(Procès-verbal de la séance du mardi 9 janvier 2001)

Présidence de M. Bernard Cazeneuve, Président

M. Bernard Cazeneuve, Président : Mes chers collègues, nous procédons aujourd’hui à l’audition du Médecin général Jean-Yves Tréguier, dont la carrière de médecin militaire a débuté dans la Marine. M. le Médecin général, vous assumez depuis 1998 la responsabilité de Chef du Service de protection radiologique des Armées (SPRA). L’accès à cette fonction résulte sans doute de la spécialisation que vous avez acquise, notamment à travers la formation dispensée par l’Ecole des applications militaires en énergie atomique de Cherbourg.

Si je me permets, M. le Médecin général, de faire référence au déroulement de votre carrière, c’est que vos affectations successives au sein du Service de santé des Armées, intéressent directement le champ d’investigation de notre mission d’information. Ainsi, au début des années quatre-vingt-dix (c’est-à-dire à l’époque de la guerre du Golfe), vous exerciez les fonctions de Chef du Service « médecine et sécurité » de l’Etablissement technique central de l’armement, puis les fonctions d’adjoint, et enfin de responsable au sein du Service mixte de contrôle biologique de Monthléry. Dans ces conditions, vous comprendrez que certaines de nos questions portent notamment sur les systèmes de protection collective et individuelle contre les risques « NBC », sujet sur lequel notre attention a été appelée et qui a éveillé quelques interrogations au sein de la mission au regard des réponses qui nous ont été apportées au cours de nos auditions.

Par ailleurs, nous vous interrogerons également sur l’uranium appauvri en matière d’armement. Si la France ne semble pas avoir disposé de tels matériels à l’époque des opérations du Golfe, il est aujourd’hui avéré que les Américains et, dans une moindre mesure, les Anglais ont pu utiliser ce type d’armes au sein de la coalition. D’après des sources librement disponibles, y compris sur Internet, les données les moins alarmistes mentionnent que près de 300 tonnes d’uranium appauvri auraient été dispersées sur les zones de théâtre d’Arabie Saoudite, du Koweït et de l’Irak.

M. le Médecin général, nous vous écoutons pour un court exposé introductif, à l’issue duquel les membres de la mission vous poseront des questions.

M. le Médecin général Jean-Yves Tréguier : M. le Président, Madame et Messieurs les députés, je voudrais tout d’abord préciser dans quel cadre se situe l’action du Service de protection radiologique des Armées (SPRA), qui se trouve implanté près de l’hôpital Percy à Clamart.

Il s’agit d’un service technique spécialisé, directement subordonné à la direction centrale du Service de santé des Armées. Il exerce la mission, au sein du ministère de la Défense, de surveillance et d’expertise en radioprotection par le contrôle du suivi médical du personnel exposé aux rayonnements ionisants et la surveillance de leur exposition externe et interne, le contrôle technique de la sécurité radiologique des installations et de la traçabilité des sources et déchets au sein de la défense, l’expertise radiologique des cas de contentieux, la formation du personnel en radioprotection, la permanence 24 h sur 24 pour l’intervention en cas d’urgence radiologique, enfin la veille technique et scientifique en matière de radioprotection.

Le SPRA entretient des relations privilégiées avec tous les organismes extérieurs à la défense qui ont à traiter de radioprotection, en particulier l’Office de Protection contre les Rayonnements Ionisants (OPRI) et la Commission Interministérielle de Radioéléments Artificiels (CIREA), mais aussi l’Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire (IPSN), le Commissariat à l’Energie Atomique, Electricité De France (EDF), ou encore l’Agence Nationale de gestion des Déchets Radioactifs (ANDRA), etc.

Définie comme l’ensemble des moyens mis en _uvre pour permettre l’utilisation sans risque pour l’homme des rayonnements ionisants, la radioprotection se situe au carrefour de deux disciplines : la médecine du travail, d’une part ; l’hygiène et la sécurité des conditions de travail, d’autre part. Ses bases juridiques sont le code de santé publique et le code du travail.

Les normes du droit commun en matière de radioprotection sont strictement appliquées au sein de la Défense. Le SPRA participe à l’élaboration de la réglementation qui fixe leur mise en application. Les pratiques soumettant les personnels à des expositions aux rayonnements ionisants sont justifiées et maintenues très en dessous des limites d’exposition réglementaires : en particulier, le principe « ALARA » (as low as reasonably achievable), qui prescrit une exposition aussi basse qu’il est raisonnablement possible -y compris en tenant compte des facteurs sociaux et économiques -, est mis en _uvre au sein de la Défense. Ces principes de justification, d’optimisation et de limitation guident l’action du SPRA et du Service de santé des Armées.

Mon exposé liminaire, M. le Président, Madame et Messieurs les députés, s’articulera en trois parties. La première traitera des données générales d’appréciation du risque de l’uranium ; certaines de ces données ont déjà fait l’objet d’un dossier technique mis à la disposition de la représentation nationale, en juillet dernier. La deuxième traitera des données concernant l’homme et l’environnement, dont nous disposons dans la défense, pour le risque uranium appauvri. Enfin, la troisième partie traitera de la question de l’uranium appauvri et des pathologies post-guerre du Golfe.

