La présidente rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d’enquête et fait prêter serment à M. Franquet.

Mme Nelly OLIN, Présidente. - Nous allons vous laisser nous exposer ce que vous pensez de la drogue et des produits illicites. Si vous en êtes d’accord, cela pourra se faire en une dizaine de minutes afin de permettre ensuite un échange au cours duquel vous pourrez répondre à nos questions et nous pourrons revenir sur votre exposé.

C’est donc très volontiers, monsieur le Préfet, que je vous donne la parole.

M. FRANQUET. - Merci, madame la présidente. Je vous ai fait passer, conformément aux éléments que vous m’avezadressés, un petit document rédigé en style télégraphique, ce dont je vous prie de m’excuser, de ce que j’avais pensé vous dire. J’ai fait passer aussi une modeste étude que j’ai faite pour une revue juridique, la Revue pénitentiaire et de droit pénal, qui comportait trois parties et dont le chapitre 3 est susceptible de vous intéresser.

J’ai aussi essayé d’étudier les aspects de l’usage des stupéfiants sur un axe plus juridique à travers les conventions internationales pour voir à quoi celles-ci engagent les Etats, s’agissant de l’usage des stupéfiants, sur un plan "pénal".

Enfin, comme vous savez que je suis membre élu de l’Organe international pour le contrôle des stupéfiants, je vous ai fait passer le rapport 2002 de cet organisme. Le hasard fait que je l’ai présenté à la presse ce matin.

Comme vous me laissez parler spontanément, madame la Présidente, je tiens à préciser que j’ai retiré beaucoup d’intérêt à regarder la chaîne parlementaire au moment où vous auditionniez M. Jayle. Il m’a donc semblé intéressant (si ce n’est pas le cas, soyez aimable de me donner d’autres pistes) de vous parler des conventions internationales.

En effet, le privilège de l’âge et mon ancienneté administrative m’amènent à constater que l’on parle souvent de problèmes de stupéfiants et que beaucoup de monde veut en débattre, mais que, très rarement, on fait allusion à des conventions internationales. Or, dans l’Etat de droit que nous sommes, les conventions internationales sont un soubassement juridique dont on est bien obligé de tenir compte, les traités ayant force de loi. Elles ont été préparées — la France a toujours eu un rôle moteur dans la préparation des trois conventions —, signées et ratifiées devant le Parlement. C’est notamment le cas de la convention de Palerme sur le crime organisé qui est en cours de ratification.

Il me semble donc toujours intéressant de rappeler cette source pour montrer que les Etats de droit, qui, à 90 %, ont ratifié cette convention, surtout les Etats démocratiques dont j’ai la prétention de penser que nous sommes, doivent forcément tenir compte de ces conventions, sauf, dans des procédures qui existent, à les dénoncer, à s’en retirer ou à en demander des modifications par des voies qui sont indiquées dans les trois conventions qui sont à votre disposition.

Les deux premières, la convention sur les stupéfiants de 1961 et la convention sur les produits psychotropes de 1971, sont là pour régir le commerce licite des drogues avec un maître mot : oui à l’usage médical et scientifique ; non à des abus, uniquement dans le sens de la santé.

Je précise que ce qui différencie les stupéfiants des produits psychotropes, c’est que les premiers sont à base de produits dits naturels, genre opium ou cannabis, et que les deuxièmes sont des produits de synthèse. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à la progression de l’usage des produits de synthèse comme l’ecstasy, les amphétamines et autres dans les pays européens et le monde entier. On sait d’ailleurs que le fameux vocable "ecstasy" recouvre beaucoup d’autres choses.

La troisième convention est celle de 1988.

Je voudrais donc vous parler de ces trois conventions et vous dire aussi quelques mots, car cela peut intéresser votre commission, d’une expérience que nous avons conduite à Lille pour essayer de faire de l’horizontalité dans l’appréhension du problème de la drogue.

Les conventions internationales ont donc été ratifiées par 90 % des Etats de la planète, qui représentent environ 98 % de la population mondiale, ce qui n’est pas rien. On peut donc prétendre qu’elles sont universelles.

Dans un certain nombre d’observations préliminaires, je tiens à préciser que, bien évidemment, la France a été un Etat moteur dans tout ce processus, même avant la convention unique de 1961 (on dit qu’elle est unique parce qu’elle regroupe un certain nombre de conventions depuis 1908 et 1909), c’est-à-dire de la convention de 1961, de celle de 1971 et de celle de 1988. Le président de la République et tout le gouvernement étaient alors allés à l’Assemblée générale extraordinaire des Nations Unis, où on avait confirmé le rôle moteur de la France. J’ajoute que la France est au Conseil de sécurité et qu’elle a modestement fait campagne pour faire élire un membre de l’Organe international de contrôle des stupéfiants qui - vous le savez — est chargé uniquement de l’application du droit international par les Etats.

C’est ainsi que je vais devoir, dans le cadre de cette fonction internationale, aller au Mali pour dire au gouvernement malien qu’il ne respecte pas les conventions dans tel ou tel domaine ou qu’il les respecte mais qu’il peut faire mieux. C’est l’objet de notre rapport qui fait un point très précis.

