(extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 8 novembre 2000)

Présidence de M. Bernard Cazeneuve, Président

M. Bernard Cazeneuve, Président : Nous vous remercions d’avoir accepté de venir devant nous évoquer des différentes questions que souhaitent aborder avec vous les membres de notre mission. Vous êtes la troisième personne auditionnée dans le cadre de cette mission. Je vous propose de procéder dans les mêmes conditions que ceux qui vous ont précédé à cette tribune. Après un exposé liminaire, nous passerons à une série de questions.

Le Médecin général Daniel Gautier : Monsieur le Président, Madame, Messieurs les membres de la mission d’information, nommé Directeur-adjoint du Service de santé des Armées en novembre 1997, j’assume la responsabilité de sa direction depuis le mois de juillet 1999. Auparavant, j’étais Médecin chef de l’hôpital d’instruction des Armées (HIA) du Val-de-Grâce, fonction exercée à partir de février 1993.

Ancien titulaire de la chaire d’épidémiologie du Val-de-Grâce, j’étais, au moment du conflit du Golfe, chef du service d’endocrinologie, diabétologie et affections métaboliques de l’HIA Bégin, hôpital en alerte avec cinq autres hôpitaux militaires, en région parisienne, à Lyon, Marseille et Toulon, au moment des hostilités, afin de faire face à un éventuel afflux massif de blessés.

Ce dispositif de soutien arrière en métropole venait en appui du soutien « santé » disposé sur le théâtre d’opération, afin d’assurer un maillage médical particulièrement dense et une cohérence garantissant une continuité entre chaque unité élémentaire régimentaire, le niveau divisionnaire et les groupements de soutien logistique de Riyadh et Yanbu.

A la veille de l’engagement terrestre, nous disposions de 1 068 personnels sur place : 227 médecins, 413 personnels infirmiers, 428 brancardiers secouristes, armant 14 formations sanitaires, 17 chantiers opératoires, 23 équipes chirurgicales avec une capacité d’accueil de 1 064 lits sur le territoire.

C’est-à-dire qu’au niveau maximum de l’intensité du conflit, la composante santé représentait près de 10 % des effectifs totaux. Fait nouveau, durant ce conflit, nous avons intégré, dès le départ, des psychiatres aux équipes médicales avec pour mission la prise en charge des problèmes psychologiques ainsi que des actions d’hygiène mentale.

Les mesures médicales prises pendant la guerre du Golfe peuvent, sur un plan chronologique, s’exposer en trois volets : avant le départ, pendant le séjour et au retour.

Avant leur départ, tous les personnels ont fait l’objet d’une visite médicale afin de juger de leur aptitude à servir « outre-mer ». A cette occasion, le calendrier des vaccinations légales et réglementaires auquel est astreint tout militaire a été vérifié et, le cas échéant mais non pas de manière systématique, mis à jour, au moyen d’un rappel des vaccins antitétanique, antidiphtérique et antipoliomyélitique ainsi qu’un vaccin antityphoïdique par vaccin Typhim Vi. Tous ces vaccins, est-il utile de le rappeler, étaient des vaccins du commerce ayant reçu une autorisation de mise sur le marché (AMM).

Au moment du départ, à une époque où le vaccin antihépatite A n’était pas encore commercialisé, tous les personnels ont reçu une immunoglobulinoprophylaxie antihépatite A par gamma globulines polyvalentes. Certains militaires servant dans des unités appelées en mission dans des zones d’endémicité amarile avaient été antérieurement immunisés contre la fièvre jaune.

Je précise qu’il n’a été procédé à aucune vaccination contre le risque B dit « agressif », c’est-à-dire contre le charbon, le botulisme et la peste. La vaccination anticharbonneuse avait été à l’époque, comme elle l’est encore aujourd’hui, écartée très rapidement des scénarios prophylactiques. Par souci de transparence, il convient d’ajouter qu’ultérieurement, alors qu’ils étaient sur le théâtre intégrés à des formations américaines et échappaient alors totalement à notre contrôle, quelques militaires ont pu, sans que nous puissions formellement le certifier, faire l’objet d’une telle vaccination anticharbonneuse.

J’aborderai à présent les données relatives au séjour :

Tous les militaires ont fait l’objet d’une surveillance et d’un suivi médical rapprochés. Je rappelle, en effet, que dans notre organisation, et contrairement à ce qui est observé dans l’armée américaine, des médecins étaient situés à l’avant dans des postes de secours mobiles, en nombre suffisant puisqu’il y avait environ un médecin pour deux cents militaires. Ces médecins sont assistés d’infirmiers et d’auxiliaires sanitaires.

En opération, le Service santé des Armées (SSA) dispose, pour chaque combattant, d’un livret médical réduit qui résume les principales informations médicales utiles et permet l’inscription de toute blessure ou événement pathologique survenu durant l’opération et éventuellement susceptible d’ouvrir un droit à pension.

Pendant le séjour, plusieurs mesures médicales ont été appliquées.

Tout d’abord, la surveillance médicale et psychologique, chacun de ses aspects faisant l’objet d’une analyse épidémiologique par la voie d’un compte rendu hebdomadaire de la situation sanitaire : cet indicateur permettait de percevoir très rapidement l’émergence de tout fait pathologique insolite appelant une enquête approfondie et d’arrêter des mesures adaptées. Ce fut le cas pour quelques épisodes de toxi-infections alimentaires collectives.

Deuxième mesure, la prophylaxie du paludisme dans les zones à risque - dans les faits la région de Yanbu - par la prise quotidienne de comprimés de Chloroquine poursuivie pendant un mois après avoir quitté la zone d’exposition.

Des mesures rigoureuses d’hygiène individuelle et collective ont également été appliquées concernant l’eau, les déchets, la lutte contre les rongeurs et la lutte antivectorielle. Dans ce dernier domaine, il convient de remarquer que l’utilisation d’insecticides a été limitée car les troupes françaises étaient, pour la plupart, stationnées en région désertique non propice à la pullulation vectorielle, à l’exception du port de Yanbu. Les insecticides utilisés étaient des produits courants du commerce, principalement pyrethrinoïdes mais aussi malathion et lindane. La lutte antivectorielle associait l’utilisation de moustiquaires imprégnées de deltamethrine, la pulvérisation de produits rémanents intradomiciliaires et le traitement des collections d’eau. L’insectifuge fourni par le SSA était un produit du commerce comportant du diéthyltoluamide. Ce produit a été peu utilisé en raison de la faible nuisance vectorielle.

