(Procès-verbal de la séance du mardi 7 novembre 2000)

Présidence de M. Bernard Cazeneuve, Président.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Mes chers collègues, la mission d’information procède aujourd’hui à la seconde de ses auditions publiques. Elle accueille, dans ce cadre, le Général Maurice Schmitt, ancien Chef d’état-major des Armées. Cette audition fait suite à celle du Général Michel Roquejeoffre, la semaine dernière.

Mon Général, il eut été conforme à la hiérarchie du commandement de vous auditionner avant le Général Michel Roquejeoffre, mais une contrainte familiale tout à fait légitime a amené la mission à reporter votre audition qu’il avait initialement été prévue de tenir en premier lieu.

En tout état de cause, je tiens au nom de la mission d’information à vous remercier tout spécialement d’accepter, dans ces conditions et des délais aussi brefs, de participer aujourd’hui à cette seconde audition publique. Je veux ici apporter quelques précisions que je crois indispensables sur le travail de la mission et l’orientation qu’elle entend donner à ses réflexions. En effet, les propos de certains, tels que rapportés par la presse, sur le caractère « inutile » ou « vain » des travaux de la mission s’avèrent démentis par les faits. Au cours de la première audition de la mission, le responsable des forces françaises auprès du Haut commandement allié de la guerre du Golfe, a, en effet, apporté des éléments d’information qui, jusqu’alors, n’avaient pas été mis à jour.

Ainsi, la détermination à faire toute la vérité sur les conditions d’engagement des militaires français ayant pu les exposer, au cours de la guerre du Golfe, à des risques de pathologies spécifiques, de même que la transparence de la méthode constituent bien l’objectif de la mission d’information, comme l’a récemment rappelé le Président de la Commission de la Défense, M. Paul Quilès.

Je tiens par ailleurs à préciser qu’il relève d’une curieuse lecture des institutions que d’affirmer que la mission d’information parlementaire aurait été créée sur l’initiative du ministère de la Défense pour occulter la vérité. Nous vivons dans un système de séparation des pouvoirs et le Parlement est souverain. C’est donc souverainement et dans le cadre de ses missions de contrôle de l’action de l’exécutif que la Commission de la Défense a décidé de créer la mission d’information avec la volonté de procéder aux auditions les plus larges et d’accéder à l’ensemble des documents en possession de l’exécutif. C’est dans ce cadre que j’ai demandé au Ministre de la Défense, par courrier en date du 19 octobre 2000, avant même le début des auditions, de nous transmettre la totalité des ordres et comptes rendus opérationnels ainsi que toutes les études, notes et comptes rendus du Service de la santé des Armées, à l’exception des dossiers médicaux individuels.

La mission vient, aujourd’hui, de recevoir les premiers documents officiels dont elle a demandé la transmission au ministère de la Défense. Elle va ainsi pouvoir les examiner sans délai, notamment les ordres et les comptes rendus opérationnels. Sur la base de ce travail sur pièces, qu’elle est seule à pouvoir conduire, la mission ne manquera pas de formuler toute autre demande d’explication lui paraissant nécessaire. C’est pourquoi, le délai de six mois pourrait être dépassé, ce qui explique la décision prise par la Commission de la Défense de créer une mission d’information plutôt qu’une commission d’enquête, les parlementaires souhaitant disposer du temps nécessaire à leurs investigations dans un cadre qui leur confère autant de prérogatives que celles qui sont dévolues à une commission d’enquête. Enfin, nous poursuivrons, semaine après semaine, les auditions selon un premier calendrier prévisionnel dont j’ai fait état lors de la précédente audition publique.

D’autres responsables militaires, scientifiques, politiques ou associatifs seront donc prochainement, à leur tour, appelés à venir répondre aux questions de la mission. L’association Avigolfe figure, bien entendu, au nombre des prochaines auditions. Il nous a toujours semblé évident que cette association devait pouvoir faire part à la mission de ses réflexions et, le cas échéant, lui communiquer les éléments nouveaux dont elle disposerait. Cette démarche de vérité et de rigueur qui est la nôtre, est, il est vrai, complètement incompatible avec certaines « gesticulations médiatiques » qui visent à faire prévaloir une thèse sur une autre, sans se préoccuper d’administrer des preuves irréfutables, qui seules peuvent convaincre. Je rappellerai également que la méthode de travail de la mission a fait l’objet d’un accord unanime entre ses membres. Pour ce qui concerne notre impossibilité de communiquer sur le fond des travaux, cette disposition n’est pas nouvelle : elle résulte en effet de la lettre de l’article 145 du Règlement de l’Assemblée nationale qui dispose qu’« aucune publicité ne peut être donnée à un rapport d’information... avant que n’ait été décidée sa publication. »

Cette obligation de discrétion s’impose donc à chacun des membres de la mission. Je comprends qu’elle constitue un sacrifice pour ceux qui aiment à communiquer. Je me dois toutefois de préciser que la volonté des uns et des autres d’accéder à la vérité ne peut se mesurer à l’aune de ce sacrifice. A cet égard, il n’est pas possible que les auditions, y compris celles qui sont ouvertes à la presse, donnent lieu à la distribution d’un compte rendu écrit. Ces comptes rendus seront, en revanche, publiés dans le rapport de la mission.

Après cette mise au point, je vous invite, mon Général, a bien vouloir répondre aux questions de la mission. Mais peut-être désirez-vous, au préalable, en forme d’introduction, nous livrer ce que vous estimez indispensable de préciser d’emblée quant à votre expérience du conflit. Puis, je vous poserai les premières questions avant de donner la parole à mes collègues.

Général Maurice Schmitt : M. le Président, Mesdames, Messieurs les députés, selon la lettre du ministère de la Défense qui m’indique que votre mission parlementaire souhaite bénéficier de mon témoignage, votre tâche est de déterminer, je cite : « les conditions d’engagement des militaires français ayant pu les exposer au cours de la guerre du Golfe à des risques de pathologies spécifiques ». Mon témoignage sera donc centré sur cette question.

Je voudrais auparavant préciser, tout en me limitant à l’essentiel, et en parlant plus en tant qu’ancien Gouverneur des Invalides qu’en tant qu’ancien Chef d’état-major des Armées, dans quelles conditions légales - du moins jusqu’à ce jour - sont déterminés, d’une part l’imputabilité au service des affections, et, d’autre part, les taux des pensions d’invalidité qui en résultent pour des militaires en temps de guerre comme en temps de paix.

Il s’agit d’un problème qui se pose pendant et après chaque conflit. Il n’est donc pas nouveau. C’est un problème qui a des conséquences financières, nous ne sommes pas ici pour ne parler que de cela, mais aussi de cela ! Nous avons un premier cas lorsque la blessure ou la maladie est constatée pendant ou immédiatement après une opération. Deux démarches sont alors essentielles : premièrement, l’inscription au registre des constatations tenu par le Service de santé. Il s’agit là d’une tâche qui relève soit du médecin du corps de troupe, soit de l’hôpital vers lequel a été évacué le blessé. Deuxièmement, la rédaction d’un rapport du chef de corps de l’intéressé qui décrit les faits sans conclure quant à l’imputabilité de la blessure au service. Il va de soi qu’en temps de guerre, la notion d’imputabilité au service est, en général, toujours consentie à l’intéressé sauf cas exceptionnels.

