NB : ce texte est la 1ère partie de la Plainte avec constitution de partie civile contre Ariel Sharon, Bruxelles 18 juin 2001 (voir la 2ère partie).


A MONSIEUR LE JUGE D’INSTRUCTION,

1. Madame Samiha Abbas Hijazi, de nationalité libanaise (pas de passeport, document 5496895/90), ayant sa résidence actuelle à Beyrouth, Al-Horch, près de l’école autrichienne

2. Monsieur Abd el Nasser Alameh, de nationalité libanaise (Passeport No 0473395), ayant sa résidence actuelle à Beyrouth/ Sabra/ ruelle El Dik

3. Madame Ouadha Hassan el-Sabeq, de nationalité palestinienne (Document spécial pour réfugiés, no 205963), ayant sa résidence actuelle à Beyrouth / Bir Hassan

4. Monsieur Mahmoud Younes, de nationalité palestinienne (Document spécial pour réfugiés, no 217163), ayant sa résidence actuelle à Beyrouth / Camp de Chatila

5. Madame Fadi Ali El Doukhi, de nationalité palestinienne (Document spécial pour refugiés 686 24), ayant sa résidence actuelle à Saida /Camp Miyeh Miyeh

6. Madame Amina Hasan Mohsen, de nationalité palestinienne, (Document spécial pour réfugiés 912/4969), ayant sa résidence actuelle à Saida/rue El- Hamtari, complexe hiba

7. Madame Sana Mahmoud Sersaoui, de nationalité palestinienne (Document spécial pour réfugiés, 76/6931), ayant sa résidence actuelle à Beyrouth, Sabra, Ali el Bacha / Immeuble Houssi

8. Madame Nadima Youssef Said Naser, de nationalité palestinienne (pas de passeport, document 602/ 7382), ayant sa résidence actuelle à Beyrouth, Sabra/Immeuble Gaza numéro 1

9. Madame Mouna Ali Hussein, de nationalité palestinienne (Document spécial pour réfugiés 214057), ayant sa résidence actuelle à Beyrouth, Sabra, Immeuble Ghazza numéro 1

10. Madame Chaker Abd-el-Ghani Tatat, de nationalité Palestinienne (pas de passeport, document 842/2992), ayant sa résidence actuelle à Beyrouth, Sabra, Quartier Al-Bacha

11. Madame Souad Srour el-Meri, de nationalité palestinienne (Document 924/21358 ; Passeport libanais 150 6939), ayant sa résidence actuelle à Beyrouth, Région el-Horch , Chatila

12. Monsieur Akram Ahmad Hussein, de nationalité palestinienne (Document spécial pour réfugiés, 902/9265), ayant sa résidence actuelle à Beyrouth, Camp de Chatila

13. Madame Bahija Zrein, de nationalité palestinienne (Document 108642), ayant sa résidence actuelle à Beyrouth, Sabra, Allée El-Dik

14. Monsieur Muhammad Ibrahim Faqih, de nationalité libanaise (passeport libanais no 322903), ayant sa résidence actuelle à Beyrouth, Bir Hasan

15. Monsieur Mohammed Chawkat Abou Roudeina, de nationalité palestinienne (Document spécial pour réfugiés 161877), ayant sa résidence actuelle à Beyrouth, camp de Chatila

16. Monsieur Fady Abdel Qader El Sakka, de nationalité Palestinienne (pas de passeport, document 471/1144), ayant sa résidence actuelle à Beyrouth / Camp de Chatila

17. Monsieur Adnan Ali al-Mekdad, de nationalité libanaise (pas de passeport), ayant sa résidence actuelle à Chatila Station El Rihab

18. Madame Amale Hussein, de nationalité Palestinienne (pas de passeport), ayant sa résidence actuelle à Beyrouth / Camp de Chatila

19. Madame Noufa Ahmad el-Khatib, de nationalité libanaise, ayant sa résidence actuelle à Beyrouth / Bir Hassan

20. Monsieur Najib Abd-el-Rahman Al-Khatib, de nationalité palestinienne (pas de passeport), ayant sa résidence actuelle à Beyrouth, camp de Chatila

21. Monsieur Ali Salim Fayad, de nationalité libanaise (pas de passeport), ayant sa résidence actuelle à Beyrouth/al-Horch - Entrée sud de Sabra

22. Monsieur Ahmad Ali el-Khatib, de nationalité libanaise, ayant sa résidence actuelle à Beyrouth / région de Bir Hassan

23. Madame Nazek Abdel-Rahman al-Jammal, de nationalité libanaise (pas de passeport), ayant sa résidence actuelle Beyrouth / Sabra/ Ruelle al-Dik

Représentés par leurs conseils : Maître Luc Walleyn, avocat à 1030 Bruxelles, rue des Palais 154, Maître Michaël Verhaeghe, avocat à 3090 Overijse, Waversesteenweg 60 et Maître Chibli Mallat, avocat à Beyrouth (Liban)

Et élisant tous domicile chez Me Luc Walleyn, en son cabinet précité.

Se constituent partie civile contre MM. Ariel Sharon, Amos Yaron et autres responsables israéliens et libanais des massacres, tueries, viols et disparitions de populations civiles qui ont eu lieu à Beyrouth (Liban) du jeudi 16 au samedi 18 septembre 1982 dans la région des camps de Sabra et Chatila.

La présente plainte est introduite conformément à la loi du 16 juin 1993 (modifiée par la loi du 10 février 1999) relative à la répression des violations grave du droit international humanitaire du chef de :

 actes de génocide (article 1er, § 1er ),

 crimes contre l’humanité (article 1er, § 2)

 crimes portant atteinte aux personnes et aux biens protégés par les conventions de Genève signées à Genève du 12 août 1949 (article 1er, § 3)

La plainte est également fondée sur le droit coutumier international et sur le ius cogens par rapport aux mêmes crimes.

Par ces crimes, les requérants ont été personnellement blessés et/ou ont perdu des membres proches de leur famille ou des biens.

I-LES FAITS

A. En général

En date du 6 juin 1982, l’armée israélienne a envahi le Liban, en réaction à une tentative d’assassinat de l’ambassadeur israélien ARGOV à Londres le 4 juin. La tentative d’assassinat avait été attribuée le jour-même par les services secrets israéliens à une organisation palestinienne dissidente, et l’action commanditée par le gouvernement irakien, alors soucieux de détourner l’attention de ses revers récents sur le front de la guerre Iran-Irak. [1] ont révélé qu’un émissaire de Baghdad leur avait transmis des ordres pour procéder à l’attentat, et qu’ils avaient reçu leurs armes du bureau de l’attaché militaire de l’ambassade irakienne à Londres." [2]. L’opération israélienne, préparée de longue date, est baptisée "paix en Galilée".

Initialement, le gouvernement israélien avait annoncé son intention de pénétrer sur 40 km dans le territoire libanais. Le commandement militaire, sous la direction du ministre de la défense, le général Ariel SHARON, a cependant décidé d’exécuter un projet plus ambitieux que M. Sharon avait préparé depuis plusieurs mois. Après avoir occupé le sud du pays, et y avoir détruit la résistance palestinienne et libanaise, tout en commettant déjà une série d’exactions contre la population civile [3], les troupes israéliennes ont effectué une percée jusqu’à Beyrouth, encerclant à partir du 18 juin 1982 les forces armées de l’Organisation pour la Libération de la Palestine, retranchées dans la partie ouest de la ville.

L’offensive israélienne, et notamment les bombardements intensifs sur Beyrouth, auraient occasionné, selon des statistiques libanaises, 18.000 morts et 30.000 blessés, en très grande majorité des civils.

Après deux mois de combat, un cessez-le-feu a été négocié par l’intermédiaire de l’émissaire des Etats-Unis, Philippe HABIB. Il a été convenu que l’O.L.P. évacuerait Beyrouth, sous la supervision d’une force multinationale qui se déploierait dans la partie évacuée de la ville. Les Accords Habib envisageaient que Beyrouth-Ouest soit éventuellement investi par l’armée libanaise, et des garanties américaines étaient données au leadership palestinien pour la sécurité des civils dans les camps après leur départ.

L’évacuation de l’O.L.P. s’est terminée le 1er septembre 1982.

Le 10 septembre 1982, les forces multinationales ont quitté Beyrouth. Le lendemain, Monsieur Ariel SHARON annonçait que "deux mille terroristes" restaient encore dans les camps de réfugiés palestiniens autour de Beyrouth. Le mercredi 15 septembre, après l’assassinat la veille du président-élu Bachir GEMAYEL, l’armée israélienne occupait Beyrouth-ouest, "encerclant et bouclant" les camps de Sabra et de Chatila, habités uniquement par une population civile palestinienne et libanaise, l’entièreté des résistants armés (plus de 14.000 personnes) ayant évacué Beyrouth et sa banlieue [4].

Historiens et journalistes s’accordent pour admettre que c’est probablement lors d’une rencontre entre A. SHARON et B. GEMAYEL à Bikfaya le 12 septembre, qu’un accord a été conclu pour autoriser les « Forces libanaises » à « nettoyer » ces camps palestiniens [5]. L’intention d’envoyer les forces phalangistes dans Beyrouth-ouest avait déjà été annoncée par Monsieur SHARON le 9 juillet 1982 [6] et dans sa biographie, il confirme avoir négocié l’opération lors de la rencontre de Bikfaya. [7]

Selon les déclarations d’Ariel SHARON au Knesset (parlement israélien) en date du 22 septembre 1982, l’entrée des Phalangistes dans les camps de réfugiés de Beyrouth fut décidée le mercredi 15 septembre 1982 à 15h30 [8]. Toujours selon le général SHARON, le commandant israélien avait reçu comme instruction : "Il est interdit aux forces de Tsahal [9] d’entrer dans les camps de réfugiés. Le ratissage et le nettoyage des camps seront effectués par les Phalanges ou l’armée libanaise [10]".

Dès l’aube du 15 septembre 1982, des chasseurs bombardiers israéliens ont commencé à survoler Beyrouth-ouest à basse altitude et les troupes israéliennes ont entamé leur entrée dans Beyrouth-ouest. A partir de 9h du matin, le général SHARON a été lui-même sur place pour diriger personnellement la poursuite de la percée israélienne, et s’est installé au quartier général de l’arméeau carrefour de l’ambassade du Koweit, situé à la limite de Chatila. Du toit de cet immeuble de 6 étages, on pouvait parfaitement observer la ville et les camps de Sabra et Chatila.

