Merci. Et merci de votre invitation. A l’origine, il m’avait été demandé d’intervenir sur la guerre et la situation politique
actuelle, mais j’ai décidé de profiter de cette opportunité pour parler de base-ball et du monde du spectacle (rires). Je plaisante. Quoi que.

Je ne peux vous décrire à quel point j’ai été touché par l’inconditionnel soutien que m’ont accordé nombre de journaux à travers
tout le pays durant ces derniers jours. Je ne pense sincèrement pas
que tous les journalistes de ces journaux partagent mon point de vue
sur la guerre. Le sentiment d’intense indignation éprouvé par les
journalistes lors de l’annulation de notre venue à Cooperstown [1] ne
défendait pas ce point de vue mais revendiquait notre droit à l’exprimer librement. Je suis infiniment reconnaissant à ceux d’entre
vous qui témoignent toujours d’une foi inconditionnelle dans les
droits garantis par la Constitution. Nous avons besoin de vous, la
Presse, aujourd’hui plus que jamais. C’est un moment critique pour
nous tous.

Malgré l’horreur et la tragédie du 11 septembre, lui a succèdé une
brève période pendant laquelle je nourrissais un immense espoir, au
milieu des larmes et des visages stupéfaits des habitants de New York,
sur les ruines de Ground Zero ou nous travaillions et respirions un
air mortel, au cour de la terreur ressentie par mes enfants d’avoir
vécu à quelques pas à peine de ce crime contre l’humanité, au milieu
de tout cela, je m’agrippais à une lueur d’espoir, présumant naivement
que quelque chose de bon pourrait naitre de ce chaos.

J’imaginais nos dirigeants se saisir de ce moment d’unité en Amérique,
ce moment pendant lequel personne ne voulait parler de différences
entre démocrates et républicains, entre blancs et noirs ou de quelque
autre dichotomie ridicule et omniprésente dans nos discussions
publiques. J’imaginais nos dirigeants se rendre sur les plateaux de
télévision pour annoncer à leurs citoyens que malgré notre volonté
commune d’être à Ground Zero, nous ne pouvions pas tous nous y rendre
mais qu’il restait beaucoup de travail à accomplir dans tout le pays.
Notre aide est sollicitée dans les foyers municipaux pour donner des
cours particuliers aux enfants, leur apprendre à lire. Notre travail
est requis dans les maisons de retraite pour rendre visite aux
personnes seules et aux infirmes, dans les quartiers délabrés pour
reconstruire des maisons, nettoyer les parcs et transformer des
terrains à l’abandon en terrains de base-ball. J’imaginais une
administration qui s’emparerait de cette énergie incroyable, de cette
générosité d’esprit et créerait une nouvelle unité dans l’Amérique
surgie de la tragédie et du chaos du 11 septembre, une nouvelle unité
qui porterait un message aux terroristes de par le monde : si vous
nous attaquez, nous deviendrons plus forts, plus honnêtes, mieux
éduqués et plus unis. Vous renforcerez nos responsabilités de justice
et de démocratie par vos agressions inhumaines contre nous. Tel un
Phoenix, nous renaîtrons de nos cendres.

Et puis, il y eut ce discours : « Ou bien vous êtes avec nous, ou bien
vous êtes contre nous »
. Les bombardements ont alors commencé. Et le
vieux paradigme fut remis à l’ordre du jour par nos dirigeants nous
encourageant à faire preuve de patriotisme en consommant et en
rejoignant des groupes de volontaires chargés de dénoncer aux
autorités nos voisins au comportement suspect.

Durant les 19 mois qui se sont écoulés depuis le 11 septembre, nous
avons vu notre démocratie compromise par la peur et la haine. Des
droits fondamentaux inaliénables, l’application de la loi, le
caractère sacré du foyer ont été subitement mis en péril dans un
climat de peur. L’unité du peuple américain s’est disloquée dans l’amertume, et une population mondiale qui nous exprimait sa profonde
sympathie et son soutien est devenue méprisante et méfiante à notre
égard, nous considérant comme nous considérions autrefois l’union
soviétique, comme un état voyou.