En raison du contexte épidémiologique local, les mesures d’immunisation prises au départ ont été complétées, durant le séjour, par la réalisation à la fin du mois d’octobre, soit quatre mois avant le début de l’offensive terrestre, d’une vaccination antiméningococcique A+C produite par l’Institut Mérieux. Cette vaccination a été effectuée par une équipe spécialisée venue de l’Institut de médecine tropicale du Service de santé des Armées (IMTSSA) de Marseille, utilisant un système d’injecteur sous pression sans aiguille type IMOJET. Enfin, une vaccination antigrippale a été réalisée par les médecins d’unité.

Durant leur séjour, les militaires français ont pu avoir recours, hors la chimioprophylaxie du paludisme et le traitement d’éventuelles affections intercurrentes, à deux types de produits pharmaceutiques : la Pyridostigmine et le Modafinil.

S’agissant de la Pyridostigmine, la doctrine d’utilisation était claire puisque reposant sur la prise, sur ordre du commandement et en cas de menace avérée, de cette chimioprophylaxie. Rappelons que cette molécule antidote est donnée à titre de prétraitement pour limiter les risques rapidement mortels par asphyxie en quelques minutes, induits par les armes chimiques de la famille des organophosphorés du type Soman. Etait-il contraire à l’éthique de l’utiliser ou convenait-il, en l’écartant, d’exposer les combattants à une mort certaine en cas d’attaque chimique ? La question à mon sens, ne se posait pas.

Dans les faits, l’interprétation des rapports de fin de mission de nos médecins et les témoignages de l’époque nous ont laissé penser, puis écrire et faire dire au Ministre de la Défense que les circonstances avaient voulu que l’ordre de prise de la Pyridostigmine n’ait jamais été donné officiellement. A aucun moment, et nous le regrettons en raison de l’exploitation actuellement faite de cette inexactitude, nous n’avons pensé à vérifier la pertinence de l’information donnée en recherchant dans nos archives l’ordre d’opération.

Ceci pour deux raisons essentielles. La première tient au fait que, sur la base des connaissances actuelles, la Pyridostigmine ne nous apparaît pas comme un produit « sensible ». En effet, elle est utilisée depuis 1954, dans le traitement au long cours d’affection telle la myasthénie ou d’inconfort telle l’atonie intestinale. Elle bénéficie de l’autorisation de mise sur le marché. En dehors d’effets de surdosage ou d’effets secondaires indésirables rapidement réversibles à l’arrêt du traitement, les études de pharmacovigilance n’ont jamais mis en évidence de complications au long cours de cette médication.

Antérieurement à ces événements, le ministère de la Défense avait fait procéder en 1986 à des études menées au département de pharmacologie de l’hôpital de la Pitié Salpétrière, afin de vérifier son innocuité sur des volontaires sains.

La deuxième raison, de ce que l’on peut qualifier de « manque de curiosité », tient au fait que nous n’avons jamais dissimulé, et le Ministre de la Défense l’a dit lors de son audition devant la Commission de la Défense de l’Assemblée nationale le 13 septembre dernier, que dans les conditions de stress suscitées par les alertes chimiques qui se multipliaient, des commandants d’unité avaient conseillé à leur personnel de prendre ce produit. La prise a même pu être le fait d’initiatives individuelles dans l’angoisse du moment et dont il est difficile de mesurer l’intensité quand on ne participe pas à de telles opérations.

Mais, en tout état de cause, hors cas particuliers, ces prises ont été de courte durée, en moyenne de trois à cinq jours, et à des posologies inférieures de moitié à celles utilisées en thérapeutique générale.

Le bilan des « mouvements » de ce produit, au niveau de la direction des approvisionnements des établissements centraux (DAEC), permet de vérifier cette affirmation. Ainsi 53 451 boîtes de 30 comprimés ont été expédiées sur le théâtre d’opération, afin d’assurer les dotations individuelles et les dotations complémentaires. 47 000 boîtes ont été reversées, puis détruites quelle que fut leur date de validité, en raison des doutes quant à leurs conditions de conservation. 6 451 boîtes n’ont pas été reversées, c’est-à-dire que la consommation maximum ne saurait avoir dépassé ce volume.

Deuxième produit, des comprimés de Modafinil, molécule permettant un éveil de qualité durant soixante heures sans présenter les inconvénients des amphétaminiques. Ce produit a été utilisé par certains personnels pour l’accomplissement de missions opérationnelles de longue durée nécessitant une vigilance accrue. La délivrance était faite sous la responsabilité d’un médecin.

Seules quelques unités l’ont utilisé. 24 400 comprimés avaient été cédés à la DAEC par les laboratoires Lafon. 18 000 ont été distribués lors de l’opération Daguet. 7 984 n’ont pas été réintégrés et ont donc fait l’objet d’une possible utilisation. Des études antérieures aux opérations avaient, en tout état de cause, montré l’innocuité du Modafinil.

Enfin, dans un troisième temps de l’analyse chronologique, j’évoquerai la situation après le retour en France :

Dès leur retour, les personnels ont bénéficié d’une visite médicale, d’ailleurs prévue réglementairement après tout séjour en opération extérieure (OPEX), afin de dépister toute affection évolutive. A cette occasion, ils ont reçu des conseils les invitant à consulter un médecin en cas de survenue d’une quelconque maladie.

Les militaires restés sous statut militaire ont continué à bénéficier, chaque année, d’une visite systématique destinée à évaluer leur aptitude au service. Dans chaque unité militaire, existe un registre des constatations dans lequel le commandement inscrit, après avis médical, tout événement médical survenu à l’occasion du service et susceptible d’ouvrir un droit à pension.

Pour les personnels ayant quitté les Armées et qui du fait de leur retour à la vie civile échappaient à notre contrôle, les militaires ayant participé à l’opération Daguet ont bénéficié de la réglementation française sur les pensions militaires d’invalidité. Cette réglementation permet à tout ancien militaire de déposer une demande de pension d’invalidité s’il s’estime victime d’une affection médicale liée au service. Les demandes sont traitées par les directions interdépartementales des Anciens combattants qui font appel à des médecins experts indépendants. Par ailleurs, les hôpitaux des Armées sont ouverts sans restriction aux anciens militaires qui souhaitent s’y faire traiter. Enfin, précisons que tout ancien du Golfe ayant quitté les Armées peut obtenir communication de son dossier médical militaire par l’intermédiaire d’un médecin qu’il désigne à cet effet, conformément à la législation de la santé publique.

A aucun moment, depuis la fin du conflit, le réseau de soins du SSA composé des services médicaux d’unité, des centres d’expertise et des hôpitaux ainsi que les données du système de recueil épidémiologique ne nous ont alertés sur l’existence de pathologies pouvant être assimilées à ce qu’il est convenu d’appeler un « syndrome de la guerre du Golfe ». De même, à aucun moment, le service des pensions du Secrétariat d’Etat aux Anciens combattants ne nous a alertés sur des dossiers pouvant évoquer une telle réalité. Ceci explique que nous n’ayons pas jugé opportun d’engager des enquêtes, aux procédures méthodologiques toujours lourdes, sur un tel thème.