Dès midi, les camps de Sabra et Chatila, qui forment en réalité une seule zone de camps de réfugiés au sud de Beyrouth-ouest, sont encerclés par des chars et par des soldats israéliens, qui installent tout autour des camps des points de contrôle permettant de surveiller les entrées et les sorties. Durant la fin de l’après-midi et la soirée, les camps sont bombardés au tir d’obus.

Le jeudi 16 septembre 1982, l’armée israélienne contrôle l’ensemble de Beyrouth-ouest. Dans un communiqué, le porte-parole militaire déclare "Tsahal contrôle tous les points stratégiques de Beyrouth. Les camps de réfugiés, incluant les concentrations de terroristes, sont encerclés et fermés". Au matin du 16 septembre, l’ordre 6 est donné par le haut commandement de l’armée : "Searching and mopping up of the camps will be done by the Phalangists/ Lebanese Army" [11]

Pendant la matinée, des obus sont tirés vers les camps depuis les hauteurs environnantes et des tireurs d’élite israéliens postés autour, tirent sur des personnes se trouvant dans les rues. Vers midi, le commandement militaire israélien donne aux milices phalangistes le feu vert pour l’entrée dans les camps de réfugiés. Peu après 17h, une unité d’environ 150 Phalangistes entre par le sud et le sud-ouest dans le camp de Chatila.

Lorsque le général Drori appelle par téléphone Ariel Sharon et lui annonce : "Nos amis avancent dans les camps. Nous avons coordonné leur entrée." Ce dernier répond "Félicitations !, l’opération de nos amis est approuvée." [12]

Pendant 40 heures, dans les camps « encerclées et bouclés », les miliciens phalangistes vont violer, tuer, blesser un grand nombre de civils non armés, en majorité des enfants, des femmes et des vieillards. Ces actions sont accompagnées ou suivies de rafles systématiques, avalisées ou renforcées par l’armée israélienne, résultant dans des dizaines de disparitions.

Jusqu’au matin du samedi 18 septembre 1982, l’armée israélienne, qui savait parfaitement ce qui se passait dans les camps, et dont les dirigeants étaient en contact permanent avec les dirigeants des milices qui perpétraient le massacre, s’est non seulement abstenue de toute intervention, mais a fourni une aide directe en empêchant des civils de fuir les camps et en organisant un éclairage constant des camps durant la nuit, moyennant des fusées éclairantes, lancées par des hélicoptères et des mortiers.

Les chiffres des victimes varieront entre 700 (chiffre officiel israélien) et 3.500 (notamment l’enquête précitée du journaliste israélien KAPELIOUK). Le chiffre exact ne pourra jamais être déterminé parce que, outre environ 1.000 personnes qui ont été enterrées dans des fosses communes par le C.I.C.R. ou enterrées dans des cimetières de Beyrouth par des membres de leur famille, un grand nombre de cadavres ont été enterrés par les miliciens eux-mêmes, qui les ont ensevelis sous des immeubles qu’ils ont détruits avec des bulldozers. Par ailleurs, surtout les 17 et 18 septembre, des centaines de personnes avaient été emmenées vivantes dans des camions vers des destinations inconnues et ont disparu.

Depuis le massacre, les victimes et survivants des massacres n’ont bénéficié d’aucune instruction judiciaire, ni au Liban, ni en Israël, ni ailleurs. Sous la pression d’une manifestation de 400.000 participants, le parlement israélien (Knesset) a nommé une commission d’enquête sous la présidence de Monsieur Yitzhak KAHAN en septembre 1982. Malgré les limitations résultant tant du mandat de la Commission (un mandat politique et non judiciaire) que de son ignorance totale des voix et demandes des victimes, la Commission a conclu que "Le Ministre de la Défense était personnellement responsable" des massacres. [13]

Sur l’insistance de la Commission, et des manifestations qui ont suivi son rapport, M. SHARON démissionnait de son poste de Ministre de la Défense, tout en gardant un poste au gouvernement comme ministre sans portefeuille. Il est à noter que la manifestation du mouvement "PaixMaintenant", qui a immédiatement précédé sa "démission", avait donné lieu à une attaque à la grenade de ses partisans contre les manifestants, résultant dans la mort d’un jeune manifestant. [14]

Par ailleurs, plusieurs enquêtes non officielles et rapports basés sur des témoignages surtout occidentaux, dont celle de MacBride et de la Nordic Commission, ainsi que des rapports journalistiques et historiques fouillés, ont réuni des informations précieuses. Ces textes, en tout ou en partie, sont joints au dossier en annexe. [15]

Malgré l’évidence du "massacre criminel", qualification du Conseil de Sécurité, et la triste place des massacres de Sabra et Chatila dans la mémoire collective de l’humanité au rang des grands crimes du XXème siècle, le "responsable personnel" de ces massacres, ses acolytes, et les exécutants, n’ont jamais été poursuivis en justice ou punis. Les journalistes israéliens Schiff et Yaari avaient conclu, en 1984, leur chapitre sur le massacre par cette réflexion : "If there is a moral to the painful episode of Sabra and Shatila, it has yet to be acknowledged." [16] Cette réalité de l’impunité est tout aussi vraie aujourd’hui.

Le Conseil de Sécurité des Nations Unies a condamné le massacre par la résolution 521 (1982) du 19 septembre 1982. Cette condamnation a été suivie par une résolution de l’Assemblée Générale du 16 décembre 1982 qui a qualifié le massacre comme "acte de génocide".

B. En particulier

B.1. Plaignants, survivants de Sabra et Chatila :

Les plaignants déposent en annexe à la présente plainte une déclaration par rapport à leur souffrance personnelle. Les originaux sont en arabe ; chaque déclaration est assortie d’une traduction en français. Ces déclarations sont très parlantes et convaincantes :

1. Samiha Abbas Hijazi :

" Le jeudi, il y avait des bombardements lorsque les israéliens sont venus, puis les bombardements se sont aggravés, nous sommes descendus à l’abri. (…) On a appris vendredi qu’il y’avait eu un massacre. Je suis allée chez les voisins. J’ai vu notre voisin Moustafa El Habarat blessé baignant dans son sang. Sa femme et ses enfants étaient morts. On l’a porté à l’hôpital de Gaza et puis on s’est enfui. Lorsque les choses se sont calmées, je suis revenue et pendant quatre jours, j’ai recherché ma fille et son mari. J’ai passé quatre jours parmi les morts, j’ai cherché parmi tous les morts. J’ai trouvée Zaynab morte, le visage brûlé. Son mari était coupé en deux et sans tête. Je les ai emmenés et je les ai enterrés. "

Madame Abbas Hijazi a perdu sa fille, son gendre, la belle-mère de sa fille et d’autres proches.

2. Abd el Nasser Alameh :

" La nuit du carnage, nous étions à la maison et nous avons entendu qu’il y’avait un massacre à Chatila. (…) Nous avons gardé la ruelle toute la nuit, se relayant pour dormir quelques heures, et ceci jusqu’au lever du jour, certains réussissant à prendre la fuite alors. Je croyais que mon frère nous avait devancés à Beyrouth Ouest . Nous l’avons attendu, mais il n’est pas venu. Et c’est ainsi que mon frère a fait partie de ces personnes qu’ils ont emmenées, et dont on a même plus retrouvé le corps. "

Monsieur Alameh a perdu son frère (qui avait 19 ans au moment des faits)

3. Ouadha Hassan el-Sabeq :

" Nous étions à la maison le vendredi 17 septembre, les voisins sont venus et ils ont commencé à dire : Israel était entré ; livrez-vous aux israéliens, ils prendront les papiers et les tamponneront. Soudain, après être sortis nous rendre aux israéliens, lorsque nous nous sommes livrés, les chars et les soldats israéliens étaient là, nous avons été étonnés de constater qu’ils avaient avec eux les Forces Libanaises. Ils ont pris les hommes et nous ont laissés, femmes et enfants ensemble. Quand ils m’ont pris les enfants et tous les hommes, ils nous ont dit : allez à la Cité Sportive et ils nous y ont emmenés. Ils nous ont laissé là-bas jusqu’à sept heures du soir, ensuite ils nous ont dit : allez à Fakhani et ne retournez pas à la maison et ils ont commencé à nous lancer des obus et des balles.

Il y avait des hommes arrêtés de côté, ils les ont pris et on n’a plus jamais su ce qui était advenu d’eux. Jusqu’à aujourd’hui on ne sait rien à leur propos et ils sont toujours portés disparus. "

Madame el-Sabecq a perdu deux fils (16 et 19 ans au moment des faits), un frère et environ 15 parents.

4. Mahmoud Younes :

" J’avais 11 ans. Il faisait nuit et l’on entendait des bombardements et des tirs de fusils. (…) Nous nous sommes tous réfugiés dans la chambre à coucher et nous y sommes restés. Dès leur arrivée, ils sont rentrés directement au salon, et ont tiré sur les photos accrochées aux murs, surtout celle de mon frère mort en martyre le mois de "septembre noir" . Ils ont saccagé le salon et ont proféré des injures et de sales propos. Après avoir cherché sans nous trouver, ils sont montés sur le toit et s’y sont postés toute la nuit. Nous avons passé cette nuit dans la terreur terrés dans notre cachette, entendant les cris des gens, les déflagrations et les tirs, alors qu’Israël lançait des obus éclaireurs jusqu’au lever du jour.

