La présidente rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d’enquête et fait prêter serment à M. Lallement.

Mme Nelly OLIN, Présidente. - Nous allons écouter votre présentation sur un temps d’une dizaine à une douzaine de minutes, ce qui nous permettra ensuite d’avoir un vrai débat et de rebondir sur les questions. Vous avez la parole.

M. Didier LALLEMENT. - Merci, madame la Présidente. Mesdames et messieurs les Sénateurs, l’administration pénitentiaire — c’est une évidence — a pour mission la garde et la réinsertion des personnes détenues. Parmi cette population carcérale, qui nous est confiée par les autorités judiciaires, nous trouvons évidemment un nombre particulièrement élevé de personnes présentant des conduites addictives, de dépendance aux médicaments, aux drogues illicites, à l’alcool et, tout simplement, au tabac.

Une étude réalisée en 1997, qui date déjà un peu, montrait que l’état de santé des personnes détenues à leur entrée en prison était assez dégradé puisqu’il était estimé à l’époque qu’environ 32 % des entrants déclaraient une utilisation prolongée ou régulière d’au moins une drogue dans l’année précédant leur incarcération. Chez les mineurs, cette estimation était d’un quart des entrants qui déclaraient à l’époque une telle consommation.

Nous sommes en train d’essayer de réactualiser ces chiffres, en relation avec les ministères des affaires sociales et de la santé, notamment de la Direction de l’hospitalisation et des soins et de la Direction générale de la santé.

La question de la drogue et de la toxicomanie est essentielle pour l’administration que je dirige et deux volets de notre action visent à prévenir ce phénomène.

Le premier est celui de l’action sur l’offre.

Pour agir sur l’offre, il faut évidemment lutter contre l’entrée des drogues en prison. La drogue entre en prison par trois modes d’introduction assez bien identifiés.

Le premier est celui des parloirs. Nous avons, dans le cadre des parloirs, des échanges de drogue qui sont rendus possibles par le fait que, depuis plusieurs années déjà, les personnes s’y entretiennent l’une en face de l’autre, avec une table au milieu, sans dispositif de séparation. Le seul moyen de prévenir l’introduction de drogue dans les parloirs consiste, pour ceux qui entrent, c’est-à-dire les visiteurs, à déclencher, sous l’autorité des procureurs de la République territorialement compétents, des mesures visant à contrôler les personnes.

En 2002, les parquets compétents ont organisé 55 opérations de cette nature. Ces opérations ne réussissent qu’à la condition qu’elles soient organisées avec un minimum de surprise et que les fonctionnaires de police ou de gendarmerie, voire de douanes, qui y procèdent soient accompagnés de chiens, puisque c’est un moyen rapide d’éviter que les gens attendent trop avant l’entrée au parloir dans le cas de fouilles prolongées, ce qui provoque des difficultés non seulement avec les personnes qui attendent, mais aussi avec la population pénale.

Au-delà de ces opérations concertées, les surveillants pénitentiaires assurent un contrôle quotidien, dans le cadre de ces parloirs, à la fois au travers du contrôle des effets remis aux détenus (puisque vous savez que les familles apportent aux détenus du linge propre qu’elles échangent avec du linge sale), en fouillant donc ce linge, mais également au travers d’une fouille corporelle de tout détenu sortant du parloir, en application de l’article D 275 du code de procédure pénale, de manière à s’assurer qu’il n’a pas échangé, avec son visiteur, la moindre substance ou le moindre objet.

Une fouille corporelle n’est pas une fouille par palpation. Elle consiste, dans un local évidemment séparé de la vue du public et des autres détenu dans lequel le détenu est seul avec le ou les surveillants lorsqu’il y a risque de trouble, à dénuder l’intéresser sans le palper : c’est une fouille visuelle, si j’ose dire, avec un examen très précis de ses vêtements.

Le deuxième mode d’introduction de drogue en prison, c’est celui des jets au-dessus des murs. A cet égard, nous sommes confrontés à un quasi problème de société : la prison ne fait plus peur, de même qu’un certain nombre d’institutions publiques, en règle générale. On s’approche donc aujourd’hui de la prison pour y jeter des substances avec des modes opératoires très efficaces que je livre à la commission et qui sont de notoriété publique : cela consiste tout simplement à mettre les objets que l’on veut introduire dans une balle de tennis et, à l’aide d’une raquette, sans être forcément un très bon joueur, à projeter la balle au-dessus du mur d’enceinte.

Certes, nous rehaussons systématiquement les murs, mais nous avons une capacité physique de rehaussement limitée à la hauteur des poteaux. A Nanterre, par exemple, nous avons rehaussé de 20 mètres les murs d’enceinte à travers un grillage ou un filet, et les personnes extérieures arrivent néanmoins à projeter des objets au-delà de ces 20 mètres. Il est clair que nous ne pourrons pas monter à 50 mètres, car cela posera un problème de portance du dispositif technique.

Les objets projetés de cette façon sont ensuite récupérés par un dispositif très rodé : lorsqu’ils tombent au milieu d’une cour de promenade, même si nous faisons une série de fouilles au même moment, les détenus concernés ramassent l’objet et le projettent en direction des cellules. Nos surveillants passent leur temps à essayer de savoir dans quelle cellule il est tombé pour récupérer immédiatement la drogue, quand il s’agit de ce genre de produit, ou d’autres objets, notamment de téléphones portables.

Le troisième mode opératoire est celui des réintégrations. A l’issue de toute extraction de quelque nature qu’elle soit, médicale ou judiciaire, au cours de laquelle le détenu sera amené à rencontrer des tiers à l’administration pénitentiaire, cela peut l’amener, sans que j’accuse aucunement les tiers, à entrer en contact avec eux et à ramener un certain nombre de matériaux illicites.

Par le même dispositif de vigilance et de professionnalisme, nous procédons aux fouilles systématiques des détenus qui font l’objet de cette réintégration, mais les modus operandi peuvent être plus subtils et porter sur des individus psychologiquement fragiles qui, au moment d’une extraction, sous la menace d’autres détenus, se voient obligés de ramener les produits. Même si le même type de fouille leur est évidemment appliqué, il n’en reste pas moins que nous sommes devant des difficultés avec des individus plus fragiles que d’autres.

Une fois cette introduction effectuée, en ayant évidemment conscience que nous devons les limiter, nous procédons à une série de contrôles aléatoires au sein des détentions. Cela peut se traduire par des fouilles générales. Nous sommes dans une phase de réalisation d’un important programme de fouilles générales que le garde des sceaux a décidé à la suite de l’évasion de Fresnes, il y a quelques jours.