Tout d’abord : quelles sont les données générales d’appréciation du risque de l’uranium ?

Premièrement, quelles sont les caractéristiques physiques de l’uranium ?

L’uranium naturel est universellement répandu dans la nature, les sols, les roches, sous forme de minerai ou de traces. Certains produits industriels (engrais, béton ou encore charbon) en contiennent des quantités appréciables. L’uranium naturel se retrouve dans l’air, l’eau de boisson et l’alimentation. Il en existe des traces dans le squelette. On observe une élimination normale, à la fois dans les urines et dans les selles. Cette élimination est proportionnelle à l’apport de cet élément dans l’organisme. C’est la raison pour laquelle, toute évaluation pour un groupe exposé, à partir des quantités excrétées, doit toujours se faire par comparaison à une population témoin.

Produit radioactif de faible activité spécifique, l’uranium naturel est un mélange des trois isotopes 234, 235 et 238, tous émetteurs alpha, bêta et gamma si l’on considère leurs descendants. L’uranium 238 est le composant majeur de l’uranium (99,3 %) et sa période est la plus longue : de l’ordre de grandeur de l’âge de la terre. Il est donc peu radioactif.

L’uranium est dit appauvri lorsque son taux en isotopes 235 est inférieur à la teneur naturelle, c’est-à-dire à moins de 0,7 %. Il est utilisé pour ses caractéristiques métallurgiques. Sa teneur en isotopes fissiles est trop faible pour qu’il soit utilisé comme combustible nucléaire ou dans une arme nucléaire. Du point de vue radioactif, l’uranium appauvri est environ deux fois moins radioactif que l’uranium naturel si l’on considère la radioactivité alpha, la plus préoccupante en contamination interne. Du point de vue chimique, l’uranium appauvri est un métal lourd au même titre que le plomb ou le cadmium. Sa toxicité chimique est identique à celle de l’uranium naturel.

Dans l’uranium appauvri, l’uranium 238 est toujours associé à ses deux descendants à vie courte, le thorium 234 et le protactinium 234, qui sont des émetteurs à la fois bêta et gamma. Les autres descendants présents dans l’uranium naturel n’apparaîtront en filiation que dans plusieurs milliers d’années. Mais là comme ailleurs, la toxicité globale de l’uranium appauvri est liée à la quantité et ses effets radiologiques sur l’organisme dépendent de la dose, de son débit et de la durée de l’exposition.

Quel est le devenir biologique de l’uranium dans l’organisme ?

Les voies de pénétration et le devenir biologique de l’uranium sont bien connues et permettent de faire des modélisations. Le devenir biologique de l’uranium est variable selon la voie de transfert à l’homme, et sa forme chimique (métal, oxyde ou sel). Le rein, le squelette, le poumon (en cas d’inhalation) sont les principaux organes cibles.

Les voies de pénétration possibles chez le travailleur sont le poumon par inhalation ou la peau par blessure. Le poumon serait la voie d’entrée prédominante pour des soldats qui se trouveraient à proximité d’un char au moment de l’impact d’un obus à l’uranium appauvri. Pour le public, la voie d’entrée habituelle est celle de l’ingestion par les aliments ou les eaux de boisson.

La solubilité de l’uranium appauvri dépend de sa forme chimique. Elle est un facteur important, affectant le devenir biologique de cet élément dans l’organisme. S’il est soluble, il est capable de traverser les membranes biologiques. Cette propriété constitue ce que l’on appelle la transférabilité. Ce type d’uranium se retrouve ainsi rapidement dans le milieu intérieur où ses mouvements sont les mêmes que ceux du calcium. S’il est insoluble, il reste au niveau des « portes d’entrée » que constituent par exemple le poumon et la peau. Avec le temps, il se dissout néanmoins plus ou moins selon sa forme chimique ou son mode de production et passe progressivement dans le milieu intérieur de l’organisme.

Les modélisations montrent que quel que soit le mode de contamination, aigu ou chronique, il est techniquement possible de mettre l’uranium en évidence dans les excréta (urines et selles), dix ans après contamination, du niveau de la norme annuelle d’exposition de la population (LAI).

Quel est le risque sanitaire de l’uranium ?

Ce risque se définit comme étant la probabilité de l’existence d’un dommage pour la santé de l’homme. L’étude de la toxicité de l’uranium a fait l’objet de nombreuses publications. Les risques liés à son utilisation sont connus depuis l’origine de l’industrie nucléaire et un grand nombre d’informations sont disponibles sur ses effets chez l’homme.

Il existe plusieurs possibilités de risque de toxicité chimique et/ou radiologique, selon la voie de transfert (inhalation ou ingestion) et la solubilité de l’uranium en cause.