Le lendemain matin ils se sont mis à scander "rends toi tu auras la vie sauve". Mon neveu avait 18 mois. Il avait faim et nous étions loin de la cuisine . Ma soeur voulait le réduire au silence, et l’étouffait avec sa main qu’elle posait devant sa bouche de peur qu’ils n’entendent. Son époux a alors décidé qu’il fallait se rendre, ajoutant que le lot de chacun ne sera que le destin prévu par Dieu. Les femmes sont sorties en premier, mes frères, mon père, mon beau frère et les autres membres de la famille suivaient. Mon frère était malade. Dès qu’ils ont entendu nos voix, ils ont tiré dans notre direction et sont directement rentrés à l’intérieur de la maison. Ils nous ont demandé où nous étions la veille lorsqu’ils sont rentrés et n’ont trouvé personne. Puis ils ont ordonné aux femmes et aux enfants de sortir . Mon beau frère s’est alors mis à embrasser sa petite fille en guise d’adieu. Un homme armé s’est avancé vers ma nièce , a enroulé une corde autour de son cou et a menacé son père de l’étrangler s’il ne la laissait pas. Ce dernier s’est exécuté et me l’a confiée. Ils ont voulu me prendre mais ma mère leur a dit que j’étais une fille. Ils ont fait marcher ma mère et les femmes jusqu’à la Cité Sportive. J’ai vu en marchant le mari de ma tante, Abou Nayef tué à coups de hache à la tête près de sa maison. Les morts étaient tous défigurés. Tout en portant ma nièce, j’ai buté sur un mort frappé à la hache et je suis tombé. Ils ont su alors que j’étais un garçon, et l’un deux m’a placé contre le mur et a voulu me tirer une balle dans la tête. Ma mère l’a supplié et lui a embrassé les pieds pour qu’il me laisse partir. Il l’a repoussée. Il a alors entendu le cliquetis de l’argent caché dans sa poitrine. Il lui a demandé ce que cela voulait dire. A quoi elle a répondu qu’il pouvait prendre tout l’argent mais qu’il devait me garder auprès d’elle. Et c’est ainsi que nous avons continué notre chemin et sommes arrivés à la Cité Sportive. Les bulldozers israéliens préparaient de grands fossés. On a dit qu’il fallait qu’on descende tous ils voulaient nous enterrer vivants. Ma mère s’est mise à le supplier, puis a demandé une gorgée d’eau avant de mourir.

A la Cité Sportive, j’ai vu les militaires israéliens, ainsi que les chars, les bulldozers et l’artillerie, tous israéliens, de même que nous avons vu des groupes de Phalangistes réunis avec les israéliens.

La Cité Sportive grouillait de femmes et d’enfants. Nous y sommes restés jusqu’au coucher du soleil. Un israélien est alors venu et a dit : allez tous à la région Cola, celui qui revient au camp mourra. Nous y sommes partis, pendant qu’ils tiraient dans notre direction."

Monsieur Younes a perdu son père, trois frères, son oncle maternel, son cousin maternel, deux cousines paternelles et d’autres membres de sa famille.

5. Fadia Ali El Doukhi :

" Quand les bombardements ont commencé et que nous avons su qu’Israel encerclait le camp, mon père nous a dit de fuir. On lui a demandé de venir avec nous, mais il a refusé pour protéger la maison. Alors, on s’est enfuis en le laissant à la maison. Plus tard, on a su qu’un massacre avait eu lieu. On a su que mon père était mort et on a vu sa photo dans le journal. Son pied était amputé. Notre voisine dans la maison de laquelle mon père s’était abrité nous a raconté comment on l’a tué."

Madame El Doukhi, qui avait 11 ans au moment des faits, a perdu son père.

6. Amina Hasan Mohsen :

" On était à la maison le jeudi lorsque les bombardements ont commencé. Je ne savais pas ce qui se passait à l’extérieur. Lorsque les bombardements se sont intensifiés, j’ai esssayé de sortir pour me sauver avec les enfants. Lorsque nous sommes sortis, les morts étaient étendus de part et d’autre de la rue. Mes enfants ont eu peur. Un israélien nous a dit de sortir. On a vu ensuite une personne qui parlait le libanais. Lorsque nous sommes sortis sous le couvert des israéliens, il s’est mis à nous crier dessus. A ce moment, j’ai compté mes enfants et j’ai vu que Samir manquait, quand il a vu les morts par terre, il a pris peur et s’est enfui. A ce moment, je n’ai pas eu la présence d’esprit de partir à sa recherche car la région était assiégée et remplie de forces armées israéliennes et libanaises. Nous nous sommes enfuis et lorsque le massacre s’est terminé, j’ai recherché Samir mais les cadavres étaient tellement défigurés que je n’ai pas pu le reconnaître. "

Madame Mohsen a perdu son fils de 16 ans.

7. Sana Mahmoud Sersaoui :

" Nous habitions le coin Said à Sabra , et lorsque les bombardements ont commencé, nous nous sommes réfugiés chez mes parents à Chatila. Cela s’est passé le mercredi. Vers minuit, des femmes qui venaient du quartier ouest ont dit qu’ils étaient en train de tuer. Nous nous sommes alors enfuis à nouveau, vers l’intérieur du camp. Ensuite, quand le jour s’est levé nous avons été nous cacher dans l’abri de la maison de repos. J’étais ce jour là enceinte, et j’avais deux filles qui prenaient encore du lait. Nous sommes restés dans la maison de repos deux jours, jusqu’à samedi. Nous n’avions plus de lait. Mon mari est alors sorti en apporter pour les filles. Que la nuit était longue, les Israéliens envoyaient des obus éclaireurs. C’est ainsi qu’il est parti à Sabra. Les israéliens étaient alors arrivés jusqu’à l’hôpital de Gaza. Après, je suis partie à sa recherche, et ma soeur à la recherche de son mari. Nous sommes arrivées à la porte de Chatila. Là bas ils avaient placé les hommes d’un côté et les femmes de l’autre. Je me suis mise à le chercher parmi les hommes. Je l’ai vu et lui ai dit "tu sais, ce sont des Phalangistes". Il m’a répondu "il va nous arriver ce qui est arrivé à Tall el Zaatar". Les hommes armés nous ont ordonnés de marcher devant et les hommes derrière. Et c’est ainsi que nous avons marché jusqu’à arriver à la tombe commune. Là bas, le bulldozer a commencé à creuser. Il y avait parmi nous un homme portant une blouse blanche d’infirmier. Ils l’ont appelé et l’ont criblé de balles devant tous. Les femmes se sont mises alors à crier. Les israéliens postés devant l’ambassade kowétienne et devant la station Al Rihab ont demandé par haut-parleurs que nous leur soyons livrés.

C’est ainsi qu’on s’est retrouvé entre leurs mains. Ils nous ont pris à la Cité Sportive, et les hommes devaient marcher en principe derrière nous. Mais les voilà qui enlèvent aux hommes leurs chemises pour leur bander les yeux avec. Et c’est ainsi qu’Israël à la Cité Sportive soumettait les jeunes gens à un interrogatoire, et que les Phalangistes lui ont livré 200hommes. Et c’est comme ça que ni mon mari, ni celui de ma soeur ne sont revenus."

Madame Sersaoui a perdu son mari, âgé de 30 ans, et son gendre.

8. Nadima Youssef Said Naser :

" C’était le jeudi. Soudain la rue est devenue déserte. Ma mère est allée chez les voisins. Les bombardements ont commencé. A peu près 10 familles se sont regroupées dans la maison des voisins. Un peu plus tard, une femme est venue du quartier Irsan. Elle criait : ils ont tué la femme de Hassan. Elle portait ses enfants en criant que c’était un massacre. J’ai porté une de mes filles jumelles, elle avait un an, et je suis allée vers mon mari : ils disent qu’il y a un massacre, j’ai dit, il a répondu, ne dis pas de bêtises. J’ai pris une de mes filles et lui ai donné l’autre. Mais les bombardements se sont renforcés et nous avons rejoint les voisins à l’abri. L’abri était plein de femmes, hommes et enfants, une femme de Tall al-Zaatar pleurait en disant, c’est ce qui s’est passé à Tall al-Zaatar.

Peu après, je suis sortie de l’abri, j’ai vu les hommes armés qui mettaient les hommes contre les murs. J’ai vu une voisine, ils l’ont éventrée. Des femmes sont sorties de la maison d’en face, et une femme a commencé à brandir son écharpe en disant, il faut que nous nous livrions. Soudain, j’ai entendu ma soeur qui criait : ils l’ont égorgé. J’ai cru que mes parents avaient été tués. Je me suis précipitée pour les voir en portant ma fille. Ils ont tué le mari de ma soeur devant mes yeux. Je suis montée, je les ai vus tirant sur les hommes. Ils les ont tous tués. Je me suis enfuie. Mon autre fille est restée avec son père. Les gens armés sont partis en emmenant les hommes de l’abri. Il y avait parmi eux mon mari. En entrant dans le camp, une femme libanaise est venue, qui avait vu mon mari enlaçant ma fille. Elle a vu comment mon mari a été tué par un phalangiste, par un coup de hache sur la tête. Ma fille était couverte de sang. L’homme l’a donnée à la femme libanaise qui est rentrée au camp et l’a donnée à des parents à moi. Moi, je me suis enfuie à l’hôpital Gaza. Quand ils sont rentrés à l’hôpital, je me suis enfuie une seconde fois. "

Madame Said Naser a perdu son mari, son beau-père, trois neveux de son mari et cinq autres parents.

9. Mouina Ali Hussein :

" J’étais dans ma maison de Horch, J’ étais enceinte de 4 mois et j’avais un fils de 8 mois. On vivait tranquillement. On a entendu les avions israéliens survolant la région de manière intense, le bruit des avions est devenu plus fort, et des tirs ont commencé . J’ai pris mon fils et j’ai dit à mon mari, je veux aller chez mes parents qui étaient au quartier ouest. Nous sommes donc allés chez eux, et quand nous y étions, les tirs ont augmenté. On est restés chez les voisins qui avaient une maison rez-de chaussée, avec deux étages. Quand les bombardements ont augmenté, nous sommes restés vers l’intérieur. C’était à six heures. Nous avons fermé la porte et sommes restés dedans. Il y avait seulement des femmes et des enfants et des femmes, sauf mon mari et un jeune. On a entendu des cris dehors, et les gens armés dire : ne tirez pas, frappez à la hache, s’ils entendent des tirs ils s’enfuient. Une bombe a éclaté près de la maison. Tout le monde s’est mis à crier. Ils nous ont entendus, et ont commencé à nous tirer dessus. Le jeune a été tué en essayant d’éteindre la bougie. Nous avons crié fort, quand il est mort devant nous. Ils ont continué à tirer, et quand ils nous ont entendus, ils ont lancé une bombe. Une femme a été blessée, ainsi que ma mère. La chambre est devenue une rivière de sang. Les soldats ont alors commencé à crier : sortez. Si vous ne sortez pas, nous dynamitons la maison. Ils nous insultaient. Ma mère a ouvert la porte, disant qu’elle voulait se sacrifier. Elle a vu dix hommes armés. Elle a dit à l’un deux : ne nous tuez pas. Sortez tous, il a répondu, mettez vous en rang. L’un après l’autre nous sommes sortis. Je suis restée avec mon mari et mon autre fils. Nous sommes ensuite sortis. Ils ont dit à mon mari : viens, toi. Il portait son fils, il me l’a donné. L’homme armé lui a dit : en arrière. Mon mari a pensé qu’il voulait la carte d’identité. Pendant qu’il reculait, ils l’ont mitraillé devant moi. Il n’a pas dit un mot, et il est tombé. J’attendais mon tour. Ils m’ont insultée, j’ai suivi ma mère et ma soeur à l’orphelinat, et nous nous sommes enfuies. Les enfants ont vécu tout seuls, leur père n’avait pas de frères ou de proches parents. Ils n’avaient personne à leurs côtés. D’autres orphelins trouvent un oncle, mes enfants n’ont que moi, Dieu soit loué. Mon fils, même à son âge, il a tellement besoin d’avoir son père avec lui pour l’aider, lui parler de ses problèmes. Quand on est enfant unique, quel vide."

