La présidente rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d’enquête et fait prêter serment à M. Petit.

Mme Nelly OLIN, Présidente - Nous allons organiser le débat de la manière suivante : vous ferez l’exposé que vous souhaitez nous faire dans un laps de temps qui peut tenir en une douzaine de minutes, après quoi M. le Rapporteur procédera à un certain nombre de questions auxquelles vous pourrez répondre, et les sénateurs, membres de cette commission, auront également des questions à vous poser.

Je vous donne très volontiers la parole.

M. Bernard PETIT - Madame la Présidente, monsieur le Rapporteur, mesdames et messieurs les Sénateurs, votre commission a souhaité procéder à mon audition dans le cadre des travaux que vous conduisez. J’en suis honoré et je vous en remercie. J’interviens ici en qualité de chef de l’Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants (l’OCRTIS), qui dépend de la Direction centrale de la police judiciaire, l’une des directions de la Direction générale de la police nationale et du ministère de l’intérieur.

Sans entrer dans les détails, car ce n’est pas l’objet ici, sachant que j’ai communiqué à votre secrétariat une copie du décret du 3 août 1953 qui crée l’Office central des stupéfiants et en précise les attributions, je voudrais vous rappeler qu’outre le recueil des informations opérationnelles, la centralisation de ces informations et la coordination des actions opérationnelles en matière de lutte, nous avons également en charge la gestion du fichier national des auteurs d’infractions à la législation sur les stupéfiants, à partir duquel, tous les ans, nous disposons d’un rapport annuel sur l’état de l’usage et du trafic des stupéfiants en France. J’ajoute que j’ai communiqué à votre secrétariat l’exemplaire 2001 de ce rapport et que je m’engage à vous adresser le plus rapidement possible, dès qu’il sera disponible, c’est-à-dire avant un mois, le rapport 2002.

Cette remarque liminaire étant faite, j’en viens à l’aspect principal de mon intervention : le constat que l’on peut faire aujourd’hui en matière de lutte contre le trafic, en essayant de pointer les difficultés que nous rencontrons et les améliorations qu’il serait possible d’envisager. Je vais vous décrire l’état des lieux et les principales menaces.

Concernant l’état des lieux, je commencerai par quelques remarques générales qu’il faut toujours garder en tête.

Premièrement, comme vous le savez, le trafic des stupéfiants, depuis quelques années, est en pleine mutation : un changement radical s’opère dans le trafic. Les pays du nord, qui était jusqu’alors plutôt consommateurs, sont devenus des pays producteurs de drogues de synthèse alors que les pays du sud, qui étaient jusqu’ici plutôt des pays producteurs et faiblement consommateurs, sont devenus des consommateurs de ces drogues de synthèse produites dans le nord.

Ce bouleversement de la géopolitique de la drogue produit des effets qu’on ne mesure pas encore complètement aujourd’hui, et les conséquences n’en sont pas encore pleinement connues.

Deuxièmement, le degré de sophistication auquel on assiste aujourd’hui dans le trafic atteint des niveaux inégalés. Les progrès de la téléphonie mobile et la disposition du réseau Internet facilitent grandement les activités de trafic des organisations spécialisées et les rendent, par certains aspects, moins vulnérables aux attaques de la police, de la douane, de la gendarmerie et de la justice. Cela rend notre travail plus difficile.

Troisièmement, l’offre mondiale de cocaïne est restée stable (il faut toujours garder ce point en tête lorsqu’on parle du trafic) malgré les efforts considérables qui ont été faits au plan international et au plan national de chaque pays intéressé, malgré beaucoup d’argent investi, malgré une intervention américaine qui a privilégié des segments armés pour lutter contre les trafics et malgré le fait que la cocaïne, contrairement au cannabis et à l’héroïne, n’est produite que dans trois pays dans le monde : la Colombie, le Pérou et la Bolivie. Malgré tous ces éléments, on n’arrive pas à réduire l’offre de façon suffisamment notable pour que cela altère la disponibilité du produit sur les marchés.

Quatrièmement, l’économie de la drogue reste un problème qui n’est pas résolu, tant sur les places financières internationales que dans l’économie souterraine des cités.

Voilà le contexte général. J’en viens maintenant aux principales menaces, réelles et immédiates, que nous avons en face de nous en France. J’en ai listé quatre :

l’évolution du trafic de cocaïne et de la consommation de cocaïne en France,

le développement continu du trafic des drogues de synthèse,

le risque réel d’un regain du trafic et de la consommation de l’héroïne dans notre pays,

le trafic de résine de cannabis.

Je vais développer ces quatre points sans être trop long afin de répondre ensuite à des questions.

Concernant tout d’abord l’évolution du trafic de cocaïne, je ne reviens pas sur ce que j’ai dit sur l’offre mondiale de cocaïne (c’est un fait qui pèse très lourd dans le débat, malheureusement), mais il faut savoir qu’en France, le trafic de cocaïne fait aujourd’hui l’objet d’un intérêt particulier de puissantes organisations criminelles qui appartiennent au grand banditisme français. Nous avons, ça et là, des enquêtes qui démontrent très clairement que des gens qui appartiennent au grand banditisme et qui ont donc des activités traditionnelles dans le monde de la criminalité (proxénétisme, jeu clandestin, contrefaçon de documents, trafics de voitures, etc.) sont hautement intéressés par le trafic de cocaïne dans notre pays et investissent des sommes importantes pour importer de grands lots de cocaïne qu’ils revendent en France et dans les pays étrangers.

Je ne souhaite pas entrer dans les détails, mais sachez que, par exemple, on a saisi 1,2 tonnes au large de Brest en 2001, 3,6 tonnes en janvier 2002 sur un bateau au large de la Colombie à destination de l’Espagne et de la France, 675 kilos au départ du Brésil à destination de la France avec des Français, 330 kilos débarqués aux Sables d’Olonne, etc. C’est vous dire la quantité impliquée : on parle de centaines de kilos et même de tonnes et non pas de petites importations de 400 ou 500 grammes aux aéroports. Nous en sommes à ce stade et nous avons en face de nous des organisations criminelles qui sont les nôtres : celles du banditisme français.

Cette tendance sur le trafic, qui fait que c’est réellement une menace, est à mettre en perspective avec les données qui vous sont communiquées par d’autres gens que moi, notamment l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (ODTC), qui va vous expliquer que jusqu’à 35 % des consommateurs ont consommé de la cocaïne. C’est à rapprocher également du fait que le prix de la cocaïne dans notre pays est plutôt stable, ce qui montre une grande disponibilité du produit.

Par conséquent, qu’il s’agisse de la consommation ou du trafic de cocaïne, ce produit et cette situation sont une véritable menace immédiate et, sans doute, pour quelques années à venir.

La deuxième menace immédiate pour notre pays et notre sécurité, c’est le développement continu du trafic des drogues de synthèse.

Comme je vous l’ai dit, on assiste à un bouleversement en matière géopolitique de la drogue : les pays d’Europe du nord se sont mis à produire de façon considérable des drogues de synthèse que l’on vend dans les pays du sud mais aussi sur le continent nord-américain. Cette situation est un problème majeur dans tous les pays d’Europe, et non pas seulement en France.

La situation est aggravée non seulement parce que la consommation est importante dans les pays mais aussi parce que la production se fait sur place, en Europe. Autrement dit, tous les facteurs sont réunis : consommation, trafic et production sur la même place.

La dangerosité de ces substances est également à prendre en considération, ce qui n’a pas toujours été le cas. Aujourd’hui, le fait que ces produits sont particulièrement dangereux et qu’il faut lutter avec énergie contre eux fait l’objet d’un consensus.