La toxicité chimique, quelle que soit la forme de l’uranium, est comparable à celle des métaux lourds. L’ingestion répétée à forte dose (de l’ordre de la dizaine de milligrammes d’uranium par kilogramme de poids corporel) peut entraîner une atteinte rénale sous forme de néphropathies interstitielles aiguës ou chroniques, en fonction de la concentration sanguine atteinte. Les effets neurologiques restent à confirmer en ce qui concerne l’uranium appauvri. Des effets cutanés sont suspectés. Ces deux derniers effets (neurologiques et cutanés) correspondent à des conditions particulières de contamination et n’ont jamais été mis en évidence chez les travailleurs de l’industrie de l’uranium.

La toxicité radiologique de l’uranium, elle, reste liée à sa composition isotopique et à son activité spécifique. Jusqu’à présent, aucune étude épidémiologique chez les travailleurs de l’uranium n’a impliqué l’uranium dans un processus de cancérogenèse ; c’est du moins ce que conclut la dernière mise au point de septembre 1999 sur l’uranium naturel et appauvri de l’ATSDR (Agency for toxic substances and disease registry), qui relève du ministère de la Santé des Etats-Unis.

En résumé, on peut donc dire que la toxicité chimique de l’uranium appauvri est comparable à celle de l’uranium naturel et à celle des métaux lourds. La toxicité radiologique de l’uranium appauvri est inférieure à celle de l’uranium naturel. Le risque sanitaire potentiel de l’uranium appauvri peut être considéré comme négligeable puisqu’aucun effet patent de radio-toxicité attribuable à l’uranium naturel n’a été mis en évidence. L’exploitation de toutes ces informations montre qu’aucun effet direct sur la santé n’a été observé chez les travailleurs, pourtant exposés à des quantités dépassant nettement les standards admis pour la population.

J’en viens à présent à la deuxième partie de mon exposé. J’y traiterai des données relatives à la surveillance de l’homme et de son environnement, dont nous disposons au sein du ministère de la Défense, face au risque lié à l’uranium appauvri.

La surveillance médicale et environnementale concerne toutes les expositions et contaminations possibles par les isotopes de l’uranium, y compris l’uranium appauvri. La surveillance médicale s’intéresse au travailleur et à son poste de travail. Quant à l’environnement, il relève de la surveillance sanitaire et donc de l’hygiène publique.

Comment est effectuée la surveillance médicale du personnel et de son poste de travail ?

Pour le personnel, la surveillance de l’exposition externe est assurée par des dosimètres. La mesure directe de l’exposition interne est impossible. Il faut donc réaliser la surveillance par les excréta (urines et selles), de façon à mettre en évidence par différentes techniques toute contamination par l’uranium ou l’uranium appauvri. L’efficacité de cette surveillance est vérifiée par de nombreuses données expérimentales.

Au laboratoire de contrôle radio-toxicologique du SPRA, toutes les analyses d’urine sont menées jusqu’à des limites de détection toujours inférieures à celles recommandées par la Commission internationale de protection radiologique (CIPR). Dans ces conditions, tout résultat non significatif assure d’emblée l’absence d’exposition significative. Les analyses effectuées jusqu’à présent chez les travailleurs exposés à l’uranium appauvri, ainsi que chez les personnels contrôlés ayant pu être exposés et ayant participé aux opérations extérieures, se sont situées en dessous de ces limites. Elles n’ont pas fourni de valeurs significatives.

S’agissant du poste de travail, le risque est l’inhalation. La surveillance en continu doit porter sur les concentrations volumiques en uranium de l’air des postes de travail et la vérification par frottis surfaciques.

La protection du personnel à l’égard de l’uranium appauvri préconisée par le SPRA est la même que celle qui est prescrite dans le cadre de la médecine du travail pour prévenir tout risque d’inhalation ou d’ingestion de poussières contenant de l’uranium : port d’un masque anti-poussières, gants, tenue de travail, lunettes de protection, interdiction de manger, de boire, de fumer sur le lieu de travail, etc. Les normes de protection des travailleurs de l’uranium sont appliquées à l’expérimentation des munitions à l’uranium appauvri, à leur manipulation comme à leur stockage.

Comment la surveillance de l’environnement est-elle assurée ?

Pour l’environnement, la surveillance porte principalement sur les eaux, notamment souterraines, car l’ingestion des eaux de boisson représente le risque principal. Cependant, les sols et les végétaux doivent être également surveillés afin d’évaluer l’absence de transferts.

En raison de ses missions, le SPRA a été sollicité pour donner son avis sur les précautions à prendre pour l’expérimentation de munitions contenant de l’uranium appauvri. Le SPRA a alors assuré la surveillance du personnel et de l’environnement au niveau des deux sites d’essais de Bourges et de Gramat. Aucun cas de contamination du personnel ou de pollution de l’environnement n’a été constaté jusqu’à ce jour.

Depuis 1995, dans le cadre de l’intervention en situation radiologique d’urgence, des unités de laboratoire mobile du SPRA peuvent être envoyées sur le terrain, soit pour surveiller le personnel, soit pour expertiser l’environnement immédiat des personnels militaires exposés en vue d’évaluer un risque.

J’en termine à présent, par la troisième partie de mon intervention. Je parlerai de l’uranium appauvri et des pathologies apparues après la guerre du Golfe.