La France a non seulement ratifié ces conventions, mais elle a également fait la loi de 1970. On la dit vétuste, mais je vous ferai observer qu’elle a évolué jusqu’en 1996 pour coller précisément aux exigences des conventions. Un seul point, dans la loi française, ne correspond pas tout à fait aux conventions : celui qui concerne les précurseurs. Dans le cadre des questions que vous me poserez, je pourrai en dire quelques mots. Sinon, nous sommes des bons élèves sur le plan juridique.

Toujours dans ces observations préliminaires, on parle parfois d’engagements internationaux de la France, mais je suis frappé de voir que, nulle part, on rappelle ce que contiennent les conventions internationales. J’ai lu avec attention le livre de Caballero et Bisiou sur le droit de la drogue, qui fait autorité en la matière, mais je n’y ai trouvé que très peu de références aux conventions internationales. De même, je n’ai pas vu souvent — je viens de voir l’ancienne présidente de la MILDT — faire de la formation des chefs de projet (dont j’étais, puisque j’étais chef de projet toxicomanie dans le Nord) sur les conventions internationales.

Je trouve qu’il y a vraiment un vide en matière de formation des élites et des cadres. On est en train de parler d’un grand débat national sur tel ou tel produit, mais il n’y a pas de débat national à avoir. Fait-on un débat national sur la vache folle ou autre chose ? Il y a des données scientifiques et des conventions auxquelles il faut se référer, à moins de faire appel à des procédures démocratiques pour les modifier. Ayant reçu une formation de juriste depuis quarante ans, je me raccroche toujours à la loi.

Quel est le contenu de ces conventions ? Très sommairement, elles disent oui à l’utilisation des médicaments à base de produits psychotropes ou de stupéfiants. Nous avons même parfois dénoncé dans nos rapports le manque de médicaments psychoactifs dans certains pays en voie de développement. Par exemple, pour ce qui est des produits qui traitent la douleur dans les phases terminales du cancer, 10 % des Etats du monde emploient 90 % des produits analgésiques. C’est dire que ce ne sont pas des conventions de prohibition. Elles visent à permettre un usage médical et scientifique, mais pas au-delà.

Bien évidemment, tout dépend des tableaux. Pour les stupéfiants, vous avez quatre tableaux avec une gradation du plus dangereux au moins dangereux. Le problème, c’est que le quatrième tableau, même si c’est un peu illogique, énumère un certain nombre de produits du tableau 1 qui font l’objet d’un contrôle renforcé parce qu’ils n’ont pas d’usage médical connu. C’est le cas du cannabis, aussi curieux que cela puisse paraître.

Si, demain, les recherches scientifiques, que l’OICS encourage, sur les applications thérapeutiques du cannabis débouchaient sur un usage, sous réserve des procédures (OMS, commission des stupéfiants), ce qui nous amènerait à le changer de tableau, nous appliquerions la loi.

Ces conventions ont aussi quatre tableaux pour les psychotropes, avec toujours une gradation du plus dangereux au moins dangereux. Je précise que le premier tableau est pratiquement un tableau d’interdiction : ce sont des produits psychotropes qui n’ont pas d’usage médical. Le tableau 1 des psychotropes est à la fois le tableau 1 et le tableau 4 des stupéfiants : plus dangereux et pas d’usage médical, ce qui implique quasiment une prohibition pour ces produits, sauf pour examen ou sur le plan scientifique pour faire des essais.

Il me semble intéressant de vous parler de la troisième convention, qui porte sur le trafic illicite. On s’est aperçu que les conventions de 1961 et 1971 prévoyaient le commerce licite avec des certificats d’importation et d’exportation et de nombreux mécanismes pour éviter les détournements, mais que ces conventions n’ayant pas été suffisantes, les Etats, dont la France, ont lancé l’élaboration d’une troisième convention de 1988 sur le trafic illicite qui renforce l’arsenal répressif, qui accroît l’entraide judiciaire internationale (c’est la convention de la "confiscation", mieux connue sous le terme "blanchiment") et qui prévoit deux tableaux pour les produits précurseurs, qui sont des produits chimiques d’usage assez courant sans lesquels on ne peut pas préparer des produits stupéfiants ou psychotropes. Il est prévu deux tableaux selon l’utilisation qui en est faite. Cette convention prévoit aussi le contrôle des psychotropes.

Autrement dit, quand on n’arrive pas à contrôler complètement la mayonnaise, on essaie de contrôler la moutarde, l’oeuf et l’huile, si vous me pardonnez cette image.

Dans cette convention, il est suggéré fortement des dispositions pénales pour les détournements de précurseurs, ce que la France n’a pas encore dans sa loi pénale, bien que la loi de 1970, revue en 1996, une loi qui n’est pas aussi vétuste que cela, corresponde parfaitement pour le blanchiment. On ne va pas jusqu’au renversement de la preuve, comme vous le savez, mais on va assez loin dans le blanchiment de l’argent.

Pour terminer, je voudrais dire deux mots de l’expérience que j’ai eue à Lille. Je suis maintenant en Dordogne, mais j’ai gardé le contact avec cette précédente affectation.

Dans la mission de l’OICS, nous sommes treize membres d’horizons très divers, du Chinois au Français en passant par un Nigérian, nous appartenons à tous les horizons professionnels (un pharmacologue, un ambassadeur, un ancien policier devenu préfet, etc.) et nous sommes donc là pour faire la synthèse de toutes les cultures. Cela m’a donné des idées car j’ai vu qu’en France, on a des logiques verticales et non pas horizontales, et je serais étonné que Mme Maestracci ne vous ait pas parlé des difficultés de coordination qu’elle avait, chacun ayant sa culture et pensant détenir la vérité. Dans ce domaine des stupéfiants, on a beaucoup de professions de foi qui dépassent la simple application des choses ; les gens qui vivent ce problème depuis trente à quarante ans constituent parfois une sorte de lobby.