J’attire l’attention de la commission sur la violence et le mode opératoire qui a été utilisé lors de cette évasion : celui d’armes de guerre et d’explosifs de très haute puissance, qui ne sont pas des dispositifs contre lesquels nous sommes prémunis. En effet, il s’agit d’opérations de commando militaires qui ont le même type de mode opératoire que ceux consistant à attaquer tel ou tel fourgon blindé.

Nous déclenchons donc ce dispositif de fouilles générales. Quinze établissements vont être fouillés. La maison d’arrêt de Nanterre l’a été hier. Aujourd’hui, c’est celle de Borgo, en Corse, et d’autres vont s’étaler dans les jours qui viennent.

Une fouille est un dispositif assez lourd, puisqu’il nous oblige à mobiliser plusieurs dizaines de surveillants. Pour vous donner un chiffre, à Nanterre, il y avait, hier, plus de 250 surveillants mobilisés. Cela consiste à fouiller toutes les cellules en les vidant complètement de l’ensemble des objets introduits, en dénudant les matelas, en démontant les sanitaires et en démontant les télévisions afin de déterminer toute cache ou toute chose ayant servi à dissimuler ces objets ou cette drogue.

Bien évidemment, dans le cadre de ces fouilles et de ces contrôles, nous faisons des constats : 847 infractions à la législation sur les produits stupéfiants concernant 953 détenus ont ainsi été constatées en 2002 et ont fait bien évidemment l’objet de suites judiciaires.

J’ai la plus grande confiance dans les personnels pénitentiaires, dont je voudrais ici saluer le rôle essentiel, mais nous devons aussi être vigilants par rapport à un certain nombre d’individus qui, bien que faisant partie du personnel pénitentiaire, n’hésitent pas à se rendre complice de tels trafics dont nous les sanctionnons disciplinairement et pénalement. En 2001, ce sont sept agents pénitentiaires qui ont été ainsi impliqués dans des procédures de cette nature et qui ont été sanctionnés, la sanction étant, dans la presque totalité des cas, celle de la révocation.

L’administration pénitentiaire est une institution dans laquelle on révoque des fonctionnaires. Une bonne dizaines de fonctionnaires par an sont révoqués pour des raisons tout à fait objectives et nécessaires et nous n’hésitons pas à aller jusqu’au bout.

Voilà ce que je pouvais dire sur le premier volet de notre action, qui consiste à agir sur l’offre.

Le second, tout aussi essentiel (si je le place en deuxième position, c’est pour la clarté du propos), est celui de la prise en charge des toxicomanes.

A cet égard, nous travaillons beaucoup avec nos partenaires du ministère de la santé, puisque je rappelle que, depuis 1994, la responsabilité de la médecine dans les établissements pénitentiaires est celle du ministère de la santé. Nous avons quitté la période précédant 1994 où la médecine était pénitentiaire et nous sommes maintenant dans une médecine de droit commun.

Le travail de prévention se fait tout d’abord au travers d’une information des détenus et de leur entourage, c’est-à-dire de tous ceux qu’ils peuvent rencontrer. Comme vous avez visité des établissements pénitentiaires, vous avez dû être marqués par le fait qu’il y a beaucoup de monde en prison. Je ne parle pas là des détenus mais du grand nombre des personnes extérieures qui y circulent. En effet, nous offrons de nombreuses activités et les détenus peuvent aujourd’hui suivre des formations professionnelles et travailler, pour certains d’entre eux. Il y a donc beaucoup de monde en détention, avec une difficulté pratique : le fait que les détenus n’ont plus d’uniforme, puisque la mesure a été abandonnée.

C’est ainsi que vous avez dû noter dans les couloirs que l’on a parfois du mal à différencier la personne qui est détenue de celle qui ne l’est pas. Cela nous amène à prendre des dispositions techniques. Je pense notamment à tout ce que nous faisons en matière de détection dite de biométrie de la circulation des détenus. Nous avons aujourd’hui des dispositifs au travers desquels ils apposent leurs mains sur un certain nombre d’appareils pour contrôler leur passage et éviter, dans les parloirs, des opérations d’évasion par substitution.

Sur ce même sujet, l’information est essentielle et nous nous sommes mobilisés avec le ministère de la santé. Un groupe de travail sur la réduction des risques a été constitué en 1997 et un rapport publié en 2000 vise à faciliter l’accès aux traitements prophylactiques. Nous avons également diffusé largement notre protocole d’utilisation de l’eau de Javel : nous mettons en effet à la disposition des détenus de l’eau de Javel dosée de façon supérieure à la dose usitée (je pourrai vous donner les détails que je ne connais pas par coeur) en attirant leur attention sur la nécessité de désinfecter un certain nombre non pas d’outils qui sont nécessaires à l’injection de drogue mais qui leur servent dans la vie quotidienne, afin qu’ils apprennent à utiliser cette eau de Javel au travers de l’utilisation que nous en faisons.

Bien évidemment, il faut citer les traitements de substitution dans un cadre médical. En 2001, sur les 47 000 détenus recensés à l’époque, nous avons comptabilisé 2 548 personnes suivant un traitement de cette nature.

Le renforcement des actions d’éducation à la santé est aussi partie intégrante de cette action de prévention. Depuis septembre 2002, nous organisons des réunions régionales avec le ministère de la santé, les personnels pénitentiaires et les personnels soignants pour avoir des modes de discussion établissement par établissement et de meilleures analyses, au plus près du terrain, de la mise en oeuvre de ces actions d’éducation.

Enfin, dans le cadre de l’ensemble des politiques mises en oeuvre par la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie, nous diffusons le maximum d’informations sur l’ensemble des mesures de prévention.

La sensibilisation et la formation des personnels pénitentiaires sont des choses également importantes et je souhaite vraiment que l’on dynamise cet aspect de la question. On entend parfois des réflexions (je l’ai entendu, de même que votre commission, évidemment) selon lesquelles le fait de laisser la drogue circuler en détention est un moyen de prévention en matière de sécurité puisque, pendant que les gens se droguent, ils ne font pas autre chose. C’est un discours contre lequel nous luttons pied à pied. La mission de sécurité ne peut pas accepter la circulation illicite de produits de cette nature.

Cela passe par la formation des personnels, qui est plus spécifiquement entreprise au moment du passage à l’Ecole nationale d’administration pénitentiaire et dans le cadre de la formation continue. Nous adressons également au personnel pénitentiaire les brochures que j’évoquais tout à l’heure, afin que tout un chacun reçoive la même information sur les campagnes, les modalités d’action et, surtout, les ravages de la drogue qui sont au coeur de la réflexion de prévention.

