(extrait du procès-verbal de la séance du mardi 16 janvier 2001)

Présidence de M. Bernard Cazeneuve, Président

M. Bernard Cazeneuve, Président : Mes chers collègues, nous accueillons ce matin trois responsables de la Délégation générale pour l’Armement (DGA), M. Jean-Pierre L’Hôte, du département « vulnérabilité des systèmes et des hommes » (VHS), M. Daniel Moronvalle, spécialiste de la protection-décontamination « NBC » et M. Gilles Fernandez, directeur du Centre d’essais et d’expertise du Bouchet, en région parisienne.

Si la mission a estimé nécessaire de procéder à l’audition de ces techniciens, c’est qu’il lui est apparu, au cours des différentes auditions, que certaines questions relevant de cette sphère de compétence méritaient d’être précisées. Notre attention s’est plus spécialement portée sur les systèmes d’alerte et de détection des toxiques et les moyens de protection collective et individuelle face aux menaces de type « NBC ».

Au long de nos travaux, nous avons été confrontés à un certain nombre d’interrogations sur ces sujets essentiels pour la protection et la santé de nos soldats. Il nous importe en effet d’en savoir plus sur la conception, la nature et l’évolution des matériels dans ces domaines. Sur ces sujets, nous avons bien l’intention de répondre à ces deux questions : qui fait quoi et qui est responsable de quoi ?

La mission d’information souhaite également savoir s’il existe un véritable suivi technologique des matériels une fois qu’ils ont été mis à la disposition des unités. Autrement dit, leur adaptation aux besoins et leurs conditions d’emploi opérationnel font-elles l’objet d’analyses et d’appréciations précises ? Les remarques des Chefs de corps et des Etats-majors sont-elles prises en compte, notamment à l’expérience d’opérations extérieures comme celles du Golfe et des Balkans ?

Je vous demande donc, Messieurs, avec l’ensemble des autres membres de la mission, de bien vouloir présenter vos responsabilités respectives et de faire un bref rappel de votre carrière au sein de la DGA en insistant plus particulièrement, le cas échéant, sur la continuité de votre expérience dans l’un des domaines intéressant notre réflexion. Puis, comme nous le faisons à chacune de nos séances, nous vous interrogerons de la façon la plus large et précise possible afin de pouvoir compléter notre information dans la perspective de la rédaction de notre rapport.

M. Gilles Fernandez, directeur du Centre d’études du Bouchet : Merci, M. le Président. Madame et MM. les députés, je commencerai par me présenter. Je dirige depuis septembre 1998 le Centre du Bouchet, qui est le centre expert de la DGA pour la défense nucléaire, biologique et chimique. Auparavant, j’ai eu, dans ma carrière, des responsabilités de natures assez différentes. De par ma formation initiale, je suis architecte naval et formé par la recherche en hydrodynamique, ce qui n’a pas grand-chose à voir avec le sujet d’aujourd’hui, mais j’ai été amené à aborder des sujets assez différents au cours de ma carrière, qui relevaient notamment de la discrétion acoustique ou encore des investissements. J’ai commencé à m’occuper d’affaires nucléaires, biologiques et chimiques au moment de la réforme de la DGA réalisée en 1997, en étant responsable des questions touchant à la prolifération et aux risques nucléaire, biologique et chimique dans la Sous-direction des affaires nucléaires, biologiques et chimiques.

On peut dire que, par comparaison avec mes collègues, je suis relativement nouveau dans le domaine nucléaire, biologique et chimique. Cela dit, cela fait un peu plus de deux ans que j’assure la direction du Centre d’études du Bouchet.

M. Jean-Pierre L’Hôte, directeur des opérations « NBC » : Je suis ingénieur civil à la DGA. Suite à la réorganisation intervenue dans les services de programmes en début d’année, j’ai été nommé directeur des opérations « NBC ». Ce travail consiste à piloter les développements et les acquisitions du matériel de défense « NBC ». J’effectue en fait ce travail depuis l’année 1997 au titre d’adjoint au Chef du département « vulnérabilité « NBC » des systèmes et des hommes », dans le cadre du Service des Programmes Nucléaires (SPNuc).

Je travaille à la DGA depuis 1974. Au début, je me suis occupé d’essais et de réalisations de matériels de défense nucléaire, puis j’ai été chargé de piloter les expertises, les développements et les acquisitions de matériels de défense nucléaire. Je participe également à des groupes de l’OTAN traitant de « NBC ».

M. Daniel Moronvalle, chargé du développement et des acquisitions des matériels de protection au Service des programmes nucléaires (SPN) : Je suis ingénieur divisionnaire d’études et de fabrication à la DGA, où je travaille depuis 1972. Je suis actuellement chargé du développement et de l’acquisition du matériel de protection et de décontamination à la fois collectif et individuel au département « vulnérabilité » du Service des Programmes Nucléaires et je l’étais auparavant au Centre d’études du Bouchet.

En parallèle, je participe aux réunions de l’OTAN sur la décontamination des matériels.

Auparavant, j’ai contribué à la conception des matériels de détection « NBC » en travaillant au bureau d’études du même service, puis j’ai été responsable des essais du matériel étudié.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Très bien. Maintenant que les présentations sont faites, je vais vous demander de reprendre la parole sur le fond.

M. Gilles Fernandez : Je vais dire quelques mots d’introduction, afin de dresser la toile de fond du sujet en reprenant quelques idées qui me paraissent importantes dans ce domaine. Je le ferai assez brièvement, quitte à y revenir plus tard.

Le premier point que je souhaite indiquer, c’est que les équipements de défense, qu’il s’agisse de détection ou de protection - nous entrerons dans les détails tout à l’heure grâce à un exposé que M. Moronvalle a préparé -, doivent être considérés comme un élément d’un tout. La défense « NBC » comporte, en plus de ces équipements, des éléments très importants comme la préparation d’une mission ou de l’état des forces par l’utilisation des informations disponibles sur les menaces et par l’entraînement des forces. Elle comporte aussi, une fois en opération, la gestion tactique des événements. Les équipements s’insèrent donc dans ce tout. Ils ne sont pas définis dans l’absolu mais par rapport à des situations opérationnelles que l’Etat-major souhaite pouvoir gérer.

La deuxième idée que je souhaite aborder rapidement relève de la question que vous posiez tout à l’heure, M. le Président : il s’agit du rôle de la DGA dans cette affaire. La DGA est chargée de réaliser l’acquisition, c’est-à-dire la mise à disposition des forces, des équipements de défense ; à un petit détail près toutefois, puisque dans le cas des vêtements proprement dits, ce sont les commissariats, qui sont des services spécialisés des Armées, qui ont pour rôle d’effectuer l’achat. Les commissariats se chargent en particulier de l’achat des tenues « NBC » même si la définition en faite par la DGA. Cependant, on peut dire que, globalement, c’est la DGA qui se charge de l’acquisition.

A ce propos, je vous signale que la DGA a réformé sa façon de fonctionner, comme vous le savez déjà, en mettant en place, en 1997, une nouvelle organisation qui formalise la façon dont nous travaillons, en séparant davantage qu’auparavant les rôles d’experts, de spécialistes chargés de l’acquisition et les responsabilités confiées aux industriels pour le développement et la réalisation des équipements.

Cela m’amène à mon troisième point : les procédures utilisées pour définir ces équipements et les mettre à la disposition des forces. Il est prévu toute une chaîne bien formalisée d’opérations liées les unes aux autres. Cela commence par des études en amont. On les appelle en d’autres lieux des « recherches », mais nous parlons « d’études amont » parce qu’il s’agit de l’amont à quelque chose d’appliqué qui intervient ultérieurement. Ces études conduisent à ce qu’on appelait dans le passé des « développements exploratoires » et davantage maintenant des « démonstrateurs ».

Ces démonstrateurs une fois testés vont donner lieu à des développements conduisant à un ou plusieurs prototypes qui permettent de procéder à des évaluations afin de déterminer si on est dans la bonne direction et d’apporter éventuellement les aménagements s’ils sont nécessaires.