Les logiques sont très verticales et il est très difficile à chacun de comprendre les problèmes de l’autre. Le juriste pense que le sociologue fait du discours ; le sociologue pense que le répressif y va avec ses gros sabots et ne connaît rien de la loi et des conventions, etc.

C’est ainsi que j’ai eu l’idée de proposer à l’Université de Lille de préparer un diplôme pour des étudiants à ce sujet. Il m’a semblé bon que l’on commence par des étudiants de haut niveau, même si c’est un peu élitiste, pour sortir des cadres qui, demain, auraient une vision horizontale des problèmes.

Nous avons donc monté ce DESS et nous avons eu le plaisir de voir qu’il était agréé par le ministère de l’Education nationale et les universités. Il s’agit d’un DESS modeste, mais il a la prétention d’inculquer tous les aspects aux étudiants : la géopolitique, l’économie, les problèmes politiques, les liens avec le grand banditisme ou le terrorisme, le médico-social, le juridique, les conventions, etc. Pour ma part, je n’ai gardé qu’une petite fenêtre, parce que je n’ai pas beaucoup de temps, pour aller leur expliquer les conventions internationales par le menu.

Je voulais vous le dire car il me paraît intéressant d’encourager ce type de démarche. C’est l’Université de Lille III, qui a beaucoup d’aides de l’Université II. Le professeur Parquet, que vous connaissez, va d’ailleurs y donner des cours. C’est une expérience qui m’a paru intéressante parce que je la crois assez originale en France et même en Europe.

Voilà, madame la Présidente, mesdames et messieurs, ce qu’il me semblait devoir vous dire en préliminaire.

Mme la Présidente. - Merci, monsieur le Préfet, de cet exposé fort intéressant. Je vais laisser la parole à M. le Rapporteur qui, je n’en doute pas, a beaucoup de questions à vous poser.

M. Bernard PLASAIT, Rapporteur. - Monsieur le Préfet, je voudrais que vous nous parliez de ce que vous connaissez bien et qui nous paraît particulièrement important : le trafic.

Auparavant, j’ai une première question à vous poser. On me dit que, dans l’organisation actuelle de l’Union européenne en matière de drogues, le système n’est pas satisfaisant parce que les problèmes de drogue ou de toxicomanie ne relèvent pas d’un seul commissaire mais de trois. Avez-vous un avis sur cette question ? Ne faudrait-il pas qu’éventuellement, dans la future convention, quelque chose indique la nécessité de prendre en charge ce problème de façon efficace ?

M. FRANQUET. - Il y a quelque temps, M. Jayle et M. Brault, qui est conseiller à Matignon, m’ont demandé de jeter sur le papier quelques idées informelles et j’avais alors suggéré, dans une sorte de pense-bête d’une page que j’avais intitulé "propos libres" et que j’avais envoyé, qu’il y ait un regroupement, au sein de la Commission européenne, de l’ensemble des problématiques de la drogue, mais également du crime organisé au sein d’un même bureau ou d’une même direction, car il est vrai que tout est éparpillé.

Moi-même qui ai pratiqué et qui ai été expert pour la Commission européenne, je ne m’y retrouve toujours pas. Il serait donc vraiment nécessaire qu’au niveau de l’Europe, on ait un lieu dans lequel on traite de ce problème de manière horizontale. Par conséquent, monsieur le Rapporteur, je ne serai pas critique, parce que je suis tout à fait de l’avis que vous venez d’émettre à ce sujet.

Cela dit, sur le plan opérationnel, au moins deux synthèses sont faites : Europol et l’Observatoire européen des drogues de Lisbonne. Alors que l’OICS (ce sont les limites des Nations-Unies) est resté un peu bloqué sur la drogue et qu’on s’aperçoit que le phénomène concerne beaucoup le terrorisme, le blanchiment et le crime organisé, il est bon qu’au niveau d’Europol, on puisse en faire une synthèse opérationnelle et que l’Observatoire européen des drogues, à Lisbonne, ait une vision synthétique sur le plan épidémiologique.

Malheureusement, sur le plan de la coopération intra-européenne et de l’harmonisation des législations, surtout, par rapport aux pays en pré-adhésion ou à l’ensemble de la planète, il n’y a vraiment pas d’uniformité en matière d’assistance technique ou de politique européenne extérieure. Il n’existe donc qu’un diagnostic épidémiologique et un niveau opérationnel. Certes, il n’y a pas encore de police fédérale européenne, mais, sur le plan de l’insistance des Etats et de la synthèse, cela fonctionne assez bien, d’après ce que j’en entends dire, même si je ne suis pas l’utilisateur.

Je suis donc tout à fait d’accord, monsieur le Rapporteur, avec l’idée que vous émettez. En tout cas, c’est mon idée profonde puisque je l’ai écrite à M. Jayle et à M. Brault.

M. PLASAIT. - Vous parliez tout à l’heure des tableaux de classification et on m’a dit qu’au cours de la réunion de laCommission des stupéfiants, à Vienne, au mois d’avril prochain, certains mèneraient une offensive pour la déclassification du cannabis. Qu’est-ce que cela veut dire ?