La remise en liberté des personnes toxicomanes — c’est le dernier point que j’aborderai — doit être préparée, puisqu’on sait que, par définition, ce sont des personnes extrêmement fragiles. Les personnes sortant de prison sont en situation de fragilité et nous avons une importante politique d’aide à la sortie de prison qui se traduit par des aides aux plus démunis et aux indigents pour se payer une nuit d’hôtel et éventuellement leur billet de retour.

Au delà, nous essayons, en relation avec les services soignants, d’assurer une continuité dans la prise en charge des détenus, une fois qu’ils ne le sont plus, avec le dispositif extérieur afin que des liens et des ponts soient établis avec tous ceux qui concourent, de près ou de loin (associations, collectivités locales, etc.), à cette lutte contre la toxicomanie.

C’est difficile. J’observe en effet que la sortie des détenus est quelquefois, pour les associations locales, un sujet qui paraît lointain parce que le détenu ne se réinstalle pas à l’endroit de sa détention : il habite ailleurs. Il y a donc une visibilité dans la continuité qui est assez difficile à avoir.

Nous nous y employons notamment avec les services pénitentiaires d’insertion et de probation, puisque vous savez que l’administration pénitentiaire n’agit pas uniquement dans le milieu fermé et qu’elle est aussi composée de 2 000 travailleurs sociaux qui travaillent sur les mesures du milieu ouvert et qui nous permettent, dans la limite de nos moyens, d’assurer cette liaison.

Voilà, madame la Présidente, mesdames et messieurs les Sénateurs, ce que je voulais déclarer en propos préalables.

Mme la Présidente. - Je vous remercie, monsieur le Directeur. Il vous a été adressé des questionnaires et, pour permettre d’avancer dans nos travaux, je voudrais savoir dans quel délai vous pourriez nous en faire parvenir la réponse.

M. Didier LALLEMENT. - Dans le délai que vous nous demanderez. Je ne sais pas ce que vous nous avez demandé.

Mme la Présidente. - Nous pourrions dire le plus vite possible.

M. Didier LALLEMENT. - Considérez que c’est fait, madame la Présidente.

Mme la Présidente. - Je vous en remercie infiniment. Je suis désolée de devoir vous presser, mais nous avons un temps tout à fait calé.

M. Didier LALLEMENT. - Je n’ai pas vu ces questionnaires. Nous ont-ils été adressés récemment ?

Mme la Présidente. - Ils ont été adressés à la chancellerie.

M. Didier LALLEMENT. - Dans ce cas, peut-être pourriez-vous, par l’intermédiaire des administrateurs du Sénat, nous les faire parvenir directement. Nous gagnerons ainsi quelques jours.

Mme la Présidente. - C’est ce que nous ferons. En tout cas, nous avons écouté avec beaucoup d’attention votre exposé, monsieur le Directeur. Vous avez eu la franchise de dire les choses comme on peut supposer qu’elles se passent, sachant que nous n’avons effectué, hélas, qu’une seule visite de prison et que nous n’avons pas eu le temps d’aller dans la deuxième, mais il est vrai qu’au travers de ce que nous avons entendu, nous pouvons imaginer que les situations sont extrêmement difficiles et qu’il s’y passe des choses dont tout le monde voudrait éviter la propagation.

Je vous remercie de cette franchise que nous apprécions. Je passe maintenant la parole à M. le Rapporteur qui, je n’en doute pas, a un certain nombre de questions à vous poser, sachant que vous avez répondu à certaines en amont.

M. Bernard PLASAIT, Rapporteur. - Vous avez répondu à deux questions difficiles que je voulais vous poser, mais je vais quand même les reformuler parce qu’elles sont tellement importantes que je tiens à avoir votre réponse.

Sur la question de la circulation du cannabis en prison, je ne trahirai personne en rappelant que Véronique Vasseur a dit dans un livre ainsi qu’en audition qu’elle considérait que le cannabis était — je ne sais pas si ce sont ses propos exacts — un moyen de gestion de la tranquillité en prison. Elle n’est pas la seule à le dire. Pouvez-vous vraiment nous affirmer, monsieur le Directeur, qu’il n’y a pas, de la part de l’administration pénitentiaire, à tel ou tel endroit ou à tel ou tel moment, une espèce de complaisance vis-à-vis du cannabis pour assurer une certaine tranquillité ?

M. Didier LALLEMENT. - Je crois avoir été franc avec vous, monsieur le Rapporteur. Je suis bien conscient qu’il y a, au sein de l’administration pénitentiaire, des opinions de cette nature. Comme je vous l’ai dit tout aussi franchement, nous les combattons avec énergie. Il ne peut être accepté que l’illégalité soit au coeur de ce qui doit être l’application du droit.

Mon propos porte plus largement que sur l’aspect de la drogue. S’il s’avère que des fonctionnaires facilitent de quelque façon que ce soit des moyens d’être tranquille, que ce soit sur la drogue ou sur d’autres modus operandi, comme l’alcool ou le fait de classer des détenus dans des processus de travail au détriment de certains autres, nous agissons. Sachant que, dans tout ce qui fait la vie de la détention, on peut avoir la tentation, sous la pression du caïda, de laisser faire les choses, lorsque nous avons la confirmation de telles pratiques, notamment au travers de missions très régulière de l’Inspection des services pénitentiaires, nous y mettons immédiatement fin. Je dois dire que, là-dessus, la doctrine est d’autant plus claire que le risque de sanction est avéré et que le message a été entendu dans cette administration.

Pour rendre les choses plus efficaces, le garde des sceaux a territorialisé l’inspection des services pénitentiaires et nous avons maintenant des correspondants régionaux qui existent dans chacune de nos neuf régions pénitentiaires, ce qui nous permet désormais d’avoir des contrôles d’établissement beaucoup plus fréquents. Nous sommes maintenant en capacité de contrôler la quasi-totalité des établissements chaque année.

M. le Rapporteur. - Je ne sais pas si, dans les questionnaires, on vous demande de faire vraiment le point sur l’évolution de la drogue en prison et si on vous pose un certain nombre de questions concernant les détenus, mais si vous pouviez très rapidement en prendre note et nous donner une réponse sur ce sujet, j’aimerais savoir :

quelle est la part de toxicomanes dans la population carcérale à l’entrée et à la sortie (ce qui est une façon de vous demander si on n’est pas initié à la drogue en prison),

quelle est la part des détenus emprisonnés pour une infraction à la législation sur les stupéfiants en distinguant entre les infractions pour usage, s’il y en a (y a-t-il des détenus incarcérés uniquement pour usage ?), et celles pour usage et trafic ;

quelle est l’échelle des peines purgées pour les auteurs de ces infractions ;

quel est le taux d’infection des détenus toxicomanes au VIH ;

et quel est le nombre de décès en prison liés aux problèmes de toxicomanie.