A partir de là, nous pouvons fabriquer ou faire fabriquer des préséries à l’issue desquelles doit être prononcée une qualification par la DGA, après avoir vérifié que l’on est, là aussi, dans la bonne direction à ce stade. Les Armées interviennent à ce moment pour procéder à des essais opérationnels. Nous pouvons les aider à le faire si elles en ont besoin. A l’issue de ces essais opérationnels par les Armées, celles-ci prononcent ce que nous appelons « l’adoption du matériel ». C’est seulement après l’adoption du matériel par les Armées que la production des équipements puis la mise en service vont être effectuées. Tout cela pour préciser qu’une procédure extrêmement rigoureuse est respectée pour la mise au point, la définition et la mise en service des équipements.

Je dirai maintenant un mot sur les fonctions qui sont attendues des équipements. Je définirai, pour simplifier, quatre grandes fonctions.

La première vise à permettre aux forces de savoir quand il faut se protéger. C’est ce que nous appelons, dans notre jargon, « la détection d’alerte ». Si un risque apparaît, il faut savoir qu’il apparaît pour pouvoir se protéger.

La deuxième grande fonction est de savoir où est le danger, quelle est sa nature et, surtout, quand il disparaît. En effet, vous verrez tout à l’heure, en examinant les quelques équipements que nous avons apportés, que la protection contre les dangers « NBC » engendre une perte de confort et d’ergonomie. Il est donc important de pouvoir enlever les protections quand cela s’avère nécessaire. Pour ce faire, il convient d’assurer ce que nous appelons « la détection de contrôle ».

La troisième grande fonction consiste à faire en sorte que les forces puissent courir un risque minimal lorsqu’elles se trouvent en présence du danger - même si tout le monde sait que, dans tous les domaines, le risque zéro n’existe pas. C’est ce qu’on appelle « la fonction de protection ».

En quatrième lieu, lorsque des unités ont rencontré des agents « NBC », il faut les éliminer des matériels que les forces emploient. C’est ce qu’on appelle la « décontamination ».

Si vous le souhaitez, M. Moronvalle va maintenant vous présenter quelques photographies et quelques équipements.

En préalable de cette présentation, j’attire votre attention, d’une part, sur la grande variété des équipements de toutes sortes qui peuvent être employés et, d’autre part, sur le fait que l’année 1990, disons à l’époque de la guerre du Golfe pour simplifier, a correspondu à une période charnière dans l’évolution des équipements. En effet, certains équipements mis en service au moment de la guerre du Golfe dataient d’avant 1990, mais un peu dans l’urgence, certains matériels de nouvelle génération ont pu être mis à disposition des forces dès le début du conflit.

L’une des grandes idées que je voudrais souligner aussi, c’est que la protection vis-à-vis des agents de guerre chimiques ou biologiques est quelque chose de défini et qui n’évolue, au fond, qu’assez peu. Ce qui évolue surtout, ce sont les autres caractéristiques des matériels de protection, notamment le confort, c’est une donnée sur laquelle nous faisons porter nos efforts ainsi que sur la détection.

Je citerai une autre idée en tant que source d’évolution des matériels : la prise en compte et l’élimination de risques secondaires potentiels. A titre d’exemple, on peut citer le cas de l’amiante. Antérieurement à 1986, certains filtres comportaient une feuille de papier dans laquelle il y avait un peu d’amiante. Un laboratoire indépendant, c’est-à-dire non rattaché au ministère de la Défense, a démontré qu’il n’y avait pas de risques liés à cette présence d’amiante dans ces filtres. Néanmoins, à titre de précaution, les Armées ont pris l’initiative de retirer tous ces filtres du service et de les remplacer par d’autres en assurant la protection d’une autre façon. C’est un signe de la préoccupation d’évolution et d’amélioration que nous manifestons.

Enfin, d’autres évolutions sont motivées par l’expression du besoin des Armées qui vise à prendre en compte de nouveaux risques. Les équipements de défense visent, en principe, à se défendre contre des agents de guerre et non pas contre autre chose. C’est ainsi que les Armées se sont récemment rendues compte qu’en opération, sur le terrain, elles pouvaient être mises en présence de toxiques industriels libérés dans les combats pour diverses raisons. Elles ont donc demandé que leurs matériels « NBC » puissent évoluer dans ce sens.

C’est une amorce de réponse à une question que vous avez posée tout à l’heure : nous sommes en dialogue constant avec les Armées pour faire évoluer les équipements en fonction des besoins qu’elles expriment.

Pour conclure, je dois ajouter une chose dont j’ai oublié de parler tout à l’heure. Vous avez ici la représentation de deux services différents au sein de la DGA : M. L’Hôte et M. Moronvalle appartiennent au département « vulnérabilité des systèmes et des hommes » qui est, au sein de notre organisation, le département chargé de l’acquisition des matériels. Il est mon client principal. En tant que directeur d’un centre d’expertise, je suis là pour leur fournir des prestations « d’études » et d’évaluation. Je travaille donc beaucoup sur des contrats car toute notre activité est maintenant contractualisée. Ces contrats sont établis avec le service représenté par mes deux collègues.

M. Daniel Moronvalle : J’ai préparé une liste qui n’est pas exhaustive mais qui va couvrir l’essentiel des matériels de protection individuels. Je n’ai amené que du matériel individuel et non pas de matériel collectif.

(La suite de l’exposé effectué à partir de projections d’images.)

Je vous présente un combattant ayant revêtu une tenue « NBC » datant d’avant 1990. J’ai pris comme période charnière l’année 1990. En effet, vous verrez, avec les dates d’adoption, que - c’est un hasard - la plupart des matériels ont évolué à partir de cette année-là. Vous voyez qu’il a un ancien masque et une tenue qui n’est pas très confortable.

Voici la liste des matériels en service avant 1990 : tout d’abord le détecteur nucléaire DOM DOR 309 qui a été adopté en 1988, et le stylo dosimètre. En matière chimique, l’alerte était donnée par le Detalac. Nous avons amené ces matériels avec nous.

La deuxième phase, celle du contrôle et de l’identification, était assurée par le papier détecteur, les détecteurs individuels de neurotoxiques et la trousse de détection qui permettait de contrôler et d’identifier le danger et de lever l’alerte.

En cas de contamination, le matériel en service à cette époque était le gant poudreur. Je vous signale que ce matériel est toujours en service et que nous prévoyons qu’il le reste dans les années à venir car il remplit parfaitement son rôle.

J’en arrive à la tenue S3P. Elle a été mise au point avant la guerre du Golfe, si bien que les forces impliquées dans cette opération avaient cette tenue. Elle était déjà plus confortable que la précédente. La tenue « NBC » outre-mer-TOM a été adoptée en octobre 1990. On en a envoyé et distribué un certain nombre au Golfe, mais tous les personnels du Golfe n’en ont toutefois pas disposé. Cette même tenue avait été déclinée dans une autre couleur, avec un bariolage destinée aux opérations en « Centre Europe ».

Actuellement, nous avons en service l’appareil normal de protection à visière panoramique qui a été adopté le 6 août 1990 - on retrouve donc toujours l’année 1990 -, que tous les personnels de l’armée de l’Air possédaient lors de la guerre du Golfe et qui a été distribué à 6 000 exemplaires pour les personnels de l’armée de Terre.

En ce qui concerne la cartouche filtrante, nous disposions de la 61/63 à l’époque de la guerre du Golfe ; vous l’avez vue dans le précédent transparent qui vous a été projeté. Depuis 1993 et 1995, nous disposons de nouvelles cartouches, plus légères avec des pertes de charges plus faibles. Enfin, depuis 1999, nous avons pris en compte, en plus du risque « NBC », le risque industriel avec des cartouches qui arrêtent des choses comme l’ammoniaque ou d’autres types de gaz que l’on peut rencontrer sur le champ de bataille.

S’agissant des autres équipements, on citera les gants en cuir avec les sous-gants carbonés, les chaussettes carbonées et les tenues carbonées que vous avez vues précédemment (la S3P en version TOM ou TTE).