M. FRANQUET. - Effectivement, on en entend parler, mais il y a deux problèmes à ce sujet.

Premièrement, il s’agit de parler de la déclassification du cannabis un peu comme l’ont fait les Anglais à titre interne, en disant que le cannabis est toujours au tableau 1 et non pas au tableau 4 parce qu’il peut avoir des usages médicaux et scientifiques.

Y aura-t-il une proposition ou non ? Je n’en sais rien, mais tout cela passera à la moulinette de l’OMS et, surtout, des autres Etats de la Commission, qui voteront ou non. En l’état actuel des choses, je suis persuadé qu’on ne retirera pas le cannabis du tableau 4 parce que les expériences d’utilisation thérapeutique du cannabis, que l’OICS encourage, sont en cours et sont loin d’être concluantes. Je serais donc très étonné qu’on ait la base scientifique pour permettre de retirer le cannabis du tableau 4.

Deuxièmement, il avait été évoqué par l’OMS que le tétrahydrocannabinol (THC) changerait de tableau, c’est-à-dire que, du tableau 1 des psychotropes, donc totalement interdit, il passerait au tableau 2 ou 3, ce qui le rendrait beaucoup moins contrôlé. L’OMS avait eu cette idée tout à fait "lumineuse" parce qu’elle avait dit que, puisqu’il n’y a pas d’abus de THC en tant que substance chimique isolée, il ne servait à rien de la mettre au tableau 1. En réalité, il n’y a pas d’abus parce que, précisément, cette substance est au tableau 1. Si on déclasse donc le cannabis, on fait un pari sur les abus et, surtout, il y a la question de l’affichage médiatique qui, chez les gens mal informés ou mal intentionnés, aurait été catastrophique.

Je tiens donc à vous dire que l’OMS a renoncé à cette idée. La commission des experts de l’OMS l’avait proposée mais, au niveau du conseil d’orientation ou des instances dirigeantes de l’OMS, cela a été refusé. Ce ne sera pas proposé à la commission et je serais donc étonné qu’en dehors de certains effets qui seront faits, ce soit une proposition concrète.

Il se pose aussi des problèmes culturels dans certains pays comme la Suisse, qui va très loin : elle tolère l’usage domestique et, comme elle veut être logique avec elle-même, elle dit qu’à partir de ce moment-là, on doit tolérer la culture, la fabrication, la transformation et la commercialisation. On a dit aux Suisses que c’était illégal par rapport aux conventions et ils nous ont répondu que nous nous méprenions et que c’était à titre interne. Nous leur avons donc répété (c’est très clair dans notre rapport) qu’ils sont dans l’illégalité et qu’ils sont donc passibles des sanctionsprévues par les conventions (les articles 14 de la convention de 1961 et les articles 19 de la convention de 1971) qui vont du simple avertissement jusqu’à l’embargo, qui n’a jamais été prononcé, des médicaments psychotropes à destination du pays ou venant du pays. C’est une espèce de menace. Il y a aussi la crainte d’être dénoncé dans un rapport comme étant un pays qui ne fait pas son travail.

C’est un premier geste. Je ne vais pas vous apprendre que, dans le domaine international, les sanctions prennent du temps.

M. PLASAIT. - Nous avons beaucoup évoqué le rapport Roques depuis le début des auditions et, surtout, l’utilisationqui en a été faite par certains médias. En effet, les experts, y compris le professeur Roques, nous ont dit ce qu’il y avait dans le rapport, qui ne masque pas du tout les dangers du cannabis. En revanche, une exploitation très fallacieuse a été faite de ses conclusions et je voudrais donc savoir si, de votre point de vue et du point de vue du PNUCID, cela a des conséquences sur la façon dont sont perçus le cannabis et ses effets.

M. FRANQUET. - Pardonnez-moi de rectifier un lapsus que vous venez de commettre en parlant du PNUCID. Le PNUCID n’est pas dans les conventions ; c’est un fonds volontaire d’assistance technique alors que les instruments des conventions sont, d’une part, l’organe législatif qu’est la commission des stupéfiants et, d’autre part, l’organe quasi judiciaire, qui est celui auquel j’appartiens.

Nous considérons que, tant que nous n’aurons pas des études scientifiques et tant que la commission des stupéfiants n’aura pas modifié le tableau du cannabis, nous n’avons pas à entériner quelque coutume que ce soit. Nous sommes les gardiens de la convention — c’est peut-être prétentieux, mais c’est ainsi —, mais il ne faut pas nous demander d’évoluer car nous n’évoluerons pas.

A l’intérieur de notre organe, de nombreux scientifiques, dont je ne suis pas, sont très véhémentement contre une banalisation de l’usage du cannabis. C’est très clair.

Quant au rapport Roques, monsieur le Rapporteur, vous avez tout à fait raison de parler ainsi. En effet, on a fait dire beaucoup de choses à ce rapport, comme on fait dire beaucoup de choses quand on a un a priori. En matière de dépénalisation des drogues, il y a beaucoup d’a priori. L’étude de l’Inserm commandée par Mme Maestracci a montré les dangers du cannabis, mais certains médias ont encore trouvé le moyen de tourner cela en disant que le cannabis n’était pas dangereux.