Le week-end dernier, Suzan, moi et les trois enfants sommes allés en
Floride pour une grande réunion de famille. Entre l’alcool et les
cabrioles des petits se précipitant sur les sucreries, nous avons,
bien entendu, discuté de la guerre. Et la chose la plus effrayante
durant ces deux jours fut le nombre de fois ou nous avons été
remerciés pour nous être opposés publiquement à la guerre parceque
ceux qui nous parlaient trouvaient dangereux le fait de s’exprimer de
la sorte au sein de leur propre communauté, dans leur propre vie.
Continuez, nous disaient ils. Je suis resté sans voix.

Un proche me raconte que le professeur d’histoire de son fils de 11
ans, mon neveu, lui enseigne que Suzan Sarandon met en danger les
troupes américaines de par son opposition à la guerre. Un professeur d’une autre école demande à notre nièce si nous comptons assister à la
pièce de théatre de l’école. « Ils ne sont pas les bienvenus », a
déclamé le modeleur d’esprits en herbe.

Un autre membre de ma famille me parle de la décision d’une commission
scolaire d’annuler une classe d’instruction civique proposant de
respecter une minute de silence pour les victimes de la guerre,
simplement parceque les étudiants incluaient dans leur prière muette
les civils irakiens tués

Un professeur dans l’école d’un autre de mes neveux est viré pour
avoir revêtu un tee-shirt portant le signe de la paix. Et un ami de la
famille dit avoir écouté la radio dans le sud et entendu l’animateur
de l’émission à débats appeler au meurtre des personnalités de l’activisme anti-guerre. Des menaces de mort ont été retrouvées devant
la porte d’autres célébrités ayant rejoint le front du refus. Des
membres de notre famille ont reçu des couriels et des appels
téléphoniques d’intimidation. Et mon fils de 13 ans, qui n’avait
jamais fait de mal à personne, a été récemment tourmenté et humilié
par un tordu sadique qui rédige, ou plutôt macule ses chroniques avec
ses ongles boueux.

Suzan et moi avons été catalogués comme traitres, accolytes de Saddam,
et affublés de nombreux autres epithètes par les tabloids australiens
se prétendant appartenir à la presse d’actualité, et par leurs
cousins, férus de justice et d’équité, diffusés sur internet, la 19th
Century Fox (rires). Je demande pardon à Gore Vidal (rires).

Il y a deux semaines de cela, l’United Way [2] a annulé la venue de
Suzan à une conférence sur le leadership féminin. Et la semaine
dernière, nous avons tous deux été avertis que ni nos personnes ni le
premier amendement n’étions les bienvenus au Baseball hall of fame
(panthéon du base-ball).

Un quinquagénaire célèbre du rock and roll m’a appelé la semaine
dernière pour me remercier des propos que je tiens contre la guerre,
puis a m’a expliqué pourquoi lui-même ne pouvait parler publiquement
dans ce sens de peur des représailles de Clear Channel [3]. « Ils font la promotion de nos concerts » me dit-il « Ils sont propriétaires
de la plupart des radios qui diffusent notre musique. Je ne peux pas
critiquer ouvertement la guerre ».

Et ici même à Washington, lors d’une conférence de presse, Helen
Thomas [4] a été exilée au fond de la salle et ignorée après avoir
demandé à Ari fleischer [5] si le fait de montrer les prisonniers de
guerre de Guantanamo à la télévision ne constituait pas une violation
des conventions de Genève.

Un vent d’effroi souffle sur cette nation. Une consigne de la Maison-Blanche et de ses alliés se propage dans les radios à débats, sur
Clear Channel et dans Cooperstown. Si quelqu’un s’oppose à cette
administration, il peut s’exposer et s’exposera à des représailles.

Chaque jour, les ondes grouillent de messages en forme d’avertissement, de menaces implicites ou explicites, d’invectives
rageuses et de haine dirigés contre les voix dissidentes. Et le public
reste muré dans son opposition silencieuse et sa peur, tout comme le
sont famille et amis que j’ai rencontrés ce week-end.

