Résolution 1472

Le Conseil de sécurité,

Notant que, aux termes de l’article 55 de la quatrième Convention de Genève (Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre du 11 août 1949), la puissance occupante a le devoir d’assurer, dans toute la mesure de ses moyens, l’approvisionnement de la population en vivres et en produits médicaux et doit notamment importer les vivres, fournitures médicales et autres produits nécessaires lorsque les ressources du territoire occupé sont insuffisantes,

Convaincu de la nécessité de continuer à fournir d’urgence une assistance humanitaire à la population iraquienne dans tout le pays sur une base équitable, ainsi qu’aux habitants de l’Iraq qui quittent le pays en raison des hostilités,

Rappelant ses précédentes résolutions pertinentes et, en particulier, ses résolutions 661 (1990) du 6 août 1990, 986 (1995) du 14 avril 1995, 1409 (2002) du 14 mai 2002 et 1454 (2002) du 30 décembre 2002, qui prévoient la fourniture d’une assistance humanitaire à la population iraquienne,

Prenant note de la décision prise par le Secrétaire général, le 17 mars 2003, de retirer tout le personnel des Nations Unies et le personnel humanitaire chargé d’appliquer le programme « pétrole contre nourriture » (appelé ci-après « le programme ») créé par la résolution 986 (1995),

Insistant sur la nécessité de n’épargner aucun effort pour maintenir en fonction le réseau national de distribution de rations alimentaires,

Insistant également sur la nécessité d’examiner une nouvelle réévaluation du programme pendant et après la période d’urgence,

Réaffirmant le respect du principe selon lequel le peuple iraquien a le droit de déterminer lui-même son avenir politique et de contrôler ses propres ressources naturelles,

Réaffirmant l’attachement de tous les États Membres à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de l’Iraq,

Agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies,

 1.Prie toutes les parties concernées de respecter strictement les obligations qui leur incombent en vertu du droit international, en particulier des Conventions de Genève et du Règlement de La Haye, y compris celles qui concernent les besoins civils essentiels de la population iraquienne, aussi bien en Iraq qu’à l’extérieur du pays ;

2.Lance un appel à la communauté internationale pour qu’elle fournisse également une assistance humanitaire immédiate à la population iraquienne, aussi bien en Iraq qu’à l’extérieur du pays, en consultation avec les États concernés, et en particulier pour qu’elle réponde immédiatement à tout appel humanitaire futur lancé par l’Organisation des Nations Unies et appuie les activités du Comité international de la Croix-Rouge et d’autres organisations humanitaires internationales ;

3.Estime que, compte tenu de la situation exceptionnelle qui existe actuellement en Iraq, il convient en outre d’apporter à titre provisoire et exceptionnel des aménagements techniques et temporaires au programme de façon à assurer l’exécution des contrats approuvés conclus par le Gouvernement iraquien, pour lesquels il existe ou non un financement, concernant l’assistance humanitaire à la population iraquienne, y compris pour répondre aux besoins des réfugiés et des personnes déplacées, conformément à la présente résolution ;

4.Autorise le Secrétaire général et les représentants qu’il aura désignés à prendre d’urgence, dans un premier temps et avec la coordination voulue, les mesures suivantes :

a)Établir, en consultation avec les gouvernements des pays concernés, les différents endroits, tant en Iraq que dans d’autres pays, où les produits et le matériel humanitaires fournis au titre du programme pourront être livrés, inspectés et certifiés conformes, et réacheminer les marchandises vers ces endroits, selon qu’il conviendra ;

b)Examiner d’urgence les contrats approuvés conclus par le Gouvernement iraquien, financés ou non, afin de déterminer le degré de priorité relative des besoins en matière de médicaments, de fournitures sanitaires, de vivres et d’autres produits et fournitures de première nécessité pour les civils, auxquels répondent les contrats au titre desquels les marchandises peuvent être expédiées pendant la durée du présent mandat, et procéder à l’exécution de ces contrats en fonction des priorités ainsi fixées ;

c)Se mettre en rapport avec les fournisseurs de ces contrats afin de déterminer exactement où se trouvent les marchandises concernées et, au besoin, leur faire retarder, accélérer ou rediriger les expéditions ;