Cette attitude ne signifie pas que nous nous soyons désintéressés du problème. Ainsi, nous avons participé sur ce sujet et sous l’égide de l’Etat-major des Armées, à plusieurs rencontres et missions d’échanges scientifiques avec nos alliés. Dans le même temps, le SSA a réalisé ou fait financer plusieurs études consacrées à la tolérance à l’administration de Pyridostigmine, aux effets de faibles doses de neurotoxiques et à des études complémentaires sur le Modafinil.

Au cours de ces derniers mois, nous avons créé un groupe d’experts du service afin de renforcer l’analyse scientifique et contribuer aux études et enquêtes. Nous avons défini un bilan médical pouvant être proposé, dans nos structures hospitalières, à tout ancien militaire ayant participé aux opérations du Golfe.

Enfin, nous avons procédé à une enquête auprès de 81 médecins militaires toujours en activité et ayant participé aux opérations du Golfe, afin d’améliorer les connaissances sur l’exposition aux facteurs de risques susceptibles d’être retenus comme pouvant rendre compte du « syndrome du Golfe », pour autant que cette notion existe réellement.

Voici, M. le Président, Mme, MM. les députés, les quelques éléments qu’en propos liminaires, je souhaitais présenter.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Merci. La première question vous est posée par M. Claude Lanfranca, co-rapporteur.

M. Claude Lanfranca, co-rapporteur : Je voudrais revenir sur le bromure de Pyridostigmine et vous poser trois questions précises auxquelles votre exposé liminaire a déjà donné certains éléments de réponse.

S’agissant de la « dangerosité », une étude a été faite et une posologie prescrite, laquelle correspond à la moitié de la dose actuelle prescrite en médecine civile.

Par ailleurs, j’ai entendu dire que ce n’était pas un antidote valable. Je voudrais donc savoir sur quels critères ce produit antidote a été choisi. Est-ce sur des données expérimentales, scientifiques ou d’autres personnes l’avaient-elles utilisé avant nous ?

Enfin, il est important de le signaler si cela s’avérait exact, il semblerait que certains alliés, notamment les Anglais, ont également utilisé la Pyridostigmine, non pas sous forme de bromure mais sous une autre forme moléculaire qui, elle, présenterait des risques de passage de la barrière physiologique, notamment cérébrale.

Le Médecin général Daniel Gautier : Effectivement, les Anglais utilisent un autre agent, la physostigmine, qui passe la barrière hémato-encéphalique. A cet égard, la Chambre des Communes, en 1994 ou 1995, à la suite d’un débat, a validé la position de prophylaxie du risque chimique par la physostigmine du Service de santé de l’armée britannique.

En ce qui concerne le bromure de Pyridostigmine, il s’agit d’un produit qui ne franchit pas la barrière hémato-encéphalique. Des études ont démontré que les conditions de stress extrêmement contraignantes, auxquelles ont été soumis nos militaires, ne modifiaient pas cette imperméabilité à la Pyridostigmine. Cette dernière substance a donc été choisie car il s’agit d’un carbamate qui est un inhibiteur réversible des cholestérases.

L’étude à laquelle, j’ai fait précédemment allusion a été conduite en 1986 sur des volontaires sains, dans le cadre du département de pharmacologie de l’hôpital de la Pitié Salpétrière et n’a pas démontré la « dangerosité » du produit.

M. Bernard Cazeneuve, Président : La parole est à Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Je reviens à vos propos quant aux vaccins, pour quelles raisons seuls quelques militaires ont tout de même été vaccinés contre le charbon ?

Le Médecin général Daniel Gautier : Nous avons découvert ces faits lors de l’enquête que nous avons menée auprès de 81 de nos médecins, parmi lesquels 2 nous ont signalé des cas isolés de militaires français - apparemment des transmetteurs - intégrés aux forces américaines. Il semblerait que, dans le cadre de cette intégration, ces militaires aient suivi la chaîne médicale des Américains. Cela ne concerne que quelques militaires, et je ne peux authentifier formellement ces pratiques. Néanmoins je tenais à les rapporter devant cette mission d’information, afin qu’il ne me soit pas fait grief de dissimulation.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Pourrait-on avoir communication de l’étude de pharmacologie que vous avez conduite sur des volontaires sains par rapport à ce bromure de Pyridostigmine ?

Le Médecin en chef Jacques Brunot : Cette étude fait partie du dossier communiqué à la mission d’information parlementaire et qui comprend environ quatre-vingts documents divers sur l’ensemble des sujets abordés.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : S’agissant du Modafinil ou du « Virgyl », si l’on prend l’appellation des militaires...

Le Médecin général Daniel Gautier : ...Produit actuellement commercialisé sous le nom de Modiodal.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : ...Vous avez indiqué qu’environ 7 900 pilules n’ont pas été restituées. Combien de doses par personne cela représente-t-il ?

Le Médecin en chef Jacques Brunot : Il y a 8 comprimés par boîte de Modafinil. La prise est de 2 comprimés, répétée éventuellement une fois, puis suivie de quinze heures d’interruption. On peut ensuite reprendre ce produit si le besoin s’en fait servir. Les boîtes entamées correspondent au maximum à un millier de personnes, sachant qu’il s’agit de boîtes non restituées, par conséquent pour lesquelles nous n’avons pas la certitude qu’elles ont toutes été intégralement consommées.

Le Médecin général Daniel Gautier : Les unités qui ont eu recours au « Virgyl » sont relativement limitées. Ce sont essentiellement des unités de commandos, de recherche et de pénétration en profondeur (CRAPS), et des chauffeurs routiers qui devaient faire de longs parcours de nuit et pour lesquels la vigilance était indispensable. Ce produit a également été utilisé par certains états-majors et dans le onzième régiment d’artillerie de la Marine. Une des raisons pour lesquelles ce produit a été très peu utilisé est qu’il devait être donné par les médecins.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Après autorisation du Général Schmitt, comme il l’a lui-même indiqué à la mission, lors de son audition !

Le Médecin général Daniel Gautier : Sur le théâtre des opérations, les médecins ont eu, à tort, le sentiment qu’il s’agissait d’un essai thérapeutique. Par conséquent, un grand nombre de médecins n’ont pas proposé le Modafinil afin de ne pas être accusés de s’être livré à une telle pratique.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Pourquoi ces médecins avaient-ils ce sentiment au sujet d’essais thérapeutiques ?

Le Médecin général Daniel Gautier : Je l’ignore. Peut-être parce que le Modafinil n’était pas encore très connu.