La décision d’imputation étant prise, l’intéressé est convoqué devant une commission de réforme composée d’experts indépendants du ministère de la Défense. Cette commission détermine le taux d’invalidité et donc le montant de la pension. S’il y a contestation de l’intéressé - elle porte, le plus souvent, sur le taux d’invalidité -, il peut faire appel au tribunal des pensions avec le secours d’un avocat - il existe des avocats spécialisés - ; le ministère de la défense est alors exclu du processus.

Second cas : les affections surviennent dans un délai plus ou moins long après un conflit. C’est, en effet, le cas qui nous préoccupe. Le processus reste sensiblement le même. L’intéressé fait établir un ou plusieurs rapports par un ou des médecins de son choix et réunit les documents apportant la preuve de sa participation au conflit ; le document essentiel étant l’état signalétique des services. Lorsqu’il s’agit de personnels qui ne sont plus en service, c’est le bureau central des archives militaires de Pau qui est habilité à le leur délivrer. Ce document est essentiel. Ensuite, le processus faisant intervenir la commission de réforme et, éventuellement, le tribunal des pensions est le même que dans le cas précédent. A l’imputabilité au service près, qu’il s’agit, à ce moment, d’établir. La commission interdépartementale des pensions statue sur la réalité des affections de l’intéressé, sur leur lien avec le conflit en fonction des conclusions des experts ; le taux d’invalidité est déterminé en commission de réforme. Le tribunal des pensions peut, bien entendu, toujours être saisi par l’intéressé.

Vous le concevez, le point délicat, c’est le lien avec le conflit. Il y a, en effet, des cas où les affections sont sensiblement identiques pour tous les intéressés. On peut alors parler de syndrome. Il peut également s’agir de situations très diverses et là - mais ce n’est qu’un avis - je pense qu’il convient de les traiter au cas par cas. Avant de terminer sur ce point, je dirai - et il s’agit là encore d’un point de vue personnel -, que s’il y a doute, il devrait bénéficier au demandeur. Ce sont toutefois les juges et les experts du tribunal des pensions qui sont indépendants à qui il revient de décider en dernier ressort.

J’en viens maintenant au point sur lequel vous souhaitez m’entendre, à savoir les conditions d’engagement des troupes françaises dans le Golfe. Elles ont fait l’objet de nombreux rapports et de nombreux ouvrages. J’ai moi-même publié un livre, au début de l’année 1992, après en avoir envoyé un exemplaire, comme le règlement m’y oblige, à M. Pierre Joxe, Ministre de la Défense, qui n’en a pas déplacé une virgule.

Sur l’essentiel et en me limitant à l’opération « Tempête du désert », les forces aériennes françaises basées à l’aérodrome d’Al Ahsa ont participé, dès le 17 janvier, aux attaques aériennes au sol ; elles avaient auparavant participé à la couverture d’ensemble du dispositif, c’est-à-dire à l’interdiction du ciel faite par les forces alliées à l’aviation irakienne. Les forces maritimes poursuivaient l’embargo et se préparaient à un éventuel déminage des eaux koweïtiennes. Enfin, deux navires hôpitaux avaient été acheminés à Yanbu -, La Rance et La Foudre.

Pour leur part, les forces terrestres assuraient la couverture le plus à l’ouest du front d’attaque dans le dispositif allié et la livraison au 10ème corps américain d’une pénétrante vers la petite ville d’As Salman ; elles devaient donc progresser d’environ 150 kilomètres en territoire irakien, et au total de 180 kilomètres.

Cette mission fut déterminée en octobre 1990 d’un commun accord avec les Généraux Colin Powell et Schwarzkopf, et bien entendu approuvée par le Président Mitterrand. Pour cette mission, la division Daguet, placée sous contrôle opérationnel du Général Luck, commandant du 18ème corps et prenant sous son propre contrôle opérationnel une brigade parachutiste américaine et une brigade d’artillerie américaine, s’engageait le 23 février dans la nuit pour s’emparer d’As Salman.

J’en viens maintenant aux dispositions spécifiques et en particulier aux mesures dites « NBC » et de santé. Dès octobre 1990, je retenais, comme les Généraux Colin Powell et Schwarzkopf, la menace chimique comme la menace essentielle. En conséquence, les forces étaient équipées des matériels de protection (masques, combinaisons S3P) et des installations étaient prévues pour les décontaminations éventuelles. Des exercices étaient prescrits, car il est clair que ce n’est pas au moment où la menace se concrétise qu’il faut apprendre à s’équiper. Il y eut des alertes réelles, mais l’emploi d’armes chimiques par les Irakiens n’a jamais été constaté ; il s’agissait d’alertes déclenchées lorsque des Scud étaient tirés à partir du territoire irakien, non pas sur la division Daguet, mais sur les installations de Riyadh. Ils ne contenaient toutefois pas d’armes chimiques.

Par ailleurs, le Service de santé des Armées avait mis en place des stocks d’un antidote, la Pyridostigmine, dont les capacités de prévention avaient été testées. Ce médicament est d’ailleurs utilisé en médecine depuis des années. A la mi-février 1991, je me suis rendu au PC du Général Janvier, à Rafha, pour les dernières mises au point. J’étais accompagné d’un de mes adjoints, le Général Guignon, de mon chef de cabinet, le Général Pidancet, ainsi que du Général Roquejeoffre. La date de l’attaque terrestre, le G.Day, avait été fixée au 23 février. Elle m’avait été communiquée la veille dans le plus grand secret par le Général Schwarzkopf. J’en avais rendu compte le soir même à M. Pierre Joxe, en tête à tête, à notre ambassade à Riyadh.

Selon les directives générales du Général Roquejeoffre, qui procédaient d’ailleurs des miennes, le Général Janvier a alors établi son ordre d’opération. Cet ordre comportait un paragraphe santé, rédigé selon nos directives et avec le conseil de son adjoint santé. Ce paragraphe précisait essentiellement les processus de ramassage, de triage, de traitement et d’évacuation des blessés. Je fais une incidente pour vous dire que la chaîne santé était particulièrement performante, elle représentait 10 % des effectifs, plus d’un millier d’hommes, dont 250 chirurgiens et médecins. Et aucun blessé, même parmi les blessés graves, n’est mort après avoir été relevé sur le champ de bataille. Je pense que notre Service de santé peut en être très fier. J’ajouterai que selon les échos qui me parviennent actuellement, on ne saurait aujourd’hui mettre sur pied un dispositif équivalent à celui qui a été mis en _uvre pendant la guerre du Golfe.

Le paragraphe santé précisait également que la Pyridostigmine serait administrée 24 heures avant le déclenchement de l’attaque et jusqu’à nouvel ordre, au taux de trois comprimés par jour. Les spécialistes me disent que c’est un taux bénin. Le nouvel ordre, ce fut le cessez-le-feu ; la Pyridostigmine fut prise pendant cinq jours par les 8 000 ou 9 000 hommes de la division Daguet et même - tout au moins je l’espère sinon il y a eu faute - par la douzaine de journalistes accrédités et ainsi habilités à suivre les troupes pendant leur pénétration en territoire irakien.

