Je suis heureux de participer à cette importante réunion aux délibérations de laquelle prennent part plus d’une cinquantaine d’États membres de l’Organisation de la Conférence islamique dont je m’honore d’être le Secrétaire général.

Je suis également heureux d’adresser à Son Excellence Monsieur Mahathir Bin Mohamad, Premier ministre de Malaisie, ainsi qu’au gouvernement et au peuple malaisiens, l’expression de nos remerciements les plus sincères et de notre très haute considération pour toutes les marques d’attention et les égards particuliers dont nous avons été l’objet, de même que pour les excellents préparatifs entrepris en vue de cette importante conférence et pour avoir organisé ces assises avec la minutie et le souci de la perfection auxquels la Malaisie nous a accoutumés.

Votre conférence se tient dans un contexte international critique où chacun a conscience du besoin pressant qu’il y a pour le Mouvement des Non-Alignés de continuer à agir en tant que force politique et morale ayant inscrit parmi ses principaux objectifs de défendre les droits et les intérêts de l’ensemble des pays en développement et de faire entendre la voix de ces États et de ces peuples en adoptant une attitude solidaire dans la tourmente des développements et des événements internationaux.

Né à Bandung, au milieu du siècle dernier, le Mouvement des Non-Alignés s’est affirmé d’emblée comme un mouvement mondial de solidarité entre les pays en développement et de soutien à la cause des peuples colonisés luttant pour leur émancipation, leur libération et leur indépendance. Le mouvement a apporté à ce combat une contribution historique des plus remarquables. Fort de la solidarité de ses États membres, il a marqué un tournant décisif dans l’histoire du 20ème siècle, en faveur de l’émancipation et de la solidarité des peuples et pour le renforcement de l’indépendance de nombreux États du globe.

Le mouvement a contribué par la suite à la sauvegarde des intérêts de ses États membres en leur évitant de s’aventurer sur le terrain glissant de l’inféodation à l’un ou l’autre des deux grands camps de l’époque : l’Est et l’Ouest. C’est ainsi qu’en optant pour une politique de non-alignement positif, le mouvement a œuvré au raffermissement des attributs de l’indépendance de maints États.

Après l’effondrement du bloc communiste, le Non-Alignement a connu une forte stagnation, à telle enseigne que beaucoup ont été amenés à croire que si le mouvement a rempli avec succès son rôle historique en affranchissant les peuples du joug de la dépendance étrangère, sa mission en tant que mouvement de solidarité est néanmoins terminée et son existence ne se justifie donc plus. Au cours de la dernière décade, cette croyance devait être confortée par les tentatives de la communauté internationale de créer un soi-disant " nouvel ordre international ". Mais les récents développements ont très vite démontré, dans un monde désormais unipolaire, que le système des relations internationales est frappé de nombreux dysfonctionnements et déséquilibres, dès l’instant où un pôle unique met tant de zèle à vouloir régir les affaires de la planète isolément et en fonction de ses intérêts propres.

Cette situation nouvelle a révélé que les pays non-alignés ont grandement besoin à l’heure actuelle de s’adapter au discours mondial ambiant et de vivre en osmose avec le changement de la donne et avec la logique de notre temps. En d’autres termes, ces pays ont besoin plus que jamais de faire preuve de solidarité et d’entraide pour défendre leurs droits et leurs intérêts fondamentaux, désormais directement menacés. Ayant perdu la latitude de choisir entre se cantonner dans le non-alignement ou tirer profit de l’ancien équilibre mondial des forces, ils se sont rendus compte que leurs destinées reposent entre des mains autres que les leurs ; tant en ce qui concerne l’ordre international unipolaire que la question de la mondialisation, etc.

En fait, plus cette solidarité se renforcera et se matérialisera par des prises de position fermes et par une action commune résolue, plus nous forcerons le respect et garantirons nos droits. Les effroyables événements du 11 septembre 2001 (qui ont été unanimement dénoncés comme il se devait) avec leur cortège de conséquences graves et de répercussions négatives, sont venus bouleverser de fond en comble les vieux stéréotypes et les méthodes classiques et archi-connues en termes de relations internationales. Ces événements ont non seulement infligé un sérieux revers à l’édifice des libertés publiques et des droits de l’homme dans un certain nombre de contrées, mais ils ont consacré du même coup le monologue et la politique des diktats imposés par les forts aux faibles.