Madame Ali Hussein a perdu son mari et son beau-frère.

10. Chaker Abd-el-Ghani Natat :

" Nous étions le Samedi 18 Septembre, nous nous trouvions à la maison quand je suis sorti inspecter la voiture dehors. C’est alors que j’ai vu des soldats que j’ai pris pour des soldats de l’Armée Libanaise. Ils ont exigé de fouiller la maison ; la famille dormait, je les ai réveillés et nous sommes tous sortis de la maison. Ils nous alors emmenés vers le camp de Chatila. Pendant que nous marchions, nous avons croisé des personnes tuées et des cadavres et je me suis alors rendu compte qu’il y avait un massacre. Ils nous ont conduits près de la station Al-Rihab ; ils voulaient nous emmener à l’ambassade du Koweit. C’est alors que des voitures se sont arrêtées et ont embarqué des jeunes gens, rien que des jeunes gens, parmi lesquels mon fils.

Quant à nous, ils nous ont livrés aux Israéliens et les Israéliens nous ont emmenés à la Cité Sportive où ils nous ont gardés.

C’est ainsi qu’ils ont emmené certains, alors qu’ils en ont laissé d’autres. Mon fils a été embarqué dans une voiture devant moi ; je les ai vus l’emmener, j’ignore tout de son sort à ce jour."

Le fils de monsieur Abd-el-Ghani Natat avait 22 ans au moment des faits.

11. Souad Srour Meri :

" Mercredi, après que Bachir [17] ait été tué, nous avons entendu les hélicoptères israéliens planer au-dessus de la région à basse altitude et le mercredi soir les israéliens ont commencé à lancer des bombes éclairantes qui ont illuminé le camp comme s’il faisait jour. Quelques uns de mes amis sont descendus à l’abri. Le jeudi soir, j’ai été avec mon frère Maher voir mes amis et leur dire de venir dormir chez nous ; en route, le chemin était plein de cadavres. Je suis allée à l’abri et je n’ai trouvé personne, nous sommes alors retournés. Soudain je vois notre voisin blessé, jeté par terre. Je lui demande où sont les amis, il répond qu’ils ont pris les filles et me demande de l’aider mais je n’ai pas pu le secourir et je suis rentrée tout de suite à la maison avec mon frère. Immédiatement Maher a raconté à mon père qu’il y avait un massacre. J’ai su par notre voisin qu’il y avait des phalangistes. Lorsque mon père l’a su, il a dit que nous devions rester à la maison. Notre voisine se trouvait chez nous. Nous sommes restés à la maison toute la nuit. Le vendredi matin mon frère Bassam et notre voisine sont montés au toit pour voir ce qui se passait mais les phalangistes les ont tout de suite repérés. Ils sont immédiatement redescendus à la maison. Quelques instants plus tard, près de 13 hommes les ont suivis à la maison, ils ont frappé à la porte. Mon père s’est enquis de leur identité, ils ont répondu : israéliens. Nous nous sommes levés pour voir ce qu’ils voulaient, ils ont dit : vous êtes toujours ici et ils ont demandé à mon père s’il avait quelque chose. Il a dit qu’il avait de l’argent. Ils ont pris l’argent et ont frappé mon père. Je leur ai demandé pourquoi frappez-vous un homme âgé ? Ils m’ont alors frappée. Ils nous ont alignés au salon et ils ont commencé à se consulter pour décider s’ils allaient nous tuer. Ils nous ont alors alignés contre le mur et nous ont fusillés. Ceux qui sont morts sont morts, j’ai survécu avec ma mère. Mes frères Maher et Ismail s’étaient cachés dans la salle de bain. Quand ils sont sortis de la maison, j’ai commencé à appeler mes frères par leurs noms, quand l’un d’eux répondait je savais qu’il n’était pas mort. Ma mère et ma sœur ont pu s’échapper de la maison, mais moi j’en étais incapable. Quelques instants plus tard, alors que je bougeais ils sont revenus, ils m’ont dit : tu es toujours vivante et ils ont tiré de nouveau. J’ai fait semblant d’être morte. La nuit je me suis éveillée et je suis restée jusqu’à samedi. Je me suis traînée en rampant jusqu’au milieu de la chambre et j’ai recouvert les cadavres. Alors que je tendais ma main pour prendre la cruche d’eau ils ont immédiatement tiré. Je n’ai senti qu’une balle à la main et l’homme a commencé à proférer des injures. Le second est venu et m’a frappée sur la tête avec le fusil, je me suis évanouie et j’ai perdu conscience puis la parole. Je suis restée ainsi jusqu’à dimanche quand notre voisin est venu et m’a secourue."

Madame el-Meri a perdu son père, trois frères (11, 6 et 3 ans) et deux sœurs (18 mois et 9 mois).

12.
Le douzième plaignant, Monsieur Akram Ahmad Hussein n’était pas à Sabra et Chatila au moment des faits ; cfr. infra, partie B.3. de cette plainte.

13. Bahija Zrein :

" Nous étions à la maison et nous avons eu vent d’un massacre, mais nous n’y avons pas cru. Dans la nuit, deux jeunes gens sont venus chez nous et nous ont dit qu’il y avait un massacre dans le camp. Nous sommes alors sortis dehors pour voir ce qui se passait. Nous avons alors vu les Forces Libanaises debout dehors ; ils nous ont appelés, il y avait beaucoup de monde et nous les avons pris pour des Israéliens. Mais quand j’ai entendu leur accent libanais, j’ai fui, mais ils m’ont poursuivie et nous ont arrêtés, jeunes gens, femmes et hommes. Tout cela vers 5 heures du matin.

Ils ont investi la région et ont emmené environ 18 jeunes gens, pendant qu’ils nous cantonnaient, femmes, hommes et enfants dans le camp. J’ai vu mes frères et des enfants parmi les hommes qu’ils avaient emmenés. Pendant que nous marchions, nous avons vu les morts tués à la hache. Il y avait aussi les médecins de l’hôpital Gaza. Ils les ont alignés et les ont abattus ; puis ils se sont mis à tirer sur nous et ils ont tué un grand nombre de personnes parmi lesquels 18 fils de voisins. Pendant qu’ils tiraient, tout le camp était encerclé par des blindés israéliens et toutes les pelleteuses étaient israéliennes. Pendant ce temps, une patrouille israélienne s’est présentée et nous a demandé de nous rendre à la Cité Sportive. Les hommes y sont allés, alors que nous, les femmes, avons été emmenées à l’ambassade du Koweit.

C’est comme cela que nous les avons vu embarquer les jeunes gens dans les voitures. Parmi ces jeunes gens, mon frère. Ils leur ont bandé les yeux, ils ont embarqué mon frère. C’est ainsi qu’il a disparu et que je ne l’ai jamais revu."

Le frère de madame Zrein avait 22 ans au moment des faits.

14. Mohammed Ibrahim Faqih :

"Ce matin-là, ils avaient commencé les bombardements sur les approches des camps, dont Chatila, et des fusillades nourries se faisaient entendre. Le bombardement touchait les rues principales et nous ne savions pas quel en était le but. C’était incroyable. Nous ne pouvions pas non plus nous déplacer d’un endroit à un autre ni nous enfouir en raison des obus et des tirs de mitraillettes.

Nous sommes restés à la maison et soudain un obus s’est abattu sur la maison de nos voisins, des éclats ont atteint mon fils à la poitrine et à la jambe et nous l’avons transporté à l’hôpital Akka. Mais ils ont refusé de l’admettre en raison du grand nombre de blessés. Nous l’avons alors emmené à l’hôpital Gaza. Nous sommes restés son frère et moi à l’hôpital près de lui, mais le bombardement s’est intensifié sur les camps de Chatila et Sabra. Une femme est venue nous dire qu’elle les a vus arriver ; je me suis enfui mais j’ai vu comment ils sont entrés et ont emmené tous les blessés et les malades. Je me suis donc enfui et je suis revenu après trois heures. Ils avaient emmené plein de monde et il ne restait que mon fils blessé. Je ne sais combien de personnes ils ont emmenées vivantes.

Nous avons ensuite transporté mon fils dans un hôpital de Hamra et le lendemain, j’ai su qu’ils étaient venus à Sabra et qu’ils avaient emmené les filles. Et quand je suis revenu, j’ai vu ma fille Fatima frappée à la hache, ainsi que ma petite fille. J’ai remarqué qu’ils avaient creusé une fosse dans le sol et qu’ils les avaient enterrées vivantes dans la fosse. Le nourrisson avait été égorgé. J’ai vu aussi des gens tués et des femmes enceintes éventrées. Environ trente jeunes hommes ont été massacrés près de notre maison, sans distinction entre Libanais et Palestiniens. Ils n’ont épargné personne et ils ont tué tous ceux qu’ils ont croisés. Dans la maison de notre voisin Ali Salim Fayad, ils ont tué sa femme et ses enfants.

Qu’est ce que je peux dire, qu’est ce je peux raconter mon Dieu ? Ils avaient démoli les boutiques dans la rue de Sabra et avaient creusé de grandes fosses où ils avaient enterré les victimes. J’ai vu environ 400 cadavres d’enfants. Ils ont retourné la terre et les ont enterrés. Parmi les douze membres de la famille de nos voisins, onze ont été tués, un seul a réchappé."

Les deux filles de Monsieur Faqih avaient 2,5 ans et 14 ans au moment des faits.