La situation est d’autant plus menaçante et doit être inscrite dans l’ordre des priorités que, dans tous les pays d’Europe, et non pas seulement dans le nôtre, les résultats, tant en ce qui concerne la réduction de la demande qu’en ce qui concerne la réduction de l’offre, ne sont pas toujours au rendez-vous.

Vous aurez de nombreuses explications à ce phénomène. On va vous dire à juste titre que la nature et la forme des produits font qu’il est difficile de les détecter et facile de les dissimuler, que la demande est très importante et qu’il y a donc un effet d’incitation sur l’offre encore plus élevé. Vous entendrez aussi beaucoup parler de "trafic de petite rivière" à propos des drogues de synthèse, ce qui signifie qu’à partir d’un certain niveau, le trafic se fait par l’intermédiaire de personnes qui ne sont pas des criminels d’habitude et qui posent problème quant à leur identification puisqu’ils ne sont pas dans les fichiers criminels et ne sont pas connus des spécialistes de la lutte contre les stupéfiants.

Ces observations sont justes et doivent être entendus, de même que l’attention que l’on porte sur les rave parties, les événements festifs que vous connaissez. Il est très important de se focaliser sur ces points, mais cela cache trop souvent le fait que la production et le trafic des drogues de synthèse sont bel et bien aux mains de trafiquants internationaux organisés. Ce n’est pas simplement, comme on pourrait le croire à travers les rave parties et les événements dits festifs, un trafic qui est entre les mains de jeunes qui découvrent un produit et qui se le passent de main en main. Il y a, derrière ce phénomène, des réseaux structurés de trafiquants internationaux qui sont généralement implantés dans les pays du nord l’Europe, précisément aux Pays-Bas, qui constituent le point d’ancrage pour la fabrication et le grand trafic d’XTC ou d’ecstasy, qui opèrent à destination du marché européen (et donc de la France) et qui utilisent notre territoire comme un pays de rebond à destination de deux grandes directions : le continent nord-américain (les Etats-Unis et le Canada) et le sud de l’Europe, avec l’Espagne qui devient un pays de grande consommation des drogues de synthèse.

Je n’en dirai pas plus sur ce point en me contentant de répondre à vos questions. Sachez cependant que les difficultés dont je fais état ne sont pas insurmontables puisqu’un certain nombre d’initiatives ont déjà été couronnées de succès. Il faut savoir que, grâce à l’activité des services français, quatre laboratoires d’ecstasy ont été démantelés aux Etats-Unis, un laboratoire en Nouvelle-Zélande et un kitchen lab à Montpellier, et que d’autres affaires se préparent dans d’autres pays qui nous entourent à partir du travail de renseignement que nous avons fait et que nous communiquons à nos collègues.

J’en viens au troisième danger : le risque de regain du trafic et de la consommation d’héroïne.

Vous aurez également l’occasion d’entendre beaucoup de gens, surtout sur le secteur sanitaire et celui de la prévention, vous dire que la situation de l’héroïne, dans notre pays, tant en matière de consommation que de trafic, s’est plus ou moins stabilisée, voire régresse légèrement. C’est un acquis extrêmement positif de notre dispositif, d’autant plus qu’il n’est pas commun à tous les pays d’Europe. C’est donc un point qui mérite d’être souligné parce que la situation des drogues appelle souvent des critiques et des points négatifs.

Ce point positif est la résultante de la conjonction de différents facteurs qui relèvent, d’une part, de la réduction de la demande, des risques et de l’offre et, d’autre part, des possibilités de soins. Tous les champs thématiques ayant plus ou moins réussi dans leur domaine, le résultat final est plutôt positif, ce qui montre bien que c’est seulement à travers des approches simultanées et équilibrées que l’on peut arriver à traiter certains problèmes.

Je n’énumérerai pas ici en détail la liste des raisons qui font que la situation de l’héroïne a changé favorablement dans notre pays : le changement de comportement des toxicomanes, qui craignent les injections par voie intraveineuse à cause des maladies infectieuses, les campagnes de prévention, qui ont rendu quelques résultats, le placement des héroïnomanes sous traitement de substitution, notamment les opiacés de synthèse (Méthadone, Subutex, etc.) et le démantèlement successif des filières libanaises, tamoules, sri-lankaises, etc.

Tout cela concourt aujourd’hui à une situation relativement satisfaisante. Malheureusement, le risque de regain de consommation et de trafic est présent aujourd’hui, tout simplement, pour être bref, parce que les filières turques, qui sont les principaux fournisseurs de l’héroïne en Europe, sont toujours actives. Elles le sont particulièrement en Allemagne et elles peuvent à tout moment revenir vers nous avec leurs produits.

Il faut ajouter le fait que la route des Balkans continue d’être un grand pipe-line pour l’Europe de l’ouest quant à l’acheminement des drogues, dont l’héroïne, et que ce pipe-line peut servir à tout instant.

Vous avez enfin l’apparition et la montée en puissance des filières albanaises qui commencent à être polyvalentes, c’est-à-dire qui sont capables de vendre des drogues de synthèse et de la cocaïne, mais aussi, à plus forte raison, de l’héroïne, parce qu’elles sont situées à proximité de la Turquie, un pays qui reçoit de la morphine base, qui fabrique de l’héroïne de grande qualité et qui cherche des voies d’écoulement. Les Albanais sont un vecteur extrêmement intéressant à ce titre. La France, l’Italie et la Suisse commencent à être au coeur des débats et intéressent hautement ces réseaux albanais.

Enfin, deux autres éléments justifient nos craintes.

Le premier est la culture du pavot en Afghanistan, qui a été relancée en 2002. Les chiffres dont nous disposons actuellement font état d’estimations de l’ordre de 2 000 à 3 400 tonnes d’opium disponibles en 2002, ce qui signifie qu’à nouveau, le croissant d’or va produire énormément d’héroïne que les trafiquants devront écouler.

Le deuxième, c’est l’apparition de nouvelles formes de consommation d’héroïne. Alors que nos héroïnomanes traditionnels ont été prévenus, éduqués et placés sous Méthadone, il apparaît aujourd’hui de nouvelles formes de consommation et donc de nouveaux consommateurs. Vous avez ainsi des jeunes qui, dans les rave parties, se mettent à consommer de l’héroïne pour atténuer les effets stimulants des drogues de synthèse, pour "atterrir" après la consommation de ces drogues, et qui, en ce sens, créent un nouvel appel d’air en termes de demande et de consommation.

Voilà un aperçu des points qui font que le regain de la consommation et du trafic, malheureusement, doit être envisagé et doit être une priorité de notre action dès maintenant et pour les quelques années à venir pour prévenir l’acquis que nous avons devant nous mais qui est menacé.

J’en viens au trafic international de résine de cannabis, sur lequel j’essaierai d’être bref, sachant que vous aurez sans doute des questions à me poser sur ce point. On peut parler de trois niveaux de trafic sur ce produit.

Le premier est un trafic de niveau bas, qui est entre les mains des usagers-revendeurs, qui prend toutes sortes de formes et qui porte sur des petites quantités ou des quantités modestes.

Le deuxième est un trafic de haut niveau, que l’on peut qualifier de grand trafic et qui se fait à partir de l’Europe et de l’Espagne, essentiellement à partir des camions TIR. Ce sont des camions routiers qui, en une seule fois, sont capables d’importer dans notre pays ou d’y faire passer entre 500 kilos (ce qui est très peu) et plusieurs tonnes de cannabis (10 ou 20 tonnes, par exemple), en une seule fois.

