(Procès-verbal de la séance du mercredi 22 novembre 2000)

Présidence de M. Bernard Cazeneuve, Président.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Mes chers collègues, nous accueillons aujourd’hui M. Alain Feugier, Directeur de l’environnement à l’Institut français du pétrole (IFP), qui est accompagné de M. Patrick Flament, ingénieur.

M. Feugier, je vous souhaite la bienvenue. Notre mission a notamment pour objet de définir si nos militaires, compte tenu de l’incendie d’un certain nombre de puits de pétrole au cours de la guerre du Golfe, ont pu être exposés à des risques sanitaires.

Je vous propose de nous présenter un exposé liminaire, puis nous vous poserons un certain nombre de questions.

M. Alain Feugier : M. le Président, Mesdames, Messieurs les députés, le sujet sur lequel vous souhaitez que je vous apporte l’éclairage de ma compétence concerne les incendies qui se sont développés au cours de la guerre du Golfe, où chaque jour des millions de mètres cubes de pétrole sont partis en fumée. Il s’agissait en effet d’incendies très importants.

Je dispose là de quelques documents concernant des campagnes de mesures effectuées à la demande du Ministre de l’Environnement de l’époque, M. Brice Lalonde. Il avait dépêché sur place un camion laboratoire d’Airparif, le réseau de surveillance de la qualité de l’air d’Ile-de-France, pour effectuer cette campagne de mesures entre le 27 mars et le 4 avril 1991, près des lieux de sinistre, à Koweït City et ses environs.

Ces combustions de pétrole brut étaient totalement incontrôlées. Pour qu’il y ait combustion, il faut un combustible et de l’air ; si ce dernier est présent en quantité suffisante, tout le combustible brûlera. Or ce n’était pas le cas dans le type de combustion dont il est question. Une grande quantité d’hydrocarbures n’était pas brûlée et se transformait donc en suie ; c’est ce qui a produit ces fumées très noires que tout le monde a pu observer.

Ces particules de suie ont la propriété de contenir du carbone et d’absorber, sur ces particules de carbone, un certain nombre d’hydrocarbures imbrûlés qui peuvent présenter des caractéristiques cancérigènes. Traceurs d’une combustion imbrûlée, les suies forment donc un ensemble très complexe qui comprend des particules solides sur lesquelles sont absorbés des hydrocarbures poly-aromatiques, dont certains peuvent avoir un caractère cancérigène.

Le second polluant majeur rencontré au cours de ces combustions incontrôlées, était le monoxyde de carbone (CO). Enfin, dans la mesure où l’on trouve du soufre dans le pétrole brut, sa combustion dégageait également des émissions de dioxyde de soufre (SO2).

Les effluents gazeux étant transportées par l’air, les conditions météorologiques sont évidemment essentielles pour apprécier quelle est l’exposition subie par une population. Il faut alors transformer ces milliers de tonnes d’hydrocarbures qui brûlent en milligrammes ou microgrammes par centimètres cubes de polluants présents dans l’air. D’ailleurs, c’est le travail qu’a réalisé le laboratoire d’analyses d’Airparif ; il disposait de sondes de prélèvement et mesurait en différents endroits - proches des lieux d’incendie, puis plus loin - la qualité de l’air et comparait les données relevées à des normes ou des valeurs seuils fixées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

J’ai redécouvert hier soir, dans nos archives, ce document que je pourrai vous laisser et qui s’intitule : « Campagnes de mesures du laboratoire mobile régional de mesure de la qualité de l’air au Koweït ». Ces campagnes de mesures ont été commandées après l’offensive terrestre, et ont eu lieu du 27 mars au 4 avril 1991 - le bulletin trimestriel d’Airparif à cette époque-là en avait publié les premiers résultats. Vous trouverez, parmi toutes les analyses qui ont été réalisées, une étude qui concerne le site où se trouvait le détachement Daguet présent à Koweït City à ce moment-là. En effet, parmi les points de mesures qui avaient été sélectionnés pour cette campagne, le point 2, dans la New English School, correspondait au cantonnement du détachement Daguet, au sud-est de Koweït City.

