Les Etats-Unis contre l’Union européenne

Les Etats-Unis, auxquels se sont joints l’Argentine, le Canada et
l’Egypte et qui ont le soutien de neuf autres pays, ont demandé la
semaine dernière à l’Union européenne de lever le moratoire sur
l’homologation des produits agricoles génétiquement modifiés,
conformément aux règles de l’Organisation mondiale du commerce.

Le monde est sur le point de connaître une révolution agricole. La
science de la biotechnologie peut rendre les végétaux plus résistants
aux maladies, aux parasites et à la sécheresse. En accroissant les
rendements, la biotechnologie peut augmenter la productivité des
agriculteurs et réduire le prix des produits alimentaires pour les
consommateurs. Elle peut être bonne pour l’environnement en réduisant
l’emploi des pesticides et en prévenant l’érosion des sols. Les
nouveaux végétaux offrent la promesse de quelque chose d’encore plus
important : des aliments fortifiés avec des éléments nutritifs
susceptibles d’enrayer des maladies, notamment de sauver la vue de
plus de cinq cent mille enfants qui deviennent aveugles chaque année
par manque de vitamine A. Dans les pays en proie à une pénurie
alimentaire ou doté d’un climat rude, l’accroissement de la
productivité agricole pourrait signifier la vie au lieu de la mort et
la santé au lieu de la maladie pour des millions de personnes. Le riz
génétiquement modifié, par exemple, est deux fois plus résistant à la
sécheresse et à l’eau saumâtre. Il résiste aussi à une température
supérieure de quelque cinq degrés Celsius à celles auxquelles
résistent les autres variétés.

Depuis près de cinq ans, l’Union européenne viole ses propres règles
et procédures - et ne tient pas compte de l’avis de ses commissions
scientifiques et de ses commissaires - en refusant d’examiner les
demandes d’homologation des produits alimentaires génétiquement
modifiés. Ce moratoire viole les obligations fondamentales de l’Union
européenne découlant des règles de l’OMC et visant à mettre en place
des procédures d’homologation fondées sur des "preuves scientifiques
pertinentes" et "achevées sans retard injustifié".

Certains Européens demandent pourquoi les Etats-Unis et leurs douze
partenaires ne peuvent pas attendre plus longtemps. Les commissaires
européens tentant de mettre fin à ce moratoire sont les otages des
Etats membres de l’Union européenne. Comme l’a dit la commissaire à
l’environnement, Mme Margot Wallstrom, en octobre dernier : "J’ai
renoncé à deviner quand ce moratoire prendra fin (...) Certains Etats
membres sont opposés à sa levée (...) et tenteront de modifier les
critères." Nous avons renoncé à deviner, nous aussi.

Alors que nous attendions patiemment que les dirigeants européens
agissent en se fondant sur la raison et sur la science, le moratoire
de l’Union européenne a transmis un signal dévastateur aux pays en
développement qui sont les plus à même de bénéficier de techniques
agricoles novatrices. Cet effet dangereux du moratoire de l’Union
européenne est devenu évident l’automne dernier, quand des pays
africains frappés par la famine ont refusé l’aide alimentaire des
Etats-Unis à cause de fausses craintes, suscitées par des propos
malaviés, au sujet de la sécurité sanitaire des vivres.

Les décisions de l’Europe ont une incidence bien au-delà de ses
frontières du fait qu’elle importe beaucoup de produits agricoles.
L’Ouganda a refusé de planter une variété de banane résistante aux
maladies de crainte de compromettre ses exportations en Europe. La
Namibie ne veut pas acheter le maïs génétiquement modifié de l’Afrique
du Sud pour son bétail de peur de porter atteinte à ses exportations
de boeuf en Europe. L’Inde, la Chine et d’autres pays d’Amérique du
Sud et d’Afrique ont exprimé les mêmes inquiétudes. "Quelque
trente-quatre pour cent des enfants africains sont sous-alimentés", a
indiqué le professeur Diran Makinde, de l’université de Venda de
l’Afrique du Sud. Et pourtant les Africains s’entendent dire au sujet
des produits agricoles génétiquement modifiés : "Ne les touchez pas."

Depuis cinq ans, le monde attend patiemment, car des dirigeants
européens lui ont donné l’assurance que leur politique allait changer
sous peu. Néanmoins, nous n’avons trouvé que de nouveaux obstacles.
Tout d’abord, on nous a demandé d’attendre la fin de la rédaction des
nouvelles règles d’homologation des organismes génétiquement modifiés.
Ensuite, on nous a demandé d’attendre l’adoption de la loi sur
l’étiquetage, puis des règles sur la responsabilité légale, puis
encore de nouvelles règles relatives aux lieux de plantation des
végétaux génétiquement modifiés.

Alors que l’Europe a érigé de multiples obstacles pour lutter contre
des idées fausses, la biotechnologie a montré ses multiples avantages
fondés sur des faits. L’agriculture biotechnique sans labourage a
réduit l’érosion des sols d’un milliard de tonnes par an. Au cours des
huit dernières années, le coton et le maïs génétiquement modifiés ont
permis de réduire l’emploi de pesticides de vingt mille tonnes de
matière active . L’Académie chinoise des sciences estime que la
biotechnologie pourrait permettre de diminuer de quatre-vingt pour
cent l’emploi des pesticides en Chine.

La majorité écrasante des travaux de recherche montre que les aliments
génétiquement modifiés sont inoffensifs et sains, conclusion que la
propre direction générale de la recherche de l’Union européenne a
atteinte il y a deux ans. Les académies nationales des sciences et de
la médecine de la France sont du même avis, tout comme les académies
des sciences du Brésil, de la Chine, des Etats-Unis, de l’Inde, du
Mexique, du Royaume-Uni. Le professeur C.S. Prakash, de l’université
de Tuskegee, m’a remis une pétition en faveur de la biotechnologie
agricole qu’ont signée plus de trois mille deux cents scientifiques du
monde entier, dont vingt lauréats du prix Nobel.

Certains prétendent que nous cherchons à imposer les produits
génétiquement modifiés aux consommateurs européens. Toutefois, tout ce
que nous demandons pour les consommateurs, c’est qu’ils aient le droit
de prendre leur propre décision, un droit dont ils sont maintenant
privés parce que l’Union européenne les empêche d’avoir accès à des
produits alimentaires que les organismes de réglementation et les
associations scientifiques européens estiment sans risque. Le bien
fondé juridique de la biotechnologie est clair, les données
scientifiques écrasantes et l’appel à l’action sur le plan humanitaire
convaincant. Nous espérons que ce débat incitera l’Union européenne à
finalement mettre fin à ce moratoire sans imposer de nouveaux
obstacles.

(M. Zoellick est le représentant des Etats-Unis pour le commerce
extérieur.)

Traduction officielle du département d’État