15. Mohammed Chawkat Abou Roudeina :

" J’étais à la maison avec mon père, ma mère et ma soeur. Quand les bombardements ont commencé, nous avons été chez l’oncle de mon père. Là-bas les obus ont repris, et nous sommes rentrés dans la chambre, les hommes restant au salon. Nous sommes ensuite partis chez les voisins. Nous étions près de 25 personnes ou plus. Un peu plus tard, nous avons entendu les cris d’une fille blessée au dos. Des hommes armés se sont postés dans le quartier. Nous avons alors entendu des tirs, des cris et des voix étranges. Aida, ma cousine, est montée au magasin et a allumé la lumière. Un homme l’a engueulée et ils l’ont traînée par les cheveux. Elle s’est mise à crier "aïe papa", puis sa voix s’est tue. Son père a voulu la suivre. Ils l’ont immédiatement tué. Et c’est ainsi qu’ils ont compris que nous étions à la maison. Ils sont alors descendus par le toit et sont rentrés à l’étage. Ils y ont tout cassé et saccagé et nous les entendions s’interpeller entre eux : George, Tony… Et quand nous les entendions tout casser, nos voix s’élevaient. C’est ainsi qu’ils ont su que nous étions un étage en dessous. L’un d’eux est descendu et nous a vus. Il les a immédiatement prévenus. Ils sont tous venus chez nous. Mon père était assis sur une chaise, et dès qu’il les a vus, il m’a pris m’a embrassé, m’a mis du parfum et a dit à ma mère prends bien soin des enfants. Le cousin de mon père a dit à sa femme les enfants sont sous ta responsabilité.

Je n’oublie pas. A ce jour, cette image reste gravée dans ma mémoire.

Ils ont ordonné aux hommes de se placer contre le mur. Ils nous ont fait sortir derrière eux dans la rue. Arrivé à la porte, j’ai levé les yeux vers le ciel rouge, rouge tapissé d’obus éclaireurs. Arrivés au début de la ruelle, nous avons entendu les tirs visant mon père et mon oncle, ainsi que des cris. Nous avons marché quelques mètres encadrés par les gens armés. Ma cousine a vu son père et s’est mise à crier. Et moi j’ai vu la voiture de mon père dans laquelle ils étaient installés après l’avoir ouverte. Cette image aussi est gravée dans ma mémoire, car j’ai alors demandé à ma mère ce qu’ils faisaient de la voiture de mon père, mais elle ne m’a pas répondu. En marchant, nous voyions les morts.

Ils nous ont conduits à la Cité Sportive, et nous ont placés là bas dans une salle où se trouvaient une femme et ses enfants. Ils y amenaient des gens. Ils prenaient les uns en voiture et tuaient les autres. A ce moment-là, les chars israéliens étaient présents. Et soudain, une mine datant du début de l’invasion israélienne a explosé. Ils ont pris la fuite, et nous aussi."

Monsieur Abou Roudeina a perdu son père, sa sœur (enceinte), son beau-frère et trois autres membres de sa famille.

16. Fady Abdel Qader El Sakka :

" Nous étions restés le vendredi à la maison en nous cachant, croyant que les israéliens voulaient pénétrer dans le camp. Nous sommes restés toute la journée de vendredi à la maison.

Le samedi vers midi, alors que nous étions encore à la maison, nous avons vu les israéliens arriver chez nous à la maison. Ils nous ont dit de sortir tous de chez nous. J’étais un petit garçon de 6 ans à l’époque. Nous sommes sortis et ils nous ont alors emmenés vers la rue du côté ouest. Mon père portait mon petit frère ; ils lui ont demandé de confier l’enfant à ma grand-mère qui était aussi avec nous. Ils ont voulu emmener mon père et mon oncle ; alors, ma grand-mère leur a demandé où ils les emmenaient. Quelqu’un lui a répondu qu’ils reviendraient bientôt. Pendant que nous marchions sur la route, les morts jonchaient les rues et j’ai vu comment ils traitaient les gens. Mon père et mon oncle ne sont plus réapparus depuis ce jour où ils les ont emmenés."

Monsieur El Sakka a perdu son père et un de ses oncles.

17. Adnan Ali al-Mekdad :

« Aux alentours de quinze heures, jeudi, après la mort de Bachir, Sharon a effectué des déplacements inquiétants. Des hommes étrangers ont encerclé la région. Certains l’ont su et ont fui. Ma mère a vu les hommes armés, leur a préparé le thé et leur a dit qu’elle était libanaise. Ils lui ont dit qu’ils n’en voulaient qu’aux palestiniens ; et qu’étant libanaise, elle pouvait rester dans la région, personne ne l’importunerait, elle devait seulement garder ses papiers d’identité sur elle lors de ses déplacements.

Et l’on s’est mis à la recherche des membres de la famille, jusqu’à ce que je la vois accrochée à un arbre. Puis on a entrepris alors de ramasser les cadavres et de les enterrer ».

Monsieur Adnan Ali al-Mekdad a perdu son père, sa mère, et plus de quarante membres de sa famille.

18. Amale Hussein :

« Le mercredi, les avions israéliens se sont mis à planer au-dessus de la région et les tirs et les bombardements ont commencé. Mes frères et sœurs ont eu peur. Ceux qui avaient peur sont descendus dans l’abri à côté de notre maison. Un groupe a donc dormi dans l’abri et l’autre à la maison. Les avions ont continué à planer. Il y en avait de plus en plus. Mon neveu, âgé de 3 mois, qui était avec ma sœur dans l’abri, a commencé à pleurer. Il voulait manger. Elle est sortie avec lui, accompagnée de 4 personnes et ils sont tous venus à la maison. Dès qu’elle est entrée, nous étions alors jeudi, nous avons entendu des hurlements, les hurlements des enfants et des femmes dans l’abri, qu’on voit à travers la fenêtre de notre salle de bain. Tout de suite, les isreéliens et les phalangistes en armes ont envahi la région. Personne ne pouvait sortir de la maison. On n’entendait que des cris d’enfants et de femmes. Ils ont commencé à tuer les gens. Nous sommes restés à la maison, nous avons ouvert les portes et nous sommes rentrés tous à la salle de bain avec mon petit neveu. On lui avait bandé sa bouche de peur qu’ils n’entendent sa voix et qu’ils ne viennent nous tuer. Nous sommes restés dans la salle de bain, ils sont rentrés, ont fouillé la maison mais ne nous ont pas trouvés. Nous entendions les cris et le massacre par la fenêtre de la salle de bain. C’est comme ça que nous avons su qu’ils étaient entrés dans l’abri et avaient pris tous ceux qui s’y trouvaient, y compris mes parents. Le samedi, nous nous sommes échappés vers l’intérieur du camp. Par la suite ma mère est retournée voir mes frères mais elle ne les a pas reconnus tellement ils étaient défigurés. Tout ce que nous avons su c’est qu’ils les ont enterrés dans la tombe commune. Mon père a éduqué l’enfant qui a survécu (le neveu de mon père) qui l’appelle papa ».

Madame Amal Hussein a perdu un frère, deux sœurs, et plusieurs autres parents.

19. Noufa Ahmad el-Khatib :

« Deux jours avant le massacre, les israéliens sont rentrés chez nous dans la région. Ils sont venus, nous ont pris et nous ont alignés et ensuite ils nous ont libérés. Le lendemain ils se sont retirés et ont été dans un hôpital. Nous nous sommes enfuis et le lendemain j’ai appris qu’il y avait un massacre et le troisième jour on m’a raconté ce massacre. J’ai été à Chatila, j’ai vu les victimes et j’ai commencé à rechercher mes parents. J’ai vu ma mère morte, je l’ai vue et je l’ai reconnue, j’ai vu toutes les victimes, les tués et ceux qui étaient toujours contre les murs ».

Madame Noufa Ahmad el-Khatib a perdu sa mère, sa sœur, et plusieurs autres proches parents.

20. Ali Salim Fayad :

« Nous étions à la maison et nous avions du monde. Il y a avait une voiture en travers du chemin et nous avons été pour la déplacer. En revenant des gens armés se tenaient devant la maison, ce jeudi-là. Ils ont ordonné de séparer les hommes, les femmes et les enfants. Ils ont aligné les hommes contre le mur ainsi que notre voisin palestinien et sa famille et ils les ont fusillés. Les femmes et les enfants étaient abattus dans la rue. Avant de tirer, ils demandaient les cartes d’identité et les gardaient. Les Phalangistes fouillaient les maison et les israéliens les protégeaient avec leurs chars et leurs bombes éclairantes. Quand ils nous ont fusillés j’ai été touché au dos, à la cuisse et à la main. La nuit était illuminée par les bombes éclairantes.

Je suis resté étendu par terre. J’ai appelé plus tard quelqu’un qui passait et lui ai demandé d’appeler une ambulance. Peu après ma fille est venue et m’a transporté à l’hôpital de Akka.

Le lendemain les phalangistes sont venus à l’hôpital et m’ont demandé de mon fils qui était dans la chambre à côté. Il y avait des blessés palestiniens qu’ils ont emmenés. Je les ai vus traîner un blessé de son lit et le frapper avec une hache sur la tête. Il était jeune, ils l’ont tué ».

Monsieur Ali Salim Fayad a perdu sa femme, ses deux filles, son fils, sa belle-sœur.

21. Ahmad Ali el-Khatib :

« C’était le jeudi entre cinq et six heures. Nous étions dans la région et il y a eu des fusillades. Un jeune homme de notre région a été blessé. Nous l’avons emmené à l’hôpital de Gaza. Pendant ce temps le massacre a eu lieu, nous avons alors essayé de retourner mais la route a été fermée, je suis resté trois jours en dehors de la maison ».

Monsieur Ahmad Ali el-Khatib a perdu son père, sa mère, quatre frères, trois sœurs, et sa grand-mère.

22. Nazek Abdel-Rahman al-Jammal :

« Mon fils aîné est parti faire démarrer la voiture pour que nous nous enfuyons, ils sont venus et l’ont arrêté sur la place Sabra. Le second fils était parti chercher du pain et de la nourriture, nous étions à la maison, les israéliens et les phalangistes nous ont emmenés de la maison, et nous ont fait marcher en rang à Sabra. En marchant, j’ai vu mon fils aîné marcher dans une file et mes sœurs ont aussi vu mon autre fils. Ils nous ont fait marcher jusqu’à l’ambassade du Koweit, là bas ils ont dit : les femmes à la maison. Il y a eu une explosion et les gens ont couru, en rentrant j’ai vu les morts des deux côtés de la rue, des femmes et des vieillards. Ils avaient miné les cadavres et les enfants étaient morts. Je suis revenue à la maison et les enfants ne sont pas rentrés. J’ai passé quatre jours à chercher les enfants, et mon frère a amené mon plus jeune fils tué, mon aîné je l’ai vu dans la fosse mort ».