Un certain nombre de polluants, considérés comme pouvant avoir un caractère toxique, ont été mesurés. Ils sont toxiques intrinsèquement, mais il convenait de vérifier si la concentration de ces polluants dans l’atmosphère correspondait à des seuils de toxicité.

Les résultats des analyses du laboratoire mobile d’Airparif sont plutôt encourageants, les teneurs n’étant pas, au moins à Koweït City, très importantes. Mais je vous suggère d’en consulter la synthèse, n’ayant moi-même pas eu le temps matériel de la parcourir dans son intégralité, ces informations ont une valeur sûre et reconnue.

M. Bernard Cazeneuve, Président : M. Feugier, je vous remercie de nous laisser ce document ; nous le ferons expertiser si nécessaire.

En fait, nous souhaiterions savoir si les militaires français ont été exposés à des risques particuliers. Or, apparemment, ce document indique la localisation d’un certain nombre de troupes françaises. Nous sommes donc fort intéressés par ce dernier.

M. Aloyse Warhouver : Comment les militaires pouvaient-ils se protéger contre de telles fumées ? Portaient-ils des masques ? Existe-t-il des protections spéciales ?

M. Alain Feugier : Il conviendrait de vérifier si les militaires - et la population en général - étaient équipés de masques. Pour ce que l’on appelle « les fumées noires », c’est-à-dire les particules de suie, un simple filtre peut les arrêter ; en revanche, ce filtre laisse passer les gaz, sauf s’il possède une cartouche qui les absorbe. Mais les militaires étaient-ils équipés de ces dispositifs ? Je ne sais pas. Il conviendrait de le vérifier.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Les soldats français ont-ils participé à l’extinction des incendies ?

M. Alain Feugier : Je n’en ai aucune idée !

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Possédez-vous une documentation sur des études qui auraient été effectuées sur le caractère cancérigène des hydrocarbures, car en fonction de la météo, des soldats peuvent en avoir inhalé ? Par ailleurs, savez-vous combien de puits ont brûlé ?

M. Alain Feugier : Je dirais quelques centaines, mais répartis sur un vaste territoire.

M. Bernard Cazeneuve, Président : L’Institut français du pétrole dispose-t-il d’une carte des puits de pétrole et de plus particulièrement de ceux qui ont été endommagés ?

M. Alain Feugier : Je n’en suis pas certain, mais je peux vérifier.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Il serait intéressant que l’on puisse joindre au rapport une carte indiquant la localisation de l’ensemble des puits de pétrole existants dans la zone à l’époque, et de ceux qui ont été endommagés.

M. Alain Feugier : Je vais vérifier si nous détenons ces informations.

M. Claude Lanfranca, co-rapporteur : M. Feugier, je suis président de l’Arcal, homologue régional d’Airparif, et nous possédons le même camion laboratoire. Les contrôles se font sur des durées très courtes - cinq minutes -, car après une rafale de vent, les résultats sont différents. Possédez-vous une étude prolongée sur le même lieu ou simplement des prélèvements instantanés ?

Enfin, de façon théorique, au-delà de notre sujet qui est la guerre du Golfe, l’IFP possède-t-il des études sur les dangers des fumées de pétrole et des cancers qu’elles peuvent entraîner ?

M. Alain Feugier : Aucun membre de l’IFP n’a personnellement participé à ces campagnes de mesures. Mais avec le laboratoire d’hygiène de la ville de Paris, lorsque les particules ont été collectées, nous avons mesuré les hydrocarbures qui avaient été absorbés dans les particules de suie.

En ce qui concerne la manière dont les mesures ont été effectuées, je constate dans ce document qu’il s’agit de moyennes horaires, qui sont comparées aux valeurs de l’OMS.

