Monsieur le Président, je suis fier de prendre la parole aujourd’hui en faveur de la motion dont la Chambre est saisie - une motion fondée sur des principes qui réitère notre décision de ne pas participer à la guerre en Iraq mais de continuer à participer à la guerre contre le terrorisme en Afghanistan. Une motion qui réaffirme notre amitié avec les États-Unis et le Royaume-Uni et notre appui en faveur du succès de la coalition. Cette motion appelle à la retenue dans les propos que nous nous adressons et ceux que nous tenons sur nos amis en cette période où les émotions sont à vif. Notre motion met aussi l’accent sur la nécessité de diriger notre attention dès que possible sur la reconstruction de l’Iraq.

Monsieur le Président, nous allons voter aujourd’hui sur une motion de l’Alliance canadienne qui demande à la Chambre de s’excuser pour les déclarations faites par certains députés.

Je présume que le chef de l’Opposition veut que la Chambre des communes censure le chef du Parti conservateur pour les propos qu’il a tenus à Winnipeg le 26 mars au sujet de l’administration américaine. La motion aurait sûrement pour effet d’amener la Chambre des communes à condamner les déclarations sur la guerre faites par les députés du Bloc Québécois ou du Nouveau Parti démocratique.

Oui, Monsieur le Président, au cours des dernières semaines, certains députés de ce côté-ci de la Chambre ont dit des choses à propos de la guerre avec lesquelles je suis complètement en désaccord. Nous préférerions tous qu’elles n’aient pas été dites. Mais il y a aussi à tous les jours des députés en face qui disent des choses avec lesquelles nous sommes tous en désaccord de ce côté-ci. Ils font des déclarations que nous trouvons parfois, pour reprendre les termes de la motion de l’Opposition, offensantes et déplacées.

Monsieur le Président, nous ne nous servons pas de notre majorité pour présenter des motions appelant cette Chambre à exprimer du regret et des excuses pour les déclarations des députés en face. La raison en est très simple. C’est à l’électorat et non à la Chambre des communes qu’il appartient de porter de tels jugements.

Rien n’est plus fondamental dans notre démocratie que le droit et le privilège des députés de dire ce qu’ils pensent en toute liberté. Ce droit et ce privilège ont évolué au fil des siècles dans la tradition parlementaire britannique. Ce droit et ce privilège représentent un bien précieux en démocratie. Il ne faut pas y porter atteinte. Jamais.

Je siège dans cette chambre depuis très longtemps. En fait, j’ai été élu pour la première fois il y a quarante ans aujourd’hui. Au cours de toutes ces années, j’ai assisté et participé à des débats très vifs, sur des questions très controversées. Des débats où les passions se sont enflammées. Où le gouvernement et l’opposition ont défendu des positions fondamentalement différentes.

Cependant, durant toutes ces années, je ne me souviens pas d’une autre motion qui eusse ouvert une plus grande brèche dans le droit des députés à la liberté d’expression que la motion de l’Alliance sur laquelle nous votons aujourd’hui.

Monsieur le Président, ces mêmes députés qui me traitent de dictateur - les plus tendres me qualifient de gentil dictateur - se plaignent maintenant du fait que je ne filtre pas les discours et les déclarations de tous les membres de mon parti.

Mais ce qui est encore pire, c’est qu’ils veulent que la Chambre des communes condamne des députés des deux côtés pour avoir exprimé leur opinion. Tant qu’il jouit de la confiance de la Chambre, le gouvernement parle au nom de la nation. La semaine dernière, le vice-premier ministre a parlé avec éloquence en Chambre au nom du gouvernement et au nom du peuple canadien. Néanmoins, ce parti, ce gouvernement, ce premier ministre ne voteront jamais pour une motion qui porte atteinte au droit et au privilège des députés de s’exprimer librement dans cette enceinte.

C’est la raison pour laquelle nous avons proposé une résolution positive qui reflète les convictions profondes des Canadiens à l’égard de la guerre en Iraq, et j’aimerais vous en parler.

Le Canada a agi selon ses principes en se tenant à l’écart de l’intervention militaire en Iraq. Depuis le début, notre position était claire. Elle consistait à travailler par l’entremise des Nations Unies à atteindre les objectifs que nous partageons avec nos amis et alliés, soit désarmer Saddam Hussein, renforcer la primauté du droit international et les droits de la personne, et promouvoir une paix durable dans la région.