On dit que ce n’est pas plus dangereux que l’alcool, mais, m’étant beaucoup occupé de sécurité routière, je sais quels sont les dégâts de l’alcoolisme. Qu’on le veuille ou non, l’alcool est une drogue légale, mais si vous vous amusez à conduire sous l’empire de l’état alcoolique, cela vous coûtera très cher, voire la prison. C’est donc une drogue relativement légale.

En fait, c’est une habitude culturelle. J’habite le pays du bien vivre dont la tradition comprend le Bergerac et le Bordeaux. En revanche, le cannabis, que je sache, n’est pas culturel. J’ai vécu jusqu’à l’âge de 30 ou 40 ans sans savoir que cela existait.

Je ne suis pas un militant de quoi que ce soit. Je dis que, si des gens plus intelligents et plus compétents que moi ont classé ces produits, ce n’est pas pour rien. Soyons donc démocrates jusqu’au bout et attendons que cela change par des voies démocratiques et juridiques. C’est tout que je dis.

M. PLASAIT. - Monsieur le Préfet, j’ai un document qui précise que, pour une rave de 30 000 personnes, on aurait environ 20 000 personnes qui se droguent, dont environ 70 % à l’ecstasy. Si on multiplie cela par deux jours de rave avec deux pilules à 100 F pièce, on obtient environ trois millions de francs.

Il reste les autres, qui se drogueraient à l’héroïne ou au cannabis. Faisons le calcul : sur 3 000 consommateurs d’héroïne, sachant que le gramme est à 400 F, cela donne 1,32 MF en 48 heures ; quant aux 3 000 consommateurs de cannabis, si on considère qu’ils consomment une barrette de 5 grammes à 150 F en 48 heures, cela fait 450 000 F.

On arrive donc à un total de 4 700 000 F en 48 heures au minimum. Même si ces chiffres sont exagérés et si on les divise par deux, il reste qu’un chiffre d’affaires de 2 millions de francs dans une rave de 48 heures est extravagant. Cela veut dire que nous sommes vraiment au coeur d’un système économique qui est nourri par un trafic.

M. FRANQUET. - Absolument. Moi qui ai servi six ans dans la sécurité dans le Nord, j’ai bien compris — le président Mauroy le dit et le répète — qu’une économie parallèle, dans les quartiers difficiles, vit et fait vivre des petits groupes. Cependant, il ne faut pas croire que cela fait vivre l’ensemble. C’est comme la drogue dans les pays en voie de développement : nous avons prouvé dans notre rapport que seulement 1 % vont aux paysans et que 99 % alimentent les réseaux de trafiquants. Il en est de même ici : il y a de véritables économies parallèles de la drogue, y compris dans les quartiers.

J’ai le privilège de ne pas connaître cela en Dordogne, mais c’était quotidien dans le Nord/Pas-de-Calais. On faisait la "conquête" de certains quartiers difficiles en commençant par travailler sur le trafic de drogue. Je peux vous citer dix ou même vingt exemples de quartiers difficiles que l’on a complètement "pacifié" grâce à cela, et j’emploie ce mot à dessein : il suffit de voir les pompiers qui sont appelés pour se faire caillasser, comme je l’ai vu souvent.

On a donc beaucoup travaillé à ce sujet parce que c’était une économie de la drogue pour une petite équipe. A cet égard, les GIR, qui travaillent actuellement sur l’économie souterraine de la drogue en associant notamment les magistrats et les policiers donnent de bons résultats.

Mme la Présidente. - J’irai dans votre sens, monsieur le Préfet. Je suis maire d’une ville difficile dans laquelle on a démantelé un réseau de trafic de drogue extrêmement important qui alimentait tout le show-business de Paris et qui faisait vivre une partie du quartier. Le jour où ce réseau est tombé, le quartier est redevenu d’une tranquillité extraordinaire.

M. FRANQUET. - La difficulté, ensuite, est de faire en sorte que le quartier vive dans le bon sens. En effet, j’ai vu dans le Nord/Pas-de-Calais recommencer l’opération quatre ou cinq fois. Il faut un relais des associations et de l’urbanisme. La ville d’Hem, entre Roubaix et Lille, est comme un village de Dordogne, sauf dans un quartier qui était horrible : on commençait par y casser les lampes, on faisait les guetteurs, on occupait les maisons inutilisées et cela devenait une zone de non droit. Cette zone a été regagnée, mais il faut que, derrière, tout un système se mette en place. Vous connaissez bien cela dans votre fonction élective de maire : vous savez qu’il faut mener tout un travail en amont pour regagner ces quartiers.

Cela dit, on a parfois le sentiment qu’on les chasse d’un point et qu’ils vont à un autre, c’est-à-dire que le combat est permanent.

M. PLASAIT. - Monsieur le Préfet, les données recensées par l’OCRTIS montrent que l’évolution des arrestations de trafiquants ne suit pas du tout l’interpellation des usagers. En effet, entre 1990 et 1997, les interpellations d’usagers ont augmenté de 185 % alors que celles des trafiquants n’ont augmenté que de 26 %.

Je souhaiterais que vous nous parliez des problèmes de trafic de drogue, notamment après l’ouverture des frontières en Europe, de l’espace de Schengen, des problèmes posés par les zones frontalières et des problèmes posés par les différences de législation entre la France et les Pays-Bas du fait de la proximité.