En revenant dans leurs foyers, à l’issue de la guerre du Golfe, un certain nombre de vétérans américains se sont plaints de problèmes de santé qu’ils ont attribués à leur participation à la guerre du Golfe. Mais qu’appelle-t-on un syndrome ? Le syndrome se définit comme une association de symptômes ou de signes d’origines diverses ou inconnues, ce qui le différencie de la maladie, due à une cause spécifique. La question que l’on se pose est de savoir si l’uranium appauvri peut être rendu responsable de symptômes similaires.

Les connaissances acquises sur les effets toxiques de l’uranium naturel ou appauvri résultent, soit d’accidents d’exposition à l’uranium, soit d’enquêtes épidémiologiques de suivi des travailleurs de l’uranium, soit des données expérimentales chez l’animal. La plupart des travaux expérimentaux utilisent des isotopes d’uranium beaucoup plus radioactifs que l’uranium appauvri. Les résultats doivent donc être nuancés et extrapolés.

Plusieurs accidents graves d’exposition à l’uranium ont fait l’objet de trois études entre 1986 et 1990. Ces études, n’ont pas mis en évidence la présence de symptômes tels que ceux qui sont rapportés par les anciens combattants du Golfe. On a noté l’absence de symptômes affectant le système nerveux dans six études épidémiologiques chez les travailleurs (entre 1981 et 1988), ainsi que l’absence de toxicité pulmonaire ou d’augmentation de la mortalité du fait de maladies respiratoires dans six études épidémiologiques (entre 1972 et 1988), et même l’absence de déficiences immunitaires dans cinq études épidémiologiques (entre 1981 et 1988).

Quant aux études expérimentales chez l’animal dont le nombre s’élève à 52 de 1949 à 1973, elles montrent que les différents effets nocifs provenant d’une exposition à l’uranium naturel sont associés à des signes d’altération rénale.

Au total, les études épidémiologiques chez l’homme et les études expérimentales chez l’animal montrent que la toxicité de l’uranium est avant tout chimique et a pour organe cible principal le rein. Il faut souligner qu’aucune pathologie rénale n’a été signalée, à ma connaissance, chez les vétérans du Golfe. C’est l’absence de toxicité rénale qui distingue une intoxication par l’uranium des pathologies post-conflit du Golfe.

Quant aux effets à long terme de type cancérogenèse, l’uranium appauvri ayant une activité spécifique faible, ils ne peuvent apparaître que pour des durées d’exposition longues, supérieures à l’année, aboutissant à des doses élevées.

Il est à noter qu’au moment de la guerre du Golfe, l’armée française ne disposait pas, à ma connaissance, de munitions à l’uranium appauvri. C’est pourquoi, on ne trouve pas de consigne spécifique concernant ce type de munition qui ait été diffusée aux forces présentes sur le terrain. Cependant, il s’agissait là du premier conflit après la fin de la guerre froide. La posture prévue permettait de faire face à une éventuelle menace « NBC » : les soldats français disposaient donc d’un équipement de protection adapté, en particulier de masques respiratoires.

En conclusion, l’étude des effets sanitaires de l’uranium appauvri montre que les risques liés à la manipulation d’uranium naturel sont connus, et que la manipulation de l’uranium naturel ou appauvri fait l’objet d’une réglementation appliquée en milieu industriel qui impose l’exercice d’une surveillance médicale des travailleurs.

Aucune pathologie spécifique liée à cette manipulation n’a été démontrée. A ce jour, les études consécutives à l’emploi de munitions contenant de l’uranium appauvri, notamment au cours du conflit du Golfe, n’ont pas permis de mettre clairement en évidence des pathologies spécifiques à l’uranium appauvri. De plus, les symptômes décrits dans les pathologies post-conflit du Golfe ne correspondent pas aux effets toxiques de l’uranium, du fait notamment de l’absence d’atteinte rénale. Dans le cadre du suivi des pathologies post-conflit du Golfe, outre l’examen clinique, plusieurs examens para-cliniques peuvent être effectués, dont la recherche d’uranium appauvri dans les urines. Le Service de santé des Armées demeure disponible pour mener toute investigation complémentaire qui s’avérerait nécessaire, dans la mesure de ses moyens.

Voilà, M. le Président, Messieurs les députés, ce que je souhaitais vous dire sur l’uranium. Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions et vous remercie de l’attention que vous avez prêtée à mes propos.

M. Jean-Louis Bernard : S’agissant d’une éventuelle contamination par inhalation des militaires qui se trouveraient à proximité d’un char ayant été touché par un obus à uranium appauvri, pouvez-vous préciser la distance jusqu’à laquelle ce risque de contamination existe ?

M. le Médecin général Jean-Yves Tréguier : Il faudrait se trouver assez près du char, c’est-à-dire de l’ordre de la dizaine de mètres.

M. Jean-Louis Bernard : Par ailleurs, faites-vous pratiquer des numérations des formules sanguines aux personnels qui manipulent de l’uranium appauvri ?

