Situation des droits de l’homme en Iraq

M. ANDREAS MAVROMMATIS, Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en Iraq, a regretté que la voie du désarmement pacifique n’ait pas été poursuivie et que la guerre, avec son cortège d’horreurs, ait commencé. Ses pensées sont allées aux civils iraquiens, notamment les femmes et les enfants qui ont déjà tant souffert par le passé. Il a émis l’espoir que ne se reproduisent pas les massacres tels que celui du marché de Bagdad vendredi. Il a rappelé que le respect du droit à la vie imposait des limites quant aux cibles lorsque le risque de pertes civiles est trop important. Il a ajouté que les attaques suicide accroissaient également les risques pour les civils. Il a repris les termes du Secrétaire général et enjoint les belligérants à respecter scrupuleusement de droit international humanitaire et a insisté sur le fait qu’aucune attaque ne devait être menée contre les civils. Il a en outre regretté que l’évolution des événements l’ait obligé à repousser sa deuxième visite et rendait sa tâche particulièrement difficile. À cet égard, il a indiqué qu’il s’était tenu prêt à participer à une séance extraordinaire sur l’Iraq et qu’il avait, dans les jours qui ont précédé le rejet de cette proposition, eu des contacts utiles. Ainsi, il a rendu compte d’une rencontre, le 27 mars 2003, avec la Mission permanente iraquienne et des délégués de Bagdad. À cette occasion, le représentant iraquien a fait de nombreux commentaires sur l’additif au rapport qui fut rédigé avant le début des hostilités.

Dressant le bilan de trois années de travail et de ses rencontres, M. Mavrommatis a déclaré que la communauté internationale, les Nations Unies et particulièrement le Haut Commissaire se doivent d’aider le peuple iraquien à panser ses plaies et à résoudre la crise humanitaire, en vue d’assurer le droit à la vie. Il s’est ensuite tourné vers l’avenir à moyen et long terme et a estimé qu’il faudrait veiller désormais à ne plus jamais se retrouver dans une telle position d’impuissance. Il a néanmoins précisé que la mise en œuvre de ses recommandations demandera une pleine coopération de l’Iraq et qu’il fallait maintenant s’attacher à venir en aide concrètement au peuple iraquien. Il a recommandé le déploiement d’une présence en ce qui concerne les droits de l’homme Iraq, en coopération avec les autorités, pour veiller à ce que le respect des droits de l’homme soit ancré dans les institutions et l’avenir. 

Pour l’examen de cette question, la Commission est saisie d’un rapport sur la situation des droits de l’homme en Iraq (E/CN.4/2003/40) dans lequel le Rapporteur spécial indique qu’il continuera de suivre toutes les questions relatives aux droits de l’homme soulevées pendant sa visite exploratoire en Iraq en février 2002 et dans ses deux derniers rapports à la Commission et à l’Assemblée générale, ainsi que les questions abordées dans le présent rapport et examinera minutieusement toute nouvelle information sur les violations des droits de l’homme. La priorité sera accordée aux informations sur les violations graves en cours du droit à la vie, y compris les exécutions extrajudiciaires et la peine de mort, ainsi que sur la torture, les déplacements forcés, l’absence de procès équitables, la liberté d’expression et d’association et la liberté de religion. Parmi les autres questions à examiner, figureront les réformes prévues dans le secteur pénitentiaire et leur mise en œuvre, le décret autorisant les personnes à changer leur nationalité ou appartenance ethnique pour devenir arabe, l’« arabisation » ainsi que le décret relatif au choix du nom des enfants. Le Rapporteur spécial continuera de suivre la question des effets non recherchés de l’embargo et maintiendra ses contacts à ce sujet avec les institutions spécialisées, y compris l’UNICEF et le Bureau du Programme Iraq.