Cela étant, monsieur le Directeur, vous nous avez parlé, dans votre propos liminaire, d’une politique de réduction des risques en prison. Pouvez-vous nous en dire plus et nous préciser ce que vous pensez des enquêtes de la Direction de la santé et du Haut Comité de la santé publique, qui ont critiqué la mise en oeuvre des traitements de substitution en prison, en constatant soit qu’il n’y avait pas de tels traitements, soit qu’ils étaient appliqués dans de mauvaises conditions. Pouvez-vous nous faire le point là-dessus ?

M. Didier LALLEMENT. - Je dois dire tout d’abord qu’en prison, indépendamment du sujet de la drogue et de la toxicomanie, j’observe que nous délivrons de plus en plus les premiers soins, au sens où des gens se soignent pour la première fois, à toute une partie d’une population marginalisée. Il suffit d’entendre (cela n’a rien à voir avec le champ de votre mission, mais c’est très révélateur sur l’approche du soin en prison) ce que disent les dentistes. Bien souvent, des gens reçoivent des traitements dentaires pour la première fois.

Pour ce qui est de la population masculine, depuis qu’il n’y a plus le service national, nous avons cette fonction d’assimilation d’une partie de la population qui suit peu de soins.

En matière de toxicomanie, nous sommes de plus en plus confrontés à ce type de comportement. C’est en prison que, pour la première fois, on détecte des comportements de cette nature.

Il est certainement facile de nous critiquer car nous ne sommes sans doute pas à la hauteur de l’ampleur du problème, mais je dirai qu’en prison, se concentrent des difficultés dont la responsabilité de traitement n’appartient pas toujours à l’administration pénitentiaire.

Je prendrai à cet égard l’exemple de la psychiatrie. C’est un sujet qui sort du champ de votre commission, mais je pense que l’on est exactement sur le même type de problématique. Je suis frappé de constater qu’aujourd’hui, nous avons de plus en plus de détenus reconnus responsables pénalement, bien évidemment, sans quoi ils ne seraient pas là, atteints de troubles psychiatriques et dont le nombre va manifestement croissant.

Comment le voyons nous ? Nous sommes évidemment dans l’incapacité de distinguer un détenu psychiatriquement fragile de celui qui ne l’est pas. Nous nous en rendons compte tout simplement par la multiplication des incidents à l’égard des personnels. S’il y a, dans l’ensemble de la société, une montée de la violence, il n’en reste pas moins que les comportements d’agression sont liés à des déséquilibres psychiques très forts. C’est une donnée que nous ne pouvons traiter qu’avec grande difficulté parce que l’administration pénitentiaire ne peut pas se substituer aux dispositifs psychiatriques qui existent dans le reste de la société civile.

En matière de toxicomanie, nous sommes confrontés exactement à la même difficulté. Nous essayons donc d’abord de nous focaliser sur la première de notre mission : éviter que la drogue entre en prison et qu’un premier contact avec la drogue se fasse en prison.

Ensuite, nous développons une série de dispositifs de substitution, mais sous contrôle médical. Il s’avère en effet que, dans bien des cas, l’administration pénitentiaire ne connaisse pas les prescriptions médicales. Dans certains cas, un petit nombre de choses se savent, mais on nous oppose systématiquement l’argument du secret médical, ce qui ne nous permet pas de savoir qui est sous traitement. Cela pose d’ailleurs tout le problème du trafic des médicaments en détention. En effet, on évoque l’introduction de drogue, mais il faut savoir que des comportements de toxicomanie apparaissent au travers du trafic des médicaments, notamment des médicaments de substitution.

J’aspire donc vraiment à une meilleure coordination avec les services de santé. Je comprends parfaitement que le secret médical soit une chose essentielle. Pour autant, je pense que des politiques efficaces de prévention et de traitement passeront par une meilleure coordination.

C’est ce que nous avons essayé de faire (cela rejoint l’exemple que je vous ai donné en ce qui concerne les actions de formation) avec le dispositif que nous mettons en place depuis septembre 2002, et je pense qu’il y a matière à réflexion sur les limites que doit nous opposer aujourd’hui le corps médical dans l’usage de ce secret.

M. le Rapporteur. - On est là au coeur du problème qui s’est posé à nous lorsque nous sommes allés à la Santé, où nous avons entendu une espèce de bourdonnement de propos divers à l’intérieur desquels il était difficile de comprendre qui faisait vraiment quoi, quelle était, par exemple, la journée d’un détenu qui arrive à la prison et qui est un usager de drogue, comment il était pris en charge, quel circuit il suivait et par quelles mains il passait, sachant que ce circuit est assez complexe.

Il est aussi difficile de comprendre comment, au-delà du secret médical, il peut y avoir, de la part de ces différents intervenants, une collaboration avec l’administration pénitentiaire de nature à comprendre ce qui se passe du point de vue de la toxicomanie.

On peut imaginer que le secret médical soit parfaitement gardé par les médecins, mais que, lorsqu’ils décèlent qu’il y a une évolution dans la consommation de drogue, l’administration pénitentiaire soit alertée sur un certain nombre de faits de telle manière qu’elle puisse réagir.

Le sentiment que j’ai gardé de cette visite, c’est celui, d’abord, d’une espèce de flou et, ensuite, d’un manque d’échanges d’informations qui, pourtant, me paraissent nécessaires si on veut que les choses fonctionnent bien.

M. Didier LALLEMENT. - Je ne peux que faire le même constat que vous dans bien des cas, monsieur le Sénateur.

La dangerosité des détenus (j’aborde l’aspect de la dangerosité sous le thème de la sécurité, mais je pourrais aussi le faire sous celui de la réinsertion) ne se mesure plus en fonction de leur quantum de peine et les difficultés qu’ils rencontrent en détention n’y sont plus liées. Nous avons aujourd’hui des délinquants sexuels lourdement condamnés qui ne sont pas dangereux en détention. Plus exactement, la détention est plutôt dangereuse pour eux dans leur contact avec les autres détenus. En même temps, nous avons des détenus en très courte peine, voire des prévenus, qui sont extrêmement dangereux, soit parce qu’ils sont toxicomanes, soit parce qu’ils sont psychiatriquement affectés, soit, tout simplement, parce qu’ils ont une pratique de la violence, dans les endroits d’où il viennent, qui est très forte.