M. FRANQUET. - Ce sont effectivement les chiffres qui remontent à l’OCRTIS, mais, s’agissant des chiffres des arrestations pour usage, je pense que le type d’arrestation a changé avec le temps. Alors qu’à Lyon, il y a trente ans, on courait à la frontière suisse pour attraper une personne qui avait un gramme et demi de cannabis, le seuil de ce qui est répertorié aujourd’hui comme usage correspond à ce que nous considérions auparavant comme de l’usage-revente. Je me refuse à utiliser le mot "dealer" bien qu’il soit consacré, mais on constate que, dans les usages, on trouve plus souvent des dealers que de simples usagers.

J’observe (c’est une ambiguïté que mes compatriotes, à mes yeux, ne comprennent pas bien) que, jusqu’alors, l’usage en France est réprimé et que, pour faire une analyse des conventions dont je vous ai parlé, on emploie une sorte de langage incompréhensible : l’usage est prévu dans la loi mais, d’un autre côté, on ne le poursuit pas et il devient presque honteux de poursuivre des usagers. Je suis désolé, mais c’est dans la loi et je trouve qu’il n’y a rien de honteux à ce que les policiers fassent des interpellations d’usagers. Ils font leur métier de policier.

Sur le plan de la lutte contre le trafic, j’observe que l’Office central de répression du trafic illicite des stupéfiants, que j’ai connu il y a des années puisque j’en étais le chef, avait 120 fonctionnaires quand j’y étais et qu’il n’en a plus que 45 ou 46. Ceci explique peut-être cela... Il faudrait voir M. Petit qui vous le dirait très clairement.

Cela vient aussi sûrement des options qui sont prises. Quand vous êtes chef de service, vous vous demandez si ces gens qui partent avec une BMW aux Pays-Bas, qui ramènent de la drogue et qu’on interpelle ne se livrent pas au trafic organisé. Doit-on classer cela dans le "deal", dans l’usage-renvente ou dans le petit trafic ? Pour moi, c’est du trafic international organisé.

Ces chiffres sont donc réels, et j’en porte témoignage, mais tout dépend de la manière dont on les lit.

Sur le trafic organisé, nous sommes à la charnière d’Europol, une police efficace de documentation et d’assistance plus que d’investigation, et on constate que, sur le plan d’un pays, on commence à être dépassé avec des moyens purement nationaux. Sur le plan de la répression, il faut trouver le moyen d’aller dans le sens d’une coopération internationale plus opérationnelle. C’est une chose qui n’est pas trouvée et c’est très clair.

Quant à l’assistance judiciaire internationale, même si elle a fait des progrès, il faudra, à mes yeux, tôt ou tard, arriver à un espace judiciaire européen. Il n’est pas possible de voir ce que j’ai vu dans le Nord/Pas-de-Calais : lorsqu’un garçon de Tourcoing qui allait en Belgique, à 5 ou 6 kilomètres, pour commettre un cambriolage (ou vice versa : cela pouvait être aussi des Belges qui venaient faire des cambriolages en France, mais cela allait quand même plus dans ce sens : si la drogue faisait du nord-sud, les cambriolages faisaient plutôt du sud-nord) s’y faisait arrêter, la trace papillaire que le policier belge découvrait à Menin, à 3 kilomètres de la frontière, devait être envoyée au BCN Interpol de Bruxelles, qui la renvoyait au BCN Interpol de Paris où on la renvoyait sur le fichier pour l’identifier, le tout dans les délais de la garde à vue ! Cela confine au ridicule.

Il faut donc vraiment trouver quelque chose. Nous sommes allés aussi loin que possible : nous avons ouvert un centre de coopération police-douane à Tournai au mois de juillet et nous avons commencé à faire des patrouilles mixtes en juin, après quoi j’ai quitté le Nord/Pas-de-Calais. Il faut donc vraiment trouver une coopération très réelle, avec des équipes mixtes et un vrai travail qui n’est pas fait. Il faut dire les choses telles qu’elles sont.

Voilà comment j’explique ce déficit d’interpellations. Il y a donc plusieurs facteurs.

Je répète qu’on a un peu déclassé le trafic. Le trafic organisé n’est pas forcément "la mule" payée l’équivalent de 10 000 F dans un bidonville de Rio de Janeiro pour transporter deux valises. Pour moi, on n’arrête pas un trafiquant mais un pauvre diable. Je pense en revanche que le type qui va acheter toutes les semaines 500 grammes d’héroïne ou deux kilos de cannabis aux Pays-Bas est plus un trafiquant et qu’en l’arrêtant, on fait du meilleur travail.

Mme la Présidente. - Nous passons aux questions de nos collègues sénateurs.

M. BARBIER. - Monsieur le préfet, en tant que vice-président de l’OICS, que pensez-vous de sanctions éventuelles ?

Vous avez évoqué rapidement le problème de la Suisse. Les Suisses ont un peu contourné la convention, dans la mesure où ils interdisent la vente aux étrangers du cannabis qui est produit dans leur pays, mais on ne sait pas du tout comment cette mesure sera appliquée. Etant riverain de la frontière avec la Suisse, je sais qu’elle est assez souple.