Je ferai une réserve en ce qui concerne ce grand trafic international : notre pays est surtout un pays de rebond, de transit à destination du Royaume-Uni, qui est un très gros consommateur, et des Pays-Bas, ces derniers étant, malheureusement, un pays de redistribution, c’est-à-dire que la résine de cannabis qui traverse notre territoire peut aller aux Pays-Bas et nous revenir ensuite à raison de quantités de l’ordre de 100 à 500 kilos. Autrement dit, quand vous interceptez 10 tonnes qui montent aux Pays-Bas, vous aurez peut-être 5 tonnes qui vous reviendront ensuite de ce même pays à travers différents réseaux.

La troisième forme de trafic est la forme intermédiaire. C’est cette forme intermédiaire de trafic de résine de cannabis qui est, malheureusement, la plus dangereuse pour nous parce que les quantités sont très importantes (cela va de 100 à 700 ou 800 kilos) et parce qu’elle est entre les mains de personnes qui, en termes de sécurité intérieure et d’ordre public, posent énormément de problèmes. C’est ce qu’on appelle les "go fast", pour employer un jargon particulier, c’est-à-dire les voitures rapides qui remontent la résine en direction de nos villes.

Aujourd’hui, dans notre pays, à Mulhouse, Strasbourg, Lyon, Marseille, sur l’étang de Berre, à Carpentras, Avignon, Bordeaux et dans la région parisienne (le 92, le 93, etc.), vous avez des équipes constituées de cinq, six ou sept individus qui utilisent des voitures généralement volées et faussement plaquées, qui descendent dans le sud de l’Espagne et qui remettent les clés des voitures volées et faussement plaquées à des trafiquants établis à Marbella ou à Malaga. Ceux-ci les chargent de résine, remettent les clés à leur tour et tout le monde remonte de nuit, à grande vitesse, pour livrer la résine, qui dans le 92, qui dans le 93, qui à Lyon, qui à Vénissieux, qui à l’étang de Berre, qui à Avignon, qui à Carpentras, etc.

Dans le document que je laisserai à votre secrétariat, vous trouverez un peu plus de détails que ce que j’essaie de développer ici globalement, mais le modus operandi de ces équipes est aujourd’hui bien connu : ce sont des gens qui roulent en convoi selon une formation préétablie, qui utilisent trois à cinq voitures, dont certaines sont volées et faussement immatriculées, qui ont des liaisons téléphoniques permanentes entre eux, qui roulent à très grande vitesse (ce qui pose toutes sortes de difficultés pour les suivre et les repérer) et qui empruntent l’autoroute à partir de la frontière franco-espagnole. Ils ont, en tête du convoi, une ou deux voitures ouvreuses qui sont là pour détecter d’éventuels barrages des douanes ou de la police dans le cadre de contrôles routiers destinés à contrôler les excès de vitesse ou l’alcoolémie et, derrière, des voitures porteuses, que l’on appelle aussi des voitures mères, qui sont des 4 x 4, des breaks et de grosses berlines qui sont chargées de résine de cannabis.

A la différence du trafic de niveau bas ou du grand trafic, dans lequel on utilise la ruse et la dissimulation pour importer les produits, il n’y a aucune dissimulation : la marchandise est livrée en vrac dans le coffre, sur les banquettes arrière de voitures et parfois même sur le siège avant du passager.

J’utilise toujours cette formule : si nous pouvions rouler plus vite qu’eux, ce qui paraît difficile, si nous pouvions par exemple doubler une grosse Mercedes 500 qui roule à 205 ou 207 km/h sur l’autoroute, nous pourrions sans doute apercevoir les ballots de hachisch sur la banquette arrière. Cela veut dire que, par avance, ces organisations acceptent les confrontations avec les gendarmes et les douaniers qui peuvent faire des barrages au hasard sur l’autoroute. C’est accepté et pris en compte. Il s’agit donc de remontées de résine de cannabis qui se font "à force ouverte", sans dissimulation ni ruse. On prend le risque et on l’intègre dans la technique.

J’aurai à votre disposition un petit album photos qui vous donnera des éclaircissements. Elles ont été prises dans le cadre de l’une des affaires qui ont été réussies récemment. Vous verrez ainsi qu’il faut intercepter en force ces véhicules. C’est un phénomène qui se généralise.

Pourquoi ce phénomène est-il plus important que le trafic de niveau bas ou le grand trafic ? Pour plusieurs raisons.

La première s’explique par son vecteur et son modus operandi : il se fait à force ouverte, c’est-à-dire qu’il s’affiche très clairement contre la loi et ses représentants. C’est donc une forme de trafic qui doit appeler une réponse.

Deuxièmement, les groupes qui réussissent dans ce trafic sont des groupes émergeants, de nouveaux malfaiteurs violents, actifs et très organisés, qui gagnent beaucoup d’argent et qui sont certainement le noyau dur de la criminalité de demain. Ils feront partie, demain, de ce qu’on appelle le grand banditisme français.

Troisièmement, cette forme de trafic est celle qui contribue le plus à l’économie souterraine des cités. Ce sont eux qui alimentent les cités en flux tendu et cela part ensuite dans les petits réseaux, le deal de quartier et les semi-grossistes, jusqu’à aboutir aux ventes de barrettes dans les cages d’escalier.

Au départ, ce qui amène la résine, ce n’est pas le gros camion TIR avec ses 10 tonnes, ni le garçon qui arrive à faire passer 40 kilos de résine cachés sous la banquette de son camping-car en revenant du Maroc. Ce qui alimente essentiellement le grand trafic des cités, ce sont les go fast, ces voitures rapides, ainsi que le positionnement de malfaiteurs français qui servent de relais à Marbella et Malaga. C’est cette forme qui nous menace le plus.

Quatrièmement, ces importations sont massives : les équipes remontent 150 à 700 kilos tous les mois en flux tendu, rendent donc le produit fortement disponible, permettent de garder des prix à un niveau relativement bas et contribuent ainsi à faciliter l’usage. L’offre étant extrêmement ouverte, l’usage est facile.

Voilà ce que je voulais vous dire sur ces go fast et ce trafic.

Je vous ai ainsi décrit les quatre menaces qui se présentent à nous tout de suite et à propos desquelles il faudrait s’organiser pour mieux répliquer et mieux endiguer ces flux.

De ce point de vue, vous aurez aisément compris que notre coopération avec l’Espagne est primordiale. Je tiens à dire qu’à cet égard, elle est excellente : nos collègues espagnols travaillent très bien et nous nous entendons bien avec eux. Elle a cependant besoin d’être encore renforcée compte tenu des enjeux que cela représente pour les cités, les élus locaux, les familles, les parents, etc.

Je tiens maintenant à vous dire un mot sur les statistiques nationales, qui sont aussi un indicateur quant aux résultats du dispositif. Je serai très bref à cet égard puisque je vous ai remis le document national et que je vais vous adresser sous trois semaines les chiffres 2002.

Vous aurez vu que nous avons 86 000 faits constatés, 53 000 saisies et plus de 80 000 personnes interpellées pour trafic de stupéfiants tous les ans, qu’il est effectué une ventilation entre les usagers simples, les revendeurs, le trafic local et le trafic international, qui font sans doute naître beaucoup de questions et de problématiques mais à propos desquels les choses sont relativement claires.