J’ai lu dans des articles récents des remarques concernant les effets éventuels de poussières d’uranium appauvri, après tirs, et d’un médicament, récent à l’époque, le « Virgyl », agissant en quelque sorte comme un super maxiton. S’agissant du « Virgyl », dont m’avait parlé le Directeur central du Service de santé de l’époque, je me suis opposé à son emploi généralisé, pour une raison simple : il maintenait éveillé deux à trois jours, mais nécessitait ensuite une longue récupération. Il était donc hors de question d’avoir une division s’endormant au bout de trois jours de combat sur le champ de bataille. Je laissais donc la décision de l’utiliser aux responsables de terrain. Je pensais en particulier que l’on pouvait la délivrer aux commandos de recherche et d’action en profondeur qui avaient pour mission de vérifier que la barrière rocheuse, qui était en face de la division, n’était pas tenue par l’ennemi. En effet, suite à l’accomplissement de cette mission, il n’était pas grave de les mettre au repos. Ils représentaient une centaine de personnes sur 9 000 hommes de la division Daguet. Cela étant, je ne suis en pas mesure de vous dire s’ils ont effectivement pris du « Virgyl » ; mais si tel était le cas, ce serait avec mon autorisation.

En ce qui concerne les tirs de projectiles flèches - projectiles antichars ou projectiles de toute nature - à tête à uranium appauvri, sachez que nos forces n’en disposaient pas localement. Les premiers stocks avaient été constitués pour la deuxième génération d’obus flèches - obus de 105 des chars AMX30 B2 - ; aucun de ces obus n’a été envoyé dans le Golfe. En 1990, il était aussi envisagé d’utiliser de l’uranium appauvri pour les flèches du projectile de 120 mm du Leclerc. Je ne suis pas en mesure de vous dire si ces obus flèches ont été réalisés ou non.

Je dirais aussi que les unités américaines les plus proches des nôtres n’en disposaient pas non plus, la 24ème division d’infanterie américaine qui avait 200 chars Abrams dans ses effectifs, opérait 100 kilomètres à l’est. En revanche, il n’est pas exclu que les avions dits familièrement « tueurs de chars », les A10, qui visaient sur l’aérodrome d’As Salman les bunkers et les chars irakiens, en aient été dotés. Je précise qu’aucun effet nocif de ces poussières n’a été signalé - je ne sais pas du tout ce qui a été établi aujourd’hui -, et je ne pense pas que les Américains, soucieux comme nous de la vie de leurs hommes, aient utilisé des projectiles à uranium appauvri à partir des A10 et des chars Abrams, juste devant leurs forces, s’ils avaient estimé que cela présentait un risque.

J’en viens maintenant à un point qui me paraît soulever, par au moins un média de qualité, Le Journal du Dimanche, dans un titre « Les aveux des Généraux » que je considère diffamatoire à mon égard comme à l’égard de votre mission, M. le Président. Je suis convaincu que le directeur de ce journal saura exprimer ses regrets. Au fond, la question qu’il pose est la suivante : pourquoi les Généraux ne s’expriment qu’aujourd’hui ? Pour trois raisons évidentes. Premièrement, les ordres écrits que j’ai évoqués sont accessibles à tous. S’ils ont été classés secret-défense avant le G.Day, ceux du Général Janvier n’ont plus rien de confidentiel depuis dix ans. La Commission de la Défense nationale de l’époque avait rédigé par ailleurs un remarquable rapport signé de M. Jean-Michel Boucheron ; s’il y évoque le cas du risque chimique, je ne pense pas qu’il parle précisément du cas de la Pyridostigmine. Deuxièmement, 8 000 à 9 000 personnes étaient concernées - beaucoup sont encore en service -, sans oublier les journalistes présents au sein de la division pendant l’attaque. Troisièmement, je lis régulièrement un excellent quotidien du matin, et à aucun moment, me semble-t-il, la prise d’un antidote aux organophosphorés n’a été contestée. Je n’avais donc aucune raison d’intervenir. Quant aux effets à long terme de cet antidote, je ne suis pas compétent pour m’exprimer sur le sujet.

J’ajoute que depuis dix ans que j’ai quitté mes fonctions de Chef d’état-major des Armées, j’ai été sollicité à plusieurs reprises, en particulier durant le conflit du Kosovo, par des médias français et étrangers. Je pouvais donc être contacté, je ne crois pas vivre dans la clandestinité.

En conclusion, je donnerai un avis. Tout d’abord, il convient d’établir clairement, et seuls les experts peuvent le faire, ce que l’on sait des antidotes et des poussières d’uranium appauvri. Les Américains peuvent probablement nous aider dans le cas de l’uranium appauvri. Ensuite, il convient, au cas par cas, de reprendre les dossiers des militaires et des anciens militaires souffrant de troubles et d’examiner ces dossiers scrupuleusement. Les Généraux et les experts ayant été entendus, il conviendra d’interroger les chefs directs de ces personnels pour savoir quel fut leur parcours pendant les opérations et même après le cessez-le-feu ; ce n’est ni moi, ni le Général Roquejeoffre, ni même le Général Janvier qui pouvons répondre aujourd’hui à une telle question.

Enfin, et il s’agit là de l’avis d’un officier qui fut toujours soucieux non seulement de la vie de ses hommes, mais aussi de la préservation de leurs droits. Hormis les cas de supercherie caractérisés, il peut y en avoir, j’en ai connu à l’issue d’autres conflits les dossiers devraient être examinés avec bienveillance.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Mon Général, je vous remercie pour cet exposé introductif et pour l’ensemble des précisions que vous avez bien voulu porter ainsi à la connaissance de la mission.

Pour ce qui concerne les différents éléments que vous avez pu lire dans les journaux, le Président Paul Quilès a fait une mise au point très nette à ce sujet par voie de communiqué la semaine dernière. J’ai moi-même, en accord avec lui, avant de vous donner la parole, apporté un certain nombre de précisions. Cette mission d’information parlementaire, qui a un pouvoir de contrôle sur pièces et qui a la possibilité d’auditionner de façon très large l’ensemble des responsables politiques, associatifs, administratifs et militaires de l’époque, le fait en toute sérénité et nous attendrons que notre rapport définitif avec ses annexes ait été rendu public pour émettre des jugements. Tout ce qui peut être dit dans l’intervalle sur nos travaux n’est pas de nature à émouvoir les membres de la mission d’information, ni à altérer leur détermination à aller au terme des investigations auxquelles ils procèdent.

Je voudrais rapidement vous poser une question qui est dictée par les documents qui viennent d’être portés à notre connaissance, et notamment sur l’ordre d’opération numéro 1 et son annexe « NBC » numéro 5 ; nous trouvons dans cette annexe deux paragraphes : le premier s’intitule « estimation du danger », et le second concerne les mesures de protection.

Il est indiqué, dans le premier paragraphe, « frappes possibles en toxiques persistants sur premier échelon au moment du débouché ... pendant les deuxième et troisième temps, risque de frappes en toxiques non persistants sur les éléments en contact et de contamination (toxiques persistants) des éléments et axes logistiques ». Il s’agit là d’un langage auquel nous ne sommes pas habitués. En tout état de cause, ces éléments conduisent à formuler une question. Elle porte sur la nature des risques toxiques. Avez-vous eu avec les alliés, notamment avec les Américains, des discussions qui vous auraient permis de les évaluer précisément, notamment pour ce qui concerne l’uranium appauvri ?

Par ailleurs, dans le paragraphe « protection », il est fait état de la Pyridostigmine ; il est dit « absorption des comprimés de Pyridostigmine dès G-1, puis toutes les huit heures jusqu’à ordre contraire ». Est-il d’usage de prescrire sans limite de temps, lors de telles opérations militaires, des médicaments de cette nature ? Par ailleurs, lorsque ces médicaments sont administrés sur un théâtre des opérations, y a-t-il un suivi, par le Service de santé des Armées, des militaires ayant ingéré ces substances médicamenteuses ?