M. le Médecin général Jean-Yves Tréguier : Dans le cadre de la surveillance spéciale, nous procédons en effet à un bilan sanguin semestriel comportant numération et formule sanguine.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Je voudrais vous poser des questions qui résultent des derniers développements médiatiques de ce problème de l’utilisation de l’uranium appauvri dans les conflits. Pensez-vous que le développement de leucémies chez les militaires ayant participé au conflit du Kosovo peut résulter de l’utilisation d’armes à l’uranium appauvri ? Un lien épidémiologique peut-il être établi ?

M. le Médecin général Jean-Yves Tréguier : A première vue, nous constatons en effet un nombre de cas de leucémies relativement élevé parmi les militaires ayant participé aux opérations en ex-Yougoslavie. Une étude rétrospective est en cours et il y aura une étude prospective pour évaluer quelles sont les étiologies possibles de ces leucémies. En l’état actuel, rien ne permet toutefois de dire qu’il existe un lien entre ces leucémies et l’uranium appauvri.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Mais ce lien est-il possible ?

M. le Médecin général Jean-Yves Tréguier : Compte tenu de l’activité spécifique de l’uranium appauvri, nous devons, a priori, l’écarter. En effet, les leucémies dont on parle et qui viennent de se produire apparaissent quelques mois après un séjour dans les Balkans ; or en général il s’écoule entre deux et dix ans avant l’apparition de leucémies radio-induites.

M. Bernard Cazeneuve, Président : On ne peut pas à la fois poser le principe que vous avez posé, et qui fait l’objet de travaux scientifiques abondants, à savoir une innocuité de l’uranium appauvri ou une absence totale de dangerosité sanitaire de ce métal sans écarter totalement l’hypothèse d’un lien entre l’utilisation d’armes qui en incorporent et le développement d’un certain nombre de pathologies dans les Balkans !

Soit on est sûr de l’innocuité de l’uranium appauvri, auquel cas l’absence de lien causal avec les pathologies observées est valable pour la guerre du Golfe comme pour les opérations en ex-Yougoslavie ; soit il n’y a pas de certitude, auquel cas la question se pose pour les vétérans des Balkans et il n’y a aucune raison de l’écarter pour ceux du Golfe.

M. le Médecin général Jean-Yves Tréguier : Nous sommes sûrs de l’absence de lien entre les leucémies constatées et l’utilisation de munitions à uranium appauvri d’après les données dont nous disposons ; mais avant d’écarter toute hypothèse, il convient de la vérifier : c’est ce que l’on appelle le « doute scientifique ». Les faits sont têtus : s’il n’existe pas de lien entre l’uranium appauvri et ces leucémies, nous pourrons le démontrer.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Et quelles sont les investigations scientifiques auxquelles vous devrez procéder pour faire une démonstration qui soit imparable ?

M. le Médecin général Jean-Yves Tréguier : En l’occurrence, il conviendrait de savoir si l’on retrouve de l’uranium dans les urines des patients et d’évaluer la contamination à laquelle ils auraient été éventuellement exposés par inhalation.

M. Charles Cova, Vice-président : Les tests pratiqués actuellement sur les personnes qui travaillent au contact de l’uranium appauvri ne peuvent-ils pas être améliorés et affinés ? Existe-t-il un test classique d’analyse d’urine pouvant évaluer le dosage ou l’absence d’uranium ? Ne pouvons-nous pas faire en sorte que ces tests soient beaucoup plus approfondis ?

M. le Médecin général Jean-Yves Tréguier : Actuellement, nous recherchons la présence d’uranium appauvri par une méthode de laboratoire, soit dans les urines (diurèse de 24 H), soit dans les selles. Nous effectuons ces recherches au SPRA. Il s’agit d’examens relativement longs et coûteux. A l’heure actuelle, pour satisfaire l’ensemble des besoins, nous devrions arrêter toute activité de laboratoire pour ne nous occuper que de la recherche d’uranium dans les urines ; cela demande du temps et nous ne pourrions donc faire que 150 examens par mois.

M. Charles Cova, Vice-président : Ce serait déjà ça !

M. le Médecin général Jean-Yves Tréguier : Il convient de garder à l’esprit que l’uranium est un toxique chimique, un métal lourd : s’il y a une exposition importante, il y a fatalement une atteinte rénale. Dès qu’il existe le moindre signe d’altération rénale, on doit compléter les examens et aller chercher la présence d’uranium.

Le devenir biologique de l’uranium est un modèle recyclant : en permanence, l’uranium passe dans la circulation sanguine, dans le squelette, et il ne s’élimine que progressivement. On peut donc, dix ans après, retrouver de l’uranium dans les urines si l’exposition a été de l’ordre d’une LAI-population, la limite dose population la plus sévère.

M. Charles Cova, Vice-président : Votre réponse induit une question. Quand les armes françaises à l’uranium appauvri ont été mises en _uvre, de grandes quantités d’uranium appauvri ont été importées des Etats-Unis ; ne pensez-vous pas que cet uranium appauvri aurait pu comporter des traces d’uranium 236 ou 235 ? Savez-vous, par exemple, s’il a été examiné par nos spécialistes ?