Enfin, nous ne disposons pas, à l’Institut français du pétrole, d’équipe de toxicologie ; nous prélevons des particules s’échappant des moteurs diesels et des fumées industrielles, puis nous analysons chimiquement leur composition. Nous connaissons les différents composés qui les constituent, mais nous ne faisons pas, ensuite, de toxicologie. C’est plutôt une mission de l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (INERIS), organisme sous tutelle du ministère de l’Environnement ; c’est donc vers lui que vous devriez vous tourner pour connaître les détails du caractère toxicologique ou cancérigène de certains hydrocarbures.

M. Claude Lanfranca, co-rapporteur : Je vous posais cette question, car dans le Limousin - où se trouvent des mines d’uranium -, nous avons procédé à des expériences sur des souris : nous nous sommes aperçus que les souris qui fumaient beaucoup dans le milieu uranifère attrapaient un cancer du poumon ; si elles ne fumaient pas, elles ne l’attrapaient pas. Nous avons donc pu conseiller à nos ouvriers de ne pas fumer dans les mines.

Dans le domaine du pétrole, on ne mène pas ce type d’études à des fins préventives ?

M. Alain Feugier : Je ne dis pas que de telles études ne sont pas réalisées ; je dis qu’elles ne sont pas effectuées à l’IFP.

La législation actuelle, concernant par exemple les émissions des véhicules automobiles, porte sur les concentrations et sur la composition des échappements ; le relais est ensuite passé au corps médical pour qu’il entreprenne des études épidémiologiques complexes qui demandent du temps.

Je reconnais que le rapport entre santé et environnement est aujourd’hui au c_ur de l’actualité, mais l’on n’a pas réponse à tout.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Quels conseils donneriez-vous à des hommes qui doivent éteindre un feu d’où s’échappent des hydrocarbures ?

M. Alain Feugier : Il faut empêcher l’air d’alimenter le combustible. Au Koweït, les pompiers soufflaient la flamme. On peut également mettre une vanne qui bloque l’arrivée des hydrocarbures.

Quels conseils donnerais-je aux personnes intervenant lors d’un feu ? Il convient, tout d’abord, de se méfier du rayonnement de la flamme : les personnels doivent porter des tenues qui résistent à la température. Les précautions contre les risques toxiques portent quant à elles sur la protection contre le monoxyde de carbone et les particules de suie qu’il ne faut pas inhaler : il convient donc de porter un masque qui filtre les particules, plus la cartouche qui absorbe les hydrocarbures.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Quel type de masque ?

M. Alain Feugier : Je ne suis pas un spécialiste, mais ces masques existent.

M. Aloyse Warhouver : Les masques de chantier devraient être suffisants.

M. Alain Feugier : Il faut tout de même un système de filtration et une cartouche absorbante. Il faut des pièges dont on connaît les techniques. Les soldats portaient-ils de tels équipements ? C’est une autre question.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Le problème vient du fait que le vent peut très bien disperser les polluants poly-cycliques.

M. Claude Lanfranca, co-rapporteur : Précisément, pour illustrer ce point, je voudrais vous citer un exemple. Nous avions mis des capteurs de pollution au centre-ville de Limoges. Les résultats étaient à peu près corrects, mais le quartier le plus verdoyant, légèrement surélevé à l’ouest, était empesté d’ozone et de dioxyde de soufre : le vent avait tout déplacé. Il est donc très difficile de relever des mesures ; il convient de tenir compte du sens du vent.

M. Alain Feugier : L’ozone est également l’un des polluants qui ont été mesurés dans cet environnement d’incendies, mais il existe naturellement dans ces pays.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Pouvez-vous, M. le Directeur, nous dire quelques mots sur les missions de votre institut, notamment dans des circonstances comme celles qui ont conduit un certain nombre de puits à s’enflammer en 1991 ?

M. Alain Feugier : Nous n’avons pas eu de missions particulières demandées dans ces circonstances. L’Institut français du pétrole est un organisme placé sous la tutelle du ministère de l’Industrie, et plus particulièrement de la direction des hydrocarbures ; les deux tiers de son budget proviennent de taxes parafiscales : 1,92 centimes par litre de carburant vendu est octroyé à l’IFP pour un budget total, qui est de l’ordre de 2 milliards de francs.