Madame Nazek Abdel-Rahman al-Jammal a perdu ses deux fils, 22 et 20 ans.

B.2. Témoins , survivants de Sabra et Chatila

Outre leur propres déclarations, les plaignants produisent une série de témoignages d’autres survivants du massacre.

1. Mohammed Raad :

" Mercredi nous étions à la maison attendant de la visite. J’ai été à Sabra, les routes étaient désertes. Arrivé au café de Ali Hender, j’ai rencontré de jeunes hommes qui m’ont appelé et demandé si je savais. J’ai dit non. Ils ont dit que les israéliens étaient rentrés avec les Phalangistes et qu’ils détruisaient. Je suis rentré directement à la maison, pris ma femme et nous sommes partis chez son frère. Nous lui avons dit : "Abou Souheil, allons nous en d’ici". Il a répondu : "Nous sommes libanais, ils ne nous importuneront pas". J’ai été chez un autre parent et lui ai dit : laisse tes enfants et va-t-en. Il m’a traité de lâche. Nous nous sommes mis à marcher ma femme et moi jusqu’arriver au pont de l’aéroport. Et là bas j’ai vu les israéliens encerclant la région. Un militaire israélien m’a engueulé. Et les israéliens se sont mis à me demander, d’où je venais et où je partais ; puis ils ont dit à mon épouse ainsi qu’à une autre femme qui passait de rester là où elles étaient alors qu’ils m’ont ordonné de les suivre et de me mettre près du mont. Mais moi j’ai été directement derrière Harat Horeik et nous nous sommes enfuis à Ghobeireh.

Samedi je suis retourné voir mes proches. Comment te raconter, les gens étaient sur leurs dos, noirs. J’ai retrouvé mon beau-frère tué, frappé à la tête avec une hache, nous avons retrouvé trente trois autres membres de la famille tués."

2. Jamilé Mohammad Khalifé :

" Le Jeudi vers 16 heures, ils étaient au Horch, et nous savions qu’il y avait un massacre, mais nous savions aussi que les Israéliens se trouvaient dans la Cité Sportive ; on nous a néanmoins demandé de ne rien faire.

Un peu plus tard, les bombardements se sont intensifiés et nous avons pensé que ça se calmerait bientôt.

Nous sommes allés nous abriter chez nos voisins. En regardant vers la Cité, nous avons vu des centaines d’éléments armés descendre de la Cité et en quelques instants, ils se sont retrouvés devant la maison à l’intérieur de laquelle il y avait beaucoup de monde. Nous nous sommes mis à crier en disant que les Israéliens nous avaient attaqués. Quand ils se sont retrouvés devant la maison, ils se sont mis à nous insulter, à nous blasphémer ; alors le fils des voisins leur a fermé la porte au nez et nous avons fui par une autre porte pour aller nous cacher dans l’abri qui était plein de monde.

Les Israéliens et les Phalangistes sont revenus un peu plus tard et nous ont demandé par haut-parleur de nous rendre en nous promettant la vie sauve si nous sortions des abris. Nous avons alors brandi un drapeau blanc et quand nous sommes sortis de l’abri, mon père a dit que nous n’aurions pas la vie sauve et qu’ils allaient nous tuer. Je lui ai dit de ne pas avoir peur et de venir avec nous. Ils nous ont alors tous entraînés, femmes, enfants et hommes ; mon père a essayé de s’enfuir, ils l’ont abattu devant ma mère et ma petite soeur. Ils nous ont tous fait marcher ; il y avait avec nous notre voisine blessée, portant ses intestins et souffrant d’une hémorragie. Nous nous sommes enfuies, elle et moi, à l’intérieur du camp de Chatila et de là nous nous sommes réfugiées à l’hôpital Gaza. Quand ils sont arrivés à proximité de l’hôpital Gaza, nous nous sommes à nouveau enfuies.

Quand le massacre s’est terminé, nous sommes revenues et nous avons vu les cadavres et les morts parmi lesquels le fils de nos voisins, Samir, assassiné. Et sous les cadavres, ils avaient placé des bombes piégées."

3. Chahira Abou Roudeina :

"Jeudi 15 septembre, après le coucher du soleil, l’aviation israélienne a effectué des raids (fictifs) sur nous. Ma maison se situait dans le quartier ouest du camp, et lorsque les bombardements ont commencé à se rapprocher, nous sommes descendus, mon mari, mes enfants et moi, chez mes parents qui habitaient à l’entrée du camp, pour savoir où ils voulaient partir. Mais nous sommes tous restés chez mes parents, jusqu’à dix-neuf heures, heure à laquelle, voyant que les bombardements continuaient de se renforcer, ma soeur est sortie voir ce qui se passait à l’extérieur. Ils ont immédiatement tiré sur elle. Elle a crié "papa" , et n’est pas revenue. Entendant ce cri, mon père est sorti, l’a vue et a dit : la petite est morte. Puis ils ont tiré sur lui, et il est tombé. Tout le camp était éclairé par les obus lumineux , et personne denous ne pouvait plus sortir. Nous sommes ainsi restés cloîtrés jusqu’à deux heures du matin. Puis nous avons compris qu’il y avait eu un massacre .

Les bruits des tueries et les cris nous ont accompagnés jusqu’à l’aube. A cinq heures du matin, ils sont descendus par le toit, et soudain nous les avons retrouvés sur les escaliers en face de la porte de la chambre où nous étions. A peu près 15 hommes armés se sont postés aux fenêtres, et quatre d’entre euxsontrentrés. Les petits ont crié et pleuré, et nous autres les femmes avons joint nos cris aux leurs. Ils ont placé les hommes contre le mur, mon mari, mon cousin paternel et mon frèreetles ont criblés de balles devant nous. Ils sont tombés. Ils nous ont fait sortir et nous ont à notre tour placés contre le mur, voulant aussi nous cribler de balles. Mais ils se sont disputés pour désigner la personne qui allait tirer en premier. Puis ils nous ont pris à la Cité Sportive, et nous ont conduits dans une salle remplie de femmes, d’hommes et d’enfants. Tout en gardant cette salle, ils aiguisaient leurs haches et préparaient leurs pistolets. C’était vendredi, vers cinq heures du matin. A midi, ils ont ramené des jeunes gens et des femmes de la maison de repos, ainsi que des personnes de l’ambassade koweitienne. Il y avait au sein de la Cité Sportive des mines datant du début de l’invasion israélienne. Une mine a explosé. Des gens se sont alors enfuis et nous en avons fait partie.

Que dire ? Lorsque nous étions dans la Cité Sportive, ce sont les Israéliens qui assuraient la protection des phalangistes, et les chars israéliens y étaient postés. De même ce sont les israéliens qui criaient dans les hauts parleurs "rendez vous, vous aurez la vie sauve".

4. Hamad Mohammad Chamas :

« Mercredi, quand l’armée israélienne est arrivée avec ses chars dans la Cité Sportive, et qu’on a su que les israéliens y étaient, j’y suis allé avec un ami, et nous leur avons demandé ce qui se passait.

Ils m’ont demandé si j’étais un terroriste, j’ai répondu par la négative. Ils nous ont alors dit, restez à la maison, il n’y a rien. Je suis rentré chez moi. C’était le 15 septembre.

Jeudi 16 septembre, je parlais avec Abou Merhef et Abou Nabil, quand, soudain, nous entendons le bruit des bombes qui tombent sur les maisons, et des cris de blessés. Nous avons alors accouru pour aider les blessés, les conduisant aux hôpitaux de Acca et de Gaza. Après, j’ai proposé à mon père de descendre à l’abri. Le bombardement allait en augmentant, et nous sommes descendus à l’abri. Les enfants avaient soif. J’ai été pour ramener de l’eau et des couvertures. Mon frère était alors absent depuis 15 jours de la maison, car il était employé. Il est venu, et s’est mis avec nous à la porte de l’abri. Et soudain, on voit les israéliens et les phalangistes sur nous, proférant des injures et de sales propos. Ils nous ont dit de sortir. Nous sommes sortis. Ils nous ont placés contre le mur et ont désigné Abou Merhef, il avait dans sa poche 500 livres. Abou Merhef leur a dit prenez 250 livres et laissez-moi 250, pour mes enfants. Quand ils l’ont entendu, ils ont immédiatement tiré sur les hommes. J’ai été touché et fait semblant d’être mort. Trois ou quatre autres sont tombés sur moi. Eux étaient morts : Abou Hussein el Bourgi, Kassem el Bourgi et Abou Nabil et Ali Mehanna. Je me souviens que ce dernier a survécu à ses blessures au moins une heure, quand il a repris conscience, il s’est mis à appeler au secours et à demander si quelqu’un était encore conscient ou en vie. Je lui ai répondu : moi. Il m’a dit : qui. J’ai dit : Hamad. Il m’a dit : pitié Hamad, je suis blessé à l’estomac et à la main. Il m’a dit, salue ma mère, ma soeur et tel et tel et dis-dire Ali les salue. Je lui ai dit, comment sais-tu que je vais rester en vie ? Je lui ai dit : y a-t-il encore quelqu’un de vivant près de toi. Il s’est assis, moi j’étais toujours allongé. Un peu plus tard, ils sont revenus et ont dit à Ali : tu appelles encore ? Ils l’ont insulté et lui ont donné un coup à la tête. Mais il s’est relevé et leur a dit : c’est comme ça que vous nous traitez, fils de chiens, car on pensait qu’ ils ne devaient pas s’attaquer aux libanais. Ils se sont alors remis à la tâche. 5, 6 fois. Ils ont tiré, pour s’assurer que tous étaient morts. Ils ont pointé le fusil sur ma cuisse et ont tiré. Et c’est ainsi qu’ils revenaient s’assurer que tous étaient morts. Vers cinq heures du matin, j’ai essayé de me tirer de là où j’étais. Il y avait un mur près de moi. J’ai traversé la route et entendu le bruit des chars. Je suis alors rentré me cacher dans la maison de Osman Houhou qui était détruite. Vers midi, je suis passé entre la ruelle et la maison. Soudain j’entends un microphone israélien dire : rends-tes armes, tu auras la vie sauve ainsi que ta famille.

