Question : M. Fischer, est-ce qu’après la visite éclair du secrétaire d’État américain Colin Powell, l’amitié germano-américaine va refleurir comme au bon vieux temps ?

Réponse : L’amitié véritable, comme celle qui existe entre les Étas-Unis et l’Allemagne, doit être capable de faire face aux divergences de vues et aux moments difficiles. Le monde a changé et il changera encore. Ce changement, nous entendons le gérer dans l’Alliance atlantique, au sein de l’OTAN et de l’UE, avec les Nations Unies, sur une base de coopération, comme un processus vraiment politique et non pas comme un cataclysme qui s’abat sur nous.

Cela veut dire que nous recommençons à coopérer les uns avec les autres, sans tenir compte de ce que pensaient les uns ou les autres pendant la guerre ?

Cela veut dire que nous préconisons une action qui passe systématiquement par l’épuisement de tous les moyens pacifiques. Cette démarche va redéfinir les relations transatlantiques.

 De quelle façon ?

Je n’ai pas le don de prophétie et je ne peux pas vous dire aujourd’hui comment les choses évolueront. Mais je tiens à souligner que les relations avec les États-Unis jouent un rôle essentiel pour nous.

Si essentiel que vous seriez prêt à payer le prix pour que les relations avec Washington s’améliorent enfin ?

Je ne raisonne pas en ces termes. Du reste, quel serait ce prix ?

Une participation de l’Allemagne à la sauvegarde de la paix en Iraq par exemple.

Je refuse l’idée d’utiliser nos soldats pour payer un prix, quel qu’il soit. Jusqu’à présent, nous les avons engagés lorsque nous pensions que cela était nécessaire, opportun et important, que cela servait nos intérêts et qu’il n’y avait plus de solution pacifique. Et nous continuerons d’agir ainsi à l’avenir.

Ce pourrait bien être le cas en Iraq, si l’OTAN en venait à demander de l’aide.

Pure hypothèse ! Actuellement, les conditions ne sont pas réunies pour un engagement de la Bundeswehr - et rien ne justifie des spéculations dans ce sens.

Une autre façon de payer le prix pourrait consister à laisser passer le projet américain de résolution sur l’Iraq au Conseil de sécurité sans y apporter de grand changement.

Là non plus, ce n’est pas une question de prix à payer. Nous avons eu des divergences de vues à propos de la guerre. Nous les avons toujours. Mais cela appartient au passé et nous nous tournons maintenant vers l’avenir. Nous devons tenir compte des nouvelles réalités.

C’est-à dire ?

Cela veut dire que nous essayons, conjointement avec nos partenaires au sein du Conseil de sécurité, avec la France et avec la Russie et bien sûr aussi avec nos amis américains et britanniques, de parvenir dans la mesure du possible à un résultat optimal, c’est-à-dire à une position commune.

Le nouveau texte modifié présenté par les Américains est-il suffisant ?

S’il l’était, nous n’aurions plus besoin d’en discuter. Mais il offre une base à partir de laquelle un accord devrait être possible au Conseil de sécurité.

Dominique de Villepin a évoqué toute une série de points exacts et importants : le rôle de l’ONU à côté des puissances victorieuses, la question de savoir comment transformer le programme "Pétrole contre nourriture" et comment garantir la transparence à l’avenir tant qu’il n’y a pas de gouvernement iraquien pleinement souverain et légitimé, et enfin le problème des armes de destruction massive.

Toujours est-il que l’existence éventuelle de ces armes était l’argument avancé par les Américains pour déclencher la guerre. Insistez-vous pour que les inspecteurs en désarmement retournent en Iraq pour attester qu’il n’y a pas d’armes de destruction massive dans ce pays ?

C’est l’un des éléments des négociations au Conseil de sécurité. Bien sûr, la situation a changé du fait que, maintenant, nos amis proches et alliés contrôlent le pays mais c’est à l’ONU qu’il appartiendra en fin de compte de fournir l’attestation, comme cela a été le cas pour d’autres pays comme l’Afrique du Sud par exemple.

Pour y parvenir, l’ONU serait peut-être bien conseillée de ne pas lever toutes les sanctions contre l’Iraq pour ne pas perdre le levier lui permettant de prétendre à un rôle plus fort face aux Américains.

Les sanctions visaient spécialement un dictateur brutal mais cette dictature a disparu. La situation a changé de fond en comble et il faut en tenir compte.

Comment ?

En levant les sanctions. Mais bien sûr, nous nous emploierons dans le cadre de nos possibilités pour que l’ONU joue un rôle central en Iraq. Du reste, c’est là aussi une position commune adoptée par l’UE.

Nous sommes curieux de voir ça. Vos possibilités sont déjà limitées par le fait que vous voulez éviter d’autres ennuis avec les Américains.

Il ne s’agit pas d’ennuis, il s’agit de conciliation. Cela mis à part, je pense que la résolution qui fait actuellement l’objet de nos discussions ne sera pas la dernière à ce sujet.

Avez-vous déjà engagé des réflexions concernant la phase de la normalisation en Iraq ?

Aucune spéculation n’est permise à ce sujet. Nous devons commencer par optimiser le projet actuel.

Renforcer l’ONU en Iraq, tel est l’objectif sur lequel s’accordent les Européens qui étaient en désaccord pendant la guerre. Les quatre pays membres de l’UE au Conseil de sécurité vont-ils déployer une initiative commune ?

Les quatre pays européens discutent de manière approfondie les uns avec les autres mais aussi avec tous les autres membres du Conseil de sécurité.

Il est regrettable que le poste de ministre européen des Affaires étrangères qui pourrait mener le débat ne soit pas encore créé.

Et nous voilà arrivés à votre question préférée.

Ou bien à votre poste préféré !

J’exerce avec plaisir les fonctions de ministre allemand des Affaires étrangères et je refuse de participer à de telles discussions. Ce qui importe maintenant c’est que nous concentrions nos efforts pour donner une bonne constitution à l’Europe, afin qu’elle puisse jouer un vrai rôle de partenaire dans les relations transatlantiques et défendre ses intérêts au XXIe siècle. Telle est notre tâche. Le reste, n’en parlons plus.

Comment expliquez-vous alors que le chancelier ait chanté vos louanges en disant que vous étiez un candidat parfait pour ce nouveau poste à Bruxelles ?

Vous savez bien que je ne fais jamais de commentaires sur les déclarations de mon patron.

Nous pourrions maintenant vous donner l’occasion de déclarer une fois pour toutes que ce poste ne vous intéresse pas.

Une fois pour toutes : n’en parlons plus.

Traduction officielle du ministère fédéral des Affaires étrangères