Nous sommes un centre de recherches : nous contribuons à la sécurité d’approvisionnement en hydrocarbures, pétrole et gaz. Nous avons également une mission d’intérêt général : la chaîne de l’activité pétrolière doit être propre et non polluante. La protection de l’environnement est donc au c_ur de nos missions.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Dans le cadre de votre mission d’intérêt général et de votre mission de recherche, avez-vous été amenés à conduire des études anticipant les conséquences sur le fonctionnement des installations pétrolifères du type de celles que l’on a connues lors de la guerre du Golfe ?

M. Alain Feugier : Dans le domaine du forage, nous mettons en _uvre des programmes pour la sécurité des plates-formes avec les acteurs du monde pétrolier. Mais l’IFP n’a pas de projet véritablement centré sur les aspects de sécurité, même s’il s’agit d’un des critères d’appréciation d’un programme de travail.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Très concrètement, disposiez-vous d’études permettant de pallier l’impératif d’extinction des feux dans des circonstances comparables à celles qui se sont produites dans le Golfe ?

M. Alain Feugier : Non.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Est-ce dans vos missions de mener de telles études, puisque vous avez notamment pour mission de lutter contre la pollution de l’environnement et, par conséquent, contre les risques sanitaires susceptibles d’en résulter ?

M. Alain Feugier : Cela pourrait faire partie de nos missions.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Alors pourquoi ne l’avez-vous pas fait ?

M. Alain Feugier : Il aurait fallu tout d’abord prévoir ce cas particulier...

M. Bernard Cazeneuve, Président : Les zones dans lesquelles se trouvent ces puits ne sont pas des zones de très grande stabilité politique ! Le fait qu’une telle catastrophe puisse se produire n’était donc pas totalement improbable.

M. Alain Feugier : Effectivement, c’est arrivé une fois. Mais indépendamment d’un conflit, au moment de l’extraction du pétrole, des incendies peuvent toujours se produire ; et il y en a eu ! C’est la raison pour laquelle, dans les activités de forage, au quotidien, cet aspect de la sécurité est extrêmement important. Mais nous, à l’IFP, nous n’avons pas spécialement travaillé sur ce sujet ; cela fait partie du savoir-faire des compagnies pétrolières.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Cela veut donc dire qu’au moment où l’on vous confie une telle mission, vous ne disposez d’aucune étude ni d’aucun document permettant de renseigner les personnes sur place sur les conséquences d’un incendie des puits de pétrole ; vous ne possédez pas non plus de plans d’intervention particuliers ?

M. Alain Feugier : Ces plans d’intervention ne font pas partie de notre mission, mais de celle des opérateurs. Je ne suis pas foreur, mais lorsqu’on met en place un équipement, un cahier des charges est élaboré. A ce titre, un certain nombre de vannes sont placées à différents niveaux afin d’être actionnées en cas de besoin.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Je comprends parfaitement que l’IFP n’ait pas à inventorier l’ensemble des vannes de toutes les installations pétrolières qui dépendent directement des compagnies pétrolières. Cependant, dès lors que cet établissement a une mission de recherche et de protection de l’environnement, on peut imaginer qu’il conduise un certain nombre d’études ayant pour objectif de mieux cerner ce que seraient les conséquences pour l’environnement, et éventuellement pour la santé de ceux qui seraient appelés à intervenir sur place, d’un conflit ou d’une déflagration à proximité d’une de ces installations. On peut imaginer que cela relève de vos missions.

M. Alain Feugier : Nous avons apporté notre contribution dans le cadre que vous venez de décrire, notamment en ce qui concerne les pollutions au sol. Nous ne sommes pas, toutefois, intervenus directement. Nous avons donné des conseils pour le traitement des sables contaminés par les hydrocarbures, car nous possédons un véritable savoir-faire à ce sujet.