Le Rapporteur spécial réitère toutes ses précédentes recommandations, en particulier celles figurant dans ses deux derniers rapports. Un respect total et sans réserve par le Gouvernement iraquien de toutes les obligations qui lui incombent en vertu des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme ou du droit international coutumier est un impératif, poursuit le rapport, ajoutant que la communauté internationale devrait dans le même temps être prête à apporter son assistance dans le cadre de ce processus selon qu’il conviendra. Cela concerne aussi le Rapporteur spécial, précise le rapport. En conséquence, quelle que soit l’évolution future de la situation en ce qui concerne l’Iraq, les droits de l’homme doivent avoir la priorité absolue dans l’avenir. Cela devrait inclure la mise en place d’une antenne droits de l’homme en Iraq qui garantirait, en coopération avec le Gouvernement, que la législation, les pratiques et les institutions requises pour la mise en œuvre des normes relatives aux droits de l’homme soient en place et dans le même temps, suivrait le respect de ces normes, ferait des recommandations et présenterait des rapports selon qu’il conviendrait. Des ressources suffisantes devraient être réservées dès à présent pour l’application des mesures susmentionnées, indique le rapport.

L’additif 1 au rapport de M. Mavrommatis, daté du 4 mars 2003, indique que, compte tenu des circonstances qui prévalent en ce qui concerne l’Iraq, le Rapporteur spécial a décidé de ne pas effectuer la deuxième mission qu’il avait prévu de faire dans ce pays. Le Rapporteur spécial reconnaît que le processus de coopération avec le Gouvernement iraquien est lent et laborieux et que de nombreuses années d’un régime autoritaire de parti unique expliquent l’absence de culture des droits de l’homme, d’institutions démocratiques opérationnelles et de mécanismes efficaces visant à assurer la protection des droits et des libertés individuelles.

M. DHARI KHALIL MAHMOOD (Iraq) a fait observer que dire que l’Iraq n’a pas été désarmé et que cela a abouti à la guerre est contraire à la position du Conseil de sécurité. Il a en outre relevé que l’additif au rapport de M. Mavrommatis, où il est affirmé que la coopération du Gouvernement iraquien est lente et difficile, marque un infléchissement de la position du Rapporteur spécial. Indiquant qu’au lieu de se rendre en Iraq, le Rapporteur spécial a rencontré des délégations gouvernementales à Genève, le représentant iraquien a souligné que cette démarche a donné lieu à un dialogue intense au cours duquel la délégation iraquienne a fourni nombre de renseignements requis au Rapporteur spécial qui n’en fait pourtant nullement état dans son rapport. En vertu de son mandat, le Rapporteur spécial aurait dû se rendre en Iraq et ne pas être arrêté par l’éventualité d’une agression. À la lumière de l’agression américano-britannique, tous les mécanismes des droits de l’homme devraient se rendre immédiatement en Iraq pour mettre en lumière les violations des droits de l’homme perpétrées par les forces d’invasion, a estimé le représentant iraquien. Dans l’additif au rapport de M. Mavrommatis, on peut voir l’influence de la campagne qui a été menée contre l’Iraq, a-t-il insisté. Il a affirmé que le Rapporteur spécial a été très sélectif, mettant en exergue des mensonges et des idées préconçues alors que de graves violations des droits de l’homme ont été causées par l’embargo qui a frappé l’Iraq pendant tant d’années. Les Nations Unies et la communauté internationale seront tenues pour responsables de « leur position peureuse » face à l’agression menée contre le peuple iraquien, a affirmé le représentant de l’Iraq. De nombreuses protestations et manifestations à travers le monde, y compris de la part d’acteurs à Hollywood, n’ont pas empêché la Commission de refuser de tenir une séance spéciale consacrée à l’Iraq au cours de la présente session. L’Iraq en appelle au Rapporteur spécial et à toutes les autorités compétentes des Nations Unies pour qu’ils se rendent en Iraq afin d’enquêter sur les violations des droits de l’homme perpétrées par les envahisseurs du XXIe siècle.