J’ai essayé de gravir la pente afin de me rendre comme ils disaient, quand j’y étais presque parvenu, j’ai regardé et je les ai vu placer les hommes d’un côté et les femmes de l’autre. Je les ai vus ensuite les fusiller. C’est la raison pour laquelle je suis retourné me cacher dans la maison que j’avais quittée un peu plus tôt. J’y suis resté jusqu’au soir. Ils étaient assis autour d’une table et buvaient de l’alcool. Seul un mur me séparait d’eux. Le mur était fissuré, je voyais ce qui se passait. Ils se disaient : ne laisse rien qui bouge.

Je suis ainsi resté endormi dans la maison jusqu’à samedi matin, 10 heures. J’ai perdu espoir, et n’en pouvant plus, j’ai décidé de sortir, même si je devais être tué. J’ai essayé de retourner à notre maison, mais je l’ai retrouvée détruite. Je n’arrivais pas à marcher à cause des morts qui jonchaient la route. Et chaque fois que ma main en touchait un, c’est sa chair que je retrouvais entre les doigts.

J’ai vu Oum Bachir assassinée avec ses 7 enfants. Elle était comme endormie avec ses sept enfants autour. Je suis retourné de la maison et me suis assis avec les morts. La fille Makdad est venue appeler le secours populaire, et c’est ainsi qu’ils m’ont pris à l’hopital ».

5. Milaneh Boutros :

« Nous étions à la maison ce jeudi-là. Il y a eu des bombardements et nous sous sommes abrités. L’endroit était bondé, femmes, enfants et hommes.

Peu après, un sudiste du camp de Rachidiyyé je crois est venu emmener sa famille. Le frère de Mohammad Chamas est venu aussi lui proposant de s’en aller. Mais Mohammad a refusé et nous sommes restés dans l’abri. J’ai porté ma fille de deux ans et je suis sortie. J’ai vu des gens armés et des soldats israéliens appeler les gens.

Je suis sortie la première, croyant qu’ils étaient là pour nous protéger. Je lui ai dit : vous êtes venu nous protéger. "Tais-toi", et il a commencé à insulter et à invectiver. "Tais-toi Vous vous faites passer pour des libanais maintenant ?" Je lui ai dit que j’étais de Zghorta et que mon mari était libanais. Ils nous ont emmenés. Je portais une de mes filles, la seconde me tenait la main et les autres enfants se cramponnaient à mes habits. Nous avons enjambé les cadavres. L’endroit était illuminé comme en plein jour par les bombes éclairantes. Arrivés à l’ambassade koweitienne, ils ont pris Ali, le neveu de mon mari et nous ont embarqués dans des camions. Nous nous sommes dirigés vers Dora puis vers Bickfaya. Là une femme se tenait sur la véranda et a dit : vous m’amenez des femmes je veux des hommes. Nous avions avec nous un petit garçon de 13 ans, Ali Zayyoun, tapi dans un coin du bus. Dès qu’ils l’ont vu, ils l’ont pris et l’ont tué. Puis ils nous ont emmenés à Ouzai. Le lendemain ils nous ont demandé de regagner nos maisons. Il y avait partout des patrouilles israéliennes et des barrages phalangistes Le sol était jonché de cadavres. A la porte de l’abri, j’ai vu mon mari, mon fils et d’autres personnes assassinées. Un autre cadavre avait été jeté sur celui de mon fils qui avait été tué par un coup de hache sur la tête ».

6. Najib Abd-el-Rahman Al-Khatib :

« Avant d’entrer chez nous, les Israéliens se sont mis à lancer des bombes éclairantes. Quand les bombardements se sont rapprochés, mon père nous a emmenés à l’abri jusqu’à ce que les bombardements se calment un peu.

Nous sommes allés à l’hôpital Akka où nous avons dormi une nuit. Mais vers 5 heures du matin, ils ont pénétré à l’hôpital et nous avons encore fui. Le samedi, je suis revenu à la maison récupérer quelques affaires. Que de morts j’ai vu tous par terre et j’ai vu les Israéliens et les Phalangistes passer à côté. Je suis revenu en arrière et je suis entré directement dans le jardin de notre maison, et c’est alors que j’ai vu mon père mort. Je suis allé à la maison, il y avait un bassin. Le bassin était rempli de têtes de gens. Je me suis enfui ».

Les plaignants produisent également des témoignages de survivants qui ont été actés par des journalistes, et des récits d’observateurs, notamment :

7. Ellen SIEGEL, de nationalité E.U., infirmière à Beyrouth en 1982, réside actuellement à Washington D.C. (U.S.A.)

8. Robert FISK, de nationalité britannique, journaliste, un des premiers journalistes qui a visité les camps après le massacre

9. Nabil AHMED, survivant, réside actuellement en Amérique.

10. Jean GENET, de nationalité française, poète et dramaturge, a visité les camps immédiatement après le massacre

11. Dr. Swee CHAL ANG, de nationalité singapourienne, médecin à l’hôpital de Gaza à Sabra au moment du massacre

12. Dr. Per MIEHLUMSHAGEN, de nationalité norvégienne, idem

13. Dr. Ben ALOFS, de nationalité néerlandaise, actuellement résident en Grande Bretagne, infirmier à l’hôpital de Gaza à Sabra au moment du massacre.

14. Dr. David GREY, nationalité anglaise, actuellement résident en Grand Bretagne, docteur à l’hôpital de Gaza à Sabra au moment du massacre (Dr.Grey était un des trois médicins qui sont retournés à l’hôpital après l’évacuation initiale et avec un ’laissez-passer’ officiel de l’armée israélienne).

B.3. Autres plaignants

12. Akram Ahmad Hussein :

Monsieur Hussein était à Tripoli au moment des faits. Il a perdu toute sa famille : sa mère, cinq frères (17, 13, 12, 11 et 11 ans), et deux sœurs (10 et 9 ans).

II-QUALIFICATION LÉGALE DES FAITS

A. Crime de génocide

À l’occasion du massacre de Sabra et de Chatila, le Conseil de Sécurité a adopté en date du 19 septembre 1982 une Résolution 521 (1982), qui notamment :

"Condamne le massacre criminel de citoyens palestiniens à Beyrouth"

Le 16 décembre 1982, l’Assemblée Générale des Nations Unies a adopté, avec une majorité écrasante [18], la résolution suivante (37/123 D) :

"L’assemblée générale,

Rappelant sa résolution 95(I) du 11 décembre 1946.

Rappelant également sa résolution 96 (I) du 11 décembre 1946, dans laquelle elle a notamment affirmé que le génocide est un crime de droit des gens que le monde civilisé condamne et pour lequel les auteurs principaux et leurs complices, qu’ils soient des personnes privées, des fonctionnaires ou des hommes d’Etat, doivent être punis, qu’ils agissent pour des raisons raciales, religieuses, politiques ou pour d’autres motifs.

Se référant aux dispositions de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée par l’Assemblée générale le 9 décembre 1948. Rappelant les dispositions pertinentes de la Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, du 12 août 1949.

Bouleversée par le massacre massif de civils palestiniens dans les camps de réfugiés de Sabra et de Chatila, situés à Beyrouth.

Prenant acte de l’indignation et de la condamnation universelles suscitées par le massacre.

Rappelant sa résolution ES-7/9 du 24 septembre 1982.

1. Condamne dans les termes les plus énergiques le massacre massif de civils palestiniens dans les camps de réfugiés de Sabra et de Chatila

2. Décide que le massacre a été un acte de génocide."

Cette conclusion mérite d’être approuvée. En effet, l’art. 2 de la Convention du 9 décembre 1948 sur le génocide, approuvée par la loi du 26 juin 1951 [19], définit ainsi : « …Le crime de génocide s’entend de l’un des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux comme tel : 1° meurtre de membres du groupe ; 2° atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe… »

Le dossier démontre que l’attaque contre les réfugiés des quartiers Sabra et Chatila reposait sur une haine profonde, ethnique à l’égard des Palestiniens, à cause de leur origine nationale .

L’intention de leur nuire était clairement animée par le fait qu’ils étaient Palestiniens. Dans le livre du journaliste américain Thomas Friedman, qui était l’un des premiers témoins du massacre, ce dernier écrit :

"Afterward, the Israeli soldier would claim they did not know what was happening in the camps. They did not hear the screams and shouts of people being massacred. They did not see wanton murder of innocents through their telescopic binoculars. Had they seen, they would have stopped it immediately.

All of this is true. The Israeli soldiers did not see innocent civilians being massacred and they did not hear the screams of innocent children going to their graves. What they saw was "terrorist infestation" being "mopped up" and "terrorist nurses" scurrying about and "terrorist teenagers" trying to defend them, and what they heard were "terrorist women" screaming. In the Israeli psyche you don’t come to rescue of "terrorists". There is no such thing as "terrorists" being massacred.

Many Israelis had so dehumanized the Palestinians in their own minds and had so intimately equated the words "Palestinian", "PLO", and "terrorists" on their radio and television for so long, actually referring to "terrorist tanks" and terrorist hospitals", and they simply lost track of the distinction between Palestian fighters and Palestinian civilians, combatants and noncombatants. The Kahan Commision, the Israeli government inquiry board that later investigated the events in Sabra and Shatila, uncovered repeated instances within the first hours of the massacre in which Israeli officers overheard Phalangists referring to the killing of Palestinian civilians. Some Israeli officers even conveyed this information to their superiors, but they did not respond. The most egregious case was when, two hours after the operation began on Thursday evening, the commander of the Israeli troops around Sabra and Shatila, Brigadier General Amos Yaron, was informed by an intelligence officer that a Phalangist militiaman within the camp had radioed the Phalangist officer responsible for liaison with Israeli troops and told him that he was holding forty-five Palestinians. He asked for orders on what to do with them. The liaison officer’s reply was "Do the will of God." Even upon hearing such a report, Yaron did not halt the operation. [20]"

Cette "démonisation" collective des Palestiniens, ainsi que M. Friedman la qualifie, se retrouve dans le livre autobiographique d’ Ariel Sharon intitulé Warrior : l’objectif de l’attaque contre Sabra et Chatila était de "nettoyer Beyrouth-ouest de l’OLP". [21] Dans un autre passage du même livre, M. Sharon explique l’objectif de l’invasion du Liban dans les termes suivants : "Any effective approach (...) would have to look not just at specific local targets but at the entire PLO military and political infrastructure in Lebanon. And this, whether we liked it or not, would force us to take into account the entire Lebanese tangle." [22]

Elle correspond d’ailleurs à des propos célèbres proférés par le premier ministre israélien de l’époque, se référant aux Palestiniens comme des "two-legged animals" et à ceux de Rafael Eitan, l’un des responsables du massacre identifiés par la Commission Kahan, qui aurait parlé des Palestiniens comme des "drugged cockroaches".