d) Négocier et arrêter les aménagements à apporter aux clauses et conditions desdits contrats et aux lettres de crédit correspondantes, et mettre en application les mesures visées aux alinéas a), b) et c) du présent paragraphe, indépendamment des plans de distribution approuvés au titre du programme ;

e)Négocier et exécuter de nouveaux contrats portant sur les articles médicaux essentiels au titre du programme et autoriser l’émission des lettres de crédit correspondantes, indépendamment des plans de distribution approuvés au cas où les articles en question ne pourraient pas être livrés en exécution de contrats visés à l’alinéa b) du présent paragraphe et sous réserve de l’approbation du Comité créé par la résolution 661 (1990) ;

f)Virer des fonds inutilisés entre les comptes créés en application des alinéas a) et b) du paragraphe 8 de la résolution 986 (1995), à titre exceptionnel et remboursable, selon qu’il sera nécessaire pour faire en sorte que des fournitures humanitaires essentielles parviennent au peuple iraquien, et utiliser les fonds se trouvant dans les comptes-séquestres visés aux alinéas a) et b) du paragraphe 8 de la résolution 986 (1995) afin d’appliquer le programme conformément aux dispositions de la présente résolution, sans tenir compte de la phase au cours de laquelle les fonds en question ont été inscrits au compte-séquestre ou de la phase à laquelle ils peuvent avoir été affectés ;

g)Utiliser, en respectant les procédures qu’aura fixées le Comité créé par la résolution 661 (1990), avant l’expiration de la période fixée au paragraphe 10 ci-après et compte tenu des recommandations formulées par le Bureau chargé du Programme Iraq, les fonds déposés aux comptes créés en application des alinéas a) et b) du paragraphe 8 de la résolution 986 (1995), autant que de besoin et comme il conviendra, pour régler aux fournisseurs et aux transporteurs les montants convenus pour couvrir les frais supplémentaires d’expédition, de transport et de stockage occasionnés par le changement de destination ou le retardement des envois selon ses instructions, conformément aux dispositions des alinéas a), b) et c) du présent paragraphe, en vue de s’acquitter des tâches qui lui sont assignées à l’alinéa d) ;

h)Régler les dépenses de fonctionnement et les dépenses administratives supplémentaires occasionnées par l’exécution du programme provisoirement modifié au moyen des fonds se trouvant au compte-séquestre créé en application de l’alinéa d) du paragraphe 8 de la résolution 986 (1995), de la même manière que les dépenses occasionnées par les activités visées audit alinéa, afin de s’acquitter des tâches qui lui sont assignées à l’alinéa d) ;

i)Utiliser les fonds déposés aux comptes-séquestres créés en application des alinéas a) et b) du paragraphe 8 de la résolution 986 (1995) pour acheter des marchandises produites localement et pour régler les dépenses engagées sur place pour répondre aux besoins essentiels de la population civile qui ont été financés conformément aux dispositions de la résolution 986 (1995) et des résolutions connexes, y compris, le cas échéant, les frais de meunerie, de transport et autres qui doivent être engagés pour faciliter la distribution de fournitures humanitaires essentielles au peuple iraquien ;

5.Se déclare prêt à autoriser le Secrétaire général, dans un deuxième temps, à remplir des fonctions supplémentaires, avec la coordination nécessaire, dès que la situation le permettra, une fois que les activités du programme en Iraq auront repris ;

6.Se déclare également prêt à envisager de dégager des fonds supplémentaires, y compris en les prélevant, à titre exceptionnel et remboursable, sur le compte créé en application de l’alinéa c) du paragraphe 8 de la résolution 986 (1995), afin de mieux répondre aux besoins humanitaires du peuple iraquien ;

7.Décide que, nonobstant les dispositions de la résolution 661 (1990) et de la résolution 687 (1991), et pour la durée de la présente résolution, toutes les demandes présentées par les organismes, programmes et fonds des Nations Unies, ainsi que par d’autres organisations internationales et non gouvernementales de distribution ou d’utilisation en Iraq de matériel et d’équipement humanitaires d’urgence, autres que les médicaments, les fournitures médicales et les denrées alimentaires, présentées en dehors du programme « pétrole contre nourriture », seront examinées par le Comité créé par la résolution 661 (1990), dans un délai de 24 heures selon une procédure d’approbation tacite ;