Dialogue interactif avec le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en Iraq

Le représentant de la Syrie a déclaré que le rapport de M. Mavrommatis était pauvre en faits concrets rapportés et a demandé au Rapporteur spécial pourquoi il avait mis tant de temps avant d’effectuer sa deuxième visite en Iraq, sachant qu’il y avait déjà sur place des centaines de fonctionnaires de l’ONU, jusqu’à quarante-huit heures avant l’agression. M. Mavrommatis s’est contenté des témoignages d’opposants vivant à l’étranger : n’est-ce pas là une lacune qui mine les conclusions de son rapport ?

Le représentant de Cuba a demandé ce que pensait M. Mavrommatis des violations qui se produisent en Iraq suite à l’agression actuelle ? À la lumière de ces événements, ne faudrait-il pas réviser son mandat et y faire figurer une enquête sur les massacres qui ont lieu actuellement ? Se propose-t-il de faire une visite en Iraq pour vérifier ce qu’il s’y passe ?

Le représentant du Canada a demandé quel pourrait être à l’avenir, de l’avis du Rapporteur, le rôle des Nations Unies pour l’instauration de mécanismes de respect des droits de l’homme ancrés dans les lois et la vie quotidienne de l’Iraq ?

Répondant à ces questions, le Rapporteur spécial, M. Mavrommatis, a expliqué au représentant iraquien que les derniers paragraphes de son rapport sont consacrés au respect des instruments internationaux relatifs au droit de l’homme. Il a reconnu qu’il y avait eu un certain degré de coopération, mais qu’elle avait été longue à se mettre en place, puisqu’il avait fallu deux ans pour qu’il puisse se rendre dans le pays. S’agissant de sa deuxième visite, il a précisé que celle-ci devait être longue de deux semaines et qu’il devait être accompagné de personnel des Nations Unies et que c’est pour cette raison qu’il avait été préférable de la reporter. Il a déclaré qu’il était prêt à se rendre dans le pays dès que les circonstances le permettraient. Par ailleurs, il a réitéré que la coopération s’était accrue récemment avec les autorités iraquiennes, mais que le retard pris ne lui avait pas permis de recevoir des réponses concernant certaines allégations. Il a rendu compte de progrès notables dans le traitement des prisonniers et de la libération de certains détenus, mais a déploré qu’il ait été si laborieux de les obtenir. S’agissant des questions relatives au pouvoir judiciaire, il a déclaré qu’il ne comprenait pas ce qui justifiait l’existence de tribunaux spéciaux, ni la nécessité qu’il y ait une cour devant laquelle le Président peut déférer directement des prévenus. 

Aux questions de la Syrie, M. Mavrommatis a réitéré qu’il était prêt à se rendre en Iraq demain, à condition que la sécurité du personnel qui l’accompagne puisse être assurée, que sa visite puisse durer deux semaines et qu’il ait une totale liberté de mouvement. Il a réfuté les accusations selon lesquelles il ne se serait entretenu qu’avec des iraquiens en exil. Il a fait part de sa rencontre avec des dignitaires religieux, notamment chrétiens, à Bassora, et avec des ministres. Il a déclaré qu’il n’était pas un novice et qu’il savait comment évaluer les témoignages. En outre, a-t-il précisé, il a donné à l’État partie un temps amplement suffisant pour répondre et se justifier. 

Aux questions posées par Cuba, le Rapporteur spécial a rappelé les termes de son mandat et indiqué qu’il enquêterait sur toutes les allégations qui sont portées à son attention et qui entrent dans le cadre de son mandat. Il a ajouté que c’était à la Commission de modifier les termes de son mandat si elle le jugeait utile, mais que ce n’était pas à lui d’en décider. En dernier lieu, il a répondu au Canada qu’une présence était indispensable et qu’il appartenait au Haut Commissaire d’en décider les modalités. Il a rappelé qu’il y a dix ans, l’Iraq
avait amorcé un processus de modification de sa constitution et de réformer son pouvoir judiciaire. Dans ce contexte, il a estimé que l’Iraq aurait beaucoup à gagner d’une bonne coopération avec les Nations Unies qui pourraient l’aider dans son processus de réformes.

Source : ONU, Communiqué de presse DH/G/189 .