La difficulté que nous rencontrons aujourd’hui est donc de classer ces détenus dans l’espace la prison et, lorsqu’ils sont condamnés, dans les différents centres de détention, puisque nous avons des centres de détention plus ou moins sécurisés.

C’est pourquoi nous venons d’abandonner le classement de la sécurité des centres de détention en fonction du quantum de peine des détenus afin d’avoir aujourd’hui, en maisons centrales, des gens qui ne sont pas trop lourdement condamnés mais qui nécessitent un environnement plus sécuritaire que d’autres.

On assiste donc à un changement assez profond des pratiques et des condamnations pénales qui nous pose des difficultés, notamment dans l’appréhension de tout ce que le détenu a pu vivre préalablement à son incarcération. Nous ne connaissons du détenu que sa fiche pénale, qui est extrêmement intéressante puisqu’elle reflète ce que nous devons savoir, mais qui ne nous dit pas l’essentiel, c’est-à-dire qui est la personne, quel est son environnement et quels sont ses comportements.

Bien évidemment, l’expérience nous nourrit et nous finissons par nous apercevoir que certains jeunes faiblement condamnés, y compris pour du trafic de drogue, peuvent être extrêmement violents et provoquer des mutineries, avec le sentiment assez troublant d’avoir l’impression que le prix de la vie, y compris de la leur, n’est pas très élevé dans leur conception de la relation à l’autre.

Aujourd’hui, le surveillant qui ouvre la porte d’une cellule ne sait pas en face de qui il est. Or il faut absolument que nous arrivions à le savoir. Alors que le fait d’ouvrir une porte, comme vous l’avez vu, est un geste simple, ce geste devient parfois extrêmement dangereux pour un surveillant.

D’autres raisons favorisent la dangerosité. Il est clair que, lorsqu’on est en période de privation de sa drogue ou dans une situation de déséquilibre psychique, le fait d’être enfermé 22 heures ou 20 heures sur 24 ne favorise pas la prise en charge et la prévention en la matière, mais cela n’empêche pas que le danger existe au quotidien pour les surveillants et je peux difficilement vous répondre autre chose. Nous aspirons vraiment à une collaboration avec tous les acteurs, qu’il s’agisse des médecins ou des magistrats, en matière de classement des détenus. J’insiste sur ce point parce que, au quotidien, nous voyons des choses extraordinaires.

M. le Rapporteur. - Je vous remercie. J’ai une dernière question : qu’en est-il de l’application de la loi Evin en prison par les détenus et par l’administration ?

M. Didier LALLEMENT. - Tout le problème est de savoir si la loi s’applique ou non dans une détention. Nous essayons en la matière de faire preuve de pragmatisme. Il est clair que le fait d’interdire de fumer dans les cellules provoquerait des troubles extrêmement graves dans les détentions puisque le fait de fumer, aujourd’hui, permet d’accepter la vie carcérale dans un certain nombre de cas.

En même temps, c’est de la cigarette, si on parle au moins de cela, que vient toute une série de nos difficultés, notamment chez les détenus qui se mutilent ou qui mettent le feu à leur matelas. Même si nous avons des matelas ignifugés, il n’en reste pas moins qu’ils dégagent une certaine fumée et que, lorsqu’on est dans une cellule de 9 mètres carrés, les gens succombent très rapidement à des intoxications respiratoires.

Pour les détenus qui ne souhaitent pas fumer, nous essayons, dans la mesure de nos possibilités pratiques, d’avoir des cellules non fumeur par rapport à des cellules fumeur, mais cela ne peut se faire que dans la limite de nos capacités, puisque je rappelle que nous avons 48 200 places et 57 600 détenus.

M. Gilbert CHABROUX. - Nous en avons vu des échos dans la presse, monsieur le Directeur, mais pourriez-vous nous dire de façon un peu plus précise quels sont les résultats des dernières fouilles qui ont eu lieu, en particulier celle de Nanterre, sachant que celle de Borgo n’est peut-être pas terminée. Que trouve-t-on ?

M. Didier LALLEMENT. - Sans vouloir manier le paradoxe, je vous répondrai que, la plupart du temps, on ne trouve rien, tout simplement parce que l’effet de surprise est assez court : il joue sur les toutes premières cellules, après quoi le bruit de la fouille se répand dans la détention. Lorsque les détenus entendent qu’il y a une fouille — cela fait beaucoup de bruit —, ils se débarrassent des matières dangereuses par l’intermédiaire des toilettes dans les cellules, y compris des téléphones portables, qu’ils cassent en petits morceaux. Lorsqu’ils sont surpris, ils projettent le plus loin possible de l’aplomb de leur cellule, sur le sol, le téléphone portable pour qu’on ne puisse pas identifier la cellule ni le téléphone qui se trouverait au pied de celle-ci.

Dans le cadre de Nanterre, nous avons trouvé une dizaine de téléphones portables, mais ce sont évidemment ceux qui correspondent aux premières cellules fouillées.

L’intérêt d’une fouille générale est d’être sûr que le dispositif est sécurisé. Pour nous, ce n’est pas le résultat de ce que l’on trouve qui compte mais la certitude qu’il n’y a plus rien.

Mme la Présidente. - Monsieur le Directeur, nous savons que les fouilles sont nécessaires, ce dont vous êtes tout à fait convaincu ; nous savons aussi que cela cause un certain nombre de perturbations et de violences. Quelles dispositions prenez-vous pendant et après pour établir un certain ordre ou un certain calme ?

M. Didier LALLEMENT. - La responsabilité du chef d’établissement est de maintenir l’ordre des détentions, soit par l’intermédiaire des personnels pénitentiaires, lorsque nous pouvons maîtriser les difficultés, soit en recourant à des réquisitions des forces de police ou de gendarmerie sous l’autorité du préfet.

Il est clair que c’est la frontière entre l’un et l’autre qui est difficile à déterminer, c’est-à-dire à quel moment la situation nous échappe. Le garde des sceaux a souhaité que nous puissions renforcer nos capacités à faire face, dans un cadre pénitentiaire, à ce recours aux forces de police et de gendarmerie.

Il m’a donc demandé de créer des équipes régionales d’intervention et de sécurité. C’est ainsi qu’au total, 200 fonctionnaires répartis dans les régions nous serviront de forces d’intervention de premier niveau, de telle sorte que, lorsque nous avons soit des difficultés, soit une tension perceptible, ils puissent venir renforcer les personnels et, par une meilleure maîtrise de l’usage de la force, maîtriser des débuts de mutinerie.