M. le Médecin général Jean-Yves Tréguier : Ce que je sais à ce sujet, c’est ce que j’ai lu dans les journaux. Et ce qui m’intéresse, c’est de savoir si la présence éventuelle de cet uranium 236 aurait des conséquences sanitaires. En fait, si cet uranium 236 existe, je pense qu’il ne peut être présent qu’à l’état de traces. Par ailleurs, la radioactivité de cet uranium 236 est très proche de celle de l’uranium 235 : dans le processus d’appauvrissement, on enlève de l’uranium 235, mais s’il reste quelques traces d’uranium 236, cela ne modifie pas réellement l’activité de l’uranium appauvri qui serait alors, au pire, du même ordre que l’activité de l’uranium naturel.

M. Jean-Louis Bernard : M. le Médecin général, lorsqu’on lit les articles de presse, on se pose tout de même un certain nombre de questions ; et ce qui était une interrogation pour les journalistes devient une quasi-certitude. Le fait que nous nous posions des questions donne presque l’impression que nous sommes à contre-courant.

Statistiquement, il doit être à la fois possible de savoir combien de leucémies se sont déclarées chez nos militaires après un conflit pour lequel nous n’avons pas utilisé d’uranium appauvri et le pourcentage de leucémies de tous types dans une population donnée. On pourrait ainsi savoir, en fonction du nombre de militaires malades qui n’étaient d’ailleurs pas tous dans les Balkans, si, nous sommes statistiquement dans une fourchette normale de répartition du facteur leucémique ou s’il y a une différence tout à fait significative qui peut nous entraîner à nous poser des questions.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Etant député de la circonscription de La Hague, j’ai eu à connaître ce type de problèmes. Le professeur Viel a mené une enquête mesurant le niveau de leucémies des personnes résidant sur le canton de Beaumont, où est située l’usine de retraitement de La Hague. Nous avons été amenés à nous interroger sur une problématique portant sur le lien existant entre le développement de cette pathologie et l’existence d’une industrie nucléaire.

Nous nous sommes rendu compte, lorsque nous avons voulu apporter une réponse définitive à la question posée par ce scientifique, que la réponse était extraordinairement difficile, et ce pour deux raisons : tout d’abord, il faut, préalablement reconstituer une cohorte et conduire une enquête de cas-témoins, ce qui est relativement compliqué mais nécessaire, ensuite, il faut établir le lien entre l’utilisation de l’uranium appauvri et le développement des pathologies.

Dans le premier cas, il s’agit de regarder si statistiquement il existe plus de cas de leucémies parmi des populations données et ayant été amenées à intervenir dans un contexte particulier, ce qui équivaut à un travail statistique, d’épidémiologistes. Ce travail est difficile à mener et il implique la reconstitution des conditions d’exposition des victimes.

Dans le second cas, il s’agit d’établir un lien entre le développement des pathologies et l’utilisation d’armes à uranium appauvri.

Ce n’est que lorsque ces deux types d’investigation auront été menés, qu’il sera possible de se prononcer. Il faudrait donc des années pour parvenir à un résultat.

M. le Médecin général Jean-Yves Tréguier : Ce qui est effectivement frappant, au prime abord, c’est le nombre de militaires atteints de leucémies qui sont allés dans les Balkans.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Le problème n’est plus celui du niveau de leucémies constaté chez les soldats ayant été impliqués dans des opérations dans les Balkans ; le problème est que la presse, elle, ne raisonne pas comme le scientifique que vous êtes. Elle affirme que l’utilisation d’armes à uranium appauvri est à l’origine du développement de ce type de pathologies chez les militaires ayant participé aux opérations en ex-Yougoslavie, alors même que cette démonstration est scientifiquement infaisable en 48 heures !

M. Jean-Louis Bernard : Il doit quand même être possible d’un point de vue statistique de retrouver le nombre de cas de leucémies par rapport à la population qui est allée dans les Balkans.

M. le Médecin général Jean-Yves Tréguier : Il y avait une rotation tous les quatre mois, la cohorte est donc relativement nombreuse.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Je souhaiterais que la mission se positionne de façon la plus rigoureuse possible sur cette question. Ce n’est pas parce que nous aurons constaté pour les militaires impliqués dans le conflit des Balkans, un niveau de leucémies supérieur à celui que l’on constate dans une population moyenne d’une tranche d’âge comparable, que nous aurons pour autant pu déterminer comme cause du développement de ces leucémies l’utilisation d’armes à uranium appauvri.

Or il y a une confusion totale aujourd’hui sur ce sujet. Des affirmations définitives sont publiées dans la presse. La démonstration me paraît loin d’être faite et d’ailleurs non susceptible d’être faite en 48 heures. En effet, lorsque vous aurez déterminé le nombre de leucémies par un travail statistique et le lien possible entre ces pathologies et l’uranium appauvri, il faudra reconstituer les doses d’exposition. Il s’agit là d’un travail colossal.

M. le Médecin général Jean-Yves Tréguier : Je suis tout à fait d’accord avec ce que vous venez de dire.

M. Charles Cova, Vice-président : Avez-vous eu connaissance, M. le Médecin général, de débris de chars ou de véhicules blindés qui auraient été ramenés des Balkans et du Golfe arabo-persique ? En outre, des analyses radiologiques ont-elles été effectuées sur ce type de débris et vous ont-elles été communiquées ?