En matière de détection nucléaire, le détecteur DOM DOR 309 et le stylo dosimètre JER sont toujours en service. En revanche, nous avons connu une évolution notable pour le matériel d’alerte et de contrôle chimique avec l’AP2C qui est maintenant diffusé dans les Armées et qui a été adopté à la fin du mois de décembre 1990. Nous en avons distribué un certain nombre dans le Golfe. Une grande partie de ce matériel a été attribuée au Service de santé des Armées pour le tri des malades.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Je voudrais vous interrompre, si c’est possible et si cela ne vous dérange pas. En effet, comme j’ai des questions techniques à vous poser, autant le faire tout de suite.

Les soldats n’ont pas disposé de ce type d’appareils, d’après ce que vous dites, puisqu’il n’a concerné que le Service de santé des Armées ; que détectent-ils du point de vue chimique ?

M. Daniel Moronvalle : Ils comportent deux voies : une voie qui détecte le phosphore et l’autre qui détecte le soufre, ce qui couvre la quasi-totalité des toxiques de combat actuellement recensés.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Ils les détectent en temps réel ?

M. Daniel Moronvalle : Oui. Le temps de réponse est d’une ou deux secondes.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Quel est le seuil de détection ?

M. Daniel Moronvalle : Je vais vous le dire après avoir consulté mes fiches pour ne pas vous dire de bêtises.

M. Gilles Fernandez : Je me permets d’intervenir pendant que M. Moronvalle recherche les informations techniques, pour préciser le terme « détection ». En effet, j’ai cité tout à l’heure les différentes fonctions d’alerte et de contrôle et il faut que vous sachiez que, les quelques exemplaires de ce type d’appareils qui ont été livrés dans le Golfe, remplissaient une fonction de contrôle et non pas d’alerte. Ils devaient servir à vérifier, après une alerte, s’il y avait ou non contamination. Il convenait de préciser ce point.

L’AP2C est un appareil destiné, dans la version de base, à faire du contrôle. Ensuite, il a connu des évolutions qui lui ont permis de fonctionner en mode alerte. J’en ai un exemplaire dans mon sac. Je pourrai vous le montrer si vous le souhaitez. Je tenais à faire cette précision parce que ce n’est pas comme le Detalac qui, par vocation, est un appareil d’alerte.

M. Claude Lanfranca, co-rapporteur : Puisqu’on parle du Detalac, je voudrais avoir quelques précisions. Le Detalac se déclenche lorsqu’il est au contact du gaz recherché ou de l’alerte ; or un général nous a dit ici : « Nous déclenchions, nous, les Detalac lorsque nous savions que des Scuds allaient être envoyés ». Par ailleurs, on nous a dit : « il y avait des fausses alertes ; ils se déclenchaient tout seuls ». Je voudrais donc savoir si cela est possible.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Pouvez-vous nous montrer un Detalac ? En avez-vous un avec vous ?

M. L’Hôte sort un appareil Detalac d’un sac et l’installe sur une table.

M. Gilles Fernandez : Cet appareil est comme n’importe quel appareil que l’on met en route à un moment donné. Quand je dit « on », je veux parler des Armées et des éléments opérationnels qui sont sur le terrain. Lorsque ces personnels estiment qu’ils sont dans une situation où ils vont peut-être rencontrer un risque, ils vont l’allumer pour être prévenus si le risque se concrétise ; ensuite, cet appareil réagit à une concentration de produits qui se présentent et qui pénètrent dans l’appareil, par une partie qui est une sorte d’aspirateur.

L’air ambiant rentre dans l’appareil, passe dans une flamme et les produits qui se trouvent à l’intérieur, soumis à la flamme, réagissent en émettant une lumière. Un système optique permet de détecter cette lumière dont les caractéristiques signalent le produit détecté.

Il faut réaliser, avec ces appareils, qu’à technologie donnée on ne peut pas avoir en même temps une grande sensibilité de détection afin d’être bien protégé et une probabilité de fausse alarme très faible. Autrement dit, si on choisit de détecter à coup sûr tout ce qui se présente, on règle la sensibilité très bas et on va attraper tous les agents qui se présentent comme des interférents ou des parasites, si bien que l’on pourra avoir une vraie alerte mais, souvent, une fausse alarme.

Par conséquent, quand on dit : « cela se déclenchait tout seul », il faut savoir qu’en fait, cela réagissait, comme on le souhaitait, à tout ce qui passait, si je puis dire, pour pouvoir adopter une protection, parce qu’il vaut mieux se protéger pour rien que d’être atteint par une chose que l’on n’a pas vue. Evidemment, on peut régler l’appareil sur une sensibilité plus forte afin de moins détecter les interférents mais, du coup, il sera peut-être un peu moins fiable. Il est évident qu’il vaut mieux régler l’appareil afin qu’il soit plus sensible et être prévenu pour rien que de ne pas être prévenu en cas de problème. D’où des alarmes jugées parfois intempestives.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Que détecte le Detalac ?

M. Daniel Moronvalle : Tous les organophosphorés.

M. Gilles Fernandez : Car il détecte le phosphore (uniquement le phosphore).

M. Claude Lanfranca, co-rapporteur : Si vous me permettez d’intervenir, je souhaiterais que ce soit bien clair, car c’est important pour moi afin de poursuivre. Quand un général nous dit : « on déclenchait », cela veut dire que l’on activait l’appareil et que l’on pouvait avoir de fausses alertes parce qu’on avait détecté un parasite ?

M. Daniel Moronvalle : Une allumette, par exemple : c’est du phosphore !

M. Claude Lanfranca, co-rapporteur : D’accord ! Donc il est possible de dire qu’il y a eu des alertes qui n’étaient pas des vraies alarmes ?

M. Gilles Fernandez : C’est tout à fait possible. C’est même voulu. C’est un prix à payer, à technologie donnée. En revanche, dans l’évolution des matériels, il est évident que nous essayons de diminuer ce prix à payer grâce à des améliorations, mais c’est là le progrès de la science et de la technique.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Quel est le seuil de détection ?

M. Daniel Moronvalle : Pour un organo-phosphoré non persistant, si pendant deux secondes vous avez une concentration de 2 mg/m©¯, l’appareil se déclenche.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : 2 mg/m©¯, c’est un seuil assez élevé !

M. Daniel Moronvalle : J’ajoute que, pour un non-persistant, vous avez aussi un déclenchement à 0,1 mg/m©¯, mais sur deux minutes.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Votre seuil n’est pas très faible, contrairement à ce qui est dit, parce que 2 mg/m©¯, c’est énorme !

Je me pose une question par rapport à votre pratique, puisque vous dites que vous faites une « remédiation » en fonction de ce qui s’est passé sur le terrain. Nous avons des témoignages selon lesquels plusieurs Detalac ont fonctionné et je voudrais donc savoir comment vous procédez quand le Detalac fonctionne. Vous avez indiqué tout à l’heure que vous aviez une trousse qui permet d’affiner les choses. Y a-t-il une membrane que vous prélevez et qui vous permet ensuite de connaître la nature du gaz, ce qui correspond uniquement à un rôle d’alerte mais non pas de détection sur la nature des gaz, et comment faites-vous pour arrêter une alerte ? C’est ma première question.

Ma deuxième question est la suivante : en fonction du nombre de Detalac qui ont fonctionné, pouvez-vous dire si, oui ou non, des gaz neurotoxiques ont été détectés par les appareils ?

M. Daniel Moronvalle : Effectivement, Mme la Députée, il y a une membrane dans la trousse qu’on appelle la TDCC - la trousse de détection de contrôle chimique. Vous avez une membrane et vous pompez pour avoir un volume d’air suffisant et, surtout, constant. Sur cette membrane, vous mettez des réactifs colorés et, en fonction de la couleur, vous pouvez dire s’il y avait quelque chose et identifier cet élément. Vous pouvez à la fois contrôler qu’il y avait effectivement quelque chose et identifier le produit en cause.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Sur la membrane que vous prélevez sur le Detalac ?

M. Daniel Moronvalle : ...Non, cela n’a rien à voir. Sur le Detalac, il n’y a pas de membrane. Il n’y a qu’une flamme.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Ce ne sont pas les mêmes protocoles. Sur le Detalac, on a un préleveur d’air qui va aspirer. En fait, tous les appareils fonctionnent un peu de la même façon : il faut aspirer de l’air. A la suite de cette aspiration, je présume que des poussières se mettent sur votre membrane...