A ce sujet, le métier de surveillant est extrêmement difficile, parce que c’est le même surveillant qui ouvre la porte et qui va devoir ensuite maîtriser une tentative de mutinerie. C’est son travail et les surveillants le font de façon remarquable, mais il faut comprendre que, dans les jours qui suivent, les choses sont extrêmement difficiles. C’est pourquoi le garde des sceaux a souhaité que, pour un certain nombre de fouilles, l’usage de la cagoule soit mis en oeuvre, afin de préserver l’anonymat du surveillant. En effet, ce métier de contact, d’insertion et de relations sociales est en même temps un métier de répression. C’est le problème que connaissent certains policiers qui, au pied du même immeuble, croiseront les mêmes jeunes qu’ils ont arrêtés deux jours avant.

Cela dit, les dispositifs d’anonymat fonctionnent dans un grand établissement et non pas dans un petit établissement, où tout le monde se connaît.

En même temps, nous souhaitons renforcer notre capacité professionnelle de maîtrise des détentions par la mise en oeuvre de ces équipes et nous faisons aussi des exercices avec les forces de police et de gendarmerie afin d’anticiper les mutineries. Très fréquemment, nous travaillons avec le GIGN sur des plans dans les établissements.

M. Adrien GOUTEYRON. - Je souhaite vous interroger, monsieur le Directeur, sur les inspections dont vous avez parlé et vous poser plusieurs questions.

La première concerne le recrutement des inspecteurs. Comment sont ils recrutés et certains sont-ils issus du rang des surveillants ou de la hiérarchie qui est en fonction dans les établissements pénitentiaires ?

Deuxièmement, vous nous avez expliqué que vous aviez régionalisé les inspections et créé huit régions pénitentiaires. Les inspecteurs sont-ils affectés à une région ou doivent-ils tourner ?

Ma troisième question est la suivante : à quoi servent les inspections ? Ont-elles pour but de vérifier ce qui fonctionne bien et, par conséquent, ce qui fonctionne mal ou donnent-elles lieu à une exploitation un peu plus systématique au niveau de l’administration centrale ? Une synthèse de ces inspections est-elle faite régulièrement ou annuellement et en tirez-vous des orientations pour les réformes éventuelles ou les améliorations à mettre en oeuvre ?

M. Serge LAGAUCHE. - Le gouvernement fait des efforts, sur le plan budgétaire, pour le recrutement de personnel. Face à la suroccupation des prisons que l’on constate à l’heure actuelle, il manque apparemment de personnel et le personnel qui arrive et qui est affecté est un personnel jeune, sans grande expérience et, peut-être, avec une insuffisance de formation.

Par ailleurs, le contact de ces personnels avec le personnel soignant, qui est indépendant, n’est pas toujours aisé. Pour prendre un rendez-vous avec un médecin, soit parce qu’un détenu le demande, soit parce qu’un gardien s’aperçoit qu’il y a une certaine urgence, pouvez-vous nous dire quels délais, d’après vous, pourraient convenir dans l’absolu ?

Pouvez-vous aussi nous parler de l’évolution des effectifs, sachant que, la nuit, dans un certain nombre de prisons, on trouve un gardien pour une centaine de prisonniers, que, la nuit, cela bouge, en tout cas à certaines heures, qu’il n’est pas simple d’agir quand un prisonnier, pour une raison quelconque, s’agite de façon violente et même dangereuse pour lui et qu’on peut difficilement aller le chercher tout seul dans sa cellule ?

Je vous demande en fait de nous dire deux mots sur vos difficultés.

M. Didier LALLEMENT. - Je commencerai par votre question, monsieur le Président Gouteyron. Il y a deux niveaux d’inspection.

Le premier est l’inspection des services pénitentiaires qui est dirigée par un magistrat de l’Inspection générale des services judiciaires. C’est une inspection technique, c’est-à-dire qu’elle m’est rattachée, qui est composée de directeurs des services pénitentiaires, en principe des directeurs d’un niveau hiérarchique assez élevé qui ont dirigé des établissements. C’est donc une inspection de haut niveau.

Le deuxième niveau d’inspection est constitué par une brigade de sécurité pénitentiaire qui, elle, est composée de premiers surveillants et de gradés. Elle ne fait pas des tâches d’inspection mais d’expertise technique des procédures. Elle vérifie si la procédure a été respectée sur la porte d’entrée, si le cahier est bien rempli et comment se passent les choses et elle effectue des contrôles de cette nature.

Nous avons donc ces deux niveaux d’inspection, l’inspection des services pénitentiaires et la brigade de sécurité pénitentiaire, chacune ayant sa spécialité et sa spécificité.

Sur la territorialisation de l’inspection, j’ai voulu dire que nous avons d’ores et déjà des régions pénitentiaires. En comptant l’outremer, nous en avons précisément dix et, par rapport à l’inspection, pour deux régions pénitentiaires, il y a un même correspondant, un inspecteur des services pénitentiaires, qui est localisé sur une de ces deux régions, sachant qu’il fait partie de l’inspection et que, bien évidemment, les membres de l’inspection se réunissent suivant le calendrier de travail qui est fixé par le chef de service.

En tout cas, nous avons, sur place, un inspecteur des services pénitentiaires qui est en capacité de se déplacer pour tout incident lourd avec des délais plus raisonnables que ceux qui sont usités lorsque nous partons de Paris. Dans un certain nombre d’établissements pénitentiaires, il nous faut quelque délai pour nous y rendre. Je pense par exemple à Moulins, qui est une grande maison centrale, puisque, pour s’y rendre depuis Paris, cela nécessite quelques heures.

A quoi servent les inspections ? Suivant la nature de ceux qui les réalisent, elles servent à auditer l’établissement ouà auditer un incident, pour essayer de comprendre ce qui s’est passé lors d’un incident, celui-ci venant soit d’une plainte d’un détenu, soit d’une demande d’un chef d’établissement, soit d’une demande d’un tiers. Des élus locaux peuvent nous signaler un certain nombre de dysfonctionnements et de difficultés, auquel cas l’inspection s’y rend pour essayer d’analyser les choses, et il y a quelquefois à la fois une inspection administrative et une procédure judiciaire, dans les limites de ce que doit être l’inspection administrative.

Il n’y a pas de synthèse, à proprement parler, des rapports d’inspection, mais ceux-ci sont diffusés systématiquement au directeur régional, au chef de l’établissement concerné et au bureau de l’administration centrale en charge de corriger une défaillance rencontrée et recensée. Il est donc effectué une diffusion des rapports afin de permettre un suivi. J’essaie de faire, avec le chef de l’inspection des services pénitentiaires, des réunions fréquentes pour voir ce qui a été fait en aval.