M. le Médecin général Jean-Yves Tréguier : Nous avons réalisé, au niveau du laboratoire, des études, mais nous n’avons pas mis en évidence d’uranium 236 ou de produits de fission mais simplement de l’uranium appauvri.

M. Charles Cova, Vice-président : Et ces analyses ont été effectuées combien de temps après les opérations ?

M. le Médecin général Jean-Yves Tréguier : En décembre 1999, soit cinq ou six mois après la fin du conflit des Balkans.

C’est au moment du déploiement des forces que l’on devait réaliser cette mission, mais comme nous n’avions pas repéré de carcasses de chars dans la zone où les troupes françaises devaient se déployer, les militaires se sont occupés dans un premier temps à déminer le terrain. En parcourant la campagne, ils ont repéré un site où se trouvait la carcasse d’un char. Nous avons donc effectué, en décembre 1999, des mesures.

Nous avons trouvé, à l’intérieur du char, moins de radioactivité qu’à l’extérieur : l’intérieur étant à l’abri du rayonnement cosmique. Nous n’avons pas mis en évidence d’uranium appauvri dans le char. Nous avons simplement relevé des traces d’uranium appauvri au niveau du trou de perforation de ce char.

Nous avons également effectué des prélèvements de terre et d’eau autour de cette carcasse. Initialement, il devait y avoir cinq ou six chars dans cette zone mais ils avaient dû être déménagés par les Serbes. Nous n’avons pas mis en évidence de pollution de l’environnement. Six mois après l’impact de l’obus flèche qui avait touché ce char, nous n’avons pas mis en évidence, à part au niveau du trou de perforation, la présence d’uranium appauvri, soit dans le char, soit dans l’environnement de celui-ci.

M. Charles Cova, Vice-président : Et sur les débris de matériels provenant du Golfe, il n’y a pas eu d’études réalisées ?

M. le Médecin général Jean-Yves Tréguier : Pas à ma connaissance.

M. Charles Cova, Vice-président : Autrement dit, on a commencé à s’interroger sur les effets éventuellement nuisibles de l’uranium appauvri qu’à partir du conflit des Balkans ?

M. le Médecin général Jean-Yves Tréguier : Au SPRA, c’est une question que l’on suivait depuis une dizaine d’années, puisque nous surveillions l’environnement et le personnel des sites de Gramat et de Bourges. Après la guerre du Golfe, cette question a pris de l’importance avec ce que l’on a appelé le « syndrome du Golfe ». Dans mon service, on a écrit sur l’uranium appauvri en 1993, 1994 et 1995. Le risque lié à l’uranium appauvri ne peut être écarté a priori sans être vérifié, même si toute la littérature scientifique affirme pour l’instant le contraire.

Nous avons eu l’idée, au SPRA, d’envoyer des laboratoires mobiles pour aller effectuer des expertises sur le terrain. Nous pouvons donc, à tout moment, s’il y a un incident radiologique, nous rendre sur le terrain pour nous assurer que le personnel n’a pas été contaminé ou pour détecter une zone de contamination.

M. Claude Lanfranca, co-rapporteur : M. le Médecin général, en tant que médecin, je souhaiterais que vous me confirmiez deux ou trois points.

Au moment de l’explosion d’un obus à uranium appauvri, les militaires qui sont à proximité, peuvent inhaler des particules d’uranium. Pouvez-vous me confirmer que l’uranium ne peut être dangereux que si on l’inhale ou que l’on est touché par des éclats d’obus, et non du fait de la seule présence à proximité de munitions non tirées ? Par ailleurs, au moment de l’impact, il semblerait qu’il faille être assez près du char touché, à cinq ou six mètres, sachant que le nuage retombe cinq heures après, pour encourir un risque quelconque. Est-ce bien exact ? Enfin, vos études vous ont-elles permis de savoir si la population civile a été touchée ? Elle est le meilleur témoin des faits, compte tenu de sa présence sur les lieux avant, pendant et après le conflit ?

M. le Médecin général Jean-Yves Tréguier : L’activité de l’uranium appauvri est une activité alpha ; or le papier à cigarette arrête le rayonnement. Pour que l’uranium appauvri ait une action au niveau de l’organisme, il faut qu’il y pénètre. Pour ce faire, il existe plusieurs voies : l’inhalation, l’ingestion et la pénétration sous la peau, à la suite d’accidents comme en ont été victimes une trentaine d’Américains lors de la guerre du Golfe. L’uranium appauvri migre. Je reviens là au modèle recyclant de l’uranium appauvri et une fois dans l’organisme, il s’élimine.

En fonction de sa forme (soluble ou non soluble), l’évolution est différente. S’il est insoluble, il reste aux portes d’entrée ; s’il est soluble, il pénètre dans l’organisme et suit le cycle du calcium. Néanmoins, au bout d’un certain temps, la forme insoluble devient soluble et s’élimine.

