(extrait du procès-verbal de la séance du mardi 6 février 2001)

Présidence de M. Bernard Cazeneuve, Président

M. Bernard Cazeneuve, Président : Nous entendons aujourd’hui M. Jean-Pierre Masseret, Secrétaire d’Etat auprès du Ministre de la Défense, chargé des Anciens combattants. Nous vous remercions d’avoir bien voulu répondre à notre invitation. Je précise, dès à présent, que nous entendrons le Ministre de la Défense ainsi que ses prédécesseurs, et notamment MM. Chevènement et Joxe, avant de publier notre premier rapport, qui concernera la guerre du Golfe, vraisemblablement à la fin du mois d’avril.

Vous nous avez adressé, en réponse à notre demande, deux notes techniques qui font un point précis, d’une part, sur la procédure médico-légale des pensions militaires d’invalidité et, d’autre part, sur le rôle et les bases juridiques dans lesquelles opèrent les commissions de réforme.

Nos interrogations portent également sur les travaux qui ont déjà pu être réalisés à l’étranger, plus particulièrement aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, à l’égard des anciens militaires du Golfe, voire des Balkans, et sur les éventuelles consignes que vous auriez pu donner à vos services ou à l’Office national des Anciens combattants et des victimes de guerre (ONAC), établissement public placé sous votre tutelle, concernant l’accueil médical, voire social, des Anciens combattants se plaignant d’affections ou de troubles qu’ils considéreraient comme étant consécutifs à leur présence dans ces régions.

Nous avons quelques interrogations sur le rôle du Service de santé des Armées, s’agissant du suivi personnalisé des militaires ayant participé à des opérations extérieures, ainsi que sur l’éventuelle implication d’anciens médecins militaires dans les commissions consultatives, voire au niveau des missions d’expertise.

Enfin, nous aimerions savoir s’il existe des différences de procédure mais également d’appréciation quant aux situations respectives des militaires de carrière et des appelés ou des engagés sur contrats courts. Les investigations que nous conduisons nous amènent aussi à nous interroger sur l’évolution souhaitable de notre système de prévention, de soins et de pensions au regard de la professionnalisation des armées.

Nous avons souhaité, depuis le début de nos travaux, aborder ces points dans la plus grande transparence, ce qui explique que la plupart de nos auditions soient ouvertes à la presse, mais aussi avec le maximum de rigueur scientifique et de méthode, ce qui parfois est difficile à atteindre compte tenu du caractère passionnel du sujet qui nous occupe.

M. le Ministre, je propose de vous donner la parole pour un exposé introductif qui vous permettra de développer quelques-uns des sujets qui vous paraissent importants et devoir être portés à notre connaissance. Au terme de cet exposé, les membres de la mission pourront vous interroger de telle sorte que nous puissions avancer, le plus précisément possible, dans nos investigations et dans la préparation de notre rapport.

M. Jean-Pierre Masseret, Secrétaire d’Etat : M. le Président, Madame et Messieurs les députés, j’aborde cette audition avec pour préoccupation première : l’idée que nous devons à nos soldats, qu’ils soient d’active ou appelés, et demain professionnels de la défense, les meilleures garanties possibles. Le service à la Nation étant indispensable, il est capital que celles et ceux qui s’engagent au service de la France soient informés du système de protection dont ils ou elles peuvent bénéficier à ce titre.

Dans le cadre même de la professionnalisation, la nature de vos travaux revêt une grande importance pour la suite, car il nous faudra recruter, fidéliser, protéger et reconvertir. Aujourd’hui, nous sommes dans le cadre du statut de protection que peuvent attendre un homme ou une femme engagés au service de la France, dans des théâtres d’opérations divers.

Je rappellerai, tout d’abord, que nous disposons d’un instrument juridique qui est le code des pensions militaires d’invalidité. Ce code, protecteur des intérêts de nos soldats, existe depuis longtemps. Il donne plutôt satisfaction. Grâce à une grande souplesse, il a intégré, au travers des différents conflits, diverses évolutions, toujours au bénéfice d’une meilleure protection par la prise en compte d’un certain nombre de pathologies, maladies ou de leurs conséquences. C’est ainsi qu’aujourd’hui les conséquences éventuelles afférentes aux conditions d’engagement des militaires français au cours de la guerre du Golfe et des Balkans peuvent être prises en considération.