M. Gilles Fernandez : Non ! Cela passe dans une flamme qui fait réagir les protocoles.

M. Daniel Moronvalle : La flamme change de couleur.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : D’accord. Imaginons qu’il y a une alerte et que vous avez votre trousse.

M. Gilles Fernandez : Nous ne l’avons pas car nous n’y sommes pas.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Je parle d’un point de vue opérationnel.

M. Gilles Fernandez : La première chose, c’est que, lorsqu’il y a une alerte, on se couvre, parce que les temps nécessaires entre l’alerte et le contrôle ne sont pas les mêmes. La première réaction, c’est donc de dire : il y a une alerte et les forces doivent se protéger, sachant qu’une fois qu’elles sont protégées, elles ont le temps de réagir. Après quoi on procède à la détection de contrôle.

Il faut savoir qu’à l’époque où il n’y avait pas l’AP2C, qui permet d’avoir une détection de contrôle plus commode parce que sa technologie est plus récente, il y avait cette trousse qu’on vous présente ici, ainsi que des détecteurs individuels. J’ai aussi ces détecteurs que je peux vous montrer.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : C’est ce qui était en service avait pendant la guerre du Golfe ?

M. Gilles Fernandez : Oui. C’est un système qui est tout simplement une pompe et qui permet d’absorber de l’air et de faire un contrôle.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Il prend la même quantité que le Detalac ?

M. Daniel Moronvalle : Non, parce qu’il n’est pas au même endroit. En fait, sous le vent, on installe le Detalac à 300 mètres de distance de manière à avoir en plus un temps de réaction.

M. Claude Lanfranca, co-rapporteur : La flamme est-elle visible à 300 mètres ?

M. Daniel Moronvalle : Non bien sûr. En fait, on a un fil et ce cadran est reporté à 300 mètres. Cela permet à la fois une alerte sonore et lumineuse.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Mme Rivasi a dit à l’instant qu’une sensibilité de l’appareil calibré à 2 mg/m©¯, c’est énorme ! Vous avez réagi par une moue un peu dubitative. Quel est votre avis là-dessus ? Pouvez-vous nous donner, sur ce sujet, qui est important, des éléments précis d’appréciation ?

M. Gilles Fernandez : Je dirai deux choses, et ce n’est pas une façon d’éviter de répondre...

M. Bernard Cazeneuve, Président : Je vous pose la question pour que vous puissiez y répondre.

M. Gilles Fernandez : Premièrement, je pourrais dire que les spécifications des Armées étaient faites comme cela, ce qui est vrai.

Au-delà de cet argument, on considère habituellement que, dans les pires conditions de concentration, à partir du moment où il y a une détection, on dispose de deux minutes et demi ou trois minutes pour se protéger quand on est en présence de ces concentrations, c’est-à-dire pour que le risque ne devienne pas un danger. Revêtir le masque, prend quelques secondes, d’où l’importance de ce que je disais tout à l’heure. En effet, l’équipement est l’élément d’un tout et l’entraînement des forces est très important parce que, en cas d’alerte, il faut effectivement que, dans les quelques secondes qui suivent, les soldats mettent leur masque, ce qui suppose que la tenue soit déjà prête. Il ne leur reste plus alors qu’à mettre le masque et la capuche, ce qui prend quelques secondes.

Cela est compatible, même s’il ne faut pas s’endormir, avec les procédures d’équipement et de protection.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Je comprenais la question de Mme Rivasi de la façon suivante : 2 mg/m©¯, c’est énorme, ce qui veut dire que cet appareil pourrait ne pas détecter des produits chimiques en dessous de ce dosage alors que, au-dessus, la présence de toxiques chimiques est possible. S’agit-il de cela ?. Est-ce bien la réalité ? Est-ce que, au-dessous de ce dosage, qui est considéré par Mme la co-rapporteure comme étant important, cet appareil ne détecte pas des produits chimiques, auquel cas les militaires ne seraient pas amenés à se protéger ?

M. Gilles Fernandez : Quand on parle de seuil, c’est bien ce que cela veut dire. Mais cela signifie aussi que le risque tel qu’il a pu être évalué par un ensemble d’arguments - que je ne connais pas en détail parce que je n’étais pas là au moment où cela a été fait, mais dont je connais l’esprit -, a fait intervenir plusieurs acteurs du ministère de la Défense, du Service de santé des Armées, des Etats-majors, etc. Les Etats-majors, à partir de tous les éléments qu’ils peuvent avoir, notamment sur le plan technique et sur les possibilités de la technologie, émettent un besoin qui détermine la conception de cet appareil qui vaut mieux que ne rien avoir.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Je suis tout à fait d’accord.

M. Gilles Fernandez : Le choix consiste à avoir le meilleur de la technologie disponible ou ne rien avoir.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Je souhaite, sur ce point qui ne me paraît pas neutre, que nous puissions avoir des éléments précis, quitte à vous poser des questions plus pointues auxquelles nous vous demanderons de répondre par écrit.

Mme Rivasi dit que 2 mg/m©¯, cela était considérable. Nous n’allons pas écrire cela dans notre rapport si on ne met pas des éléments d’appréciation et de comparaison. D’après ce que dit Mme Rivasi - et c’est très important -, en deçà de ce seuil qui est considéré par elle comme étant important - ce que je ne suis pas en mesure d’apprécier -, l’appareil ne détecte rien alors qu’il peut y avoir des produits chimiques en deçà de ce seuil qui, n’étant pas détectés par l’appareil, peuvent atteindre les soldats non prévenus et qui, par conséquent, ne sont pas protégés.

Je voudrais que vous apportiez une réponse précise à cette question : peut-il y avoir des neurotoxiques en deçà de ce seuil considéré par la co-rapporteure comme étant considérable ? Si oui, pourquoi ne l’a-t-on pas pris en compte ? Quel impact cela peut-il avoir sur les soldats ? Comment se protègent-ils dès lors qu’ils ne sont pas prévenus ?

M. Jean-Pierre L’Hôte : L’appareil résulte d’un compromis sur ce qu’il est possible de faire techniquement dans des conditions de terrain pour une sensibilité donnée. Ce seuil correspond en fait à l’apparition de risques graves pour le soldat. On a dit tout à l’heure que l’appareil était déporté d’environ 400 mètres par rapport au lieu où se trouvent les troupes. Le but de l’appareil est de fournir une alerte pour que les troupes puissent mettre le masque, sachant qu’une fois qu’elles l’ont mis, elles sont protégées.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Il y a deux données à distinguer. Vous pourriez vous trouver face à l’impossibilité technique, dans des conditions opérationnelles, de détecter une alerte chimique en deçà du seuil de 2 mg/m©¯. C’est une réponse. Cela veut dire que, techniquement, vous n’êtes pas en mesure de le faire. Mais ce n’est pas parce que, techniquement, vous n’êtes pas en mesure de le faire que cela est inoffensif d’un point du vue sanitaire. Ce sont donc deux problèmes différents.

Si la réponse que nous donne la DGA sur ce sujet est : « on ne peut pas descendre en deçà de 2 mg/m©¯ parce que toutes les expérimentations techniques auxquelles nous avons procédé montrent qu’en situation opérationnelle, il n’est pas techniquement possible, de déceler en deça du seuil de 2 mg/m3 », je prendrais acte du fait que le Detalac détecte dans un cadre techniquement défini par les Armées compte tenu de ce que sont les conditions opérationnelles. C’est une première réponse.

La deuxième question qui nous intéresse directement, compte tenu de ce qu’est notre mission, est la suivante : ce seuil est-il sanitairement acceptable pour les soldats ? Nous attendons cette réponse.

M. Gilles Fernandez : Je comprends très bien la distinction que vous faites, M. le Président. J’ai deux compléments à vous apporter.

Tout d’abord, quand on dit qu’on ne peut pas détecter en dessous de ce seuil, il faut employer le passé parce que, depuis dix ans, nous avons évolué, en particulier sur le sujet.