M. Claude Lanfranca, co-rapporteur : D’où une déclaration des troubles beaucoup plus tardive ?

M. le Médecin général Jean-Yves Tréguier : Tout à fait. Lors de l’impact entre la munition à uranium appauvri et le blindage des chars, on constate l’émission d’un aérosol d’uranium appauvri : un tiers pénètre dans le char, les deux tiers restent à l’extérieur. L’uranium étant un métal lourd, l’aérosol va se déposer assez rapidement sur le sol, dans un cercle d’une dizaine de mètres autour du char.

En ce qui concerne l’impact au niveau de la population, je n’ai aucun élément à vous fournir.

M. André Vauchez : M. le Médecin général, je suis heureux de vous entendre parler de la méthode expérimentale, car c’est la seule qui apportera un éclairage. Vous confirmez bien que le test-clé pouvant prouver qu’il y a eu une intoxication par l’uranium appauvri est l’analyse des urines ?

M. le Médecin général Jean-Yves Tréguier : Tout à fait.

M. André Vauchez : Pensez-vous que cette analyse sera faite auprès des vétérans du Golfe ?

M. le Médecin général Jean-Yves Tréguier : Nous avons commencé. Mais nous ne pourrons le faire que pour les volontaires.

M. André Vauchez : Vous avez mené en France des expériences, mais est-ce qu’une expérimentation grandeur nature a pu être réalisée dans des conditions similaires à celle du temps de guerre ? Compte tenu de l’environnement, de la température élevée, de la déflagration, du contact avec des métaux ferreux, n’y a-t-il pas production de produits dérivés, et notamment d’oxydes ? Des expériences en grandeur nature ont-elles pu montrer que tous ces produits nés de ce choc ne doivent pas nous inquiéter ? Ces produits ne sont-ils pas de nature à modifier les propriétés de l’uranium appauvri, auquel cas l’état des connaissances relativement rassurant si j’en juge par votre propos, pourrait être remis en question ?

Par ailleurs, existe-t-il des risques liés à l’association de la présence de ces produits avec la prise de médicaments par les soldats ? Ne pensez-vous pas qu’il y a là matière à s’interroger sur des interactions susceptibles de se produire ?

M. Claude Lanfranca, co-rapporteur : Je voudrais, à titre de parenthèse, vous donner une information sur la Pyridostigmine qui a retenu mon attention : de nombreux travaux américains démontrent que ce médicament n’a aucun effet nocif. Par ailleurs, le Président Clinton vient de déclarer qu’en cas de nouveau conflit, il prescrirait de nouveau la Pyridostigmine, car il s’agit du seul antidote connu.

M. le Médecin général Jean-Yves Tréguier : Aucune étude n’a été effectuée, à ma connaissance, pour analyser le cocktail médicaments/uranium appauvri. Toutes les études expérimentales ont été menées avec des isotopes de l’uranium naturel, plus radioactifs que l’uranium appauvri ; par déduction, le risque radiologique dû à l’uranium appauvri est très faible.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Avez-vous une idée des pathologies qui ont été développées ultérieurement aux conflits dans lesquels l’armée française s’est trouvée impliquée, tels que la guerre d’Algérie ? Car si l’on retrouve le même type de pathologies, alors que l’on n’avait utilisé ni de substances médicamenteuses, ni d’armes à uranium appauvri, on pourrait alors se poser la question s’il ne s’agit pas plutôt de pathologies nerveuses résultant du stress auquel sont soumis les soldats. Le Service de santé des Armées disposerait-il de ce type d’informations ?

M. le Médecin général Jean-Yves Tréguier : Je ne sais pas exactement ce dont on dispose en matière d’archives sur d’éventuelles manifestations postérieures au conflit d’Algérie. J’ai lu récemment un article indiquant qu’il y aurait un certain nombre de personnes souffrant de stress lié au conflit de l’Algérie.

En revanche, nous avons une expérience avec la grande guerre de 1914-1918 : on a pu constater ce que l’on appelle la « névrose de guerre secondaire » à ce conflit. Les soldats ont éprouvé de sérieuses difficultés à gérer ce qu’ils avaient vécu pendant quatre ans.

M. Charles Cova, Vice-président : En ce qui concerne la guerre d’Algérie, grâce au Service des pensions, on doit pouvoir savoir si des anciens combattants se sont plaints devant des commissions de réforme, par exemple. A partir de ces informations nous pourrions effectuer des statistiques.

M. Claude Lanfranca, co-rapporteur : Je voudrais simplement terminer en disant qu’il convient de comparer ce qui est comparable. Je fais là allusion à la polémique sur le syndrome des Balkans. L’offensive de la guerre du Golfe a duré cinq jours, alors que dans les Balkans, les alliés ont procédé à des bombardements pendant un mois ou même 45 jours ! La comparaison n’est donc pas possible ! L’exposition n’est pas la même. Les facteurs-risque sont différents. Cela n’est donc pas la même chose !

M. le Médecin général Jean-Yves Tréguier : Le problème est, en effet, le dosage ; c’est comme pour tout médicament, à forte dose, il peut tuer.

M. Bernard Cazeneuve, Président : M. le Médecin général, je vous remercie.


Source : Assemblée nationale (France)