C’est une inspection technique, c’est-à-dire que nous analysons soit des événements, soit des dysfonctionnements organisationnels des établissements, et non pas une inspection de gestion. Il ne s’agit pas de faire, par exemple, l’analyse du budget d’un établissement. C’est un peu ce que fait l’IGPN au niveau du ministère de l’intérieur par rapport à l’Inspection générale de l’administration.

Monsieur le Sénateur Lagauche, vous m’avez interrogé sur les recrutements de personnel pénitentiaire, qui sont effectivement l’une de nos difficultés. C’est pourquoi nous venons de lancer une campagne publicitaire, y compris à la télévision, pour favoriser ces recrutements. C’est un métier assez mal connu parce qu’il se pratique dans une enceinte, avec tout ce que véhicule l’imaginaire des uns et des autres sur la prison, et nous avons donc lancé cette campagne pour la première fois afin de pouvoir faire le plein de nos recrutements.

Il faut savoir que, sur les deux dernières années de concours, nous n’avons pas fait le plein sur nos recrutements : sur chaque concours, il nous manquait jusqu’à présent environ deux cents fonctionnaires sur les six à huit cents que nous devions recruter.

Par conséquent, à emploi budgétaire constant, il pourrait y avoir, du jour au lendemain, plusieurs fonctionnaires supplémentaires si nous arrivions à recruter. Le garde des sceaux m’a fixé comme priorité de saturer budgétairement ces emplois d’ici la fin de l’année 2004, à la fois en mettant en oeuvre cette campagne publicitaire et en augmentant les moyens de l’Ecole nationale d’administration pénitentiaire. En effet, une autre spécificité de l’administration pénitentiaire est d’avoir une seule école qui se situe à Agen et qui forme non seulement les cadres et les travailleurs sociaux mais également les surveillants.

J’ai en permanence un millier d’élèves fonctionnaires pénitentiaires à l’Ecole nationale d’administration pénitentiaire. Nous allons donc augmenter le nombre d’élèves fonctionnaires susceptibles d’être hébergés en instantané dans cette école.

En région parisienne, monsieur le Sénateur (j’imagine que vous faites allusion aussi à la prison de Fresnes), j’ai exactement le même problème que d’autres administrations : on vient d’abord en région parisienne en première affectation et, ensuite, par tous les moyens, on essaie, en fonction de son classement et de sa durée d’affectation, de rejoindre la province. Il est clair que, sur les grandes maisons d’arrêt parisiennes, nous avons les plus jeunes des fonctionnaires.

Je n’ai pas de solution à cette difficulté, sauf à réformer substantiellement le statut de la fonction publique afin de mieux valoriser les affectations parisiennes ou à modifier le régime des primes pour créer une incitation à la présence en région parisienne, mais je ne vous cache pas que, sur ce point, j’ai une très forte opposition syndicale.

Vous avez tout à fait raison de dire que le problème de la nuit, dans l’administration pénitentiaire, est extrêmement difficile, puisque nous n’ouvrons les cellules, la nuit, qu’à la condition qu’un gradé soit présent afin que jamais un surveillant ouvre tout seul, ce qui serait beaucoup trop dangereux.

C’est tout le problème du secours. Si une personne hurle la nuit en demandant un surveillant, il faut que le gradé vienne avec le surveillant pour ouvrir la porte et que, derrière une grille, en visuel, un autre surveillant surveille les deux premiers, tout simplement parce que nous ne sommes jamais à l’abri d’un piège. Il est vrai que, parfois, il y a des délais.

Au-delà, lorsqu’une personne est très malade et a une crise quelconque qui nécessite son hospitalisation, il se pose tout le problème des escortes, qui est particulièrement sensible en région parisienne. La nuit, nous sommes obligés de faire appel à la police pour escorter le détenu à l’hôpital, tout d’abord parce qu’il faut sécuriser le transfert et, ensuite, parce qu’il faut que nous soyons très prudents quant à la présence des détenus dans les services d’urgence, la nuit, des hôpitaux de la région parisienne. En effet, nous avons observé que les tentatives d’évasion se produisaient souvent de cette façon, tout simplement grâce à l’utilisation des téléphones portables en détention : il suffit de prendre rendez-vous avec certains complices et de simuler un besoin d’hospitalisation.

Nous sommes donc obligés de prendre ces précautions, une autre précaution (qui ne réglera pas les cas de maladie) étant le brouillage du dispositif des téléphones portables pour lequel vous avez bien voulu nous donner une autorisation législative qui, jusqu’à présent n’existait pas, dans le cadre de la loi du 9 septembre 2002. Nous sommes en train de passer le marché et nous aurons un dispositif de brouillage qui commencera de s’étendre dès la fin de cette année. Je vous précise que nous commencerons par la prison de Fresnes.

Mme la Présidente. - Monsieur le Directeur, j’ai une question à vous poser sur la campagne de recrutement, dont chacun s’accorde à dire qu’il y a un besoin. Avez-vous été consulté sur la manière de lancer cette campagne ou sur la façon de la présenter ?

M. Didier LALLEMENT. - Oui, madame la Présidente. Non seulement nous avons été consultés, mais nous avons choisi entre plusieurs options. Concernant l’option qui a été retenue, je vous avoue que c’est une affaire de spécialistes de communication et que ce n’est pas vraiment une matière que je maîtrise, mais il nous a été expliqué — et je pense que c’est juste — que l’une des difficultés d’une campagne de cette nature est de passer au-delà de l’image qu’ont les uns et les autres du surveillant.

C’est pourquoi il a été décidé tout d’abord d’avoir recours à de vrais surveillants (les gens qui font ces films sont de vrais surveillants), c’est-à-dire d’avoir une campagne dite testimoniale. Comme nous ne serions pas crus avec des acteurs, il faut que la véracité de nos propos ressorte de la véracité des gens qui tournent le spot.

Ensuite, au-delà de cet aspect testimonial, l’idée était de montrer que le surveillant pénitentiaire a une vie. Les tournages ont donc été faits dans des lieux de vie de n’importe quelle Française ou de n’importe quel Français, dans une salle de sport, chez un coiffeur, etc., pour bien montrer cet aspect de réalité de la vie pénitentiaire, en ce sens que ce sont des hommes et des femmes comme les autres qui font un beau métier de sécurité.

Mme la Présidente. - Merci beaucoup. Avez-vous d’autres questions à poser, monsieur le Rapporteur ?

M. le Rapporteur. - J’aurai trois questions rapides.

Premièrement, y a-t-il un régime d’incarcération spécifique pour les détenus toxicomanes lorsque ce sont des femmes, des femmes enceintes ou des mineures ?