Dans le domaine plus particulier que vous évoquez, nous avons une connaissance des phénomènes de combustion : nous avons, en effet, mis au point des brûleurs qui, ont un débit avoisinant celui des puits éruptifs du Koweït. Mais notre projet était de mettre au point des brûleurs qui donnaient non pas des flammes de ce type, mais des flammes propres. En effet, au moment du forage, pour apprécier le débit que l’on pourra extraire, on fait « cracher » - si je peux me permettre cette expression - le puits avec un débit relativement important, de l’ordre de 1 000 tonnes par jour.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Quel est le résultat de ces expériences ? Des événements particuliers ayant eu lieu à cette époque, qu’avez-vous réalisé depuis en termes d’études et de recherches ?

M. Alain Feugier : Vous voulez que l’on se mette dans la situation où l’on va sur une zone d’incendie incontrôlé...

M. Bernard Cazeneuve, Président : Absolument. Vous n’avez rien fait avant parce que vous ne pouviez pas anticiper. Entendons nous bien, nous ne sommes pas des inquisiteurs : nous essayons seulement de comprendre et de réfléchir ; ne prenez pas mal ce que je vais dire.

On peut comprendre que vous n’avez rien fait, bien que vous convenez avec moi que les zones où se trouvent ces puits ne se situent pas dans des endroits très stables sur le plan politique. Le terrorisme, l’intégrisme font peser une menace envisageable contre des installations pétrolifères. Depuis la guerre du Golfe et les incendies de puits de pétrole koweïtiens, on peut imaginer que vous ayez, sur le fondement de ce que vous avez constaté et par souci de valorisation maximale de votre retour d’expérience, procédé à l’élaboration de documents, à la conduite de programmes de recherche.

Ce ne serait pas absurde que vous l’ayez fait, même s’il ne serait pas condamnable que vous ne l’ayez pas fait ? Qu’avez-vous exactement fait ?

M. Alain Feugier : Si demain ce type d’incendies se renouvelait, on pourrait, par exemple, nous envoyer mesurer la qualité de l’environnement.

Personnellement, j’ai participé, à l’époque des incendies au Koweït, à des groupes de travail interministériels pour apporter un certain nombre d’éléments de réponse sur les conséquences de ces incendies.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Quelles sont ces conséquences ?

M. Alain Feugier : Il nous a paru évident qu’il convenait de se rendre sur place pour mesurer ; on ne pouvait pas, depuis la France, donner un avis sur les risques sanitaires éventuellement encourus.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Ce n’est pas tout à fait la question de Mme Rivasi qui parlait non pas des risques sanitaires mais des conséquences sur l’environnement.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Vous nous dites que vous avez participé à des groupes de travail interministériels afin de déterminer les conséquences éventuelles sur l’environnement. Ma question est donc la suivante : quelles conséquences avez-vous pu mettre à jour sous forme d’hypothèses ? Par ailleurs, avez-vous demandé, dans ce cadre et à cette occasion, à vous rendre sur place, afin de procéder à des mesures et de vérifier vos hypothèses ? Car ce qui s’est passé dans le Golfe peut se passer en Afrique ou ailleurs.

M. Alain Feugier : Nous avons montré notre disponibilité pour participer à des campagnes de mesures, notamment ! Nous étions capables d’offrir du personnel pour aller effectuer des mesures sur place.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Mais vous ne l’avez pas fait !

M. Alain Feugier : L’équipe d’Airparif s’est rendue sur place et nous avons participé à l’analyse des résultats.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Mais vous me parlez là de l’air ; or vous avez également d’autres compétences sur le sol, l’eau, etc.

M. Alain Feugier : Mais nous ne pouvons agir que sur demande ! Or dans ce cas particulier, nous n’avons pas été saisis d’une demande précise.

Prenons la pollution du sol, par exemple. Nous sommes actuellement saisis par l’Etat d’une demande d’expertise concernant un pipe-line français qui appartenait autrefois à l’OTAN et qui relie Donges à Metz. Durant ses trente ans de durée de vie, il a fui par endroits. Eh bien l’Etat nous demande aujourd’hui d’effectuer un audit global, c’est-à-dire de contrôler tout le pipe-line pour déterminer les zones polluées.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Un groupe de travail tel que celui auquel vous avez participé peut anticiper les problèmes en déposant un projet de recherche qui porterait, par exemple, sur les conséquences pour l’environnement d’un incendie de puits de pétrole. Il peut s’autosaisir, non ? Y a-t-il eu des autosaisines sur le problème des incendies de puits de pétrole koweïtiens ?