Je suis fatigué d’entendre à longueur de journée qu’Hollywood est
contre la guerre. Les grosses pointures hollywoodiennes, Les
véritables agents du pouvoir et les vedettes de première de couverture
sont restés majoritairement muets sur la question. Mais Hollywood, la
légende, a toujours été une cible de choix.

Je me souviens des critiques du président Clinton à l’encontre d’Hollywood pour avoir contribué à la tragédie de la fusillade de
Columbine High School - et ce, alors que nous déversions nos bombes
sur le Kosovo. Est-il possible que les violences commises par nos
dirigeants aient leur part de responsabilité dans les fantasmes
destructeurs de nos adolescents ? Hollywood et le rock and roll
sont-ils les seuls coupables ?

A l’époque, je me souviens avoir lu que l’un des meurtriers avait
essayé de s’engager dans l’armée pour combattre sur un vrai champ de
bataille une semaine seulement avant de déclencher sa propre guerre
dans les couloirs du collège de Columbine. Sur le moment, j’en avais
parlé à la presse. Et curieusement, personne ne m’a alors accusé d’anti-patriotisme pour avoir critiqué Clinton. Finalement, les radios
patriotes qui nous jugent traitres à la nation aujourd’hui sont celles
qui lancèrent des attaques personnelles contre le président durant la
guerre au Kosovo.

Les politiciens de renom qui dénoncèrent la violence au cinéma - les
détracteurs d’Hollywood, si je peux les appeler ainsi - sont ceux qui,
récemment, ont donné les pleins pouvoirs à notre président pour
déchaîner des actes de brutalité bien réels dans la guerre en cours.
Ils voudraient que nous cessions de produire des films de fictions
violents mais approuvent la violence hors des salles de cinéma.

Et les mêmes personnes, tolérant ces actes de guerre, ne veulent pas
voir la réalité des violences associées paraître dans les journaux
télévisés nocturnes. Contrairement au reste du monde, la couverture
médiatique de la guerre est édulcorée, sans la moindre trace de
carnage ou des dégats causés à nos soldats ou aux femmes et enfants en
Irak. La violence comme concept, une abstraction - c’est vraiment
étonnant.

Alors que nous applaudissons le réalisme cru de la scène de bataille
ouvrant le film Il faut sauver le soldat Ryan, nous nous
recroquevillons à l’idée de voir de semblables images aux actualités
du soir. Cela serait pornographique, nous dit on. Nous ne voulons pas
une once de réalité s’immiscer dans notre vraie vie. Nous demandons à
ce que la guerre soit minutieusement reproduite à l’écran, mais qu’
elle reste imaginaire et conceptualisée dans notre quotidien.

Et qu’en est il de l’opposition politique dans l’antre de ceffe folie ? Où sont donc passés tous les démocrates ? Les jours s’en vont, ils
ne demeurent pas (applaudissements). Avec toutes mes excuses au
sénateur Robert Byrd, je dois avouer qu’il est plutôt embarassant de
vivre dans un pays ou un comédien d’un mètre cinquante cinq a plus de
tripes que la plupart des politiciens (applaudissements). Nous avons
besoin de leaders, pas de pragmatistes qui tremblent face aux zones d’influence d’anciens journalistes du divertissement. Nous avons besoins
de leaders qui comprennent la Constitution, de députés qui n’abandonnent pas dans un moment de panique leur pouvoir le plus
important, le droit de déclarer la guerre au gouvernement. Et, par
pitié, est ce que quelqu’un peut faire taire l’unanimisme du
Congrès ? (rires)

Dans une période ou l’ensemble des citoyens célèbrent la libération d’un pays par peur de perdre leur propre liberté, ou une administration
officielle déclenche une campagne médiatique remettant en question le
patriotisme d’un vétéran du Vietnam amputé d’une jambe et candidat à
un poste de député au Congrès, ou des gens dans tout le pays ont peur
des représailles s’ils usent de leur liberté d’expression, il est
temps de se mettre en colère. Il est temps de se montrer virulent. Et
il suffit d’un rien pour inverser la tendance. Mon neveu de 11 ans,
cité précédemment, un gamin timide qui ne parle jamais en cours, s’est
levé devant son professeur d’histoire mettant en doute le patriotisme
de Suzan. « Vous parlez de ma tante. Arrêtez. » Et le professeur
abasourdi de faire marche arrière et balbutier des compliments
embarrassés.