Au total, plus de 60 tonnes de produits stupéfiants sont saisies tous les ans en France, l’essentiel étant le la résine de cannabis, qui représente environ 58 tonnes, mais j’attire quand même votre attention sur les saisies des 350 kilosd’héroïne, des 2 tonnes de cocaïne, des 1,5 millions de pilules d’ecstasy (c’est vous dire combien il doit en circuler) et des 58 kilos de diverses amphétamines, métamphétamines et drogues de synthèse.

Tous ces chiffres seront à la hausse en 2002. Il apparaît d’ailleurs que cette année 2002 est assez bonne pour les services répressifs, une année de reprise très nette avec des résultats qui ne sont pas négligeables en matière de lutte contre les trafiquants et la circulation des produits.

Je ne peux pas vous les communiquer ici tout de suite, mais les tendances sont toutes à la hausse, qu’il s’agisse des interpellations ou des produits stupéfiants.

J’insiste sur un point : les sommes d’argent qui ont été saisies en 2001 (je ne parle que de numéraire et non pas des voitures ni des biens mobiliers ou immobiliers) ont représenté environ 33 millions de francs (je ne suis pas encore rompu à la pratique de l’euro). En 2002, la somme sera beaucoup plus importante : à mon avis, on dépassera les 40 millions de francs.

J’en profite pour vous parler du fonds de concours qui a été mis en place il y a quelques années, que ces saisies doivent normalement abonder et qui permet une répartition d’une partie de ces sommes au profit des services qui luttent contre le trafic des stupéfiants. Ce fonds de concours ne fonctionne toujours pas dans des conditions satisfaisantes. L’évaluation de ce mécanisme devrait être envisagée, de même que l’impact des dernières circulaires "justice" et "finances" qui faisaient suite aux travaux de la MILDT et qui étaient destinées à rendre le fonctionnement du fonds plus efficient.

Je crois savoir que le fonds reçoit environ 80 000 euros par an, ce qui est tout à fait dérisoire par rapport au simple numéraire, sans tenir compte du reste qui est saisi chaque année. Ce fonds ne fonctionne pas bien et il mériterait que quelqu’un y prête attention et qu’on améliore son fonctionnement.

C’est très important pour les enquêteurs des douanes, de la gendarmerie et de la police ainsi que pour la justice. C’est un élément de motivation, car on a ainsi le sentiment que l’on prend quelque chose aux trafiquants et que notre travail n’est pas une petite cuiller dans un océan. Les services y sont psychologiquement très attachés.

Je voudrais maintenant aborder avec vous, sans être exhaustif, quelques difficultés purement pratiques, en excluant volontairement les grands débats de fond qui feront peut-être l’objet de vos questions.

Première difficulté : les possibilités d’anonymat de la téléphonie mobile. Elles constituent un obstacle extrêmement important à nos enquêtes, de même que les difficultés que nous avons à obtenir auprès des opérateurs de téléphonie les facturations détaillées dans des délais de temps compatibles avec les nécessités d’une enquête.

L’honnêteté me commande de vous dire que ce problème n’est pas propre à la France : tous les pays d’Europe sont dans la même situation et nos opérateurs de téléphonie mobile ne doivent pas être critiqués trop rapidement parce que le nombre de demandes qui leur tombent sur la tête est extrêmement important. Cela dit, cela pose un problème.

Il faut savoir que tous les trafiquants de stupéfiants, aujourd’hui, depuis le petit jusqu’au plus grand, utilisent les cartes prépayées, qui sont source d’anonymat et qui empêchent toute identification. Vous pouvez avoir un informateur qui vous donne une information capitale, notamment le numéro de téléphone de telle personne, mais cela ne vous permet pas de savoir qui se cache derrière la carte prépayée et la facturation que vous allez obtenir, au mieux, dans les quatre semaines qui suivent, ne vous permettra pas une exploitation rapide : en quatre semaines, letéléphone aura changé, la carte prépayée aura été jetée après une importation de résine et sera échangée par une autre. Par conséquent, on court toujours après les cartes prépayées.

Ce n’est pas un problème propre à la France, il ne peut sans doute être réglé qu’au niveau européen et sa connotation commerciale pour nos opérateurs téléphoniques mérite d’être prise en considération, mais cela explique pourquoi on piétine parfois dans les enquêtes.

La deuxième difficulté, c’est l’interpellation, dans les aéroports, des simples passeurs de cocaïne, ceux qui viennent avec les boulettes ingérées, qui transportent à corps 600 ou 700 grammes à travers des boulettes. On roule la cocaïne dans des préservatifs, on la compacte selon un procédé particulier, on avale trente, quarante ou cinquante boulettes et on se présente à l’aéroport de Roissy pour emmener ces boulettes jusqu’à Barcelone. Cela entraîne de temps en temps des incidents graves : si une boulette s’ouvre, on se retrouve dans le coma et en réanimation.

A cet égard, le système français se trouve à la veille de difficultés, même si elles ne sont pas insurmontables. En effet, nous sommes face au dilemme suivant : d’un côté, il nous faut interpeller ces passeurs aux aéroports ; si nous les laissons venir impunément dans notre pays, cela créera un appel d’air, les flux ne feront que s’accroître et il nous faut donc limiter et contrôler ces flux ; d’un autre côté, nous ne pouvons pas engager toutes nos forces pour lutter contre ces passeurs. En effet, tandis qu’un passeur arrive avec 600 ou 700 grammes, cela n’empêche pas un clan lyonnais ou marseillais d’importer 400 kilos par voilier. Il faut donc équilibrer nos forces et penser à la stratégie par rapport aux passeurs avec leurs boulettes et leurs 600 grammes et aux gros trafiquants qui importent massivement par camion et bateau. Si nous mettons tout sur les passeurs aux aéroports, nous laissons entrer dans notre dos des quantités beaucoup plus importantes.

Il ne faut donc pas obérer la possibilité de notre dispositif mais lutter contre ces passeurs. Il faut donc trouver une balance dans notre action qui, à mon avis, n’est pas encore tout à fait au point.

Je pense que nous sommes à la veille de difficultés parce que, partout, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne et en Espagne, c’est le déluge des passeurs avec leurs boulettes ingérées. J’ai pris un exemple pour alimenter ce sujet, mais, encore une fois, la documentation et les questions m’amèneront peut-être à y revenir. Sachez donc que l’aéroport de Roissy représente environ 150 à 200 affaires par an, ce qui est énorme pour nous : c’est l’Office central des stupéfiants qui les traite et cela monopolise énormément de gens pour faire le traitement judiciaire de ces affaires : faire quatre jours de garde à vue, emmener les personnes à Cuzco, les ramener, porter lesprocédures... Cela monopolise énormément d’énergie, de personnel et de temps de travail. Pendant que l’on fait cela, on ne fait pas autre chose.

Cependant, il faut comparer cela avec ce qui se passe à l’aéroport de Schiphol, l’aéroport international d’Amsterdam, aux Pays-Bas. Alors qu’il y a un peu moins de 200 cas à Roissy, qui est un aéroport conséquent, c’est le déluge à Schiphol : 800 passeurs interpellés en 2000, 1 233 en 2001 et 1 265 en 2002 ! La situation est identique à Heathrow et suit la même ligne en Allemagne et en Espagne.

Il est donc vraisemblable que nous sommes, dans notre malheur, dans une situation privilégiée par rapport aux autres aéroports, mais c’est ce qui explique aussi que les filières boliviennes de Santa-Cruz, par exemple, s’intéressent énormément à l’aéroport de Roissy parce qu’elles sont moins durement frappées qu’à Heathrow ou Schiphol.