Général Maurice Schmitt : A la première question, je vous répondrai non. Je n’ai eu d’entretien avec aucun des responsables américains quant aux conséquences de l’utilisation de l’uranium appauvri. A cette époque, l’utilisation de projectiles à tête à uranium appauvri n’était pas considérée comme dangereuse, ni dans notre armée, ni dans l’armée américaine. La question n’avait donc pas lieu d’être évoquée.

En ce qui concerne votre deuxième question, M. le Président, il est effectivement indiqué « jusqu’à nouvel ordre ». Les commandements locaux étaient entourés de conseillers santé, et donc la durée d’absorption a dû être fixée en fonction des conseils des responsables du Service de santé sur place. Cette question ne s’est pas posée puisque le cessez-le-feu est intervenu au bout de cinq jours. Les militaires concernés ont donc ingéré 15 comprimés. Les conseillers santé considéraient, à l’époque, qu’il s’agissait de quelque chose de bénin. En ce qui concerne le suivi médical et compte tenu du caractère de cet antidote, il n’y a eu, à ma connaissance, aucune manifestation particulière, ni dans les jours ni dans les mois qui ont suivi. J’en aurais eu connaissance - j’ai quitté mes fonctions le 23 avril 1991.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Cela signifie-t-il que lorsque les militaires français sont impliqués dans un tel conflit, il y n’a pas de suivi médical au terme de l’opération afin d’évaluer la manière dont la santé des militaires évolue ?

Général Maurice Schmitt : Non, cela ne se passe pas comme ça en général. Ce suivi existe pour la prise de certains autres produits, mais ceux-ci n’ont pas été utilisés dans le Golfe. Le Service de santé des Armées procède de la même façon que la médecine civile : il y a un suivi médical. Mais dans le cas précis de la prise de la Pyridostigmine, surtout lorsqu’elle n’a été administrée que pendant cinq jours, il n’y avait pas lieu, selon les spécialistes de la santé, d’assurer un suivi médical pendant des mois. En outre, à ma connaissance, aucun signe d’affection ne s’est manifesté.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Mon Général, les Américains vous avaient-ils informé qu’ils utilisaient de l’uranium appauvri dans les avions A10 et peut-être dans certains chars ?

Général Maurice Schmitt : Nous n’avions pas besoin d’être informés par les Américains, nous le savions.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Je ne comprends donc pas pourquoi le Général Roquejeoffre nous a affirmé qu’il a appris que les Américains utilisaient de l’uranium appauvri par la presse ! Pensez-vous qu’effectivement il ne le savait pas ?

Général Maurice Schmitt : Je ne sais pas exactement ce que vous a dit le Général Roquejeoffre. Il a dû vous dire que la question n’avait pas été évoquée entre lui et le Général Schwarzkopf, ce qui est probablement vrai. Cette question allait de soi. Du moment que les chars Abrams disposaient d’obus flèches à uranium appauvri, que les A10 disposaient de projectiles à uranium appauvri et qu’à notre connaissance l’utilisation de cet armement était sans conséquence dommageable, je le répète il n’y avait donc pas lieu de poser la question.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Donc vous confirmez que vous le saviez ?

Général Maurice Schmitt : Je savais que l’armée américaine était dotée de projectiles à uranium appauvri. Comme l’étaient probablement les obus flèches des T72 soviétiques en Europe. Mais je ne pense pas qu’ils en aient fourni à l’Irak, car dans les dépôts de munitions irakiens, nous n’avons trouvé ni ce type de munitions, ni d’obus à tête chimique.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Vous avez dit que les commandos de recherche avaient pris du « Virgyl » sur votre ordre...

Général Maurice Schmitt : Non, je n’ai pas dit cela. J’ai autorisé la décision de la prise de ce médicament. Il appartenait aux colonels, qui étaient sur place, de prendre cette décision ; ils étaient les seuls à connaître la mission précise de chaque détachement. Le Général Janvier, par exemple, donnait les ordres aux commandos de recherche et d’action dans la profondeur ; il lui appartenait donc de décider qui pouvait, parmi ses hommes, prendre du « Virgyl ».

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : S’agissant de la protection des combattants, avez-vous donné des ordres pour que les hommes qui pouvaient être exposés aux poussières d’uranium appauvri - je pense en particulier au 6ème Régiment étranger de génie qui a dépollué l’aéroport d’As Salman - puissent se protéger ?

Général Maurice Schmitt : Non, comme je vous l’ai déjà dit, le caractère nocif - et à ma connaissance il n’est toujours pas prouvé - de l’uranium appauvri après utilisation dans un projectile n’était pas connu à cette époque ; nous n’avions donc aucune raison de demander que l’on donne cet ordre.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Vous avez également parlé d’alertes réelles ; y a-t-il eu des alertes chimiques ?

Général Maurice Schmitt : Je parle d’alertes chimiques réelles, bien entendu.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Ce qui veut dire que les Detalac, les détecteurs chimiques, ont fonctionné.

Général Maurice Schmitt : Non, nous ne nous comprenons pas. Les Detalac qui étaient en service n’ont pas fonctionné. Ce que je veux dire, c’est que lorsqu’il y avait connaissance de tirs de Scud - la durée du trajet du Scud était environ du quart d’heure -, il y avait une alerte généralisée car l’on ne savait pas ce qui se trouvait dans la tête du Scud. Il aurait pu y avoir un projectile chimique. L’alerte était donc donnée, c’est-à-dire que l’on demandait à tout le monde de revêtir la combinaison S3P et le masque. J’ai personnellement, le 14 janvier, couché dans ma combinaison avec un masque à côté de moi.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Pouvez-vous alors me dire pourquoi le Ministre m’a indiqué une suspicion de gaz neurotoxiques VX employés par les Irakiens ?

Général Maurice Schmitt : Nous savions que les Irakiens possédaient des organophosphorés ; ils les avaient même utilisés contre leur propre population dans le nord de l’Irak. Il était par conséquent de notre devoir de penser qu’ils pouvaient s’en servir contre nos forces. Cela étant dit, ils ne s’en sont jamais servis.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Le Ministre de la Défense ne s’est pas exprimé sur ce sujet devant la mission d’information, mais il le fera. Nous devons faire état devant la mission d’information de témoignages qui ont été directement portés à sa connaissance et des documents qui nous ont été communiqués.

M. Claude Lanfranca, rapporteur : Mon Général, la mission d’information n’a pas pour objectif de découvrir si l’uranium appauvri est toxique ou pas. Nous aborderons néanmoins ce sujet avec des experts. La question est de savoir si nos soldats ont été exposés à ce risque, puisque vous saviez que des armes incorporant de l’uranium appauvri étaient utilisées. Les mesures de protection n’ayant pas été prises, puisque l’on pensait que cela n’était pas nocif, ma question est donc la suivante : nos troupes ont-elles été au contact de chars détruits par des munitions de cette nature ou d’armes chimiques pendant des séjours assez longs ?