Aussi de la part des exécutants du massacre, la haine envers les Palestiniens en tant que groupe national ressort clairement de plusieurs témoignages des plaignants et survivants. S’il est vrai qu’un grand nombre de libanais a également été tué, l’instigation ethnique se manifestait dans une soi-disant distinction entre Libanais et Palestiniens. Monsieur Adnan Ali Mekdad parle de l’entrevue de sa mère avec les tortionnaires dans ce sens : " Ma mère a vu les hommes armés, leur a préparé le thé et leur a dit qu’elle était libanaise. Ils lui ont dit reste ici, ils ont dit qu’ils n’en voulaient qu’aux palestiniens ; et qu’étant libanaise, elle pouvait rester dans la région, personne ne l’importunerait, elle devait seulement garder ses papiers d’identité sur elle lors de ses déplacements." Elle n’a pas survécu au massacre.

C’est aussi dans ce sens qu’il faut entendre le témoignage de Mohammed Ibrahim Faqih : "Environ trente jeunes hommes ont été massacrés près de notre maison, sans distinction entre Libanais et Palestiniens. Ils n’ont épargné personne et ils ont tué tous ceux qu’ils ont croisés. Dans la maison de notre voisin Ali Salim Fayad, ils ont tué sa femme et ses enfants."

La haine des Palestiniens, en tant que groupe ethnique, tant du Commandement militaire israélien que des principaux exécutants phalangistes, explique le phénomène, rapporté par plusieurs journalistes, dont Thomas Friedman :

"The Israelis had so demonized Sabra and Shatila as nests of Palestinian terrorism and nothing more that they didn’t even know that probably one quarter of the Sabra and Shatila neighborhoods was inhabited by poor Lebanese Shiites who had come to Beirut from the countryside… A picture in the As-Safir paper the day after the massacre was exposed captured the blind tribal rage of the Phalangists who tore through the camps. The picture, which occupied most of the top of the front page, consisted of a single hand. The fingers of this hand were locked around an identity card that could easily be read. The card belonged to Ilham Dahir Mikdaad, age thirty-two. She was a Shiite woman whose entire family, estimated to be forty individuals, was wiped out by the Phalangists. Her body was found lying on the main street in Shatila, with a row of bullets running across her breasts. It was clear what happened : she must have been holding up her identity card to a Phalangist, trying to tell him that she was a Lebanese Muslim, not a Palestinian, when he emptied his bullet clip into her chest." [23]

Ces conclusions sont soutenues par des propos notoires repris dans les grandes enquêtes et reportages de l’époque sur la dimension collective du massacre, hommes, femmes et enfants, et la vindicte particulière contre les femmes enceintes (par exemple les témoignages de Mohammed Ibrahim Faqih, et de Chawkat Abou Roudeina), et les bébés. De ces nombreux rapports et témoignages, nous retiendrons celui qui mentionne le bébé qui est piétiné à mort, [24] les propos du lieutenant Avi Grabowski, présent durant les massacres et qui est ignoré de ses supérieurs à qui il rapporte les massacres qu’il a vus, [25] et surtout, la confirmation de la connivence entre les mobiles des tueurs et ceux du Ministre de la Défense israélien :

"At one point, [26] Sharon began to stress the need to destroy whatever was left of the PLO’s infrastructure in West Beirut and to point out the danger of letting terrorists remain free in the city : "I don’t want a single one of them left !" is how he was quoted in one of the transcripts of the session.

"How do you single them out ?" Hobeika asked.

It was an odd question for a high-ranking officer in a militia known for its talent at ferreting out terrorists, and Sharon decided to evade it. "I’m off to Bekfaya now", was his reply. "We’ll discuss that at a more restricted session". [27]

Sur cette note que les auteurs israéliens qualifient de "sinistre", il faut finalement ajouter que, dans la jurisprudence du TPIY [28], "l’intention spécifique au crime de génocide n’a pas à être clairement exprimée. (...) elle peut être inférée d’un certain nombre d’éléments, tels la doctrine générale du projet politique (...) ou la répétition d’actes de destruction discriminatoires (ou) la perpétration d’actes portant atteinte au fondement du groupe" [29]. Dans l’affaire Akayesu, le tribunal avait conclu que "Cette intention peut se déduire d’un certain nombre d’éléments de fait, s’agissant du génocide, du crime contre l’humanité et des crimes de guerre, par exemple de leur caractère massif et/ou systématique ou encore de leur atrocité (...)" [30]

En conclusion, tous les éléments constitutifs du crime de génocide, tel que défini dans la Convention de 1948 et tel que repris dans le Statut de la CPI (article 6), et dans l’art. 1§1, de la loi du 16 juin 1993 [31], sont réunis.


NB : ce texte est la 1ère partie de la Plainte avec constitution de partie civile contre Ariel Sharon, Bruxelles 18 juin 2001 (voir la 2ère partie).

[1Le « Conseil Révolutionnaire », mieux connu comme le « groupe Abu NIDAL », cf Z. Schiff et E. Yaari, Israel’s Lebanon War, New York, Simon and Schuster, 1994, 97-100, à la page 99 : "Les trois personnes arrêtées [[par Scotland Yard

[2Le nom du responsable irakien est mentionné par Dilip Hiro, Iran under the Ayatollahs, Londres, Routledge, 1985, 211 : « L’attaque israélienne a été déclenchée par la tentative d’assassiner Shlomo Argov, l’ambassadeur israélien en Grande-Bretagne, dans la nuit du 3 juin. L’opération de Londres avait été organisée par Nawal al Rosan, un ’marchand de tapis’ irakien, qui s’est révélé plus tard être un colonel des services de renseignements irakiens ». (Notes de bas de page omises). A noter que l’ambassadeur Argov, reclus à vie par l’attentat, avait par la suite dénoncé la guerre d’Ariel Sharon au Liban.

[3Pour un catalogue détaillé des violations des Conventions de Genève à l’égard de la population civile, voir le rapport de la Commission McBride (Prix Nobel de la paix 1974), Israel in Lebanon, The Report of the International Commission to enquire into reported violations of International Law by Israel during its invasion of the Lebanon, 28 août 1982-29 novembre 1982, Londres, Ithaca, 1983, 187-192 (Conclusions)- Ci après dénommé Commission MacBride

[4Selon Kapeliouk, Sabra et Chatila : Enquête sur un massacre, Paris, Seuil 1982, citant le Haaretz du 15 septembre 1982, el général Eytan aurait déclaré la veille devant la Commission des Affaires Etrangères du Knesset que « Il ne reste plus à Beyrouth que quelques terroristes et un petit bureau de l’OLP. ». Kapeliouk, p. 30.

[5Benny Morris, The Righteous Victims. New York, A. Knopf, 1999, p. 540.

[6SCHIFF & YA’ARI, Israel’s Lebanon War, New York, Simon and Schuster, 1984, p. 251

[7A. Sharon, Warrior : An Autobiography, Simon and Schuster, Ney York, 1989p. 498.

[8Sharon à la Knesset, Annexe au rapport de la Commission Kahan, The Beirut Massacre, The Complete Kahan Commission Report, Princeton, Karz Cohl, 1983, p.124. (Ci-après, Kahan Commission Report).

[9Les forces armées israéliennes.

[10Kahan Report, p. 125 : "mopping-up".

[11Kahan Commission Report, 14.

[12Kapeliouk, p.37.

[13Kahan Commission Report, 104 : "We have found… that the Minister of Defense bears personal responsibility." Nous reviendrons sur cette conclusion édifiante.

[14Emile Grunzweig. Avraham Burg, le président actuel de la Knesset, fut blessé lors de cette manifestation.

[1514

[16Les ouvrages les plus connus sont les rapports de la Commission Kahan, de la Commission MacBride et de la Commission Nordique, et les livres de Robert Fisk, Zeev Schiff et Ehud Yaari, Amnon Kapeliouk, Thomas Friedman, Jonathan Randal, et d’autres. Une enquête du procureur militaire libanais, qui a expurgé en conclusion toute responsabilité des exécutants, n’a jamais été publié. Tabitha Petran, The Struggle over Lebanon, New York, Monthly Review Press, 1987, p. 289.

[17Gemayel

[18La résolution 37/123 D a été acceptée avec 124 voix pour, aucune voix contre et 22 abstentions.

[19M.B. 11.2.1952.

[20Thomas Friedman, From Beirut to Jerusalem, New York, Farrar, 1989, 163.

[21"to clean the PLO cadres out of West Beirut", Sharon, p. 498.

[22Id., p. 426.

[23Thomas Friedman, From Beirut to Jerusalem, New York, Farrar, 1989, p..164.

[24Schiff et Yaari, p. 264 : « infant trampled to death by a man wearing spiked shoes »

[25"J’ai vu des phalangistes tuant des civils. […] L’un d’eux m’a dit : des femmes enceintes naîtront des terroristes." Kapeliouk, 60. Sur les ordres, idem : "Un sergent parachutiste entend son officer annoncer sur son poste émetteur à 11 heures : "Ça n’est pas fait pour nous plaire, mais je vous interdis à tous d’intervenir sur ce qui se passe dans les camps."

[26Nous sommes le jeudi 16 Septembre, juste avant l’entrée des milices dans les camps.

[27Schiff and Yaari, 255. Hobeika était le chef milicien chargé de la première opération de "nettoyage."

[28I.T. 95-5 et 18-R61, 11.7.1991 Karadric et Mendic

[29DAVID, E., Principes de droit des conflits armés, Bruxelles, Bruylant, 1999, p.661. TPIR, affaire Akayesu, jugement du 02.09.1998, en particulier le §478 : "Cette intention peut se déduire d’un certain nombre d’éléments de fait, s’agissant du génocide, du crime contre l’humanité et des crimes de guerre, par exemple de leur caractère massif et/ou systématique ou encore de leur atrocité (...)"

[30TPIR, affaire Akayesu, jugement du 02.09.1998, §478.

[31Loi du 16 juin 1993, relative à la répression des violations graves du droit international humanitaire, telle que modifiée par la loi du 10 février 1999, art. 1§1.