M. Bernard Cazeneuve, Président : C’est vrai, mais nous nous intéressons à ce qui se passait il y a dix ans.

M. Gilles Fernandez : Je le précise simplement pour être complet.

Deuxièmement, si on parle d’effet sur le combattant, il me semble que les médecins seraient mieux placés que nous pour y répondre. Nous entrons dans un domaine qui est vraiment celui de l’effet sur l’individu. Le seuil n’est pas celui que nous définissons nous-mêmes : c’est un seuil qui est spécifié par l’Etat-major en fonction d’un certain nombre d’arguments et d’éléments différents qu’il prend en compte : certains de ces éléments étant médicaux, d’autres techniques. Le meilleur compromis qui lui paraît devoir être recherché, compte tenu des différents aspects pris en compte, qui vont de l’ergonomie à la facilité d’emploi et à la fiabilité, aboutit à une spécification de l’Etat-major.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Je comprends votre réponse. En même temps, il nous importe de savoir si, lorsque la DGA conçoit des protocoles techniquement éprouvés, elle discute avec les autorités sanitaires pour savoir si tout cela a un sens. Ces appareils sont quand même faits pour détecter des risques qui, s’ils étaient avérés, pourraient avoir des conséquences sanitaires assez tragiques.

M. Gilles Fernandez : C’est à peu près cela. Bien sûr, nous connaissons nos correspondants du Service de santé des Armées. En réalité, ce sont les Etats-majors qui discutent avec les services sanitaires et la DGA pour se faire une idée sur la bonne spécification à retenir pour un matériel. Quand je dis « la bonne », il n’y a pas d’idéal en la matière. Cela résulte simplement d’un certain nombre d’itérations.

En fait, je simplifie en parlant des besoins exprimés par l’Etat-major, car il est vrai que, dans la façon dont nous travaillons quotidiennement sur nos équipements, nous voyons très souvent nos homologues de l’Etat-major et du Service de santé des Armées. Toutefois, le responsable de l’expression des besoins étant l’Etat-major, pour présenter les choses sur le plan formel, ce sont les Armées qui discutent avec les services sanitaires d’un côté et avec nous d’un autre côté pour essayer d’arriver au meilleur compromis pour un état donné de la technologie.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Je souhaite que nous posions trois questions au ministère de la Défense.

Première question : comment s’élaborent techniquement, au sein de la DGA, les protocoles de mise en _uvre de ce type de matériels ?

Deuxième question : comment se nouent les discussions avec le Service de santé des Armées ?

Troisième question : en deçà de ce seuil de 2 mg/m©¯, y a-t-il un risque sanitaire ?

Voilà les trois questions que je souhaite que l’on pose clairement, au terme de cette audition, au ministère de la Défense afin que nous puissions aller au-delà de cet échange au demeurant intéressant.

M. Jean-Louis Bernard : Je trouve qu’il y a un certain paradoxe. D’une part, Mme Rivasi laisse entendre que l’étalonnage serait situé à un niveau trop haut et qu’il ne permettrait pas de détecter des concentrations inférieures à 2 mg/m©¯. C’est ce que j’ai cru comprendre.

D’autre part, on nous dit - cela a été confirmé par les militaires - qu’il y a eu des fausses alertes et qu’une simple flamme contenant du phosphore peut être détectée. A ce moment-là, tout se passe comme si les Detalac étaient peut-être étalonnés un peu trop bas.

Autrement dit, si on effectue une détection infinitésimale qui pourrait correspondre à un taux de phosphore presque naturel, on pourrait mettre en doute, en fin de compte, l’utilité de l’appareil qui se déclencherait n’importe quand et qui « crierait au loup » alors qu’il n’y aurait pas de loup. Voilà ce que je veux dire.

M. Gilles Fernandez, directeur du Centre d’études du Bouchet : M. le député, vous avez parfaitement résumé la problématique. C’est tout à fait cela.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : J’ai d’autres questions à vous poser. Vous venez de dire que vous aviez amélioré le Detalac par un seuil de détection plus faible. Pouvez-vous m’indiquer ce seuil de détection ?

M. Daniel Moronvalle : Il y a deux seuils pour l’AP2C : l’un pour le phosphore et l’autre pour le soufre. Sinon, j’ai les seuils de la trousse que je vous ai présentée et que je vous donnerai ensuite.

Pour le soufre, on en est à 420 microgrammes/m3 et, pour le phosphore, à 12 microgrammes/m3. Il y a eu un bond technologique : ce sont des microgrammes et non plus des milligrammes.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Vous voyez donc, que si ces seuils étaient justement trop bas, c’est-à-dire s’ils déclenchaient des alertes abusives, en quelque sorte et c’est toujours le problème des gens qui fabriquent des appareils : plus la technologie progresse, plus les seuils de détection sont bas. Du fait des améliorations technologiques, on a maintenant des seuils de détection beaucoup plus bas. Cela veut dire, M. le Président, qu’avec un seuil de détection plus bas, les gens qui fabriquent ces appareils ne peuvent pas dire qu’il pourra tout voir. Il n’empêche qu’il peut y avoir du phosphore et du soufre dans l’air, mais à des niveaux plus faibles.

Maintenant, je voudrais revenir sur votre déclaration, M. Fernandez. Vous dites que lorsque le Detalac fonctionne et qu’il détecte quelque chose, les soldats ont quelques minutes pour mettre le masque. D’après le schéma suivi, comme on place le Detalac à trois ou quatre cents mètres, cela veut-il dire que le temps que ce nuage arrive au niveau des soldats, on a deux à trois minutes pour qu’ils mettent leur masque et que cela ne poserait pas de problèmes sanitaires ?

M. Gilles Fernandez : Dans le pire des cas, en situation opérationnelle, le modèle est celui que vous évoquez. On dit habituellement - mais, là aussi, je pourrai vérifier et le préciser dans une réponse écrite - que l’on dispose de quelques minutes pour finir de revêtir la tenue, puisque vous savez qu’on a un certain nombre de situations d’alerte prédéfinies. En fonction de la situation tactique, les opérationnels se mettent en situation 1, 2, 3 ou 4. À partir du moment où la situation tactique est bien gérée - mais cela relève de l’art du militaire, si je puis dire -, s’il y a une alerte, il ne reste plus qu’à mettre le masque et la capuche. On a quelques minutes pour le faire. Je parle là du pire des cas.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Dans mon raisonnement, cela veut donc dire, qu’à 2 mg/m©¯ pour les persistants, puisque le seuil est plus faible pour les non-persistants, cela peut poser des problèmes sanitaires. Nous sommes d’accord ?

M. Daniel Moronvalle : Il faut le demander au Service de santé des Armées.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Si on a quelques minutes pour mettre le masque, c’est bien parce qu’à ce seuil, cela peut poser des problèmes sanitaires. Sinon, on ne le mettrait pas.

M. Gilles Fernandez, directeur du Centre d’études du Bouchet : Je ne répondrai pas à cette question parce que, encore une fois, c’est une assertion médicale. Je ne suis pas médecin. Je suis ingénieur, comme mes collègues. Nous définissons des équipements du mieux que nous le pouvons en fonction des technologies existantes. Nous travaillons par ailleurs à faire évoluer la technologie. Quant à l’affirmation qui consiste à dire qu’à partir de l’absorption de telle dose, il y a un problème médical, ce n’est pas de ma compétence.

M. Claude Lanfranca, co-rapporteur : Je pense, justement, que notre mission est de savoir à quoi ont été exposés nos soldats et de se rapprocher de la Commission des experts médicaux présidée par le Professeur Salamon pour leur préciser que les soldats auraient pu être exposés à des doses inférieures à 2 mg/m©¯. Je ne pense pas que ce soit aux techniciens de la DGA de répondre à une question d’ordre médical.

M. Gilles Fernandez, directeur du Centre d’études du Bouchet : Nous ne pourrions pas y répondre.

M. Claude Lanfranca, co-rapporteur : Il s’agit de savoir si les soldats ont été exposés ou non.

M. Bernard Cazeneuve, Président : On peut quand même imaginer que, lorsque le Detalac se met en marche à 300 mètres du lieu où se trouvent les soldats, s’ils ont trois minutes et demi pour mettre un masque, ce n’est pas parce que c’est mardi gras, mais bien parce qu’il existe un risque ! Il faut donc, sur ce sujet, interroger précisément l’Etat-major des Armées.