Général Maurice Schmitt : Si mes souvenirs des comptes rendus que j’ai eus à l’époque sont exacts, les A10 n’ont été utilisés que contre les bunkers et les chars irakiens autour de l’aérodrome d’As Salman. Seuls des militaires ayant été engagés autour de cet aérodrome ont pu être exposés à ce risque. Encore faut-il se souvenir que, contrairement à ce que l’on peut penser, il a beaucoup plu pendant l’attaque terrestre, or la pluie a le mérite de faire tomber les poussières éventuellement radioactives. Cela étant dit, par la suite, des petits détachements ont-ils été envoyés pour aller visiter des dépôts de munitions irakiens ? C’est possible, je n’ai pas le détail des missions prescrites par les colonels sur place. En revanche, ce que je peux vous dire, c’est que dans les dépôts de munitions d’artillerie et de chars de notre zone, il n’y avait pas de munitions chimiques.

M. Claude Lanfranca, co-rapporteur : Mon Général, en tant que médecin, je vous remercie d’avoir fait une mise au point ; en effet nous avons pu lire : « le Général Roquejeoffre avoue, la troupe a pris des toxiques », en parlant de la Pyridostigmine, médicament prescrit actuellement dans la pharmacopée française à des doses cinq ou six fois plus fortes.

Par ailleurs, savez-vous si la troupe a pris des produits contre ce que l’on appelle les organophosphorés et d’autres médicaments du type contrathion ?

Général Maurice Schmitt : Bien entendu, je ne vous parlerai pas des vaccinations habituelles. A ma connaissance, seule la Pyridostigmine, et dans certains cas particuliers, qui ne doivent pas dépasser la centaine, le « Virgyl » ont été administrés.

M. René Galy-Dejean : Je voudrais, avant de poser des questions au Général, fournir des explications. Il se trouve que dans l’article dont il a été question tout à l’heure, le fait que mon fils avait participé aux opérations du Golfe en tant qu’officier a été porté à la connaissance de l’opinion. Je dois donc une explication aux membres de la mission. Il se trouve que j’ai été élu député à l’occasion d’une élection partielle. J’ai conduit ma campagne entre le 1er décembre 1990 et la fin février 1991 ; précisément au moment où mon fils était engagé dans le Golfe. Cela a été rendu public parce que les journalistes finissent toujours par tout savoir et qu’à ce moment-là ils s’intéressaient à moi. Il n’en a plus jamais été question jusqu’à ces derniers jours. Je voulais faire cette précision par rapport à ce qui a été dit en préambule par le Président sur le comportement déontologique de chacun des membres de la mission.

Une chaîne de télévision m’a demandé un entretien en tant que père d’un officier présent dans le Golfe. Je n’ai pas refusé, mais j’indique à tous les journalistes présents dans cette salle que je ne donnerai plus d’entretien à ce sujet. Je tiens cependant à préciser que j’ai eu cet entretien non pas en tant que membre de la mission d’information mais en tant que père d’un officier ayant participé à la guerre du Golfe, en précisant que cette mission avait le caractère utile que vous avez rappelé, M. le Président, et que je souhaitais qu’elle poursuive aussi loin que possible ses investigations dans un souci de transparence absolue.

Le journaliste m’a demandé si mon fils m’avait dit avoir pris de la Pyridostigmine ; or il ne m’en a jamais parlé. Pourquoi ? Parce que cela avait, pour lui, un caractère très banal. Cela faisait partie de la multitude de prescriptions indiquées par les responsables militaires. J’ai donc répondu au journaliste, qu’au fond, la question ne s’est posée, pour moi, qu’au moment où l’un de nos collègues a mis en exergue cette affaire, c’est-à-dire il y a trois ou quatre mois.

J’étais déjà membre de la Commission de la Défense quand M. Jean-Michel Boucheron a établi un rapport sur les opérations de la guerre du Golfe. Je puis donc vous confirmer que non seulement il n’a pas du tout été question de cette affaire dans le rapport, mais que l’idée ne m’est même pas venue de soulever le problème - je n’en savais d’ailleurs rien à l’époque. Je vous dis tout cela pour montrer que la médication prescrite à ce moment-là relevait, me semble-t-il, de décisions parmi les plus normales et même indispensables que l’autorité militaire avait à prendre.

M. Bernard Cazeneuve, Président : M. Galy-Dejean, il ne faut pas qu’il y ait d’ambiguïté sur ce que signifie l’article 145 du Règlement de l’Assemblée nationale : les parlementaires ont la possibilité de communiquer sur la méthode qui préside aux travaux de la mission ainsi que sur ce qui est révélé à l’occasion des auditions publiques comme sur le calendrier des auditions. Ce que nous ne pouvons pas faire, c’est nous exprimer sur le fond alors que nous conduisons des investigations. J’ai moi-même eu des entretiens avec la presse, et je n’ai pas éprouvé le besoin de m’excuser devant vous car elles portaient uniquement sur la méthode.

M. René Galy-Dejean : Mon Général, je vous poserai quatre questions.

Premièrement, les doses de Pyridostigmine étaient-elle prescrites selon des directives données sur ce point ?

Deuxièmement, à partir du moment où il y avait un ordre de prise d’un médicament de cette nature, y avait-il- eu également un ordre d’interruption ?

Troisièmement, savez-vous si à l’époque les armées américaines et anglaises avaient pris des dispositions de protection médicale contre les gaz toxiques ?

Quatrièmement, est-il possible de considérer aujourd’hui, avec le recul, et même s’il devait apparaître que la prise de Pyridostigmine pouvait avoir des effets secondaires que l’on ne connaissait pas, que dans un contexte de risque « NBC » tel que celui des opérations, vous auriez pu ne pas prescrire ce médicament ?

Général Maurice Schmitt : Tout d’abord, je répondrai que les doses n’étaient pas prescrites dans les directives données.

Ensuite, l’ordre d’arrêter la prise de ce médicament n’a effectivement pas été donné, étant entendu que le cessez-le-feu est intervenu au bout de cinq jours ; il allait donc de soi, me semble-t-il, d’arrêter, à cette date, la prise de ce produit. Le Général Janvier avait donné l’ordre de la prise de ce médicament, il lui appartenait donc de donner le contrordre ; ce contrordre, à ma connaissance, n’a pas été donné. Le cessez-le-feu impliquait cependant que l’on cesse tout traitement préventif.

En ce qui concerne les contacts que nous pouvions avoir avec les armées alliées, je vous répondrai qu’effectivement, nous en avions sur les problèmes d’alertes et notamment par la mise en _uvre d’un système d’alerte généralisé. Nous avions également des échanges concernant les procédures de décontamination et de protection. S’agissant toutefois des antidotes préventifs, non, il n’y a pas eu d’échanges d’information. La question n’a pas été évoquée, mais elle pourrait être posée aux spécialistes que sont les médecins en chefs adjoints des Généraux Roquejeoffre et Janvier, de même qu’aux médecins militaires américains. Au niveau des responsables opérationnels, la question ne s’est pas posée.

En ce qui concerne votre dernière question, il est tout à fait clair que si l’ordre du Général Janvier qui est intervenu après ma directive, n’avait pas été donné et que l’on avait subi une attaque chimique faisant des morts et des malades, je serais aujourd’hui entendu, non pas en qualité de témoin mais en tant qu’inculpé et devant d’autres instances.

M. André Vauchez : Mon Général, la Pyridostigmine est un médicament, c’est aussi un antidote. Pour l’administration d’un médicament, il existe une posologie, des contre-indications, des mises en garde d’emploi, notamment quant à d’éventuelles interactions. Savez-vous si ces précautions ont été respectées ? Les soldats ont-ils subi un examen médical pour savoir s’ils étaient aptes à prendre ce médicament ? Certains ont-ils été déclarés inaptes ?