Deuxièmement, quels sont les dispositifs prévus pour préparer les détenus à la sortie de prison et quels sont vos rapports avec le juge d’application des peines ? Vous souciez-vous vraiment et avec efficacité de la réinsertion ?

Troisièmement, quel est, à votre avis, l’efficacité des peines d’emprisonnement pour le simple usage ?

M. Didier LALLEMENT. - Il n’y a pas vraiment de régime d’incarcération spécifique.

S’agissant des mineurs, nous n’avons pas trop de difficultés pour isoler les mineurs, c’est-à-dire pour leur donner une cellule individuelle. Nous n’avons pas une croissance du nombre des mineurs identique à celle du reste de la population pénale : nous restons stables à environ 850 mineurs alors que le reste de la population pénale a singulièrement augmenté.

Nous arrivons donc à trouver des traitements spécifiques lorsque nous faisons le constat qu’un mineur est toxicomane, soit en lui donnant une cellule individuelle, soit en le doublant, dans sa cellule, avec quelqu’un d’autre. Cela dépend des personnalités et des indications qui nous sont données.

Sur les femmes, nous n’avions pas, jusqu’à présent, de problème de détention puisque le nombre de femmes était à peu près stable (il y a environ 2 300 femmes incarcérées en France). Cependant, ce nombre est en train d’augmenter et nous voyons notamment arriver des jeunes femmes (c’est le cas des mineures comme des majeures) et, parfois, des femmes enceintes. Dans les quartiers de femmes, nous avons en principe des cellules dites "pouponnières" pour des femmes enceintes ou des femmes accompagnées de leur enfant de moins de 18 mois, puisque les mères peuvent conserver leur enfant jusqu’à 18 mois.

Bien évidemment, ce sont des cellules spécialement aménagées, parce que vous comprenez bien qu’il est toujours un spectacle difficile, humainement, de voir un enfant de moins de 18 mois dans une cellule. Ces endroits, très objectivement, ne ressemblent pas à des cellules, mais il n’en reste pas moins qu’il s’agit de détentions.

Nous rencontrons parfois des difficultés : à Lyon, il y a un mois, nous avions beaucoup trop de femmes enceintes par rapport aux places dont nous disposions et nous avons donc été obligés d’organiser des transferts dans d’autres établissements pénitentiaires, parce que, sur les prisons de Lyon, nous étions totalement saturés.

Je réponds donc à votre question en disant qu’il n’y a pas de régime d’incarcération spécifique mais que nous prenons en compte ce que sont les détenus, beaucoup plus chez les mineurs et les femmes que chez les hommes.

Nous préoccupons-nous de la réinsertion ? Oui, monsieur le Sénateur, dans les limites de nos moyens, sachant que notre première mission est de nous assurer que la peine est bien exécutée. Je ne dis pas que l’exécution de la peine suppose qu’il n’y a pas de réinsertion, mais l’exigence qui nous est fixée est d’abord celle-là. Nous nous occupons donc de la réinsertion avec les difficultés méthodologiques que j’ai évoquées tout à l’heure et qui concernent le suivi d’un détenu lorsqu’il sort d’un établissement pénitentiaire et qu’il n’était pas incarcéré dans sa région d’origine.

Le programme pénitentiaire que nous développons actuellement sous l’autorité du secrétaire d’Etat, M. Bédier, vise justement à mieux mailler notre territoire en établissements pénitentiaires. En effet, nous avons une carte pénitentiaire qui était, grosso modo, la carte de l’administration pénitentiaire avant la deuxième guerre mondiale. Même si, depuis les années 60, il y a eu un gros rattrapage sur la région parisienne, il n’en reste pas moins que, comme beaucoup d’autres administrations, nous n’avons pas suivi l’évolution de la population, la difficulté étant qu’aujourd’hui, le fait de construire des établissements pénitentiaires est quasiment impossible en centre-ville du fait du coût du foncier et, surtout, de la structure des établissements qui a complètement changé.

Un établissement pénitentiaire de la IIIe République faisait 3 ou 4 hectares. Il en fait aujourd’hui 10 à 12 parce qu’on fait des terrains de sport. Dans la prison de la Santé, il n’y a pas de terrains de sport.

La place de la prison dans la cité a aussi considérablement changé et elle pose le problème de la réinsertion, de la présence des familles et des visites dès lors qu’on s’éloigne trop de l’agglomération. C’est pourquoi nous faisons l’effort de ne pas nous éloigner de l’agglomération et de ne pas faire ce que nous avons fait dans le plan 13 000, c’est-à-dire des implantations trop rurales, en particulier pour les maisons d’arrêt, sachant que, pour les centres de détention, le sujet est un peu différent dans la mesure où cela pose des problèmes de transport.

Quant à votre troisième question, je crois avoir noté qu’elle portait sur l’efficacité de nos dispositifs...

M. le Rapporteur. - C’est un avis personnel que je vous demandais sur la pertinence des peines d’emprisonnement pour simple usage de drogue.

M. Didier LALLEMENT. - Mon métier est de ne pas donner d’avis sur l’exécution des peines ; notre mission est d’exécuter les décisions de justice et de ne pas les commenter. Nous avons très peu de détenus pour usage simple. Le risque est évidemment, lorsqu’il y a des détenus pour des faits de cette nature, que l’univers pénitentiaire ne permette pas d’assurer leur plein sevrage et donc qu’au contraire, ils rencontrent d’autres tentations et d’autres consommations de produits stupéfiants.

En fait, je crois qu’une grande partie des réponses que nous pourrons apporter en matière de réinsertion, de sécurité et de prévention tiendra beaucoup à notre capacité de réaliser rapidement le programme de constructions pénitentiaires. Il est clair que, dans un certain nombre d’établissements, nous ne sommes pas en capacité de nous prémunir complètement de ce type de risque.

Lorsque nous aurons des établissements qui permettront d’héberger d’abord la population pénale que nous avons mais, surtout, de mieux la cloisonner, c’est-à-dire de mieux classer les détenus, nous observerons une amélioration. Les nouveaux programmes de construction que nous sortons (nous venons de sortir Toulouse-Seysses et Avignon-Le Pontet) permettront d’avoir des dispositifs beaucoup plus cloisonnés et des quartiers beaucoup plus étanches. Cela nous permettra d’y classer les détenus en fonction de leur dangerosité, mais également de leur profil, afin d’éviter de regrouper les mêmes au même endroit et, surtout, d’empêcher les trafics entre ces différents lieux de vie.

Mme la Présidente. - Merci beaucoup, monsieur le Directeur, et nous vous souhaitons bon courage dans vos missions.


Source : Sénat français