Le Médecin en chef Jacques Brunot : Il ne s’agit pas de dire que 1 000 personnes en ont pris, mais que 1 000 boîtes au maximum n’ont pas été restituées. Cela signifie, peut-être, qu’un certain nombre d’unités, comme les CRAPS qui ont séjourné un certain temps dans des points névralgiques, l’ont peut-être utilisé de manière plus prolongée.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Cette question est très importante. Si l’on reprend votre exposé liminaire, vous avez indiqué que sur les 18 000 comprimés distribués, compte tenu du nombre de boîtes et de comprimés restitués, environ 7 900 n’ont pas été réintégrés et auraient donc pu être absorbés. Je voudrais donc compléter la question de Mme Rivasi. Est-il possible de savoir très précisément, à partir, par exemple, de comptes rendus d’opération établis par les officiers auxquels le Général Schmitt a donné l’autorisation d’en distribuer sans en donner l’ordre formel, à quels bataillons ces médicaments ont été distribués ? Par ailleurs, est-il possible de savoir combien de militaires ont absorbé ces 7 900 comprimés non restitués ?

Il est très important pour nous de comprendre la façon dont les ordres sont donnés. S’agissant de la Pyridostigmine, c’est le chef de corps qui a donné l’instruction et non pas le Chef d’Etat-major des Armées. Cela a d’ailleurs été indiqué dans les ordres d’opération, notamment l’ordre n° 1.

Pour ce qui concerne le Modafinil, le Général Schmitt nous a indiqué hier qu’il n’avait pas donné instruction de l’administrer, mais qu’il avait donné la possibilité de le faire si le besoin s’en faisait sentir.

En vous basant sur votre expérience de l’intervention du SSA dans les conflits, la possibilité de donner à tel ou tel officier l’instruction de faire prendre tel médicament et les conditions de son administration peuvent-elles figurer dans un ordre d’opération ?

Le Médecin général Daniel Gautier : Non, car il ne s’agissait pas d’un médicament donné sur ordre. Il n’était imposé à aucun militaire. C’est le médecin qui le mettait à la disposition des personnels qu’il estimait susceptibles d’avoir besoin de ce médicament d’éveil.

Le Médecin en chef Jacques Brunot : Parmi les documents remis à la mission, il y a un rapport concernant l’utilisation du Modafinil pendant les opérations. Pour pondérer vos propos, mon Général, s’il est vrai que le médecin en avait la responsabilité, il revenait néanmoins au commandement de déterminer ponctuellement si le besoin de prendre le médicament existait pour des raisons opérationnelles.

Il fallait, tout d’abord, qu’existe le besoin de rester en éveil, pendant une durée de quatre ou cinq heures dépassant les limites physiologiques habituelles et que, par ailleurs, ce besoin ne puisse être corrigé par une période de sommeil. La prise de ce médicament se faisait donc dans le cadre d’un réel besoin opérationnel.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Concrètement, cela signifie que si un officier considérait que, pour des raisons opérationnelles, des soldats placés sous sa responsabilité devaient rester éveillés au-delà d’un certain laps de temps, il pouvait leur donner l’instruction de prendre ce médicament.

Le Médecin en chef Jacques Brunot : Ce sont les officiers qui donnaient cette instruction mais sous la responsabilité de prescription du médecin d’unité. Toutefois, on s’aperçoit que, dans les modes de prise, l’ordre ayant été donné, les intéressés ne l’ont pas pris de la même manière, y compris dans une même unité. Certains bataillons l’ont tous pris, d’autres beaucoup moins et d’autres encore pas du tout, cela pour les raisons qu’exposait le Médecin général. En effet, vraisemblablement par manque d’information, le Modafinil donnait à penser à certains qu’on ne savait pas trop ce dont il s’agissait.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Si vous êtes en mesure d’affirmer que certains bataillons n’ont pas pris le Modafinil dans les mêmes conditions que d’autres, cela suppose que vous disposez actuellement de comptes rendus précisant les conditions dans lesquelles ces médicaments ont été pris.

Le Médecin en chef Jacques Brunot : Pas d’une manière exhaustive, mais ce rapport figure aux pièces versées à la mission d’information parlementaire.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Nous croiserons ces éléments écrits qui nous ont été communiqués avec les affirmations faites devant la mission. De plus, nous demanderons des éléments d’information complémentaires au ministère de la Défense.

M. Claude Lanfranca, co-rapporteur : Je voudrais apporter une précision. 1 000 doses de Modafinil ne signifient pas que 1 000 soldats ont pris ce médicament. Par exemple, un militaire, qui serait resté longtemps sur le théâtre des opérations, aurait pu prendre du Modafinil à trois ou quatre occasions. Ainsi peut-être 300 soldats ont pu prendre trois fois la dose sur un mois, si l’on considère que la prise se fait sur deux jours, suivie d’un repos de trois jours et ainsi de suite.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Combien une dose comprend-elle de comprimés ?

Le Médecin général Daniel Gautier : 2 comprimés.

Le Médecin en chef Jacques Brunot : En fait, la dose correspond à une boîte qui comprend 8 comprimés. Dans les conditions qui prévalaient sur le terrain à l’époque, une boîte ouverte ne devait pas rester à la disposition dans une poche pendant très longtemps.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Si l’on considère qu’une boîte comprend 8 comprimés et que 1 000 doses ont été utilisées, cela correspond bien au nombre de comprimés non restitués.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Vous avez indiqué que des études antérieures avaient été menées pour montrer leur innocuité. Ce médicament a-t-il été donné uniquement pendant la guerre du Golfe ou avait-il auparavant été administré ?

Le Médecin général Daniel Gautier : Il n’avait jamais été donné antérieurement. Le département de pharmacologie de la Pitié Salpétrière avait mené sur des volontaires, en 1988, des études sur cette molécule qui était la propriété des laboratoires Lafon. Le Comité d’éthique du Service santé (CESSA) a également autorisé, en 1990, une étude sur des volontaires.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Pourquoi avoir pris cette molécule alors qu’avant, vous utilisiez un autre médicament qui avait les mêmes effets ?

Le Médecin général Daniel Gautier : Il s’agit d’une molécule tout à fait originale qui n’a aucun des effets des amphétaminiques et qui n’interdit pas le sommeil. Elle maintient en éveil, mais l’intéressé peut toutefois dormir s’il se trouve dans des conditions qui le permettent. Cette molécule tout à fait originale apporte quelque chose de révolutionnaire. C’était la première fois que ce médicament était utilisé.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Y a-t-il eu des expérimentations sur des volontaires sains ?