8.Exhorte toutes les parties concernées à permettre aux organisations humanitaires internationales, conformément aux Conventions de Genève et au Règlement de La Haye,d’accéder librement et sans contrainte à l’ensemble de la population iraquienne ayant besoin d’une assistance, à mettre à leur disposition tous les moyens nécessaires et à favoriser la sécurité, la sûreté et la liberté de mouvement du personnel des Nations Unies, du personnel associé et de leurs biens ainsi que du personnel des organisations humanitaires en Iraq répondant aux besoins de la population ;

9.Charge le Comité créé par la résolution 661 (1990) de suivre de près l’application des dispositions du paragraphe 4 ci-dessus et, à ce propos, prie le Secrétaire général d’informer le Comité des nouvelles mesures au moment où elles sont prises et d’engager des consultations avec le Comité sur l’ordre de priorité des contrats concernant l’expédition de marchandises autres que des vivres, des médicaments ou des produits sanitaires ou de purification de l’eau ;

10.Décide que les dispositions énoncées au paragraphe 4 de la présente résolution resteront en vigueur pendant une période de 45 jours à compter de la date de l’adoption de la présente résolution et pourront être prorogées par le Conseil ;

11.Prie le Secrétaire général de prendre toutes les mesures nécessaires à l’application de la présente résolution et de lui faire rapport avant la fin de la période mentionnée au paragraphe 10 ;

12.Décide de rester saisi de la question.

Explications de vote

M. MUNIR AKRAM (Pakistan) a rendu hommage à l’Allemagne pour les efforts « héroïques » déployés depuis quelques jours. Ces efforts et l’adoption de la résolution à l’unanimité est un message positif qui indique que le Conseil peut retrouver la voie de l’unité et qu’il peut même, dans des circonstances difficiles, agir à l’unisson lorsque la volonté politique des gouvernements peut se réunir autour d’une cause commune. La préoccupation principale du Pakistan a toujours été le bien-être du peuple iraquien. Le Pakistan est convaincu que ce peuple qui souffre depuis 12 ans sous le poids des sanctions ne devrait pas avoir à payer doublement. Le Pakistan réitère son intention de fournir l’aide d’urgence au peuple iraquien et ce dès que les dispositions pratiques pourront être prises. Le Pakistan est coauteur de la résolution, convaincu qu’il est, que la communauté internationale se devait de réagir rapidement et de façon appropriée, aux besoins du peuple iraquien. 

Toutefois, le Pakistan entend souligner que certains principes vont guider sa position actuelle et future face aux droits et à la situation du peuple iraquien. Citant ces principes, le représentant a insisté sur les droits inaliénables du peuple iraquien sur ses ressources naturelles et l’obligation de ne pas exiger de ce peuple qu’il assume des coûts supplémentaires dans la reprise du programme « pétrole contre nourriture ». Le représentant a souhaité d’autre part que la communauté internationale réponde rapidement à l’appel d’urgence lancé en faveur de la population iraquienne. Le Secrétaire général aura besoin de coordonner ses activités en Iraq avec ceux qui contrôlent en pratique une partie du territoire. Le Pakistan accepte cette réalité mais cette acceptation ne porte nullement préjudice à la position du Pakistan sur la légalité ou non de la situation que le Secrétaire général trouvera sur le terrain.

M. MIKHAIL WHEBE (République arabe syrienne) a déclaré que compte tenu de la nécessité de revitaliser le rôle des Nations Unies, de mettre en œuvre le programme « pétrole contre nourriture » et en sachant que ce texte est adopté comme première résolution pour faire face à l’invasion américano-britannique, il souhaite souligner que seules des raisons humanitaires ont poussé sa délégation à voter en faveur du texte. Ce vote ne doit pas être interprété comme une acceptation de l’invasion américano-britannique, mais comme une tentative de parvenir à un retrait de ces troupes. Ce vote ne doit pas non plus être interprété comme accordant une quelque légitimité que ce soit à cette invasion.