M. Alain Feugier : Je comprends ce que vous dites, mais il n’y a pas eu d’autosaisine sur ce problème.

M. Claude Lanfranca, co-rapporteur : Si je vous ai bien compris, M. Feugier, vous cherchez à assurer la sécurité dans toutes les étapes de l’extraction du pétrole. Vous pensez donc qu’il est impossible qu’un tel problème arrive accidentellement, lors du forage. Mais cette guerre a existé. Des puits de pétrole ont brûlé et cela peut se reproduire ailleurs. C’est la raison pour laquelle nous sommes surpris d’apprendre - ce n’est pas un reproche - que vous n’avez pas été saisis afin de prévenir de telles catastrophes.

Et lorsque je vous écoute, j’ai l’impression que vous pensez que cela ne peut pas arriver dans un contexte normal, car vous maîtrisez la sécurité lorsque les hommes travaillent. Mais si une autre guerre se déclarait et produisait les mêmes effets, il ne me semble pas que, dix ans après la guerre du Golfe, nous serions en mesure de faire face à ce risque.

M. Alain Feugier : Je tiens à rappeler que c’est aux foreurs qu’il revient de prendre toutes les mesures de sécurité. Nous pouvons être appelés en cas d’incident, mais nous ne faisons pas de prévention ; nous ne sommes pas opérateurs. Je ne veux pas me disculper, mais j’essaie de vous faire comprendre ce que l’on est et ce que sont nos responsabilités.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Certes, mais nous, parlementaires garants du bon usage des finances publiques, dont l’IFP est un bénéficiaire, nous constatons que vous ne vous saisissez pas d’un problème grave afin d’anticiper les comportements à adopter pour y pallier. Je suis inquiète, car si vous ne le faites pas, qui va le faire ? Ce n’est pas le travail de Institut national de l’environnement industriel et des risques (INERIS).

M. Alain Feugier : Eh bien, dites nous ce qu’il faut faire !

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : A votre place, j’aurais demandé au ministère de m’envoyer en mission, en expliquant que ce problème était important pour le futur et qu’une campagne de mesures devait être entreprise sur les sols, l’eau et l’air. Il aurait ainsi été possible de modéliser ce type de problèmes pour en anticiper la survenance en Afrique par exemple, et préserver par là même, l’environnement.

Il aurait fallu profiter de cet événement pour tirer vos propres enseignements. Tout ce que vous faites, concernant les puits, est du domaine industriel ; si vous ne vous préoccupez pas des risques de pollution pour l’environnement - vous qui êtes sous l’autorité de l’Etat et qui avez un certain recul par rapport aux industriels -, qui va le faire ? Je ne vais pas m’adresser à Total ou à Elf : ils sont juges et parties dans cette affaire ! Prenons l’exemple de l’Erika : on s’adresse à des laboratoires qui sont financés par les pétroliers !

M. Alain Feugier : Je comprends votre interrogation, mais je peux vous assurer que si nous n’avons pas été dépêchés par les pouvoirs publics pour aller sur place, nous avons contribué à comprendre ce qui s’est passé. Par ailleurs, nous avons nos propres programmes dans le domaine de la combustion et dans celui de la pollution des sols. Vous ne pouvez pas nous reprocher de ne pas contribuer à comprendre et à faire en sorte que les outils dont on dispose puissent être utilisés pour répondre à un certain nombre de questions.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : J’ai justement une question précise à vous poser : quelle est la profondeur de la pollution du sol par les hydrocarbures à 100 mètres d’un puits ?

M. Alain Feugier : En ce qui concerne le rayonnement, nous pouvons déterminer précisément les paramètres de ce risque, puisque nous avons effectué des mesures. Pour connaître la pollution des sols en hydrocarbures, il aurait fallu être mandatés pour cela ! Cependant, nous possédons des modèles qui devraient être capables d’évaluer cette pollution.