Le Médecin général Daniel Gautier : Tout à fait. Le département de pharmacologie de l’hôpital de la Pitié Salpétrière a mené des études sur des volontaires sains.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Nous ne disposons pas de ces pièces car elles ne sont pas au Service santé. Nous en effectuerons la demande.

Le Médecin général Daniel Gautier : Ces études menées au département de pharmacologie de l’hôpital de la Pitié Salpétrière l’ont été sur demande des laboratoires Lafon.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Nous demanderons donc au département de pharmacologie de nous les transmettre.

M. Charles Cova, Vice-président : J’aurais deux questions à vous poser. Tout d’abord, quel type de traitement de nature préventive a-t-il été distribué aux militaires ? De quels éléments précis était composé le paquetage médical et contenait-il uniquement de la Pyridostigmine mais éventuellement aussi du « Virgyl » ?

Par ailleurs, y a-t-il eu des effets contradictoires entre les vaccinations reçues par les militaires et les médicaments qui ont été pris à titre préventif ? Savez-vous si des études ont été faites sur ce sujet ?

Le Médecin en chef Jacques Brunot : En ce qui concerne le paquetage médical, il n’y en a pas pour les troupes, hormis la trousse d’urgence que chacun porte avec le pansement compressif et des objets de première urgence. Quant à la trousse NBC, elle comporte la Pyridostigmine, le masque et les seringues tricompartiments, c’est-à-dire les seringues d’autotraitement contenant l’atropine, un antidote, le Contrathion, et le Valium, un produit anti-convulsivant.

Le « Virgyl » n’était pas à la disposition des combattants, mais des médecins qui le remettaient à la demande lorsque celle-ci était faite.

M. Charles Cova, Vice-président : Les boîtes de Pyridostigmine comprenaient donc 30 comprimés. Peut-on considérer, dans les cinq jours où les soldats ont pris ce médicament, que certains l’ont pris en une seule fois ?

Le Médecin général Daniel Gautier : On ne peut rien écarter, car j’ai rappelé les conditions de stress qui peuvent parfois entraîner des conduites irrationnelles. Je ne peux rien vous garantir à ce sujet. La seule chose dont nous puissions faire état est qu’il n’a été fait mention d’accidents consécutifs à la prise de Pyridostigmine dans aucun de nos rapports hebdomadaires.

M. Charles Cova, Vice-président : Les ordres étaient-ils bien donnés avec des instructions pour prendre ces médicaments ?

Le Médecin général Daniel Gautier : Oui, mais il n’y a pas eu de contrôle de connaissance. Entre l’information donnée et la manière dont elle est reçue, on ne peut rien garantir.

Le Médecin en chef Jacques Brunot : Il y a eu des observations, qui ont d’ailleurs été rapportées par les Américains, de prises de l’ensemble de la boîte de 30 comprimés. Dans ce cas, on assiste à des phénomènes cholinergiques, c’est-à-dire des vomissements, des diarrhées, des maux de ventre. Mais dans les observations rapportées de la prise de 30 comprimés à 30 milligrammes, il n’y a eu aucun effet adverse grave, y compris à moyen terme.

M. Charles Cova, Vice-président : Par conséquent, dans les livrets médicaux qui seraient mis à la disposition d’éventuels enquêteurs, on peut imaginer qu’un militaire s’est présenté au rapport du médecin en indiquant souffrir de tels phénomènes cholinergiques et les retrouver en mention sur les livrets. On pourrait ainsi déterminer ceux qui se sont livrés à une prise des trente comprimés en une seule fois.

Le Médecin général Daniel Gautier : Tout à fait. Selon une enquête menée auprès des médecins, nous avons une approche de certains effets secondaires liés à une prise de Pyridostigmine qui sont d’ailleurs parfaitement connus, puisque rapportés dans le dictionnaire Vidal, et qui restent des troubles mineurs. Il s’est toujours agi, dans les faits qui nous ont été rapportés, d’effets indésirables mineurs.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Lesquels ?

Le Médecin général Daniel Gautier : Sudation, fasciculation, nausées et diarrhées. Ce sont des troubles réversibles, car le produit a une durée de demi-vie plasmatique de deux heures et son temps d’inhibition est de quatre heures. Par conséquent, il n’a pas une durée de vie dans l’organisme très prolongée. C’est ce qui fait, à notre sens, son innocuité. Il n’y a pas de phénomènes d’accumulation.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Pourquoi toutes les huit heures ? Si le militaire l’a utilisé en prévention, il a pris la dose recommandée. Selon vos propos, la durée de vie de la molécule est de quatre heures. Supposons que quatre heures après, survienne une attaque de gaz neurotoxiques.

Le Médecin en chef Jacques Brunot : Pour éliminer l’ensemble du produit, il faut sept demi-vies, soit en pratique quatorze heures. En outre, un facteur important est la durée pendant laquelle le taux d’inhibition des cholinestérases reste aux alentours de 20 %. Cela permet de préserver suffisamment de sites pour permettre aux blessés de survivre malgré l’exposition aux gaz neurotoxiques.

En clair, il faut rester aux alentours de 20 % d’inhibition avec la Pyridostigmine si on se trouve exposé aux gaz. Lorsque la Pyridostigmine disparaît, les sites que les cholinestérases occupaient redeviennent libres et permettent ainsi à l’individu de survivre pendant une durée de huit heures, ce qui nécessite donc des prises toutes les huit heures pour maintenir au-delà de ce seuil de 20 %.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Avez-vous étudié l’efficacité, par rapport aux gaz neurotoxiques, autrement que sur les animaux ?

Le Médecin général Daniel Gautier : Les études auxquelles j’ai fait allusion dans mon intervention sont menées chez l’animal depuis 1992. Elles ont porté sur les effets des doses infralétales des gaz neurotoxiques. Ces études démontrent qu’elles n’ont aucun effet à moyen et long terme.

Le Médecin en chef Jacques Brunot : Concernant les interactions entre les vaccinations et les prises de Pyridostigmine, on peut relever que les vaccinations faites avant le départ ou sur le théâtre des opérations l’ont été avant le 15 novembre alors et que les prises de Pyridostigmine ont eu lieu, tout au moins les plus importantes, au cours de l’offensive terrestre. Il y avait donc pratiquement quatre mois d’écart entre les vaccinations et la prise de Pyridostigmine.

En revanche, l’hypothèse selon laquelle il pourrait y avoir une interaction entre les vaccinations ou d’autres facteurs et la prise de Pyridostigmine, est une hypothèse beaucoup plus récente puisqu’elle n’a été soulevée qu’au cours des deux dernières années. En 1990, ces hypothèses n’existaient pas.