M. SERGEY LAVROV (Fédération de Russie) a souligné que la résolution est une mesure imposée liée à la nécessité de résoudre les problèmes humanitaires de la population iraquienne qui ont été provoqués par les opérations militaires des Etats-Unis et du Royaume-Uni contre l’Iraq. Ces problèmes humanitaires doivent être réglés sur la base de la quatrième Convention de Genève. En ce qui concerne le programme « pétrole contre nourriture », les modifications apportées ont un caractère technique et temporaire et permettent que soient mis en œuvres les contrats déjà signés. La résolution ne modifie en rien le fonds du programme qui demeure sous le contrôle du Conseil grâce au compte séquestre des Nations Unies. La résolution ne signifie en rien une légitimation de l’action militaire qui est une violation de la Charte de l’ONU. Les membres de la coalition y sont nommés comme puissances occupantes et à ce titre, ils doivent s’en tenir aux normes du droit humanitaire international. La résolution ne remet pas en question l’intégrité territoriale et la souveraineté de l’Iraq et reconnaît les droits du peuple iraquien sur ses ressources naturelles.

M. GUNTER PLEUGER (Allemagne) a évoqué des négociations difficiles en raison de questions douloureuses à régler. Je comprends qu’un texte de compromis ne peut satisfaire tout le monde et je suis reconnaissant de l’esprit de compromis qui s’est dégagé de sorte que 14 membres du Conseil se sont portés coauteurs de ce texte. Il est important que le Conseil, après un débat animé sur la question iraquienne et son volet humanitaire, ait exprimé la volonté de se retrouver pour alléger la souffrance de la population iraquienne et pour relancer le programme « pétrole contre nourriture » dès que la situation sur le terrain le permettra. La corbeille alimentaire provient pour 80% du programme et 60% de la population iraquienne en dépend, soit 14 millions de personnes. L’adoption par consensus de ce texte est un message d’espoir pour le peuple iraquien, a souligné M. Pleuger.

M. JOHN NEGROPONTE (Etats-Unis) a souligné que la résolution est une mesure importante qui avait été soutenue par son pays dès le départ du personnel humanitaire international. Il a remercié la délégation allemande pour son leadership dans les négociations. Il s’est dit confiant que le Secrétaire général et le programme « pétrole contre nourriture » pourront reprendre leurs activités dans les semaines à venir. Pour leur part, les Etats-Unis entendent faciliter la coordination sur le terrain. La résolution est conforme à la détermination des Etats-Unis à satisfaire les besoins du peuple iraquien. Les Etats-Unis exhortent tous les gouvernements à contribuer à cet effort, a dit le représentant en se félicitant que le Conseil ait pu se réunir pour adopter cette résolution. Ce vote se traduira en résultats concrets sur le terrain. Le peuple iraquien souffre depuis trop longtemps sous le joug d’un régime dont les jours sont comptés.

M. JEAN-MARC DE LA SABLIERE (France) s’est réjoui de l’adoption de ce texte d’une grande importance. Il était important qu’il rappelle les principes du droit international humanitaire, notamment les Conventions de Genève, et comprennent des ajustements techniques pour tenir compte des réalités sur le terrain. La France qui a coparrainé ce texte, se réjouit de la rapidité avec laquelle nous avons dégagé ce consensus et que le Conseil ait retrouvé son unité sur le volet humanitaire.

M. STEFAN TAFROV (Bulgarie) s’est félicité des efforts déployés par l’Allemagne et d’autres protagonistes qui ont permis l’adoption à l’unanimité de cette résolution.

M. INOCENCIO ARIAS (Espagne) s’est lui aussi félicité de l’esprit de compromis qui a présidé à l’élaboration de cette résolution après des jours de tensions au sein du Conseil. Le fait que le Conseil soit enfin uni autour de la question humanitaire est important, a-t-il souligné. 

M. MAMADY TRAORE (Guinée) a déclaré que si cette résolution n’avait pas été adoptée, sa délégation aurait été profondément déçue, car ce texte est essentiel pour la crédibilité du Conseil de sécurité et de l’Organisation.

Source : Communiqué 2474 du Conseil de sécurité.