Des rédacteurs sportifs dans tous les Etats-Unis ont réagi avec une
telle incroyable furie au Hall of Fame que son président a du admettre
qu’il avait fait une erreur, et la ligue majeure de base-ball a nié
toute implication dans la décision prise par ce même président. Un
petit tyran peut être stoppé, une foule également. Il suffit d’une
seule personne courageuse dont la voix ne tremble pas.

Les journalistes de ce pays peuvent riposter aux attaques de ceux qui
voudraient faire d’un second Patriot Act (« Provide Appropriate Tools
Required to Intercept and Obstruct Terrorism ») notre nouvelle
constitution. Si Hollywood devait en faire un film, il aurait comme
titre « Patriot 2 ». Nous comptons sur vous pour jouer dans ce film.
Les journalistes insisteraient sur le fait qu’ils ne veulent pas être
les marionnettes de propagande de cette Administration
(applaudisserment). Le prochain correspondant désigné par Ari
Fleischer pour prendre la parole lors d’une conférence de presse à la
Maison-Blanche devrait passer le relais au fond de la salle, au
journaliste exilé du jour [6] (applaudissements). Et chaque nouvelle
tentative de menace à l’encontre de la liberté d’expression devrait
être combattue. Toute acceptation de l’intimidation aujourd’hui ne
fera qu’engendrer plus d’intimidation. Vous avez, que vous le vouliez
ou non, une énorme responsabilité et un gigantesque pouvoir : l’avenir
de notre droit à parler, gage de la santé de cette république, est
entre vos mains, que vous soyez de droite ou de gauche. Le moment est
venu de vous emparer de la destinée que vous avez choisi.

Nous vous confions la pérennité de notre démocratie et comptons sur
vos plumes pour devenir plus forts ? Des millions de personnes
regardent et attendent, saisis de frustration muette et d’espoir -
espérant que quelqu’un va défendre le sens exact et l’esprit de notre
Constitution, va défier l’intimidation qui nous est adressé
quotidiennement au nom de la sécurité nationale et de notions
perverties de patriotisme.

Notre capacité à refuser et notre droit fondamental à interroger nos
dirigeants et à critiquer leurs actions définit qui nous sommes.
Permettre que ces droits nous soient retirés devant le visage de la
peur, punir des personnes pour leurs idées, limiter l’accès d’opinions
divergentes aux médias d’actualité, c’est reconnaître la défaite de
notre démocratie. Un défi est à relever aujourd’hui. Une vague de
haine cherche à nous diviser - droite et gauche, partisans de la
guerre et front du refus. Au nom de mon neveu de 11 ans et de toutes
les victimes anonymes de cet environnement hostile et improductif de
peur, essayons de trouver nos racines communes en tant que nation.
Célébrons cette grandiose et glorieuse expérience qui a survécu
pendant 227 années. Pour cela, nous devons honorer et défendre avec
vigilance les choses qui nous unissent - comme la liberté, le premier
amendement et, aussi, le base-ball.

Traduction : Laurent Vannini. Coorditrad, traducteurs bénévoles. Diffusé par ATTAC.

[1Pour la célébration du 15ème anniversaire du film Bull durham,
dans lequel jouent Tim Robbins et Suzan Sarandon, au hall of fame du
baseball de Cooperstown.

[2United way de Tampa Bay - United way of America est une
organisation nationale regroupant 1400 entités locales - ce sont des
centres communautires de bénévoles.

[3Groupe international de communication, d’affichage publicitaire
et de médias.

[4Journaliste d’United Press International - octogénaire - « doyenne » des journalistes

[5Porte-parole de la Maison-Blanche.

[6En français dans le texte.