Cela veut dire que, lorsque les aéroports européens qui nous entourent seront saturés, c’est aux aéroports de Roissy et d’Orly que cela arrivera plus fort. Il faut donc, dès maintenant, commencer à y penser et nous organiser. Sinon, nous serons obligés de faire comme nos collègues hollandais. Comment se sont-ils organisés ? Ils ont simplifié les procédures pour les passeurs en transit sur des petites quantités (je regrette d’employer le mot "petite quantité" pour 600 grammes) et mis en place des task forces police/douane dans les aéroports pour éponger ces affaires au plus vite.

Il s’avère même que le système ne suffit toujours pas et que les autorités judiciaires hollandaises envisagent de renvoyer purement et simplement les passeurs chez eux avec une espèce de système de condamnation par contumace et une mention sur le passeport précisant que, s’ils reviennent aux Pays-Bas, ils purgeront une peine de prison à cet instant.

Je ne sais pas s’il faut en arriver là ; je ne le pense pas. Je crois encore au système judiciaire et au principe de la sanction pénale, mais il faut s’organiser et changer les choses. Il y a des pistes pour le faire et il faut simplifier les procédures pour les simples transits. Je prends l’exemple de la dame bolivienne qui arrive en France avec une passeport tout neuf que lui ont fait les trafiquants, qui ne connaît pas la France, qui n’a pas vocation à la connaître et qui est en transit pour aller à Barcelone. Quand elle est contrôlée avec des boulettes de cocaïne ingérées, il faut lui appliquer des procédures judiciaires simplifiées. Il n’est pas forcément utile de recourir aux commissions rogatoires, ni de faire des commissions rogatoires internationales. Le coût économique et l’énergie dépensée dans ces affaires sont complètement disproportionnés par rapport à l’intérêt qu’on en retire en termes de lutte contre le trafic et d’amélioration de la situation des drogues en France. Il faut améliorer ces procédures et les simplifier.

Par ailleurs, nos camarades britanniques et hollandais ont développé, en amont des aéroports, des opérations qui sont rentables. Je vais vous citer un exemple qui concerne une filière venant de la Jamaïque et qui correspond à un fait récent. La Jamaïque compte deux aéroports internationaux : Montego Bay et Kingston. De ces deux aéroports, partaient des dizaines de passeurs à destination d’Heathrow qui étaient en train de saturer le système douanier, policier et judiciaire britannique. Lorsque la filière a été clairement identifiée, les autorités britanniques se sont rapprochées des autorités jamaïquaines qui, pendant, une semaines, ont conduit des opérations dans les deux aéroports.

Les résultats sont sans commentaires : une seule action pendant une semaine a permis, sur les deux aéroports jamaïquains, l’interpellation de 59 passeurs arrêtés à la Jamaïque à la place de 59 passeurs, peut-être, arrêtés à Heathrow, poursuivis en Grande-Bretagne et incarcérés dans le cadre du régime pénitentiaire de Grande-Bretagne. Ces 59 passeurs arrêtés ont permis la récupération de 2 500 boulettes de cocaïne, ce qui représentait 53 kilos, et permis la saisie de 929 000 dollars US.

Beaucoup plus intéressant : au terme de cette opération, le relais médiatique qui a été fait par l’ambassade de Grande-Bretagne, sur place, et par la police jamaïquaine a permis de constater que, la même semaine des opérations, cent personnes qui étaient pourtant dûment enregistrées sur les vols à destination d’Heathrow avaient annulé leur vol. Ils ont pris 59 passeurs et 100 passeurs ont sans doute renoncé à venir.

Cette opération est rentable et efficace car elle évite la saturation du système judiciaire et les coûts pénitentiaires qui s’ensuivent. C’est ce type d’opération qu’il faut développer au plus tôt pour éviter d’être contraint de faire dans l’urgence des choses moins efficaces. Il faut se préparer.

Je me permets de terminer par un mot sur les Antilles, où constate une certaine carence dans le dispositif répressif français qui est en voie d’être améliorée. Depuis un an, un groupe de travail a été mis en place entre la police, la gendarmerie et la douane, sous l’auspice de nos directeurs généraux respectifs, et un nouveau dispositif qui se prépare a reçu l’agrément des trois parties. Par conséquent, la situation sur les Antilles, qui sont un enjeu stratégique, est en train de s’améliorer.

J’en ai terminé. Pardonnez-moi d’avoir été un peu long.

Mme la Présidente - Monsieur le Commissaire, vous n’avez pas été long, parce que tout ce que vous avez dit nous a particulièrement interpellés. Je dirai même que c’était hallucinant. Je donne tout de suite la parole à M. le Rapporteur.

M. Bernard PLASAIT, Rapporteur - Monsieur le Commissaire, j’aurai des questions que je vous ferai passer par écrit et qui concernent des compléments en matière de statistiques.

Après cet exposé très impressionnant que vous venez de nous faire sur le trafic, la question que je souhaite vous poser est très simple : la solution n’est-elle pas de libéraliser, de dépénaliser et de mettre un certain nombre de drogues, notamment le cannabis, en vente libre ? Cela ne supprimera-t-il pas le trafic ?

M. Bernard PETIT - C’est une question terrible. Je voudrais jouer mon joker... (Rires.) Permettez-moi de répondre à la fois en tant que chef de l’Office, mais aussi en tant que simple individu qui est impliqué dans la lutte contre les stupéfiants depuis 1977.

Je pense tout d’abord que la libéralisation et la dépénalisation — les mots ont leur sens — n’ont pas la même signification. Il faut être très précis à ce sujet.

Ensuite, il y a le trafic et l’usage. Pour ma part, je pense que la dépénalisation de l’usage n’est pas la solution. Je le dis avec modestie en étant prêt à écouter tout le monde sur cette question ; je n’ai pas une religion "bétonnée" sur ce point et je suis ouvert, mais je pense quand même avoir des idées claires depuis 1977. A mon avis, c’est une fausse solution.

Prenez l’exemple des excès de vitesse. Ce n’est certainement pas le cas des personnes autour de cette table, mais, en ce qui me concerne, il m’est arrivé de faire des excès de vitesse. Je suis pour la campagne qui est menée aujourd’hui sur le respect du code de la route et je suis pour l’aggravation des sanctions. C’est une balise sur le chemin de la vie, cela m’est utile, je suis content que ce soit une interdiction et je risque un jour d’être sanctionné, tout commissaire de police que je suis.

Concernant l’usage des stupéfiants, c’est un peu la même chose. J’ai aussi des enfants et j’aimerais qu’il y ait des balises et des interdits le long de leur vie. En revanche, je souhaiterais que, lorsqu’il y a un petit écart en dehors des balises, on n’exclut pas définitivement du jeu les gens qui ont fait cet écart, de même que pour les excès de vitesse (et je parle en tant que conducteur).

C’est pourquoi la loi mériterait peut-être d’être revue pour mieux adapter le quantum et la nature des peines quant à l’usage des stupéfiants, mais, personnellement, je suis attaché à l’interdit pénal, avec le souhait, encore une fois, que le quantum et la nature des peines soient mieux adaptés et mieux profilés à la situation des usagers. L’interdit pénal est utile.

Quant au plan purement professionnel, je peux vous dire que vous compliqueriez beaucoup notre travail si l’usage était autorisé ou toléré, selon le degré d’intervention que vous souhaitez, car cela voudrait dire que l’usager a le droit d’acquérir un produit, donc que quelqu’un a le droit de le lui offrir et que quelqu’un a le droit de le vendre. Dans ce cas, que va-t-il se passer avec les pays producteurs ?