Général Maurice Schmitt : Cet antidote était connu du Service de santé des Armées depuis assez longtemps. Son administration n’était d’ailleurs pas prévue pour des opérations extérieures, mais pour des opérations sur le théâtre Centre-Europe. Et le Service de santé avait constitué, je le suppose, les stocks nécessaires pour les huit jours de phase active d’une guerre à laquelle nous nous préparions en Centre-Europe, pour un corps de bataille de plus de 200 000 hommes.

Dès lors que le directeur du Service de santé et les spécialistes qui l’entouraient nous indiquaient à nous, responsables militaires, les posologies et le degré de dangerosité du produit, nous faisions confiance.

M. André Vauchez : Sur les quelque 9 000 hommes concernés, il n’y a donc pas eu de soldats déclarés inaptes à la prise de ce produit ?

Général Maurice Schmitt : Non, pas à ma connaissance.

M. Charles Cova, Vice-Président : Mon Général, je vous poserai deux questions. Premièrement, il y avait des postes de décontamination à la disposition des unités qui ont procédé à l’attaque dont vous parliez dans votre préambule ; ces postes ont-ils été activés à un moment ou un autre ?

Deuxièmement, pensez-vous que des militaires aient pu continuer à prendre le médicament après le cessez-le-feu, car la mention de l’ordre opérationnel précisait : « jusqu’à ordre contraire » ?

Général Maurice Schmitt : En ce qui concerne votre première question, M. le député, il convient tout d’abord de se mettre d’accord sur ce que l’on appelle « activé ». Que les postes de décontamination aient été mis en mesure de servir, bien sûr ; nous serions coupables de ne pas l’avoir fait. Ont-ils servi ? Non, puisqu’il n’y a pas eu d’attaques chimiques.

Second point : des militaires ont-ils pu continuer à prendre de la Pyridostigmine après le cessez-le-feu ? Je ne suis pas en mesure de vous répondre. Vous devriez vous adresser aux capitaines et aux lieutenants dans les unités. Je pense néanmoins que la grande majorité des hommes ont arrêté la prise de ce médicament, dès le cessez-le-feu.

M. Aloyse Warhouver : Mon Général, je vais m’appuyer sur des témoignages recueillis dans ma circonscription auprès de militaires qui étaient engagés dans la division Daguet, donc des jeunes gens qui étaient sur le terrain.

Il convient d’abord de tenir compte du conditionnement entretenu par les médias américains dans ce conflit. La diabolisation de l’Irak de Saddam Hussein a eu pour effet psychologique de mettre le monde entier en émoi devant cette armée que l’on allait affronter. Parmi les engagés, certains jeunes avaient à peine 18 ans. Ils n’avaient pas été préparés à une guerre « exotique », en milieu désertique, avec des dangers réputés terribles.

Ne pensez-vous donc pas qu’un choc psychologique a pu les marquer davantage que les médicaments ? N’a-t-on pas dépassé au cours de ce conflit ce qui est humainement acceptable en temps de guerre, car nous avons alors entendu parler d’atrocités véritables ?

Général Maurice Schmitt : Monsieur le député, je vous remercie pour cette excellente question. Lors de la guerre du Golfe, nous avions eu la possibilité, la menace européenne étant supprimée, de porter le taux d’encadrement à pratiquement le double de celui des unités stationnées en France. Le danger avait donc été pris en compte ; vous le savez comme moi, plus une unité est encadrée, moins le risque psychologique est fort.

J’ai vécu Diên Biên Phu. Il est tout à fait clair que dans les unités fortement encadrées, telles que celles des parachutistes ou des légionnaires, les personnels ont mieux supporté de dures voire de sanglantes conditions - à quelques exceptions près, bien entendu -, alors que dans d’autres unités, il y a eu des désertions à l’intérieur même du camp retranché.

Ce que vous dites, M. le député, n’est donc pas exclu. Je pense en particulier à des militaires se trouvant dans des unités logistiques et devant aller chercher de l’essence à Dhahran. Je pense que c’est même beaucoup plus vraisemblable que les autres causes de séquelles évoquées jusqu’à maintenant. Cela étant dit, il revient aux commissions départementales, aux centres de réforme et aux tribunaux des pensions de déterminer l’existence de ce contexte et d’en tirer éventuellement les conséquences en faisant preuve de bienveillance.

M. Aloyse Warhouver : Des atrocités ont-elles été commises contre nos hommes ?

Général Maurice Schmitt : Non, aucune.

M. Jean-Louis Bernard : M. le Président, comme vous, j’ai été très irrité par les déclarations de la Secrétaire générale de l’association Avigolfe. Cette mission d’information est composée de dix députés. Certains ont désiré y participer parce qu’ils s’impliquent dans les questions de Défense, d’autres en tant que médecins, d’autres encore en tant qu’experts près des tribunaux. Je suis persuadé, et là je pense pouvoir parler au nom de tous les membres et cela m’est d’autant plus facile car j’appartiens à l’opposition, que nous le faisons sans a priori ni arrière-pensées, et que nous procédons d’une démarche de type scientifique, élaborée, au fur à mesure des témoignages et de l’intime conviction que nous nous forgerons au terme de nos travaux. Quand nous lisons ces déclarations intempestives, j’estime qu’il s’agit d’une insulte, en tout état de cause on jette l’opprobre sur des femmes et des hommes qui veulent travailler pour qu’éclate la vérité concernant le «  »syndrome du Golfe » ». Je ne veux pas être méchant, mais quand certaines chiennes aboient la caravane doit passer, ne fut-ce que dans les sables du désert. Ces remarques étant dites, je souhaiterais maintenant poser des questions au Général.

A mesure que nous avançons dans nos travaux, j’ai l’impression qu’il existe deux types de complications. Les complications immédiates seraient liées à des molécules dont l’évacuation se fait très rapidement, que ce soit le très fort maxiton type « Virgyl » ou la Pyridostigmine. Or il est difficile d’admettre, dix ans après, qu’un médicament pris à des posologies normales, pendant une durée normale, puisse entraîner des complications. Ces médicaments peuvent quand même entraîner des complications dans la mesure où ils ont pu entraîner des complications immédiates. On sait que la Pyridostigmine, notamment, ne peut être évacuée lorsqu’on est atteint de la maladie de Parkinson ou que l’on a une insuffisance rénale. La question est de savoir s’il y a eu des complications immédiates, secondaires ou précoces conséquentes à la Pyridostigmine ?

S’agissant de l’uranium appauvri, je me garderai bien de faire la moindre réflexion. Connaissant sa durée de vie, on peut néanmoins se poser un certain nombre de questions sur lesquelles il appartiendra aux experts de nous éclairer notamment quant à d’éventuelles complications que je vois personnellement plutôt du côté de l’uranium que de molécules très rapidement éliminées par l’organisme.

Enfin, mon Général, quand avez-vous appris l’existence de ce que l’on appelle le « syndrome du Golfe » ?

Général Maurice Schmitt : J’ai appris l’existence de ce syndrome en lisant le journal, il y a six mois ou un an ! Mais je ne sais pas si le mot « syndrome » convient dans ce cas particulier, du moins si l’on se réfère au Larousse. Je pense qu’il s’agit plutôt d’affections diverses présentées par un certain nombre de soldats.

En ce qui concerne les complications immédiates, à ma connaissance, il n’y en a pas eu. S’il y avait eu, par exemple, une épidémie de problèmes néphrétiques, j’en aurais été informé.