Nous avons déployé beaucoup d’efforts pour dégager un consensus au Conseil de sécurité. Nous avions espéré qu’avec un peu plus de temps et des inspections rigoureuses, il serait possible d’éviter la guerre et l’Iraq pourrait être désarmée.

Nous soutenions qu’une approche multilatérale sous les auspices des Nations Unies était essentielle pour assurer la légitimité internationale d’une action militaire et qu’elle faciliterait les choses une fois la guerre terminée. Ce sont les principes qui ont inspiré notre décision de ne pas nous joindre à la coalition quand la guerre a débuté sans une nouvelle résolution du Conseil de sécurité.

La décision d’envoyer ou non des troupes au combat doit toujours être fondée sur des principes, et non sur des raisons d’économie, ni même sur des raisons d’amitié seulement.

Notre amitié avec les États-Unis est beaucoup plus solide que certains de nos critiques ne voudraient le faire croire. Notre amitié est beaucoup plus solide que les prophètes de malheur ne voudraient le faire croire. Elle est beaucoup plus solide que ceux qui prétendent parler pour le monde des affaires ne voudraient le faire croire. Les bons amis peuvent ne pas être d’accord parfois et peuvent demeurer de bons amis.

Je me souviens, à l’époque où j’étais un jeune député, quand Monsieur Pearson avait fait une déclaration aux États-Unis contre la guerre au Vietnam. Mais l’administration américaine était déçue. Je soupçonne que même l’ambassadeur américain à l’époque était déçu. Mais notre amitié n’en a pas souffert. Ni l’un ni l’autre pays n’a l’habitude d’exercer des représailles économiques pour des désaccords en matière de politique étrangère. Ce n’est pas le genre de relation que nous avons.

La proximité de nos rapports dépasse largement le cadre de l’économie. Bon nombre d’entre nous se souviennent fièrement qu’il y a 23 ans, Ken Taylor, l’ambassadeur du Canada en Iran, avait sauvé un groupe d’Américains à l’ambassade des États-Unis à Téhéran. C’est en cela que consiste notre amitié. Elle réside aussi dans les relations entre nos deux gouvernements nationaux, entre nos États et nos provinces, entre nos villes, entre nos établissements d’enseignement, entre nos entreprises, entre nos hôpitaux. Et avant tout dans nos citoyens qui travaillent ensemble, se marient, fréquentent nos écoles et nos universités respectives, jouent dans les mêmes ligues sportives et parfois même habitent dans un pays et travaillent dans l’autre.

Ce n’est pas une décision facile du tout que nous avons prise il y a trois semaines. Nous aurions préféré pouvoir être d’accord avec nos amis. Cependant, en tant que pays souverain, nous prenons nos propres décisions, en nous fondant sur nos propres principes, notamment la valeur que nous attachons depuis longtemps à une approche multilatérale à l’égard des problèmes mondiaux. Or, cette approche nous paraît plus nécessaire que jamais face à la menace internationale du terrorisme, face aux dégâts causés à l’environnement mondial et à de nombreux autres défis extrêmement difficiles.

Le meilleur critère pour juger de la force de nos principes et de nos valeurs est la mesure dans laquelle ils nous guident quand nos choix sont très difficiles. Je suis fier que cette Chambre se soit prononcée aussi clairement en faveur de nos valeurs. Je suis fier de ce pays. Et je suis reconnaissant envers les Canadiens et Canadiennes de leur appui.

Maintenant, la guerre est commencée, et nos amis sont au combat. Bien que nous ne participions pas à la coalition pour les raisons que j’ai exposées, je tiens à affirmer très clairement que notre gouvernement et tous les Canadiens souhaitent une victoire rapide de la coalition dirigée par les États-Unis, avec un minimum de victimes. Nous partageons l’inquiétude de nos amis américains, britanniques et australiens pour leurs fils et leurs filles qui combattent avec bravoure. Nous nous inquiétons aussi pour la sécurité des civils iraquiens. Nous nous préoccupons du résultat même si nous ne prenons pas part à la guerre. Cela signifie que nous ne devrions pas dire des choses qui pourraient réconforter Saddam Hussein. Cela signifie aussi que nous ne devrions pas faire des choses qui pourraient causer des difficultés réelles pour la coalition.