S’ajoutent à cela les tentatives de ceux qui, dans la foulée de ces événements, se sont ingéniés à présenter les attaques qui ont eu pour théâtre le territoire américain comme une offensive en règle exprimant le ressentiment islamique contre la civilisation et les valeurs de l’Occident. Ces gens ont ainsi essayé de faire endosser à l’ensemble des Musulmans pacifiques de par le monde, qui représentent près du quart de la population du globe, la responsabilité de crimes perpétrés par un groupuscule extrémiste dont l’identité n’a d’ailleurs pu être formellement établie par aucune cour pénale bien que plus d’une année et demie se soient écoulées depuis que ces crimes ont été commis.

Nous nous trouvons confrontés ici à une situation internationale extrêmement grave dont les complexités et les visées occultes se profilent à travers les menaces véhémentes et répétées de déclencher une guerre injustifiée contre l’Irak, lequel a pourtant manifesté un esprit de coopération réelle avec les inspecteurs des Nations Unies sur le dossier des armements de destruction massive , et ce bien que ces menaces aient fait l’objet d’un rejet et d’une opposition internationale de vaste envergure. Cette politique des diktats s’accompagne d’une certaine dualité dans l’application des critères qui gouvernent la manière de traiter les affaires internationales dans le contexte de la situation internationale de l’heure. Ainsi, on brandit allègrement contre l’Irak la menace de la destruction, de l’anéantissement et du massacre de dizaines de milliers d’innocents sous prétexte que ce pays serait en possession d’arsenaux de destruction massive dont nul n’a apporté la preuve formelle, alors que l’on permet en même temps à un État comme Israël de détenir et d’accumuler les armes de destruction massive ouvertement et en grandes quantités, tout comme on lui permet de commettre toutes sortes de crimes de guerre prohibés par le droit et les conventions internationales contre un peuple palestinien spolié de ses droits et de ses libertés, dépossédé de ses territoires, un peuple palestinien dont l’économie a été dévastée et les biens pillés et qui a été poussé sur les chemins de l’exil et réduit au statut de réfugiés. Et que dire de la contradiction flagrante dans l’approche de la question des armes de destruction massive en Corée du Nord et en Irak ?

Monsieur le Président,

Tout ce que je viens de dire traduit le besoins urgent que nous avons de revivifier et de redynamiser le Mouvement des Non-Alignés afin qu’il continue de remplir son rôle historique en tant que mouvement mondialiste oeuvrant pour la solidarité des pays en développement et pour la sauvegarde de leurs droits et intérêts face aux défis démesurés auxquels ils se trouvent confrontés depuis que le monde est devenu unipolaire.

C’est pourquoi nous croyons que les pays non-alignés doivent se concentrer sur les principes supérieurs et les aspects stratégiques qui les fédèrent pour renforcer leurs liens de solidarité, de coopération et d’entraide qui sont multiples et multiformes. Nous croyons également qu’ils doivent laisser de côté les questions en suspens qui pourraient représenter un motif de discorde et qui appartiennent aux séquelles du passé, afin de se présenter au reste du monde en parlant un seul langage et en adoptant une même position sur tous les dossiers qui les concernent. Par ce faire, le Mouvement des Non-Alignés sera assuré d’avoir - sans aucun doute - un poids politique considérable et de voir sa parole entendue dans les centres de prise des décisions internationales qui engagent l’avenir. De même, il incombe à la direction du mouvement, incarnée par la présidence et le bureau ainsi que par les conférences ministérielles et le bureau de coordination, de déployer un effort plus efficace pour gagner des appuis aux résolutions et aux choix du mouvement au sein des principales instances internationales. C’est à ce prix que les Non-Alignés pourront espérer jouer le rôle d’avant-garde qui leur sied dans l’orientation de la politique mondiale en général. Car, il est bien évident que si nous ne décidons pas nous-mêmes de notre propre destin, ce sont les autres qui décideront à notre place du sort qu’ils entendent nous réserver.

La solidarité à laquelle nous aspirons ne se borne pas à la seule défense de nos positions politiques, mais la transcende pour embrasser tous les champs d’action et tous les pôles d’intérêt, depuis les préoccupations humanitaires jusqu’aux questions économiques, culturelles, sociales et autres.

Dans le domaine économique par exemple, nous nous trouvons, nous autres pays en voie de développement, embarqués dans le processus de la mondialisation aux conditions fixées par les pays riches et à la cadence qu’ils nous ont imposée sans que nous n’ayons notre mot à dire à ce sujet.