Il y a quinze ans, une unité avait été envoyée en Guyane, or les antipaludéens s’étaient avérés inefficaces, nous avons dû rapatrier en urgence cette compagnie. Il s’agissait là d’un véritable syndrome. Enfin, je comprends très bien, M. le député, que vous vous considériez comme outragé par cet article. J’espère que vous concevez également que les trois Généraux de l’armée dont on dit qu’ils ont « avoué » - avoué quelque chose qui est connu d’au moins 9 000 personnes - se sentent eux-aussi outragés.

M. Guy Teissier : Mon Général, je vous remercie tout d’abord de votre exposé extrêmement précis. En tant que Chef suprême des Armées à l’époque, vous nous avez dit qu’effectivement des antidotes préventifs avaient été administrés à nos soldats, tout comme nous l’avait dit le Général Roquejeoffre. C’était sans doute la première fois que des officiers Généraux faisaient de telles déclarations de façon publique. Ce qui a peut-être créé une certaine confusion, c’est que l’actuel Ministre de la Défense a dit, le 15 août dernier, qu’à sa connaissance aucun antidote préventif n’avait été administré à nos soldats. Il est donc possible qu’à partir de ce moment des interrogations soient venues à l’esprit des membres de cette mission d’information, d’une part, et dans celui de l’ensemble de nos concitoyens, d’autre part.

Tout ce que vous venez de nous dire, et que nous avons bien compris, concerne les antidotes qui ont été administrés aux soldats. Cela a été fait comme il se doit avant une attaque. Vous nous avez répondu avec beaucoup de franchise qu’il n’y avait pas eu d’ordre d’interrompre la prise de Pyridostigmine, car cela allait de soit avec le cessez-le-feu. Tout cela me paraît naturel. Et comme l’a dit mon collègue M. René Galy-Dejean, il paraît tout à fait normal qu’un officier, un sous-officier et même un homme du rang ne se préoccupe pas d’avoir pris quelques cachets alors qu’il peut laisser sa vie sur le champ de bataille. Enfin, je partage tout à fait le point de vue de mon collègue sur le désagrément que nous avons connus, les uns et les autres, à la lecture d’un certain nombre d’articles de presse.

Général Maurice Schmitt : M. le député, je n’ai bien évidemment pas à répondre au nom du Ministre de la Défense. Je n’ai d’ailleurs pas eu connaissance de cette déclaration. Mais il est certain que dans l’armée active se trouvent encore des personnalités ayant participé à la guerre du Golfe. Ils sont en mesure de renseigner le Ministre. Et je ne parlerai pas des journalistes accrédités qui suivaient les forces sur le terrain. C’est la raison pour laquelle le terme d’aveux m’ulcère, car il s’agissait d’un fait évident, connu de beaucoup de personnes.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Je voudrais préciser que les propos que j’ai tenus au début de cette audition ne manifestaient aucune irritation à l’égard de quiconque. Un certain nombre de propos ont, en effet, été tenus. La mission a la volonté d’accéder à un objectif et s’est dotée pour cela de moyens et d’une méthode. Il est important lorsque, les travaux de la mission font l’objet de doutes ou d’interrogations externes, que je profite des séances de travail de cette mission pour préciser à nouveau à la fois quel est l’objectif, quels sont les moyens et la méthode.

Pour ce qui concerne le point évoqué par M. Teissier, qui pointe du doigt un certain nombre d’incompréhensions qui peuvent résulter des déclarations faites par le Ministre de la Défense, je voudrais rappeler que si nous sommes une mission d’information parlementaire qui se consacre à l’examen des conditions dans lesquelles nos troupes ont été engagées dans la guerre du Golfe, c’est précisément parce qu’il relève du rôle du Parlement d’exercer une mission de contrôle, même a posteriori, de l’action conduite par l’exécutif.

Je dois également préciser que c’est dans le cadre de cette mission de contrôle que j’ai demandé, après en avoir parlé aux deux co-rapporteurs, au Ministre de la Défense de nous transmettre l’ensemble des ordres d’opération qui comprenaient les informations dont le Général Roquejeoffre a parlé la semaine dernière. J’ajouterai que j’ai demandé que ces ordres d’opération soient transmis à la mission d’information parlementaire avant que le Général Roquejeoffre ne soit auditionné. Et je déduis de l’ensemble de ces éléments que la création de cette mission n’est pas inutile. Ceux qui pensent le contraire se trompent lourdement, à la fois sur les objectifs que nous poursuivons et sur la manière dont nous travaillons.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Mon Général, je voudrais revenir sur ces produits neurotoxiques. J’ai en ma possession des témoignages de militaires m’indiquant que les Detalac se sont déclenchés à plusieurs reprises et que le 17 janvier 1991 - premier jour des bombardements - un agent neurotoxique inconnu a été détecté par un appareil américain au nord-ouest d’Hafr Al Batin, où il y avait une présence d’unité française. Le 19 novembre 1991, du Sarin a été détecté par l’unité de détection chimique tchèque au nord d’Hafr Al Batin, en présence d’une unité française. Le 19 janvier 1991, un agent neurotoxique inconnu a été détecté par les appareils français à 30 kilomètres de King Khaled Military Camp (KKMC), ce qui sera confirmé le même jour par une unité de détection chimique tchèque.

Vous nous dites qu’il n’y a pas eu d’alerte chimique, alors que je possède des informations démontrant le contraire. Que me répondez-vous à ce sujet ?

Par ailleurs, il existe un rapport d’origine française, qui aurait été remis aux Américains. Connaissez-vous ce rapport ? A-t-il été établi par vos services ? Avez-vous eu également connaissance d’un rapport tchèque relatif à la détection des gaz ?

Pour revenir à la Pyridostigmine, je voudrais informer les membres de la mission qu’il s’agit d’un médicament que l’on délivre en cas d’infection. Il ne s’agit en aucun cas d’un produit préventif, notamment à l’égard de gaz neurotoxiques. Enfin, pouvez-vous nous donner le nom du directeur central du Service de santé des Armées de l’époque ?

M. Bernard Cazeneuve, Président : Mes chers collègues, je souhaiterais, si nous en sommes collectivement d’accord, que lorsque des éléments documentaires sont cités et qu’ils comportent un certain nombre d’informations pouvant intéresser la mission, qu’il en soit donné la source et qu’ils puissent être transmis à l’ensemble des membres de la mission. Par ailleurs, dans un même souci de transparence, je souhaiterais, lorsque nous auditionnons une personnalité disposant de documents, que cette dernière nous fasse également parvenir ses sources.

Enfin, sachez que nous auditionnerons le responsable du Service de santé des Armées de l’époque dans les toutes prochaines semaines. J’en ai saisi le ministère de la Défense.

Général Maurice Schmitt : Le directeur du Service de santé de l’époque était le Médecin général Jean Bladé.

S’agissant des signaux d’alerte, Mme la députée, je suis désolé, je n’en ai pas le souvenir. Je ne sais pas si le Général Roquejeoffre ou le Général Schwarzkopf en ont eu connaissance.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Mme la co-rapporteure, quelle est l’origine de vos informations ?