Dans cette chaîne de la production jusqu’à l’usage, si vous dépénalisez ou libéralisez, vous allez nous demander d’intervenir à un instant t qui est très difficile à identifier. Cela compliquera énormément le travail et posera beaucoup de problèmes. Les choses ont besoin d’un minimum de simplicité pour fonctionner.

M. le Rapporteur - Je vous remercie de la simplicité et de la force de vos propos.

Je voudrais par ailleurs vous demander si l’OCRTIS intervient dans la mise en place des GIR et quelle est votre coordination avec la MILAD.

M. Bernard PETIT - Nous intervenons non pas dans la mise en place des GIR mais, assez régulièrement, avec eux. Nous avons actuellement deux affaires de trafic de stupéfiants avec des GIR, notamment pour ces affaires de go fast, c’est-à-dire ces remontées de résine de cannabis par véhicule depuis l’Espagne pour alimenter les cités. En effet, l’Office central des stupéfiants a des antennes à travers les officiers de liaison français en poste en Espagne. Ce sont nos yeux et nos oreilles avancées dans le dispositif et ils sont extrêmement précieux pour les GIR.

Nous aidons les GIR avec des équipes de surveillance, avec nos yeux et nos oreilles à l’étranger et aussi avec des moyens techniques dont nous disposons. Nous leur apportons une assistance technique et un peu de conseils pour l’étranger et nous travaillons en commun. Actuellement, des surveillances sont faites avec des équipages des GIR 93 et 94 et l’Office central des stupéfiants.

Je réponds maintenant à votre question sur nos relations avec la MILAD. La Mission de lutte anti-drogue du ministère de l’intérieur n’a pas de vocation opérationnelle ; elle ne touche pas à l’opérationnel. L’Office central, si vous lisez le décret interministériel du 3 août 1953, signé par la défense, la douane, la police et la justice, centralise le renseignement opérationnel, l’analyse et coordonne des actions opérationnelles contre le trafic. La nature de nos activités est donc différente.

La MILAD a un champ qui touche la prévention jusqu’à la répression alors que l’Office central des stupéfiants, heureusement, ne s’intéresse qu’à la répression du trafic. Nous avons donc des caractéristiques très différentes.

Cependant, la symbiose entre la MILAD et l’OCRTIS est très forte. Quand la MILAD a besoin de chiffres et de descriptions et de forger son idée sur l’état du trafic, c’est l’Office central des stupéfiants qui fournit les chiffres, les tendances, les écrits et tous les documents. Il n’y a pas de jour où je n’ai pas Michel Bouchet, le chef de la MILAD, une ou deux fois au téléphone pour demander des chiffres, une appréciation, une évaluation ou une participation à une réunion qu’il organise.

Nous n’avons pas le même champ et les mêmes activités, mais les liens sont très forts.

M. le Rapporteur - Dernière question : y a-t-il une idée de réponse aux problèmes du go fast ?

M. Bernard PETIT - Oui. Nous organisons régulièrement des bureaux de liaison entre les unités spécialisées des "stups" de toute la France, et nous avons mis au point une stratégie pour mieux lutter contre les go fast. Elle commence à produire quelques résultats : vous lirez prochainement dans la presse qu’une très grosse affaire portant sur 600 ou 700 kilos de résine saisis sur des voitures qui remontaient a été réussie à Lyon.

Nous nous organisons davantage. Le vrai problème des go fast, c’est l’interception matérielle de ces véhicules sans mettre en danger la vie des usagers des autoroutes. Si, demain, alors que vous faites votre plein à 3 heures du matin sur l’autoroute, vous voyez arriver quatre go fast à vos côtés et que la police commence à tirer au fusil à pompe, vous ne serez pas content, ce qui est normal. Les sociétés autoroutières nous demandent aussi d’intervenir légèrement.

Nous avons développé certaines stratégies et je peux en dire plus si vous le souhaitez, mais elles sont extrêmement vitales pour nous et notre activité.

Mme la Présidente - Merci, monsieur le Commissaire. M’ont demandé la parole Mme Papon, M. Barbier, Mme Demessine et Mme André.

Mme Monique PAPON - J’avais deux questions à poser à M. le Commissaire, qui a répondu à la première. Je voulais en effet l’interroger sur le trafic à force ouverte et il vient de répondre sur ce point à M. le Rapporteur.

Monsieur le Commissaire, après l’exposé que vous venez de faire, on comprend pourquoi l’action opérationnelle de l’OCRTIS doit s’appuyer sur une très large coopération internationale et sur des organes institutionnels ; je pense ici à Europol. Si je vous en parle, c’est parce que, lors d’un déplacement récent que nous avons fait dans le nord, l’un des intervenants que nous avons auditionnés a été très sévère sur l’efficacité d’Europol. Je voulais donc vous demander ce que vous en pensiez.

M. Gilbert BARBIER - Ma question va dans le prolongement de ce que vous avez dit, monsieur le Commissaire. En effet, vous n’avez pas cité le nom du Maroc ni celui de la Turquie, mais quelle action pourrait-elle être envisagée vis-à-vis de ces pays producteurs ou de ces filières ? S’agit-il de problèmes politiques et de relations internationales qui vous gênent pour intervenir ou y a-t-il une coopération avec les services de police ? Vous avez parlé de l’Espagne, mais on sait bien que le produit n’est pas cultivé en Espagne mais au Maroc.

Enfin, on accuse beaucoup les pays étrangers, mais vous n’avez pas cité ce qui peut se passer à l’intérieur de nos frontières.

Mme Michelle DEMESSINE - Je voudrais revenir sur la question des drogues de synthèse, que l’on aborde plus difficilement parce qu’elle est plutôt nouvelle. Je vous demande donc de confirmer si mon regard à ce sujet est juste ou non.

Peut-on dire tout d’abord que les drogues de synthèse ne concernent pas forcément les mêmes consommateurs ? En fait, on ne connaît pas grand-chose sur la diffusion de ces drogues. Sont-elles essentiellement diffusées dans les dancings, au cours des rave parties, ou le sont-elles également dans les quartiers et les cités ? S’agit-il des mêmes réseaux de diffusion que le cannabis ? Je n’en suis pas sûre. En tout cas, cela ne se voit pas tellement. De même, est-il vrai ou non que ce ne sont pas les mêmes consommateurs ?

Il semble, d’après les témoignages que nous avons dans le Nord, que ces drogues sont diffusées dans la région du Nord, surtout à la frontière belge, dans les méga-dancings qui ne cessent de fleurir et qui sont des structures énormes : on nous a annoncé des structures de 5 000 personnes ! Ce sont donc des lieux de diffusion très importants. J’ai en même temps découvert que ces méga-dancings fonctionnaient comme les rave parties, c’est-à-dire qu’ils avaient des horaires d’ouverture exponentiels avec les afters.

Ma question est donc la suivante : y a-t-il un réel lien entre la drogue de synthèse et la musique ? Vous avez parlé tout à l’heure des grands trafiquants, et non pas seulement des petits laboratoires, en précisant qu’il s’agit d’un grand trafic international qui est dirigé. Je voudrais donc savoir s’il y a un lien entre le trafic des drogues de synthèse et la musique. Ce sont des questions qui ont été approchées et sur lesquelles on n’a jamais été plus loin.

Mon deuxième groupe de questions concerne le trafic de cannabis. J’avais en tête, il y a sept ou huit ans, que les grandes cités de la région parisienne allaient s’approvisionner aux Pays-Bas, d’une façon générale, notamment par des trafics de fourmis. Je vois que c’est en train de changer avec ces nouveaux phénomènes. Cela veut-il dire que les cités de la région parisienne ne vont plus se réapprovisionner aux Pays-Bas mais vont directement en Espagne ? Dans ce cas, pourquoi cela a-t-il changé ? Il y a des éléments nouveaux dans le trafic qui devraient nous expliquer beaucoup d’autres choses.