Même si certains se disent déçus que nous ne participions pas à la coalition, ils oublient peut-être que les États-Unis mènent deux guerres à l’heure actuelle et que nous leur fournissons un appui entier dans le cadre de la guerre contre le terrorisme.

Quand les États-Unis ont été attaqués le 11 septembre 2001 :

* nous nous sommes tenus coude à coude avec eux dans l’horreur et le deuil ;
* les Terre-Neuviens et d’autres Canadiens ont ouvert leurs foyers à des dizaines de milliers d’Américains dont les vols ne pouvaient pas se rendre à destination ;
* nous avons rapidement ratifié et mis en oeuvre toutes les conventions internationales sur le terrorisme et travaillé en étroite collaboration avec les États-Unis dans les domaines du financement du terrorisme et de la gestion des frontières ;
* nous avons adopté une nouvelle loi antiterroriste ;
* nous avons joué un rôle crucial et très apprécié aux côtés des troupes américaines à Kandahar ;
* à l’heure actuelle, 1280 de nos militaires, trois navires de guerre et des avions participent à une mission multilatérale contre le terrorisme dans le golfe Persique et la mer d’Arabie ; et
* nos troupes retourneront en Afghanistan cet été.

Monsieur le Président, le temps est maintenant venu pour le Canada de mettre l’accent sur l’aide humanitaire et sur la reconstruction de l’Iraq après la guerre.

Nous avons déjà affecté 100 millions de dollars pour aider à assurer l’accès à des sources d’eau potable, des systèmes d’assainissement adéquats, de la nourriture, des abris et des soins de santé primaires. Sur cette somme, un montant de 25 millions de dollars a déjà été versé. En plus, nous travaillons en collaboration étroite avec les États-Unis, la Grande-Bretagne et d’autres pays, des organisations de l’ONU et d’autres institutions multilatérales à la planification immédiate de l’aide à la population iraquienne après la fin du conflit en cours. Nous sommes d’accord avec le Premier ministre Blair sur le fait que les Nations Unies doivent jouer un rôle important dans le processus de reconstruction de l’Iraq. Mais je crois qu`il est impossible que le tout soit fait seulement par les Nations Unies. Et nous sommes très prêts à participer aussitôt que possible.

Monsieur le Président, avant de conclure, j’aimerais souligner qu’alors même que notre attention est tournée vers la situation actuelle en Iraq, il ne faut pas oublier d’autres questions pressantes, comme la menace posée par la Corée du Nord, l’instabilité qui perdure au Moyen-Orient et la nécessité de régler le conflit entre Israël et les Palestiniens. Là encore, le Canada croit à une approche multilatérale dans l’intérêt de la paix et de la sécurité internationales.

Nous devons également reconnaître que la paix et la sécurité à long terme n’exigent pas seulement de meilleurs services de renseignement ou ripostes armées.

Pour des centaines de millions de personnes, les principales menaces à leur bien-être sont la famine, la maladie, la précarité économique, le manque d’instruction, des institutions corrompues ou ineptes et des conflits régionaux.

Le Président Bush a reconnu ces besoins. À Monterrey, il y a un an, à Kananaskis et dans son discours sur l’état de l’Union en janvier, il a fait preuve d’un leadership véritable en s’engageant à hausser l’aide internationale en général et en particulier à combattre le fléau du sida en Afrique. Je tiens à profiter de cette occasion pour le féliciter de nouveau au nom de tous les Canadiens.

Malgré toutes les pressions sur lui dans son pays, au lendemain des événements du 11 septembre, le Président a reconnu qu’à long terme, il est aussi important pour la sécurité et la stabilité dans le monde de s’occuper de ces questions de pauvreté, de commerce et de développement que des menaces immédiates que pose le terrorisme.

Je suis convaincu que nous saurons triompher des défis en perspective en étant forts chez nous et en partenariat, en tant que partenaires d’un système international fort, en étant loyaux envers nos amis et loyaux envers nos principes et en ayant la force de nos convictions.

Source : Premier ministre du Canada