En revanche, pour des pays comme le Maroc qui, eux, ne cachent pas qu’ils sont des producteurs très importants et dont pratiquement la totalité de la production est exportée vers l’Europe, des actions sont-elles menées ou envisagées au niveau de l’Organisation internationale du contrôle international des stupéfiants ? Je crois qu’un certain nombre de données prévoient que le nombre d’hectares de cannabis plantés au Maroc augmente de 10 à 15 % chaque année puisque, désormais, on en fait la culture sur la côte atlantique, ce qui n’avait pas lieu auparavant. Qu’est-ce que l’OICS envisage vis-à-vis de ce pays ?

M. LANIER. - Mon cher collègue, ma question sera très brève.

Au cours d’une carrière extrêmement importante et fournie, vous avez occupé des postes très importants à la Direction centrale de la police judiciaire puisque vous avez été, entre autres, chef du bureau central d’Interpol.

Je voudrais donc vous demander quelle a été et quelle est actuellement l’influence des accords de Schengen sur le trafic des drogues, entre autres avec les Pays-Bas. Vous savez d’ailleurs que nous nous sommes presque brouillés avec eux au sujet des accords de Schengen parce que nous ne sommes pas du tout sur la même longueur d’ondes. J’ajoute que nous avons un déplacement qui est prévu là-bas et qui va probablement nous horrifier.

Je voudrais donc savoir si les accords de Schengen ont facilité le trafic européen, puisque ces accords s’appliquent à l’Europe.

Mme PAPON. - Monsieur le Préfet, dans cette lutte contre le trafic de drogue, il faut, bien sûr, une nécessaire coopération internationale, mais, aujourd’hui, nous sommes confrontés à des délits qui sont commis à l’aide de moyens informatiques, ce qu’on appelle pompeusement la "cyber criminalité".

L’OICS a-t-il quelques pouvoirs et moyens pour empêcher que ces "cyber criminels" ne tissent, sur Internet, une véritable toile mondiale au service du trafic de drogue et de la criminalité ?

M. FRANQUET. - Je vais commencer par cette dernière question, si vous me le permettez. Je vous enverrai notre rapport de l’année dernière qui, dans l’un de ses chapitres, traite de cette question précise en quelques pages mais de manière relativement exhaustive. En effet, c’est vrai en matière de drogue comme en matière de pédophilie et dans de nombreux autres domaines.

En matière de cyber criminalité, nous faisons des recommandations. Vous connaissez les limites des organisations internationales. Nous faisons des recommandations et des menaces — j’y reviendrai pour le Maroc —, mais cela ne va pas très loin. C’était néanmoins l’objet de notre rapport de l’année dernière. Aujourd’hui, il faut savoir que, sur Internet, vous avez tous les modes de culture du cannabis, toutes les recettes possibles pour fabriquer de l’ecstasy...

On se heurte aussi au télescopage d’un certain nombre de droits, notamment le droit des enfants par rapport au droit d’informer. Dans un pays comme les Etats-Unis, il est hors de question de faire de la censure, comme ils disent. Ils préfèrent laisser libéraliser totalement l’Internet parce qu’ils ont, au sein de leur constitution ou de leur culture, un droit par-dessus tous les autres : celui du droit de communication. Il y a donc des télescopages entre les différents droits.

Cela dit, pour revenir à la question que vous avez posée, il est un fait que tous les mouvements bancaires, le blanchiment d’argent et de nombreux autres domaines constituent tout un champ d’investigation. Il me semble donc — je le dis modestement — qu’il faudrait se mettre autour d’une table, préparer une convention internationale et, surtout, l’appliquer.

Nous avons, pour notre part, un organe chargé de protéger le droit des enfants (il y a un organe du même type à Genève) et il faut voir toutes les difficultés que pose nombre de conventions. Je prends l’exemple de la convention de Strasbourg sur le dopage : quelle est la sanction au non-respect des conventions ? C’est un problème.

Nous avons tout un arsenal "répressif" que nous n’utilisons que petit à petit. Il faut savoir que, pour l’Afghanistan, on n’est pas arrivé au bout du processus de sanctions. Il y a aussi le problème de l’embargo, qui fait surtout mal au type qui a besoin de psychotropes pour se soigner de la douleur parce qu’il est en phase terminale du cancer. Ce n’est peut-être pas la sanction adaptée.

De toute façon, on n’est pas prêt, lorsqu’on est à treize autour d’une table et alors que l’on va du Chinois au Français en passant par le Philippin, à accepter des choses de façon unanime ou même aux deux tiers.

Si vous le voulez bien, j’enverrai ce rapport à M. le Rapporteur et à Mme la Présidente, et vous verrez que tout un chapitre est consacré à ce problème pour ouvrir les yeux de la communauté internationale à ce sujet

J’en viens au Maroc. Etant le seul francophone à l’OICS, dès lors qu’il y a une mission de contrôle à faire dans un pays francophone, c’est moi m’y rends.

Je suis allé en Tunisie, pays que j’ai trouvé exemplaire sur le plan de la lutte contre la drogue. On s’attendait au pire en 1980 parce que tous les dealers de Paris étaient maghrébins, et surtout tunisiens, mais il se trouve que les Tunisiens, sûrement du fait de sanctions sans état d’âme, n’ont pas de toxicomanies importantes ni de trafics de stupéfiants. Je l’ai fait écrire dans le rapport.