M. Aloyse Warhouver : Il faut tout de même se souvenir du contexte dans lequel s’est déroulée la guerre du Golfe : un black-out absolu. Je ne vois pas comment un institut aurait pu aller effectuer des mesures sur place. J’avais moi-même demandé, à l’époque, à faire partie d’une mission ; or c’était hermétiquement fermé.

Il serait donc bon, M. le Président, afin de resituer le contexte, que nous entendions le Ministre de la Défense de l’époque pour connaître les contraintes qui étaient alors imposées.

Je ne pense pas que l’IFP aurait pu s’autosaisir. Et je ne dis pas cependant cela pour en disculper les responsables.

M. Bernard Cazeneuve, Président : L’audition du Ministre de la Défense de l’époque est prévue.

Michèle Rivasi, co-rapporteure : Les incendies de puits de pétrole ont surtout affecté le territoire koweïtien, et pas l’Irak.

M. Jean-Louis Bernard : M. le Directeur, je constate qu’il existe un Institut français du pétrole, avec une direction de l’environnement. Je suis tout à fait profane en matière de pétrole, mais j’ai en mémoire des scénarios de films catastrophes qui révèlent que l’incident le plus probable est tout de même l’incendie d’un puits de pétrole !

Or un tel incident entraîne inévitablement un certain nombre de conséquences pour l’environnement, notamment humain. Je m’étonne donc que l’on n’ait pas mesuré les conséquences de ce qui était bien plus qu’une expérience en laboratoire, à savoir l’incendie de plusieurs centaines de puits de pétrole !

Je m’étonne également que l’Institut français du pétrole, avec une direction de l’environnement, n’ait pas su tirer les conséquences d’une catastrophe qui n’était, comme l’a dit le Président, pas totalement imprévisible compte tenu du contexte international et local.

Puisqu’il ne saurait être écarté que ce type d’incident se reproduise, dans quelques années - quel que soit l’endroit -, il me paraît indispensable qu’un Institut français du pétrole disposant d’une direction de l’environnement soit capable, non seulement d’en prévoir les conséquences, mais surtout de préconiser des mesures préventives susceptibles d’y pallier.

Je suis étonné de ne pas trouver des réponses à ce qui me paraît constituer des interrogations fondamentales.

M. Alain Feugier : Cette préoccupation que vous manifestez, nous l’avons également eue. Une partie des programmes de notre Institut vise des études d’intérêt général.

M. Jean-Louis Bernard : J’ajouterai par ailleurs, et je suis d’accord avec Mme Rivasi, qu’il ne faut pas se retourner vers les compagnies pétrolières qui, pour des intérêts bassement matériels, n’engageront pas les crédits suffisants en matière de prévention. Il appartient à l’Etat, par des organismes publics, de jouer ce rôle de « gendarme », de prendre des mesures préventives qui pourraient éviter un certain nombre de catastrophes.

M. Alain Feugier : J’entends bien ! Mais je le répète, nous avons mis, à l’époque, nos moyens à la disposition des pouvoirs publics. Les principales préoccupations portaient effectivement sur les conséquences de ces incendies, mais également sur leur arrêt. Une de nos filiales - Horwell - a d’ailleurs contribué à l’extinction de quelques feux. Indirectement, nous avons donc participé à la lutte contre cette catastrophe.

S’agissant de la mesure de la qualité de l’air, je vous l’ai dit, j’ai participé à des groupes de travail qui ont conduit à l’envoi du camion d’Airparif et à l’élaboration du cahier des charges visant à ce que les mesures soient les plus pertinentes possibles. Nous avons mesuré le degré de pollution grâce aux analyses effectuées par notre laboratoire.

Cependant si le sol est pollué dans le Golfe, il n’appartient pas à l’IFP de proposer à l’Etat koweïtien de venir dépolluer le sable ! Un certain nombre de sociétés privées ont offert leurs services ; certaines sont venues nous trouver pour nous demander préalablement, au cas où elles devaient se voir confier un chantier là-bas, de les aider techniquement sur tel ou tel point. Nous avons répondu positivement à ces demandes.