Mme Michèle ANDRÉ - Ma question porte sur le problème des passeurs qui ingèrent les boulettes. Vous avez dit que la situation risquait d’être très difficile pour la France et qu’elle ne l’est pas encore tout à fait. J’ai une question simple : parmi tout ce qu’il faut vérifier aujourd’hui lorsqu’un citoyen ordinaire prend un avion, comment pouvez-vous repérer les contrevenants ?

Je me demande si, bientôt, le citoyen ordinaire ne devra pas passer un scanner pour monter dans un avion. J’ai vu dans certains pays d’Amérique latine la manière dont on travaillait sur les valises et on peut imaginer de nombreux contrôles, mais comment est-ce faisable (si vous pouvez le dire, bien entendu) et à quel moment pensez-vous que ce n’est pas sur ce front qu’il faut vraiment se battre mais sur d’autres beaucoup plus difficiles ?

Mme la Présidente - Monsieur le Commissaire, je vous donne volontiers la parole pour répondre à cette série de questions.

M. Bernard PETIT - Je vais commencer par Europol. C’est un débat qui n’est pas porté sur la place publique, mais il est réel. Ma position concernant Europol, c’est qu’on est sévère avec cet organisme de façon certainement injuste.

Europol ne nous apporte pas encore d’informations qui tomberaient du ciel sur l’état du trafic dans notre pays, mais est-ce bien son rôle ? En revanche, en qualité de praticien, il nous permet de faire des rapprochements que nous ne serions pas capables de faire tout seuls, isolément.

J’essaie de ne pas rompre le secret de l’instruction judiciaire, mais nous avons actuellement une très grosse affaire en France au titre de laquelle une très grosse quantité de cocaïne, d’héroïne et de résine a été saisie simultanément, les trois produits ayant été découverts en même temps. Nous avons tout fait pour identifier les gens qui sont à l’origine de ce trafic et nous avons mené une véritable enquête criminelle : relevé des traces papillaires, enquête de voisinage, examen de la téléphonie mobile quinze jours avant la découverte et quinze jours après, épluchage de toutes les factures, retour au jour de la découverte pour voir si les gens qui étaient de passage n’étaient là que le jour en question, etc. Nous avons aussi sondé les étangs en pensant qu’il y avait eu un règlement de compte et un cambriolage sur un trafic... Il a été fait un travail d’enfer qui ne nous a pas permis d’avancer beaucoup.

Finalement, nous avons donné tout cela a Europol en lui demandant ce qu’il pouvait nous apporter. C’est ainsi qu’Europol nous a répondu qu’il y avait deux pistes intéressantes en précisant que, dans les vérifications que nous faisions, l’une d’elles recoupait une vérification en Allemagne (nous l’avons exploitée et cela n’a finalement rien donné) et, surtout, en nous disant que le conditionnement des produits rappelait étrangement une grosse saisie en Belgique puisqu’il s’agissait exactement des mêmes pains et des mêmes sigles.

Nous nous sommes donc rapprochés des Belges, qui nous ont dit que, dans ce qu’ils avaient trouvé, il manquait quelque chose parce qu’il y avait la place pour environ 100 kilos. Il se trouve que c’étaient les nôtres.

Cela a pu se faire grâce à Europol. Je prends cet exemple, mais je pourrais en prendre d’autres. Il est vrai qu’Europol, pour certains collègues, devait être le FBI européen et nous apporter beaucoup plus de choses. En fait, Europol ne peut vous apporter que ce que vous lui donnez. Si vous ne l’alimentez pas en informations, il peut pas faire les recoupements et les rapprochements. Il y a donc aussi, chez mes collègues, une part d’éducation à acquérir et de travail à faire : il faut savoir donner pour recevoir.

C’est la même chose pour les offices centraux au sein de notre territoire. Si on ne donne pas d’informations à l’Office central des stupéfiants, celui-ci ne peut pas rappeler ses interlocuteurs en leur disant : "les pains de cocaïne que tu as trouvés à Bayonne sont les mêmes que ceux que nous avons trouvés à Lyon et, à Lyon, nous savons de qui ils viennent."

Il faut donner pour recevoir et je pense qu’Europol, par certains côtés, est mal approché dans son activité et son travail. J’ajoute qu’il s’agit d’une institution jeune et que, comme nous, elle rencontre beaucoup de difficultés.

La deuxième question concernait le Maroc et la Turquie. Cette question porte en fait sa propre réponse. L’honnêteté me pousse à dire que 85 %, voire 90 % de la résine de cannabis interceptée dans tous les pays d’Europe provient du Maroc. C’est le Maroc qui est le grand producteur de résine de cannabis pour toute l’Europe. Cela représente environ 2 000 tonnes de résine produite au Maroc — certains vont jusqu’à 3 000 tonnes — et les autorités marocaines n’en reconnaissent que 1 750. C’est énorme.

On en saisi environ 600 à 700 tonnes en Europe et 1 000 tonnes s’évaporent donc et passent à travers tous les filtres. Effectivement, le Maroc est un problème au regard du trafic de résine de cannabis.

Cela dit, il faut être très pragmatique. Nous avons besoin d’une action soutenue vis-à-vis du Maroc sans vouloir forcément obtenir de ce pays qu’il éradique ses cultures. J’ai pris à dessein, au début de mon intervention, l’exemple de la Colombie, de la Bolivie et du Pérou, pays dans lesquels, malgré l’aide américaine, avec un plan américain de plusieurs millions de dollars et des segments militaires, des avions, des défoliants, des commandos au sol, des interceptions à partir d’images par satellite, c’est-à-dire une armada de moyens digne d’une véritable guerre, on n’arrive pas à éradiquer les cultures.

Je pense que, vis-à-vis du Maroc, il faut à la fois être pragmatique et modeste si on veut engranger des résultats. A tout vouloir, on n’a rien. Aujourd’hui, on a besoin d’actions diplomatiques et de plus de coopération opérationnelle. Si on attaque bille en tête sur l’éradication des cultures et les grandes enquêtes internes au Maroc, on risque de se heurter à des difficultés.

En revanche, on devrait demander tout de suite aux Marocains de nous aider dans nos enquêtes de façon plus opérationnelle et plus souple, pour que nous en revenions à une coopération policière normale. Ensuite, que les Marocains fassent le ménage chez eux ou non, nous n’en sommes pas là.

Pour fixer le problème et bien peser la situation, sachez que 1 750 tonnes sont reconnues officiellement par le Maroc alors qu’il y en a 2 000 et plus en réalité, et que 700 tonnes ont été saisies pour toute l’Europe alors que, dans le même temps, au Maroc, on en saisit 80 tonnes au départ. Il y a donc un effort à faire côté marocain.

Encore une fois, je suis pragmatique et je veux engranger des résultats. Si on veut gagner, il faut faire des choses étape par étape. Si on attaque bille en tête sur l’éradication des cultures alors qu’on sait bien qu’on n’a pas réussi à éradiquer la cocaïne dans trois pays, ni les cultures de pavot en Afghanistan, malgré la présence des troupes anglaises et américaines, on va droit à l’échec. Il faut engranger des résultats pour mieux avancer et cerner le problème. Il faut absolument que les Marocains coopèrent policièrement parlant, comme le font la plupart des Etats. Il faut qu’ils acceptent les livraisons surveillées, qu’ils nous permettent de vérifier des téléphones, des adresses, etc., et il ne faut pas aller trop vite pour ne pas brusquer les choses.