M. Gilles Fernandez : De mémoire, je peux dire que l’éventail des différentes situations opérationnelles considérées conduit à admettre que le délai ouvert pour se protéger à partir de l’alerte varie entre deux à trois minutes et une heure.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Mme Rivasi pose une question sur laquelle vous dites que vous n’êtes pas compétent.

M. Gilles Fernandez : Sur l’effet médical, je ne suis pas compétent.

M. Bernard Cazeneuve, Président : C’est l’Etat-major des Armées qui assure le lien entre les soldats placés en situation opérationnelle et le Service de santé des Armées. L’Etat-major définit les protocoles d’utilisation des matériels sur le théâtre des opérations. Donc nous interrogerons précisément l’Etat-major des Armées sur ce point.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Je souhaite vous reposer une question sur le Detalac car vous ne m’avez pas répondu. D’après les témoignages, plus de cinquante Detalac se sont déclenchés pendant la guerre du Golfe. Pouvez-vous nous dire si des documents existants permettent de savoir si, en fonction de l’alerte, une détection a été faite par des appareils un peu plus précis et si, il y a eu oui ou non des traces de neurotoxiques dans l’air ?

M. Gilles Fernandez : Je suis désolé de ne pas pouvoir répondre. Nous nous efforçons sincèrement de vous apporter les éléments que nous sommes en mesure de vous fournir mais nous ne détenons pas les enregistrements opérationnels. En tant que concepteurs ou acheteurs de matériels, nous n’avons pas ces documents opérationnels.

Après la guerre du Golfe, nous avons obtenu des Armées, un certain nombre de « retours d’expérience » - comme on dit dans notre vocabulaire - qui se sont faits de manière presque diffuse et continue. Le plus grand nombre de ces retours d’expérience a porté sur les conditions d’utilisation des équipements de protection et de défense en climat chaud. Cela nous a conduits à prendre en compte un certain nombre d’améliorations pour que leur ergonomie soit meilleure dans des situations de ce type.

Quant à l’amélioration des équipements en eux-mêmes, de leurs seuils de détection comme du fonctionnement, les évolutions avaient déjà été identifiées avant la guerre du Golfe. Les progrès à faire étaient déjà connus. Vous posez une bonne question mais elle avait déjà été examinée avant la guerre du Golfe et c’est le hasard qui a fait cela. La guerre du Golfe est arrivée juste au moment où l’on commençait à sortir les préséries et les prototypes l’AP2C. Ce besoin d’évolution était donc identifié avant les opérations du Golfe qui n’ont donc pas déclenché la modernisation de l’appareil.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Ce n’est pas vraiment la question que je vous pose. J’ai compris tout ce que vous avez dit sur le besoin d’avoir un appareil plus performant. Vous avez d’ailleurs précisé qu’il était sorti au mois de décembre 1990.

M. Gilles Fernandez : Il a été adopté à ce moment-là.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Si j’étais vendeur ou constructeur, je me demanderais s’il y a eu un retour d’expérience sur le fait que des Detalac ont fonctionné. Nous avons la preuve. Et, surtout, si cette trousse de détection a été utilisée, quels gaz neurotoxiques ont été détectés. Le fait que vous ne puissiez pas répondre à cette question me gêne.

M. Gilles Fernandez : J’y ai répondu par avance tout à l’heure en disant que le fait que ces appareils donnaient des fausses alarmes était accepté avant même qu’ils soient en service. C’est dans le principe même de l’utilisation de ces équipements. On sait que le prix à payer pour que ces appareils nous offrent une possibilité de se protéger, c’est qu’ils peuvent donner des fausses alarmes. On préfère cela au fait de ne pas se protéger.

Nous avons eu indirectement des retours d’expérience là-dessus mais, au fond, cela ne nous a rien appris puisque c’était voulu.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Cela veut-il dire que toutes les alertes qui ont été faites par le Detalac étaient des fausses alertes ?

M. Gilles Fernandez : Je n’en sais rien. Mais il n’est pas anormal qu’il y ait eu de fausses alertes.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Qui peut nous donner ce renseignement ?

M. Bernard Cazeneuve, Président : Vous avez indiqué tout à l’heure dans votre réponse à Mme Rivasi que vous ne disposiez pas des enregistrements opérationnels. Ces appareils comportent-ils des sortes de « boîtes noires » ou d’autres dispositifs mécaniques d’enregistrement ?

M. Gilles Fernandez : Non. Les enregistrements sont simplement des notes et des comptes-rendus de l’Etat-major.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Des comptes-rendus opérationnels ?

M. Gilles Fernandez : Je ne suis pas familiarisé avec ces pratiques.

M. Daniel Moronvalle : S’il y a une alerte, cela donne lieu à un message « NBC ».

M. Charles Cova, Vice-Président : Y en a-t-il eu ?

M. Daniel Moronvalle : Il faut le demander à l’Etat-major.

M. Bernard Cazeneuve, Président : De la même manière que nous avons demandé les comptes-rendus quotidiens d’opérations, il faut demander au ministère de la Défense de nous transmettre l’intégralité de ces documents. En effet, c’est à partir de leur examen que nous pourrons conclure sur les conditions dans lesquelles les Detalac ont fonctionné. Je souhaite donc que nous puissions demander au ministère de la Défense, communication de la totalité des messages « NBC » émis.

M. Charles Cova, Vice-Président : M. Fernandez, vous êtes concepteur de l’appareil. Ne vous est-il pas venu à l’idée, à un moment ou un autre, après la guerre du Golfe, d’interroger l’Etat-major pour tenter justement de faire encore évoluer le matériel à la lumière du retour d’expérience de la guerre du Golfe ? C’est tout de même surprenant !

M. Gilles Fernandez : C’est un processus continu. Nous travaillons de façon quotidienne avec nos homologues de l’Etat-major. Le Service des Programmes Nucléaires, le département « vulnérabilité des systèmes et des hommes », qui est chargé de l’acquisition, serait mieux placé que moi pour en parler. Les Armées et nous ne relevons pas de deux mondes séparés. Nous discutons assez régulièrement des évolutions et améliorations nécessaires en fonction des situations rencontrées. M. L’Hôte peut vous dire un mot là-dessus.

M. Charles Cova, Vice-Président : Je poserai ma question autrement. A la lumière de ces échanges et dialogues permanents et diffus, comme vous l’avez dit vous-même, avez-vous été amenés à trouver quelque chose qui n’aurait pas « collé » et que vous pensiez pouvoir améliorer ?

M. Jean-Pierre L’Hôte : Je prendrai l’exemple de l’AP2C. En 1990, il était destiné au contrôle de contamination notamment pour vérifier qu’un véhicule n’est pas contaminé par des toxiques chimiques. En fait, nous avons profité de la bonne sensibilité de l’AP2C pour lui adjoindre un boîtier - celui que M. Fernandez tient dans la main - qui permet de faire l’alerte et de remplacer le Detalac. L’AP2C plus ce boîtier remplace le Detalac avec la sensibilité de l’AP2C.

M. Gilles Fernandez : C’est un résultat concret. Au départ, cet appareil n’était conçu que pour le contrôle. Grâce à ce qu’on appelle des « pipes », c’est-à-dire ces buses qui se trouvent devant, et à un système qui contient une logique électronique, les fonctions ont été étendues pour améliorer la technologie et parer aux défauts des Detalac.

M. Claude Lanfranca, co-rapporteur : Je voudrais relayer ma collègue Michèle Rivasi. Pour parler des fausses alertes. Je suppose que des tests ont été faits et qu’ils prouvent qu’il n’y avait rien. N’avez-vous pas eu communication de ces tests ?

M. Daniel Moronvalle : Les seuils sont très faibles. Avec cette trousse, on en est au microgramme/m3.

M. Gilles Fernandez : On peut dire que les équipements qui étaient mis à la disposition des forces permettaient, avec cet appareil ou les détecteurs individuels qui sont plus facilement portables, de faire des vérifications. Donc les équipements existaient. Maintenant, je ne peux pas vous rendre compte de l’emploi qui en a été fait sur le terrain.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Je constate que cet équipement fonctionne et qu’il ne se déclenche pas ici, ce qui prouve que l’air, dans la salle de la Commission de la Défense, est à peu près sain...