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Ces informations sont tirées d’un document lui-même établi après l’enquête menée par l’association Avigolfe. Il a été réalisé sur la base de témoignages de militaires.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Je préférerais donc, Mme Rivasi, que vous employiez le conditionnel et que nous puissions croiser ce document avec ceux que nous avons demandés au ministère de la Défense, de manière à déterminer s’il convient d’employer le conditionnel ou l’indicatif. Nous n’avons aucune raison de négliger ce document, mais nous n’en avons aucune non plus de le prendre pour « argent comptant ». Par conséquent, nous prendrons aussi en compte les informations de ce document - qui d’ailleurs ne m’a pas été transmis - et nous poserons un certain nombre de questions au ministère de la Défense qui nous permettront de vérifier son contenu.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Mon Général, je vous repose la question, avez-vous eu connaissance de ce document ?

Général Maurice Schmitt : Non, je n’ai pas eu connaissance du document d’Avigolfe. Cela étant dit, si les Detalac s’étaient effectivement déclenchés - je n’ai pas le souvenir de cette unité de détection tchèque - et si une détection de source de Sarin avait été signalée, je suis convaincu que le Général Mouscardès, qui commandait à l’époque la division Daguet, et le Général Roquejeoffre m’en auraient informé. Cela peut m’échapper, mais les comptes rendus des officiers Généraux sont archivés au service historique de l’armée de Terre, vous pouvez donc les consulter.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Cela a déjà fait l’objet d’une demande auprès du ministère de la Défense.

M. Claude Lanfranca, co-rapporteur : M. le Président, je ne veux pas entretenir de polémiques entre rapporteurs, mais je voudrais insister sur le fait que nous ne devons agir ni à charge, ni à décharge. Notre mission est de découvrir la vérité. Si nous diffusons des informations émanant d’associations, nous nous faisons les porte-parole de celles-ci ; or je ne voudrais pas que l’on tombe dans ce piège. Je souhaiterais également que l’on n’avance pas de façon très convaincue des arguments médicaux lorsqu’on n’est ni médecin, ni spécialiste de la pharmacologie. Ces questions doivent être posées aux spécialistes ainsi qu’à celui qui était en charge du Service de santé des Armées. En ce qui me concerne, je suis médecin biologiste, je m’inscris en faux sur ce que je viens d’entendre : le bromure de Pyridostigmine est vendu sous le nom de Mestinon. Je prescris encore actuellement ce médicament pour des cas de constipation ! Alors arrêtons de dire n’importe quoi avec beaucoup d’assurance.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Mes chers collègues, c’est de la confrontation des points de vue que jaillit la lumière. Il n’est ni mauvais, ni malsain, notamment au Parlement, dès lors que l’on veut accéder à la vérité, que le débat se noue, voire même se cristallise. Je ne trouve pas mauvais que l’on puisse utiliser des documents provenant de telle ou telle association à condition que l’on donne les sources de tels documents. Dès lors que le document est « sourcé » puis porté à la connaissance des membres de la mission et qu’il légitime un certain nombre de questions, cela nous permet de procéder à des vérifications. Et je veillerai à ce que le ministère de la Défense nous communique l’ensemble des documents que nous lui avons demandés, ce qu’il a d’ailleurs fait jusqu’à présent. Mon Général, je voudrais vous poser une dernière question.

Si l’on veut avoir une bonne maîtrise de l’information écrite, il faut que nous ayons une bonne connaissance de la manière dont ces informations étaient transmises au ministère de la Défense. Quel était le système de communication, de transmission entre vous, qui étiez sur place, et le ministère de la Défense ? Y avait-t-il, par delà les comptes rendus quotidiens d’opération qui sont archivés et dont nous avons demandé au ministère de la Défense la transmission, des télégrammes diffusés de façon codée pouvant rendre compte de tel ou tel aspect des opérations et qui pourraient contenir des informations qui ont été évoquées aujourd’hui avec vous ?

Général Maurice Schmitt : Vous évoquez, M. le Président, sans doute le système de transmission existant entre le Général Roquejeoffre et moi-même - et non pas avec le Ministre de la Défense, car nous n’étions séparés que de 50 mètres. Je suis allé une dizaine de fois dans le Golfe mais ma place était à Paris. Si j’avais eu une information relative à la détection de Sarin, il est bien clair que j’en aurais fait part au Ministre de la Défense immédiatement ; or je n’ai pas eu cette information.

En ce qui concerne mes communications avec le Général Roquejeoffre, nous utilisions le réseau Syracuse, système de transmission normal des armées françaises, plus le cryptage en ligne, ce qui nous permettait d’échanger des documents manuscrits. Nous communiquions directement sur les sujets hautement secrets comme les heures de déclenchement d’opérations, les man_uvres, etc... Il n’y avait rien de secret dans ce que nous avons évoqué aujourd’hui, du moins pour faire l’objet de télégrammes personnels entre le Général Roquejeoffre et moi-même. D’ailleurs, les archives de ces télégrammes existent aussi.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Mes questions se fondent sur des témoignages de militaires qui ont participé à la guerre du Golfe. Alors si je ne peux pas m’en servir ! Mon Général, oui ou non étiez-vous au courant du fait qu’il y a eu des détections de gaz toxiques ?

Général Maurice Schmitt : Je vous réponds formellement non.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Cela est important par rapport aux militaires qui ont témoigné. Quand l’armée américaine a bombardé l’usine chimique irakienne de Kamisiyah, étiez-vous au courant de la nature des produits chimiques se trouvant dans cette usine ? Avez-vous eu des informations sur le nuage qui s’en est échappé ?

Enfin, j’ai appris que les Américains avaient utilisé ce que l’on appelle la « bombe du pauvre ». Pouvez-vous nous donner plus d’informations à ce sujet ?

Général Maurice Schmitt : En ce qui concerne l’usine chimique bombardée par les missiles américains - opération qui a eu lieu après le 17 janvier -, il est clair que si ce bombardement avait eu des conséquences, les Américains, qui disposaient de moyens de détection supérieurs aux nôtres, nous auraient alertés, d’autant plus que nous étions à l’aile gauche du 17ème corps américain et que le PC du Général Luck, à Rafha, était très proche de celui du Général Janvier. Or nous n’avons jamais été mis en garde contre des conséquences éventuelles de ces bombardements.

S’agissant de la « bombe du pauvre », nous en avons entendu parler comme ayant été expérimentée par les Américains contre les fossés antichars irakiens dans le sud du Koweït. Il s’agit d’une bombe à haute pression. On en a parlé, mais comme cela se passait à 400 kilomètres de la zone d’engagement de nos troupes, je n’ai pas approfondi la question. Mais je crois qu’effectivement les Américains l’ont utilisée.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Ma dernière question porte sur l’explosion d’une centrale nucléaire. Où était-elle située ?

Général Maurice Schmitt : Il faudrait que je recherche dans les archives. Mais les centres nucléaires irakiens étaient parfaitement connus ; la Direction du renseignement militaire (DRM) est en mesure de vous renseigner. Si mes souvenirs sont exacts, ils étaient situés au nord-ouest de Bagdad.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Je précise aux membres de la mission que je saisis au terme de cette audition le Ministre de la Défense sur les différents points qui ont été évoqués aujourd’hui, afin qu’il nous transmette l’ensemble des éléments qui seraient à sa disposition. Le rapport, dans sa version finale, apportera des réponses les plus précises possibles à ces questions et publiera en annexe des documents déclassifiés qui nous auront été fournis.

Mon Général, je vous remercie infiniment d’avoir accepté de répondre à nos questions. Nous poursuivrons nos investigations en procédant à d’autres auditions. Si nous éprouvons le besoin de vous auditionner à nouveau, nous ne manquerons pas de vous contacter.


Source : Assemblée nationale (France)