Quant à la Turquie, les choses sont plus compliquées parce que c’est le pays des laboratoires et de la fabrication de l’héroïne à partir de la morphine base qui arrive d’Iran et d’Afghanistan. Les Turcs font énormément de saisies et de travail, mais on a du mal à percer pour obtenir une coopération opérationnelle efficace. Il faut être d’une modestie absolue dans ce cadre.

Vous avez également demandé, monsieur le Sénateur, ce qui se passe à l’intérieur de nos frontières. Il se passe que l’on ne fabrique pas ou plus de drogue dans notre pays, si bien qu’on est déjà limité en matière de production.

On a fabriqué de l’héroïne dans les laboratoires marseillais et la French Connexion, mais c’est en voie de disparition et si, de temps en temps, il y a une résurgence, elle est éradiquée quasiment immédiatement ou très peu de temps après. Par conséquent, ce n’est pas un problème majeur.

En ce qui concerne le cannabis, on n’en produit pratiquement pas en France, sinon pour un usage immédiat, ce qui n’a pas un grand impact.

Quant aux drogues de synthèse, il faut être vigilant, parce que le savoir-faire qui nous vient des Pays-Bas s’exporte. Nous avons découvert récemment, à Montpellier, ce qu’on appelle un kitchen lab, un laboratoire de cuisine, avec des jeunes qui ont les produits, les précurseurs chimiques, etc. et qui s’essaient à fabriquer de l’ecstasy. Nous avons coupé l’herbe sous le pied à ces jeunes, mais l’existence de ce petit kitchen lab à Montpellier et d’autres affaires qui vont peut-être arriver prouvent qu’il y a des velléités d’ouvrir des petits laboratoires, ça et là, pour être au plus près de la consommation.

J’ajoute que d’autres pays d’Europe vont malheureusement se réveiller avec de petites unités de fabrication. Je pense en particulier à l’Espagne.

Par conséquent, à l’intérieur de nos frontières, on a surtout la consommation et le trafic, sachant que, pour ce qui concerne la production et le grand trafic international, en dehors de la cocaïne, avec le crime organisé français, nous sommes un peu chanceux dans la position qui est la nôtre.

Mme la Présidente - Je ne veux pas être désobligeante, monsieur le Commissaire, parce que nous pourrions vous écouter des heures entières tellement ce que vous nous dites est passionnant tout en étant inquiétant, mais je vais vous demander d’avoir la gentillesse de répondre de manière un peu plus synthétique.

M. Bernard PETIT - Je le comprends très bien, madame la Présidente.

Je passe à la question sur l’ecstasy et le XTC. S’agit-il des mêmes consommateurs que les autres drogues ? Oui et non. Les consommateurs de produits de synthèse sont souvent aussi des consommateurs de résine de cannabis, des fumeurs et des buveurs : ils sont polytoxicomanes par certains côtés. On voit aussi que certains d’entre eux se mettent à l’héroïne pour atterrir après les fêtes dans les méga-dancings.

De là à en faire une généralisation et à dire que drogue de synthèse égale forcément consommation d’héroïne et de cocaïne, je ne suis pas capable de vous répondre sur ce point. Je pense que, comme nous-mêmes, en matière de choix alimentaires, de voitures ou de vêtements, il y a une diversité. Cela dit, si on considère l’ecstasy, le cannabis, l’alcool et la cigarette, on s’aperçoit que la chaîne est réelle. Les consommateurs de cannabis consomment des drogues de synthèse à l’occasion des fêtes.

Quant à la manière dont sont diffusées les drogues de synthèse, elles le sont auprès du consommateur dans les rave parties, les fêtes et les méga-dancings, mais nous avons, nous, des observations physiques et techniques qui montrent clairement qu’à côté de cela, on a des arrivages massifs de quatre kilos, ce qui représentent 20 000 à 40 000 pilules, en provenance des Pays-Bas, avec des gens qui ne vont pas dans les méga-dancings mais qui font simplement de l’approvisionnement pour vendre les produits à l’occasion de certaines réunions et dans certains lieux.

C’est le piège des drogues de synthèse : on ne voit que l’aspect usage dans le méga-dancing, mais, derrière, il y a des filières, notamment asiatiques, israéliennes et d’Europe de l’est, qui sont très actives et qui sont l’apanage des gens du business de la came, qui n’ont rien à voir avec les usagers, qui font beaucoup d’argent et qui sont les propriétaires des laboratoires.

On m’a posé aussi une question sur l’évolution du cannabis. Autrefois, les jeunes allaient dans le Nord, la Belgique et, surtout, dans les coffee shops des Pays-Bas pour acheter leur cannabis et le ramener. Cela existe toujours. Le tourisme de la drogue existe toujours et nous le combattons toujours à travers la coopération franco-néerlandaise, mais ce trafic auquel vous faites référence est ce qu’on appelle le trafic de niveau bas, c’est-à-dire que les jeunes qui vont aux Pays-Bas s’approvisionner rentrent avec 100 grammes, 500 grammes, 1, 5 ou même 10 kilos, alors que les go fast qui vont en Espagne ramènent au minimum 100 kilos. Vous n’imaginez pas qu’ils descendent à cinq voitures volées et faussement immatriculées pour remonter 5 kilos. Ils remontent au minimum avec 100 kilos et, vraisemblablement, avec 400 à 600 kilos d’un seul coup.

Les jeunes que vous décrivez et qui vont aux Pays-Bas sont des consommateurs immédiats alors que ceux qui vont en Espagne sont bel et bien des trafiquants qui utilisent des armes à feu et des cagoules en Espagne pour établir les stocks, régler les comptes et placer de l’argent dans les maisons où les filles se prostituent. Ce n’est pas du tout la même clientèle.

Je termine avec le dernier point : comment fait-on avec les passeurs de boulettes ? Tout d’abord, il faut rendre hommage à la douane car c’est elle qui fait l’essentiel du travail. Les agents de la douane le font d’une façon très simple, grâce à ce qu’on appelle le ciblage. Quand vous avez une dame d’un certain âge qui arrive d’un vol de Santa-Cruz, en Bolivie, dont le passeport tout neuf n’indique qu’un seul voyage, celui qu’elle est en train de faire sur Roissy, qui va ensuite à Barcelone, qui n’est pas mariée, qui va rentrer dans les dix jours en Bolivie de la même manière qu’elle est venue, qui a simplement un billet aller-retour et une espèce de caution fictive, le douanier sent qu’il y a un problème. C’est ce qu’on appelle le flair, que certaines personnes appellent parfois le "délit de sale gueule" (sachant que, pour trouver la différence, cela dépend du côté dans lequel on se trouve), le ciblage et le travail et ce sont nos collègues douaniers qui réussissent ce tour de force que représente l’identification.

Encore une fois, il faut beaucoup de modestie car, pour deux ou trois passeurs interpellés dans le même avion, on en a cinq ou six qui passent.

Mme la Présidente - Monsieur le Commissaire, nous vous remercions infiniment. Nous vous avons écouté avec énormément d’attention et d’intérêt, et vous nous avez permis de relever des points extrêmement sensibles. Croyez bien que nous y ferons très attention, notamment en ce qui concerne ce fonds sur lequel vous nous avez interpellés, mais également sur d’autres pistes de réflexion. Merci beaucoup de ce temps que vous nous avez consacré.


Source : Sénat français