Ces incendies de puits de pétrole ont été l’un des éléments qui nous ont amenés à lancer des programmes de recherche de modélisation de dispersion de gaz et de pollution photochimique. Si demain un tel événement devait se reproduire, pour autant que l’on connaisse bien les conditions initiales, nous disposons d’outils capables de vous donner la carte de distribution des polluants dans cet environnement, en fonction des conditions météorologiques qu’il est indispensable de connaître. Ces incendies ont donc tout de même été un élément déclencheur, mais ce n’était pas le seul puisqu’à cette époque on parlait beaucoup de la pollution urbaine.

Je suis tout à fait conscient que je ne réponds pas très bien à vos questions, mais ne pensez pas que ces événements nous sont passés totalement inaperçus. Ils sont extrêmement complexes si l’on veut y apporter des réponses pertinentes. Néanmoins, ils sont à l’origine de programmes de recherche qui, d’ailleurs, continuent : si nous avons mis au point un brûleur sur les plates-formes qui ne délivrent pas des flammes immenses et polluantes, c’est bien parce que nous avons lancé des études dans ce domaine.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Quel laboratoire est capable de nous renseigner sur la relation qui existe entre les problèmes environnementaux liés à une pollution d’hydrocarbures et la santé de la population ? Je vous pose cette question, car d’après les renseignements que je détiens sur l’IFP, il apparaît que vos compétences sont très techniques.

M. Alain Feugier : C’est vrai.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Vous misez sur la modélisation, ce qui est bien, mais nous, dans notre rôle de politiques, nous aimerions savoir comment protéger la population des pollutions du sol et de l’eau par les hydrocarbures. Il nous faut, pour cela, des données. Qui peut nous les fournir ?

M. Alain Feugier : En effet, nous n’avons pas toute la palette de compétences ! Vous parlez de modèles, mais il ne faut pas oublier que derrière ces modèles, il y a toute une base scientifique et technique importante. Vous faites allusion à la pollution des sols, alors sachez que les modèles que l’on met au point, et qui sont validés sur le terrain, nous donnent la carte de distribution dans le temps et dans l’espace des polluants dans un sol. Ce qu’il faut maintenant, c’est les coupler avec des modèles d’exposition ; or des organismes comme l’INERIS développent ce type de modèles. Leurs modèles d’exposition doivent utiliser comme données d’entrée les résultats de nos propres modèles : nous leur donnons des concentrations qu’ils utilisent pour les transformer en seuils d’exposition et en facteurs de risques.

Dans ce domaine - pour les sols - , c’est avec l’INERIS que nous faisons ce couplage entre nos modèles de migration des polluants et leurs modèles d’exposition, lesquels vous donneront des teneurs dans le sol ou dans l’atmosphère que nous allons comparer à des seuils donnés par l’OMS. C’est donc cet ensemble intégré qui peut répondre à vos questions.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Qui fait la synthèse ?

M. Alain Feugier : Là nous sommes d’accord, la synthèse doit se faire en commun !

M. Bernard Cazeneuve, Président : Avez-vous la possibilité de vous autosaisir ?

M. Alain Feugier : Tout à fait, nous avons cependant des commissions qui valident ensuite nos propositions et qui peuvent faire ou font des commentaires sur telle ou telle demande.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Quelle est la pollution majeure, actuellement, dans le Golfe ?

M. Alain Feugier : Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les documents dont on dispose ne sont pas alarmants en ce qui concerne les concentrations mesurées dans l’air. En revanche, nous n’avons aucun élément s’agissant de la pollution du sol...

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : On ne sait donc rien sur l’état de la pollution du sol koweïtien !

M. Alain Feugier : C’est à l’Etat koweïtien de mener des actions sur ce sujet.

M. Bernard Cazeneuve, Président : M. le Directeur, je vous remercie.


Source : Assemblée nationale (France)