M. Charles Cova, Vice-président : Lorsque vous avez entendu parler d’effets possibles de cette interaction, avez-vous interrogé les Américains et les Anglais, et obtenu une coopération de leur part ? Avez-vous recueilli toutes les informations nécessaires pour vous faire votre opinion ?

Le Médecin général Daniel Gautier : Depuis 1994, sous l’égide de l’Etat-major des Armées (EMA), des rencontres régulières se tiennent avec les alliés afin d’échanger des informations.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Sur quoi portent ces échanges ?

Le Médecin général Daniel Gautier : Ils portent essentiellement, en ce qui concerne la santé, sur l’analyse du « syndrome de la guerre du Golfe ». Nos alliés sont d’ailleurs toujours très étonnés par le fait que nous n’ayons jamais rapporté de telles pathologies. Ils sont donc très intéressés de comparer ce qui a pu différencier le « support santé » du côté français des moyens mis en _uvre par exemple, du côté américain.

M. Charles Cova, Vice-président : Quelles sont ces conclusions ?

Le Médecin général Daniel Gautier : Elles sont difficiles à établir. Il y a des différences en ce qui concerne les vaccinations puisque nous n’avons pratiqué, hormis les cas isolés que j’ai signalés, aucune vaccination contre le risque B agressif. De plus, il semble, sans que nous puissions être formels, que les conditions d’utilisation de la Pyridostigmine, pour autant qu’elle puisse avoir un rôle pathogène, étaient différentes : dans l’armée américaine, les phases de prise semblent avoir été plus prolongées que chez nous. Par ailleurs, le recours aux insecticides et aux insectifuges semble également avoir été plus important chez les Américains. Les zones dans lesquelles les Américains ont été stationnés et engagés les ont peut-être exposés à plus de risques liés à l’environnement. Le seul facteur commun indiscutable reste le stress, car il a été intense pour tous, quelles que soient les zones de déploiement.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Ces échanges avec les Américains et les Anglais font-ils l’objet de comptes rendus ?

Le Médecin général Daniel Gautier : Comme je vous l’indiquais, ces réunions se font sous l’égide de l’Etat-major des Armées qui, je l’imagine, dispose de comptes rendus.

Le Médecin en chef Jacques Brunot : Certaines de ces réunions sont formalisées, d’autres sont des réunions plus informelles, à l’occasion de voyages de médecins américains en France ou vice versa. Peut-être certaines réunions formelles ont-elles donné lieu à l’établissement de comptes rendus, d’autres à d’éventuels échanges de courriers, mais beaucoup sont restées dans un domaine non formalisé.

M. Bernard Cazeneuve, Président : A cet égard, nous adressons un courrier au Ministre de la Défense pour obtenir ces comptes rendus.

M. Jean-Louis Bernard : Mon Général, vous avez indiqué la présence de 227 médecins. A priori cela permet une observation, non seulement immédiate, mais également secondaire, voire prolongée pour ceux qui sont restés dans l’armée.

En temps de guerre, on rencontre deux types de pathologie : une pathologie organique - type blessure ou accident cardiaque, ne serait-ce que par le stress - et une pathologie fonctionnelle. La première est relativement facile à observer par les médecins et les chirurgiens. A cet égard, le Service de santé des Armées pourra nous fournir la liste exhaustive des blessés de la guerre du Golfe.

En revanche, la pathologie fonctionnelle, liée au stress, est beaucoup plus difficile à cerner. Néanmoins, vous avez indiqué que le corps de santé comprenait des psychiatres, des psychologues et des neuropsychiatres, ce qui doit permettre d’avoir une certaine perception, en temps réel, des troubles psychiques qui ont pu être présentés par un certain nombre de militaires, au cours de l’opération Daguet ou quelques jours ou semaines plus tard. Il serait intéressant, pour la mission, d’obtenir un compte rendu des troubles présentés.

Dans le temps, on aura toujours le premier volet, à savoir le suivi d’un militaire blessé par balle ou atteint d’une maladie organique. La surveillance secondaire est beaucoup plus difficile, mais il serait important que vous puissiez nous donner le pourcentage de militaires de l’opération Daguet qui a pu être suivi dans les hôpitaux militaires par leur médecin traitant ou encore leur médecin civil. En effet, Mme Rivasi a mentionné qu’il existait parfois une divergence de diagnostic concernant tel ou tel type de suivi.

Le Médecin général Daniel Gautier : Je suis dans l’incapacité de vous donner, dans l’immédiat, une réponse précise sur ces pourcentages. La seule chose que je peux vous indiquer est qu’en 1998, s’est tenu au Val-de-Grâce, un colloque consacré à la psychiatrie en situation opérationnelle où les pathologies psychiatriques ou fonctionnelles observées pendant la guerre du Golfe, ont fait l’objet de longs développements. Ce colloque a donné lieu à la publication d’une monographie que nous pourrons verser au dossier de votre mission.

M. Jean-Louis Bernard : C’est d’autant plus intéressant qu’il semblerait que ce que l’on appelle, sans doute à tort le « syndrome dit du Golfe » concerne essentiellement une pathologie fonctionnelle plutôt qu’organique.

Le Médecin en chef Jacques Brunot : Dans les documents fournis à la mission d’information, figure le rapport d’un psychiatre qui était sur place et qui fait part de ses observations sur le stress.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Avez-vous eu connaissance des informations selon lesquels, du point de vue de la protection individuelle, certains soldats n’auraient eu qu’une seule tenue NBC et d’autres deux ?

Par ailleurs, s’agissant des gaz toxiques chimiques qui auraient pu être utilisés par les Irakiens, nous avons des informations différentes. D’une part, nous avons des informations selon lesquelles il n’y a pas eu utilisation de gaz irakiens. Or, j’ai ici une revue militaire, « Terre magazine », dont un numéro de 1997 indique que des militaires français décontaminaient des obus irakiens contenant des substances chimiques. Par conséquent, il y a donc bien eu des obus contenant des substances chimiques puisqu’il y a eu des démineurs français _uvrant sur ces munitions. Je voudrais savoir la nature des gaz auxquels ces militaires ont ainsi été confrontés. Sur une photographie, nous pouvons lire en légende : « perçage d’une roquette chimique avec jet toxique ».

Le Médecin général Daniel Gautier : Il ne s’agit pas d’une dérobade de ma part, mais je suis dans l’incapacité de répondre à vos deux questions.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Qui peut y répondre ?

Le Médecin général Daniel Gautier : L’Etat-major des Armées.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Le Général Schmitt ?