M. Jean-Louis Bernard : Vous avez dû avoir des renseignements sur les systèmes de détection d’autres Armées, notamment des Américains, qui devaient utiliser un matériel différent, peut-être plus ou moins sensible. Y a-t-il eu également des fausses alertes, ou est-ce que vous ignorez tout de ce point ? Les matériels étaient-ils fondamentalement différents ?

M. Gilles Fernandez : Je vais laisser mes collègues experts de l’OTAN répondre.

M. Jean-Pierre L’Hôte : Les Américains, au moment de la guerre du Golfe, disposaient du matériel anglais, qui utilise un autre principe de détection, non pas à spectrométrie de flamme mais à mobilité ionique. En ce qui concerne les fausses alarmes, nous n’avons pas eu beaucoup de retours d’information mais on sait que ce matériel est également sensible à des interférents.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Ce que vous dites n’est pas précis. Pouvez-vous nous dire quelles sont les spécifications de cet appareil par rapport au Detalac ? Est-ce qu’il se déclenche aussi à 2 mg/m©¯ pour les persistants ? Essayez d’être plus précis par rapport à la question que pose notre collègue.

M. Jean-Pierre L’Hôte : Le matériel anglais, à l’époque, avait la sensibilité de l’AP2C.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Donc ils avaient un matériel beaucoup performant que le nôtre.

M. Daniel Moronvalle : Il y avait quand même douze AP2C comme celui-là pendant la guerre du Golfe.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Vous avez dit qu’ils ne concernaient que les services médicaux et non pas la détection au sein des troupes de terrain.

M. Gilles Fernandez : La détection et le contrôle. Quand les CAM anglais sont-ils sortis ? Je suppose que vous le savez, M. Moronvalle.

M. Daniel Moronvalle : On peut dire qu’ils sont donc sortis que peu de temps avant.

M. Gilles Fernandez : Ils ne sont donc sortis qu’un peu avant.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Sur ce sujet, nous ne pouvons pas non plus nous contenter d’approximations. Nous demanderons donc la liste des matériels de ce type qui ont été utilisés pendant la guerre, où ils étaient situés et par qui ils étaient utilisés, etc.

M. Daniel Moronvalle : Le CAM de chez Graseby a strictement la même forme que celui-là et il est à mobilité ionique.

M. Charles Cova, Vice-Président : Je souhaite revenir sur une question qui a été posée : le matériel américain ou anglais était-il plus performant que le nôtre ?

M. Daniel Moronvalle : Le CAM a un seuil de sensibilité équivalent à l’AP2C.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Je parle de connaître l’utilisation des matériels que vous nous présentez, de ces AP2C, puisque vous dites qu’il y en avait pendant la guerre du Golfe.

M. Gilles Fernandez : Douze ont été livrés, en effet...

M. Daniel Moronvalle : Dont six ou sept au Service de santé des Armées.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Nous allons nous le faire préciser. Pourrez-vous nous remettre les fiches que vous avez entre les mains ?

M. Daniel Moronvalle : Oui, ce sont des fiches commerciales. De toute façon, la plupart de ces appareils sont obsolètes.

M. Aloyse Warhouver : La DGA a-t-elle eu beaucoup de commandes, depuis la guerre du Golfe, pour ce type de matériels ?

M. Daniel Moronvalle : Ce n’est pas nous qui les vendons mais les industriels. Cependant, je sais que l’AP2C a été plutôt bien exporté.

M. Gilles Fernandez : Je n’ai pas en tête la liste des exportations qui ont été faites parce que, comme l’a dit mon collègue, ce sont les industriels qui exportent. Je sais simplement, pour l’avoir vu récemment, qu’Israël l’a adopté en lui faisant d’ailleurs subir un certain nombre de tests. Les Israéliens ne l’ont pas pris au hasard. En fait, le CAM et cet appareil étaient en concurrence. Israël a testé les deux. Ce pays a finalement choisi l’AP2C. Les Anglais étaient un peu en avance car, au départ, ils ont choisi une technologie différente de la nôtre. Néanmoins, au final, il semble que nous soyons mieux placés. Ensuite, c’est l’histoire des technologies...

M. Aloyse Warhouver : ...Il faut le faire savoir, quand même.

M. Charles Cova, Vice-Président : Vous dites que, depuis la guerre du Golfe, les industriels ont été saisis de demandes accrues par rapport à la période précédente. Si le développement du matériel a pu inciter les Etats-majors à s’en doter, ils ont pu également décider de le faire à la lumière des incidents qui se sont passés dans le Golfe. Quelle est la bonne version, à votre avis ?

M. Daniel Moronvalle : C’est ce qui était prévu avant. Le Detalac arrivait au bout de ses possibilités. Il y a eu un changement de technologie. Tous nos matériels évoluent régulièrement. Au fur et à mesure que les technologies progressent nous réalisons soit une nouvelle version - c’est pourquoi vous avez souvent un matériel « F1 », « F2 », « 63 », « 67 » -, soit un nouveau matériel. C’est en permanence que nous faisons évoluer nos matériels. Les Etats-majors retiennent, en principe, la dernière version lorsqu’elle a été adoptée et a fait ses preuves.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Je vais sortir un peu du sujet du Detalac, puisqu’on ne sait pas s’il y a eu des alertes caractérisées.

M. Daniel Moronvalle : Elles ont à chaque fois fait l’objet d’un contrôle postérieur.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Oui, mais combien y a-t-il eu d’alertes et de contrôles positifs ou négatifs ? C’est la question qui nous intéresse.

J’en viens au radiamètre, votre appareil sur la radioactivité. Quel est son seuil de détection ? Quelle est sa spécification ? A-t-il été utilisé pendant la guerre du Golfe ? Vous allez me dire aussi que vous n’avez pas eu les messages mais savez-vous s’il y a eu des détections de radioactivité pendant la guerre du Golfe ?

M. Jean-Pierre L’Hôte : Le seuil du radiamètre est de 10 microgray par heure. Là aussi, nous n’avons pas de retour sur les détections en ce qui concerne la guerre du Golfe. C’est un radiamètre qui a été développé pour détecter le rayonnement gamma et là il vous faudra également poser la question à l’Etat-major.

M. Moronvalle présente le radiamètre aux membres de la mission.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Nous poserons donc la question à l’Etat-major, M. le Président.

Vous avez eu vent de la polémique qui a surgi dans les médias au sujet de l’utilisation d’armes à base d’uranium appauvri pendant la guerre du Golfe. Différentes organisations ont détecté une certaine contamination de l’environnement. Il est donc assez intéressant, vis-à-vis des retours d’information dont nous disposons, de voir si ce type d’appareils est capable de détecter quelque chose, sachant que l’uranium est un émetteur gamma faible.

Par conséquent, pouvez-vous nous dire en tant qu’experts si cet appareil est capable de déceler quelque chose par rapport à un obus à base d’uranium appauvri ?

M. Jean-Pierre L’Hôte : Je ne peux pas vous le dire en ce qui concerne l’appareil tel qu’il est. Nous avons actuellement des sondes annexes à l’appareil qui ont été développées dans le cadre des risques technologiques. Il n’y a pas que l’uranium qui est concerné ; c’est aussi le cas d’un certain nombre de sources ponctuelles qui peuvent se trouver sur le terrain. Nous avons donc développé des sondes alpha, des sondes bêta et des sondes de grande sensibilité qui permettent de détecter pratiquement tous les radioéléments pouvant exister sur le terrain.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Mais pouvez-vous répondre à ma question sur cet appareil qui était utilisé pendant la guerre du Golfe ?

M. Jean-Pierre L’Hôte : Nous n’avons jamais eu l’occasion de tester cet appareil vis-à-vis de l’uranium appauvri. En fait, nous n’avons jamais été confronté à cette question.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Et vous n’avez jamais eu la curiosité de vous poser vous-même la question ?

M. Jean-Pierre L’Hôte : On ne peut pas revenir en arrière !

M. Bernard Cazeneuve, Président : Il faut replacer les choses dans leur contexte. On ne peut pas vous reprocher de ne pas avoir enregistré l’impact de l’uranium appauvri avec cet appareil puisque personne ne savait qu’on l’utilisait. On ne peut pas inventer la machine à remonter le temps. Vous ne pouvez pas retourner en 1991 et mesurer l’impact en radioactivité du bombardement d’un char à l’uranium appauvri.