Je me suis également rendu au Maroc pour l’OICS pour dire que son attitude n’était pas sérieuse car il était toujours un pays pourvoyeur de cannabis. Sa réponse est toujours la même, au premier degré : "de quoi vont vivre nos paysans du Rif ?" En fait, c’est un peu court, parce qu’on s’aperçoit (c’est l’objet de notre chapitre 1) que le développement économique ne vient pas du trafic de produits stupéfiants et que celui-ci produit même exactement l’inverse.

Pour autant, les Marocains nous disent des choses beaucoup plus troublantes en nous expliquant que les plaques tournantes du trafic sont les deux enclaves espagnoles, ce qui leur fournit une occasion de dénoncer les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla.

Ils nous disent aussi — c’est beaucoup plus troublant — qu’il faut arrêter de leur faire la leçon en précisant : "Ce sont bien vos usagers et vos trafiquants qui viennent chercher le cannabis chez nous", parce qu’il est vrai que les trafiquants sont plus installés chez nous qu’au Maroc. Ils admettent que les cultures se font chez eux, mais ils ajoutent : "C’est vous qui achetez, qui venez chercher les produits, qui trafiquez, et cela bénéficie plus à vos trafiquants qu’aux nôtres", ce qui n’est pas faux.

Certains nous disent : "Il n’y a qu’à nous donner des millions et on remplacera la culture du cannabis par de l’économie de substitution". En effet, il faut parler d’économie de substitution et non pas seulement de cultures de substitution, car si on arrache l’opium en Thaïlande pour planter des pommes de terre ou des fraises, il faut aussi les acheminer sur les marchés. De même, quand on arrache le cannabis pour planter du tabac, c’est également un peu limite.

Quand ils réfléchissent plus, d’autres nous disent aussi que, dans quelque temps, on n’achètera plus de cannabis marocain puisqu’on saura en faire sous serres en Hollande, en Suisse ou ailleurs qui aura un degré de THC beaucoup plus important puisqu’il atteindra 30 % et ils posent ainsi la question : alors que c’est fait sans risque et sur place, comment voulez-vous nous donner une leçon si vous, pays parmi les plus développés, notamment la Suisse, êtes en train de tolérer cela ?" J’ai vu, étant à Vienne, une émission de TV5 dans laquelle on voyait très ouvertement des champs et des camions de cannabis en Suisse.

Le discours avec les Marocains est donc un peu compliqué. Je ne dis pas qu’ils sont d’une totale bonne foi, mais nous ne le sommes pas tellement non plus. Il y a une grande ambiguïté à cet égard. On les menace de sanctions, mais je vous accorde que cela n’a pas un grand effet.

J’en viens à la troisième question qui concerne Interpol et Schengen. Je vais peut-être vous étonner, mais j’ai estimé que, sur le plan opérationnel, Schengen était peut-être notre chance. En effet, jusqu’à présent, la frontière n’embête que le type honnête de Nice qui va acheter ses bouteilles de vermouth à San-Remo et non pas les trafiquants, surtout quand la voiture pilote est suivie par une autre voiture munie d’un portable qui passe lorsqu’il n’y a pas de douanier. Il existe 180 points de passage entre la Belgique et la France ! Même les panzers allemands n’ont jamais réussi à bloquer la frontière entre la Belgique et la France.

C’est pourquoi, j’avais été très sceptique lorsqu’on avait dit que l’on fermait la frontière avec la Belgique. J’avais dit qu’il était ridicule de mettre des "super douanes" en deux endroits et d’en laisser 178 au travers desquelles on pouvait passer facilement. Entre les Pays-Bas et la Belgique, il n’y a pas de frontière, Bénélux oblige, et entre la Belgique et la France, vous pouvez avoir une maison dont la salle à manger est en Belgique et le salon en France... Cela me paraissait donc dérisoire.

En revanche, en tant que policier international, je me suis dit que cela allait peut-être donner une chance à la police de s’organiser, ce que nous ne faisions pas puisque c’étaient deux pays étrangers. J’observe qu’au sein d’Interpol, la relation entre Belgique et la France est presque la même que celle qui existe entre la France et le Zimbabwe ou le Mexique : c’est un pays étranger.

Je comptais donc beaucoup sur Europol et d’autres éléments et je me disais que l’on allait peut-être s’organiser grâce à Schengen. Cela a été fait, mais, à mes yeux, trop lentement et insuffisamment. Voilà la réponse que je peux vous donner.

Mme la Présidente. - Merci, monsieur le Préfet. Je tiens à vous dire que nous avons été particulièrement intéressés par votre témoignage, vos expériences et votre parfaite connaissance du terrain. Nous vous remercions aussi d’avoir consacré ce temps, puisque nous savons que vous êtes chargé.

M. FRANQUET. - Service de l’Etat...

Mme la Présidente. - Nous apprécions énormément votre intervention et cela nous éclaire sur un certain nombre de points.

M. FRANQUET. - Si je puis vous être utile pour écrire certains papiers, n’hésitez pas à me mettre à contribution. Comme je fais des conférences à l’université, j’ai déjà préparé un certain nombre de documents, notamment sur le système de sanctions des Nations Unies, mais je ne veux pas non plus vous étouffer de papiers. J’en ai fait un sur l’usage à travers les conventions. Je le crois très intéressant (non pas parce que je l’ai fait), au point qu’il a été publié par une revue juridique sérieuse. Sa lecture permet de ne pas dire n’importe quoi sur le traitement juridique de l’usage.


Source : Sénat français