Le Médecin général Daniel Gautier : Entre autres. Il m’est difficile d’apporter des réponses à des questions qui ne touchent pas mon domaine de responsabilité et de compétence. Toute réponse de ma part serait par ouï dire et ne reposerait sur aucune donnée objective.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Je reformule donc mes questions. En votre qualité de Directeur central du Service de santé des Armées, quelle protection pouvez-vous assurer aux futurs soldats lors d’un conflit où l’on pourrait retrouver des circonstances semblables si vous n’avez pas d’information sur la nature des gaz utilisés ? Je ne comprends pas que vous n’ayez pas d’éléments de réponse car vous jouez un rôle déterminant dans la remontée de l’information pour prévenir les soldats dans un futur conflit qui comporterait le même type de gaz.

Le Médecin général Daniel Gautier : Je n’ai pas d’éléments de réponse car je n’ai pas eu d’indications sur les gaz qui auraient pu être décelés pendant le conflit du Golfe. Je suis réellement dans l’incapacité de vous répondre sur ces points. En ce qui concerne les recherches, lorsque l’Etat-major des Armées a l’idée d’un risque particulier qui justifie des recherches précises, il alerte la Délégation générale pour l’Armement (DGA) qui a, en grande partie, la responsabilité de piloter ce type de recherches. Nous intervenons comme prestataire de service par le biais de nos centres de recherche. C’est cette démarche qu’il faut concevoir pour comprendre ma réponse.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Il faut donc s’adresser à la DGA pour obtenir des réponses.

M. Bernard Cazeneuve, Président : La question de Mme Rivasi se fonde sur un article de « Terre magazine » qui est une publication du ministère de la Défense. Ce n’est pas donc pas une publication confidentielle qui émanerait d’associations ou d’organisations non gouvernementales.

Il est exact que lorsque Mme Rivasi a demandé au Général Schmitt si les soldats français avaient été confrontés à des armes chimiques, la réponse du général a été la suivante : « Non, à ma connaissance ». Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas eu utilisation d’armes chimiques, mais que le Chef d’Etat-major des Armées n’a pas disposé d’informations en ce sens.

Il existerait pourtant - ces photos en témoignent - des éléments d’information dans les archives du ministère de la Défense qui pourraient nous apporter précisément des réponses à ces questions. A cet égard, nous nous transmettrons au Ministre de la Défense une demande d’informations complémentaires. En effet, même si les militaires français ont procédé à la décontamination des obus qu’après l’offensive, cela ne démontre cependant pas que de telles armes ont été utilisées pendant le conflit mais, à tout le moins, qu’elles existaient sur le théâtre des opérations.

Le Médecin général Daniel Gautier : Le seul élément d’information que je suis en mesure de vous donner est que nous n’avons pas eu relation de militaires ayant présenté des symptômes évoquant une exposition à des gaz de combat.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : A moins qu’il n’y ait eu différents types de gaz. Dans ce cas de figure, il est peut-être alors plus difficile de constater une exposition à des gaz de combat.

Vous avez indiqué que les Anglais utilisaient la physostigmine qui passe au travers de la barrière hémato-encéphalitique. Pourquoi les Anglais utilisent-ils ce produit alors que les Français utilisent le bromure de Pyridostigmine ?

Le Médecin général Daniel Gautier : Je l’ignore.

Le Médecin en chef Jacques Brunot : Nous ne pouvons répondre que pour le Service de santé des Armées françaises. Le bromure de Pyridostigmine est le produit le mieux connu en France car il est sur le marché depuis 1954. C’est un produit dont on connaît le mode d’utilisation et dont on a la certitude qu’il ne franchit pas la barrière hémato-encéphalitique. Ces raisons suffisent à justifier son utilisation.

Le Médecin général Daniel Gautier : La Chambre des communes, en 1994 ou 1995, a validé l’utilisation par les armées britanniques de ce produit. Je ne peux pas aller au-delà.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : En général, lorsque les députés valident un produit, ils s’interrogent également sur les autres produits utilisés ailleurs. A moins que ce produit ne soit fabriqué par un laboratoire anglais...

Le Médecin général Daniel Gautier : Je n’ai pas d’élément de réponse.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : S’agissant de la tenue NBC, que pensez-vous des protections des soldats ?

Le Médecin général Daniel Gautier : Je n’ai aucune réponse à vous apporter.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Comment les protégez-vous ?

Le Médecin général Daniel Gautier : Le Service de santé a son champ de responsabilité qui est déjà énorme. Le problème des tenues NBC n’est pas du tout dans son champ de responsabilité.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Qui est en charge des dotations en tenue NBC ?

Le Médecin général Daniel Gautier : Ce sont les économats et le commissariat de l’armée de Terre. C’est vers ces services qu’il faut vous retourner pour obtenir la réponse à votre question. J’ai lu comme vous ces affirmations, mais je ne dispose d’aucun élément d’appréciation.

M. Charles Cova, Vice-président : M. le Directeur, vous n’ignorez pas qu’un journal satirique bien connu a commis deux articles, l’un le 25 octobre, l’autre ce jour, concernant la disparition d’inquiétantes pilules dans des dépendances de votre service.

Le Médecin général Daniel Gautier : Tout d’abord, quel intérêt le Service de santé aurait-il eu à dissimuler des comprimés de Pyridostigmine dès lors qu’il a la certitude de son innocuité ? Par ailleurs, quel intérêt aurait-il eu à détruire des comprimés qui ne sont pas ceux ayant été utilisés pendant la guerre du Golfe, la durée de validité de la Pyridostigmine étant de trois ans ?

Tous les médicaments arrivés au terme de ce délai de validité sont détruits. Si nous avons détruit, il y a quinze jours, des comprimés, cela concernait des stocks constitués à partir de 1996-1997. Il y a eu effectivement des mouvements de boîtes de Pyridostigmine qui procèdent de deux origines. Tout d’abord, le porte-avions Foch a été désarmé et les stocks de Pyridostigmine qui étaient à son bord ont été ramenés à l’Etablissement central de ravitaillement sanitaire des armées (ECRS) de Marseille où ils ont été déconditionnés avant une destruction future. En effet, lorsqu’on n’est pas certain des conditions de conservation des comprimés, on les détruit.

Par ailleurs, d’une manière triviale, un des lieux de stockage de la Pyridostigmine a fait l’objet de travaux de remise en peinture. A l’occasion de ces travaux, les stocks ont été sortis, placés dans une autre pièce puis replacés lorsque les travaux ont été exécutés. C’est de cette opération dont il est question dans l’article. J’ai diligenté une mission d’information, et non pas une enquête de commandement car ce ne sont pas les affirmations d’un journal qui vont m’amener à conduire une telle enquête, pour m’assurer qu’il n’y avait eu aucun mouvement dans les stocks de Pyridostigmine autre que ceux que je viens d’évoquer.