M. Gilles Fernandez : La question qui se pose aujourd’hui n’était pas posée à l’époque, en tout cas pas à nous.

M. Jean-Pierre L’Hôte : La question globale des risques radiologiques au niveau de l’OTAN, parce qu’il n’y a pas que le problème de l’uranium, s’est posée, en fait, à partir de l’année 1995.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : En 1994 et 1995.

M. Jean-Pierre L’Hôte : On a alors développé des sondes. Je peux vous dire qu’une sonde, en particulier, permet de détecter l’uranium sur sa raie gamma à 150 keV. C’est un problème qui n’existait pas en 1990.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Je vais formuler différemment ma question. Les militaires qui sont au Kosovo ou qui étaient en Bosnie en 1994-1995 avaient-ils des détecteurs plus sophistiqués que celui-là, notamment avec des sondes bêta ?

M. Jean-Pierre L’Hôte : A l’époque, il existait une sonde bêta. Il existe une sonde bêta avec cet appareil qui arrive à détecter les rayonnements bêta. Je n’ai pas d’informations mais on pourrait faire éventuellement des essais pour le constater.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Je suppose que l’Etat-major est en mesure de répondre à cette question. Vous nous dites qu’au moment du conflit des Balkans, ce matériel existait. Il nous appartient de demander s’il a été utilisé et si nos forces en étaient dotées.

M. Daniel Moronvalle : La sonde est sortie en 1988. Vous aviez aussi un boîtier dans lequel il y avait une canne pour mettre la sonde au bout.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Si ce matériel est sorti en 1988, cela veut dire que cette sonde aurait très bien pu être utilisée dans le cadre du conflit du Golfe.

M. Daniel Moronvalle : Elle était adoptée et elle existait. Maintenant, je ne sais pas si elle a été utilisée.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Il y a donc deux questions à poser. La DGA nous indique que la sonde existait en 1988. A-t-elle été utilisée pendant le conflit du Golfe et, dans la négative, pourquoi ? Par ailleurs, a-t-elle été utilisée dans le cadre du conflit des Balkans ?

M. André Vauchez : J’ai une question technique à poser. Maintenant que nous en savons beaucoup plus sur les conséquences d’un tir avec une flèche à l’uranium appauvri, connaissez-vous des expériences qui ont été faites, après ces tirs, à l’intérieur de carcasses de chars ou d’autres choses ? Y a-t-il eu une détection, à ce moment-là, de rayonnements de type gamma, par exemple ?

M. Jean-Pierre L’Hôte : Il faut poser la question aux personnes qui s’occupent de mener ce genre d’analyses.

M. André Vauchez : Je parle d’expériences ; je ne parle pas du terrain.

M. Jean-Pierre L’Hôte : Nous ne traitons pas des munitions à l’uranium appauvri. Ce n’est pas notre domaine.

M. André Vauchez : Donc cela n’a pas été fait et on ne le sait pas ?

M. Jean-Pierre L’Hôte : Je pense quand même que ceux qui traitent de l’uranium appauvri doivent le savoir.

M. Charles Cova, Vice-Président : C’est quand même bien vous qui déterminez ce matériel ?

M. Jean-Pierre L’Hôte : On le détermine à la demande des Armées. A ma connaissance, nous n’avons jamais eu de demande spécifique sur l’uranium appauvri.

M. Charles Cova, Vice-Président : C’est-à-dire sur les rayonnements gamma et bêta ?

M. Jean-Pierre L’Hôte : L’uranium est un élément des risques radiologiques. On ne peut pas pointer, pour un radioélément particulier, l’utilisation d’un appareil.

En fait, il est prévu de doter les Armées d’un système d’identification sur le terrain qui permettrait au moins d’avoir une connaissance des radioéléments, en particulier en cas de source ponctuelle.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : J’en viens au troisième chapitre de vos compétences : le problème de la décontamination.

M. Daniel Moronvalle : La décontamination individuelle est assurée pour le moment par le gant poudreur. Cela dit, il est prévu tout un système de décontamination pour le matériel avec un pulvérisateur de solutions décontaminantes modèle F1. Il s’agit de diéthylène triamide avec de la soude et du glycol. Selon les autres produits, on peut avoir de la soude ou de l’hypochlorite. Toutefois ces moyens valent non pour l’homme mais pour les matériels.

Pour la décontamination, on garde le gant poudreur, mais nous sommes en train d’évoluer et de faire des décontaminants doux, que nous appelons « non agressifs » parce que ces produits décontaminants décontaminaient le matériel mais l’attaquaient dans le même temps. Ils pouvaient le dégrader, notamment en abîmant les peintures. Nous avons lancé un programme de décontaminants doux qui aboutit actuellement.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Avez-vous été au courant que, pendant la guerre du Golfe, on a utilisé des décontaminants ?

M. Daniel Moronvalle : Personnellement, j’ai été au courant qu’on n’en a pas utilisé. Toutefois, je n’ai peut-être pas une connaissance suffisamment complète sur ce sujet. D’après les gens que j’ai fréquentés, personne n’a utilisé de décontaminants.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Vous dites, Mme Rivasi, qu’il y a eu utilisation de décontaminants. Avez-vous des éléments à ce sujet ?

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Je pose la question, c’est tout. Je veux simplement savoir s’il y a eu utilisation.

M. Daniel Moronvalle : Il faut savoir que, dans chaque sac de masque à gaz, tout combattant avait deux gants poudreurs. Je peux vous en montrer l’utilisation mais je risque de mettre un peu de poussière.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Je suppose que c’est le principe de l’absorption ?

M. Daniel Moronvalle : Exactement. Vous mettez de la poudre sur vous qui va absorber le toxique liquide, après quoi vous vous secouez et la poudre tombe.

M. Bernard Cazeneuve, Président : C’est le principe de la poudre de Sommières.

M. Daniel Moronvalle : C’est de la terre de Sommières qui, en réalité, vient de Mauritanie.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : C’est un peu archaïque, mais cela fonctionne.

M. Charles Cova, Vice-Président : Je suppose qu’on passe aussi les soldats sous l’eau à titre individuel ?

M. Daniel Moronvalle : Après le déshabillage, il y a tout le système des douches de campagne. La personne qui aurait été contaminée doit se déshabiller. Normalement, sous le vêtement et sous le masque, on n’a rien. C’est une chose qui est prévue pour quelqu’un qui aurait été contaminé parce qu’il n’était pas en tenue ou qui serait blessé, par exemple.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Qui assure la formation ? Est-ce que vous intervenez à ce sujet ?

M. Daniel Moronvalle : Elle relève de l’Etat-major. A la base, c’est l’Ecole de défense « NBC » qui était à Caen et qui est maintenant à Draguignan qu’en est chargée. Elle a d’ailleurs publié un livre que je peux vous faire passer et qui vous sera envoyé officiellement. Ce livre comprend la totalité des matériels « NBC », la manière de s’en servir et leurs performances. C’est le livre officiel de l’armée de Terre, sachant que l’armée de l’Air a quasiment les mêmes matériels. Je peux vous le communiquer mais il vous sera envoyé officiellement. Vous allez y retrouver l’intégralité des matériels présentés.

M. Charles Cova, Vice-Président : A votre connaissance, y a-t-il des séances régulières d’instruction concernant l’utilisation de ce matériel ou est-ce selon l’humeur du commandement ?

M. Daniel Moronvalle : Normalement, il y a des instructions, mais si je ne sais pas si elles sont suivies. Les personnels formés à l’Ecole de défense « NBC » vont dans les unités et font de la formation. Maintenant, je ne peux pas vous dire comment celle-ci est donnée.

M. Charles Cova, Vice-Président : Je vous le demande parce que j’ai posé une question écrite sur ce sujet et que je n’ai toujours pas de réponse. C’est pourquoi je m’en inquiète.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Merci beaucoup, Messieurs, pour vos explications. N’oubliez pas de reprendre vos matériels.


Source : Assemblée nationale (France)