Il est apparu à tous que ce qui fait bouger l’économie mondiale, aujourd’hui et dans le contexte de la mondialisation, c’est la course échevelée derrière le profit, toujours plus de profit. Tel est l’objectif suprême d’un capital apatride hégémonique et envahissant qui entend dominer le monde. Le plus grave est que ce capital se joue trop souvent des frontières des États et est accaparé par une poignée d’individus qui ne prêtent pas beaucoup d’intérêt à la situation sociale dans les nombreuses contrées où ils opèrent et ne se soucient guère du devenir des populations locales.

Pire, ils ne font aucun cas de l’environnement naturel qu’ils exploitent de manière abusive, ni n’ont cure des risques liés aux interventions biochimiques ou aux manipulations génétiques dont les effets pervers ne se manifestent qu’après des décades et qui peuvent être porteuses de maux et de préjudices incalculables pour les générations futures dont nul ne connaît aujourd’hui l’ampleur. Les habitants des pays nantis ont pressenti eux-mêmes le danger. Leur refus du fossé insondable et qui ne cesse de se creuser entre les pays riches et les pays pauvres s’est concrétisé à travers les manifestations monstres qu’ils ont pris l’habitude d’organiser lors des grand-messes des clubs de riches tels que le Groupe de Huit, le Forum de Davos et autres conclaves qui se tiennent à Seattle, à Gènes ou, plus récemment, à Genève.

Il est désormais clair que les fondateurs du mondialisme ont échoué à gérer ce système d’une manière équitable qui lui aurait assuré la pérennité et la continuité. De nombreux slogans ont été brandis pour réformer cette situation économique mondiale quelque peu anarchique. Plusieurs États et de nombreux dirigeants ont demandé à ce que l’on donne à " la mondialisation un visage humain ", tandis que d’autres ont préconisé de se focaliser plutôt sur la création d’un " mondialisme de la solidarité " au lieu du concept boiteux de la mondialisation qui prévaut actuellement. Nous devons, dans le cadre de notre mouvement, donner une priorité mondiale à un développement durable, qui soit basé sur la participation active et équilibrée de toutes les forces économiques du globe, et où tous les États, grands ou petits, riches ou pauvres, technologiquement avancés ou marginalisés, s’efforceront de trouver des solutions pragmatiques et justes à leurs situations socio-économiques, pour plus de solidarité et de justice sociale pour l’humanité tout entière, et pour maîtriser la mondialisation en la mettant au service de tout le genre humain.

D’un autre côté, la question du respect des droits de l’homme et des libertés publiques à travers le monde a essuyé un sérieux revers depuis les événements du 11 septembre 2001. Dans certaines capitales du monde développé, de nouvelles lois ont été promulguées qui tendent, finalement, à restreindre le champ des libertés publiques et des droits de l’homme sous prétexte de lutte contre le terrorisme international. Ce qui est particulièrement navrant c’est que l’on remarque que ces mesures et législations ont une connotation raciste et discriminatoire des plus sordides car elles ciblent pour la plupart des franges sociales et des individus ayant des origines ethniques ou culturelles bien précises. Ces pratiques qui rappellent les pires épisodes de la guerre froide, constituent un véritable camouflet pour les principes démocratiques et les libertés publiques. C’est là une situation inédite à laquelle nous devons accorder un grand intérêt et qui appelle de notre part plus de solidarité, de cohésion et de coopération afin de relever les défis qui en découlent. D’autant plus est qu’elle est de nature à attiser la haine, le ressentiment et le refus de la diversité culturelle, à encourager les partisans de la thèse du choc inéluctable des civilisations, et à faire triompher l’intolérance intellectuelle que l’humanité a mis tant de décades à exorciser au profit de la tolérance, de la coexistence, de la reconnaissance de l’autre et du pluralisme culturel. À cet égard, la vague actuelle d’islamophobie, de déformation des principes, de la civilisation, de la culture et des valeurs de l’Islam n’est qu’une facette de la nouvelle campagne haineuse et raciste au rythme de laquelle nous vivons aujourd’hui et qu’il faut enrayer coûte que coûte.

Le cap difficile que nous sommes en train de traverser est le baromètre de notre capacité à agir et à réagir. Or, l’action a pour corollaires la solidarité, l’entraide, la coopération et la coordination. J’espère que cette importante réunion aboutira à des résultats de nature à conforter cette orientation et à prouver que les pays non alignés sont décidés à saisir l’occasion qui leur est ainsi offerte pour amorcer un nouveau tournant qui leur permettra de reprendre en mains leurs propres destinées et de défendre leurs intérêts dans un monde qui change, un monde empli de désagréments et de défis.

Source : Organisation des conférences islamiques