemple signé avec Northrop Grumman un accord sur le drone "Euro Hawk" - dérivé du Global Hawk américain. Dans la gestion de crise, ce drone remplacera avantageusement les satellites géostationnaires à moindre coût et avec plus de souplesse. Le centre opérationnel ISR (Intelligence, Surveillance and Reconaissance), de la société EADS, dispose d’une solide expérience dans le domaine des drones tactiques, à travers le Piver/CL28921, programme trinational qui réunit le Canada, l’Allemagne et la France, et à travers l’expérience de sa filiale française CAC Systèmes avec la série des Fox (Fox MLCS, notamment). Enfin, pour la reconnaissance maritime, EADS Dornier a développé le Seamos, un drone à décollage vertical et à voilure tournante avec rotors co-axiaux22. De son côté, Alcore Technologies étoffe également sa gamme de drones de reconnaissance en améliorant l’Azimut et le Futura tout en étudiant des micro-drones23. La technologie est donc pour partie maîtrisée, mais encore faut-il que les objectifs politiques et opérationnels de défense soient clairement définis.


16 EADS est actuellement le n°1 européen et le n°2 mondial en termes de chiffre d’affaires.

17 La France et l’Italie sont associées depuis 1988 au sein du programme "Famille Sol-Air Futur" (FSAF) destiné à équiper leurs forces armées de systèmes de défenses anti-aériennes adaptés à la menace de missiles tactiques des années 2000-2010. Ce programme doit fournir aux marines française et italienne un système antimissile (PAAMS) ; aux armées de terre et de l’air françaises, ainsi qu’à l’armée de terre italienne, un système de défense de zone (SAMP/T : sol-air moyenne portée/terre). Le système PAAMS est un système d’armes moyenne portée, à capacité multicibles, destiné à être embarqué sur des bâtiments de surface de tonnage supérieur à 2 000 tonnes, pour leur défense anti-aérienne de zone, y compris contre les missiles antinavires. Les Britanniques sont associés au programme PAAMS qui armera les frégates de type 45 de la Royal Navy.

18 L’Aster est l’un des trois programmes structurants de la société MBDA (avec le système air-sol Storm Shadow/Scalp et le système air-air Meteor) car il réunit les trois pays créateurs de MBDA (France, Italie et Royaume-Uni). Le missile antimissile Aster 15 Naval a réussi, fin juin 2001, un impact direct sur un missile en vol rasant à quelques mètres au-dessus de la mer, dans le cadre d’un scénario d’autodéfense avec interception à courte distance.

19 MEADS (Medium Extended Air Defense System) : programme américano-européen de défense anti-aérienne avec des capacités antimissiles de type PAC-3, auquel l’Allemagne et l’Italie participent, et qui bénéficie en 2001 de 50 millions de dollars.

20 Planet Aerospace - N°5 - octobre-novembre-décembre 2001, page 4.

21 Le CL289 est un drone rapide à turboréacteur et récupérable par parachute, qui s’est illustré au Kosovo en rapportant 70% du renseignement optique alors que les autres moyens étaient indisponibles en raison d’une météo défavorable.

22 Planet Aerospace - N°5 - octobre-novembre-décembre 2001, pages 46-49.

23 Air&Cosmos - N°1810 - 21 septembre 2001, pages 32-33.


Source : Assemblée parlementaire de l’Union de l’Europe Occidentale (UEO) http://www.assemblee-ueo.org/