Depuis un an, aucun comprimé de Pyridostigmine n’a encore été détruit à l’ECRS de Marseille. En outre, comme le journal y fait allusion, une opération de destruction de stock de iodure de potassium est effectivement en cours.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Pourriez-vous apporter une réponse écrite à la question posée par M. Cova, que nous annexerons au rapport de la mission, comme étant la réponse du Service de santé des Armées ?

Le Médecin général Daniel Gautier : Je peux même vous transmettre copie du rapport du pharmacien général inspecteur qui a été missionné, à ma demande, pour cette enquête.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Pouvez-vous accompagner ce rapport d’une lettre citant les conditions dans lesquelles vous avez diligenté une mission d’information et les conclusions de cette mission ?

Le Médecin général Daniel Gautier : Tout à fait.

M. André Vauchez : Combien reste-t-il de soldats engagés dans les opérations du Golfe encore en service dans l’armée et font-ils l’objet d’un suivi médical plus rapproché ? S’agissant de ceux qui ont quitté les armées, ne serait-il pas concevable de créer un dispositif d’information à leur égard, en liaison, le cas échéant, avec le réseau des médecins de ville ?

Le Médecin général Daniel Gautier : Tous les militaires actifs font l’objet d’une visite annuelle. De plus, il y a un suivi par l’intermédiaire du « véhicule » que représente le dossier médical individuel.

M. André Vauchez : Avez-vous détecté des interrogations ?

Le Médecin général Daniel Gautier : Non. C’est pourquoi nous n’avions pas jugé opportun de diligenter d’enquêtes spécifiques.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Qui décide du choix des médicaments contenus dans la trousse NBC, lorsque l’on considère que, sur le marché, il y a tant de médicaments ? Par ailleurs, avez-vous mené des études sur les médicaments choisis ?

Le Médecin général Daniel Gautier : Le Service de santé est le conseiller du Ministre. La plupart des études sont menées sous notre responsabilité, hormis quelques-unes diligentées par la DGA. En fonction du résultat de ces études, notre choix se porte sur tel ou tel moyen de protection, lequel est proposé au Ministre qui, in fine, prend la décision.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Comment s’articulent les missions entre le Service de santé et l’Etat-major des Armées, en particulier à travers de circuits d’information spécifiques lorsqu’il s’agit de sujets du type de celui qui nous intéresse ? En effet, j’ai cru comprendre que si le Ministre s’était exprimé de façon aussi affirmative devant la Commission de la Défense, c’était en se fondant sur un certain nombre d’informations émanant de votre service.

Je voudrais comprendre comment et pourquoi cela peut advenir. Nous sommes dans une situation où c’est l’Etat-major des Armées, en charge du commandement et du déroulement des opérations, qui donne instruction aux soldats de prendre telle ou telle substance. J’imagine que pour ce faire, aucun officier en charge des opérations ne donne cette instruction sans s’être assuré au préalable que les substances à administrer ne présenteront de dangers pour la santé des soldats.

De la même manière, il me semble que lorsque cette instruction est donnée de prendre telle ou telle substance, le Chef d’Etat-major des Armées (CEMA), en liaison avec le Service de santé des Armées, définit les conditions dans lesquelles, sur le théâtre des opérations, sera assuré le suivi médical. Par conséquent, je comprends mal comment le Service de santé des Armées peut rester dans l’ignorance des conditions dans lesquelles l’instruction suit la chaîne de commandement. Plus précisément encore, comment le Service de santé des Armées peut-il ignorer que l’instruction d’absorber un certain nombre de substances médicamenteuses soit donnée dans un ordre d’opération ?

Le Médecin général Daniel Gautier : Au départ, les conditions d’utilisation de la Pyridostigmine étaient parfaitement codifiées. Elle devait être prise uniquement sur ordre du commandement, dans des conditions où on avait la quasi certitude d’une exposition à un risque d’agression chimique. Une doctrine d’emploi avait donc été très clairement arrêtée.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Vous venez de dire « sur ordre du commandement ». Par conséquent, le Service de santé des Armées, sachant que ces substances ne peuvent être administrées que sur ordre du commandement, peut légitimement considérer que ces instructions figurent dans les ordres d’opération qui déterminent les instructions de commandement. Dans ce cas, pourquoi ne pas avoir recherché dans les ordres de commandement ?

Le Médecin général Daniel Gautier : Je m’explique. J’imagine que l’ordre de commandement a été donné par le Général Janvier, après avis de son conseiller santé. Je ne sais pas dans quelles conditions l’ordre d’opération a été diffusé. Ce n’est pas à moi de le dire car je n’ai aucune indication à ce sujet. Je dois faire un mea culpa : nous avons remonté nos archives sans avoir été en mesure de déterminer à compter de quelle date et dans quelles conditions le Service de santé s’est persuadé que l’ordre n’avait pas été donné. Cette conviction s’est établie sur la base des rapports de fin de mission de nos médecins.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Cette réponse ne me convainc absolument pas. Vous nous indiquez que les ordres de prendre des médicaments - paragraphes des ordres opérationnels d’ailleurs élaborés par vos soins - doivent être donnés par le commandement. En fait, c’est dans les ordres d’opération que vous trouverez la réponse à la question que vous a posée le Ministre, mais certainement pas dans vos archives ou les comptes rendus de votre service.

Le Médecin général Daniel Gautier : Pour les deux raisons que j’ai exposées - l’innocuité du médicament et le fait que nous n’avons pas dissimulé que le médicament a été consommé - il ne nous est pas apparu fondamental d’aller vérifier dans les archives d’Etat-major la pertinence d’une information que nous donnions sur la foi de rapports de fin de mission. Mais cela a été une erreur. J’en conviens.

Je reconnais effectivement qu’il y a eu une faute, mais je ne sais pas de quand elle date. Nous la prenons en héritage et je suis prêt à l’assumer jusqu’au bout. Nous n’avons pas eu la curiosité de vérifier dans les archives s’il y avait eu un ordre ou pas. Du fait que nous n’avions rien dissimulé et que le produit n’était pas un produit sensible, il ne nous a pas semblé opportun d’aller nous assurer de la certitude de l’information. A mon grand regret, nous avons fait dire au Ministre, qui était dans la méconnaissance de la situation, des éléments erronés.

M. Jean-Louis Bernard : Vous avez parlé d’un médicament qui ne comporte aucun danger, et se caractériserait donc par une totale innocuité. Dès l’instant où on absorbe un médicament, il existe toujours un danger potentiel, ne serait-ce qu’une réaction allergique. Le principe de précaution n’existe pas en matière médicamenteuse, le problème étant de savoir jusqu’où on peut prendre le risque. Maintenant, il reste à déterminer s’il y a davantage de risques à prendre ou non un médicament, notamment en cas d’alerte.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Merci beaucoup.


Source : Assemblée nationale (France)