Deux conditions doivent être remplies afin que le code des pensions militaires d’invalidité puisse jouer : un fait générateur, c’est-à-dire un événement qui provoque le cas échéant une maladie ou un handicap - j’élimine la blessure car elle est constatable sur le terrain et ne pose pas de difficulté juridique pour le blessé -, et un lien de cause à effet. Quand un homme ou une femme, dans un métier militaire, est engagé dans une opération au service de la France, quelque part dans le monde, si une maladie se révèle, il convient d’établir le lien de cause à effet entre cette maladie et le fait qui peut être à l’origine de cette maladie. Toute la problématique que vous avez abordé se trouve là, à mon avis.

Le code des pensions militaires d’invalidité ne mentionne pas les infirmités ou les maladies susceptibles d’être indemnisées. C’est le guide-barèmes des invalidités qui fait état de listes d’affections indemnisables, à titre indicatif. Dans ce document, actualisé autant que de besoin, sont pris en compte les cancers depuis 1990, voire même le Sida : s’il s’avère qu’un militaire blessé a été contaminé par le Sida à la suite d’une transfusion sanguine, cela est pris en compte au titre du code des pensions militaires d’invalidité ! C’est un instrument extraordinairement large et complètement ouvert. Il s’agit simplement de prouver le lien de cause à effet entre le fait d’être engagé à tel endroit et la maladie qui survient.

En temps de paix, la charge de la preuve incombe au demandeur. En temps de guerre, une présomption d’imputabilité, soumise à des délais, dispense de faire la preuve. Pour cela, il faut que la maladie se soit révélée plus de quatre-vingt-dix jours après le début de l’opération militaire dans laquelle la personne est engagée et moins de trente jours après le moment où elle en est sortie. Ceci est le cadre général, mais on constate des prises en compte de délais bien plus longs.

Ce délai de trente jours découle d’une époque où les maladies qui se révélaient étaient des maladies à déclenchement rapide. Mais selon les évolutions de la connaissance médicale, le dispositif du code des pensions militaires a subi diverses modifications ou adaptations et, d’ores et déjà, le délai de présomption peut être plus long. Par exemple, s’agissant de la tuberculose pulmonaire, le délai, dans certaines conditions, est de dix ans. S’agissant des affections gastro-intestinales, il est de huit ans ; en ce qui concerne les colites, il est de dix ans ; s’agissant enfin des ulcères gastriques du duodénum, des affections rhumatismales, des spondylarthrites ankylosantes et polyarthrites chroniques évolutives, il est de quatre ans.

Dans ce propos liminaire, je souhaite faire la démonstration qu’il n’est pas nécessaire, de modifier le code des pensions militaires d’invalidité pour permettre la reconnaissance de ce que l’on appelle les « syndromes du Golfe et des Balkans » et faciliter l’indemnisation de la personne concernée, selon des procédures plus ou moins longues.

Cependant c’est la science qui déterminera, par exemple, si un environnement, impliquant tels symptômes et tels engagements autour d’uranium appauvri ou de benzène, peut provoquer dans le futur une maladie dont le délai de déclenchement peut être de quatre, cinq ou dix ans. Il conviendra d’en tenir compte pour apprécier si la personne malade relève du code des pensions militaires d’invalidité et, par conséquent, si elle a droit à l’indemnisation.

Le maintien du code des pensions militaires d’invalidité est souhaitable, notamment dans le cadre de la professionnalisation de la défense, car ces maladies et ces handicaps ne relèvent ni de la Sécurité sociale ni du code du Travail, le service accompli pour la France étant d’une autre essence.

Cet exposé a principalement pour objet de vous démontrer que nous disposons d’un instrument juridique, en vigueur depuis la Première guerre mondiale, qui permet de prendre en compte le progrès scientifique et médical. S’il demeure un certain nombre de cadres et de délais sur lesquels on peut s’interroger, les données que peuvent nous apporter les scientifiques et les médecins, en matière de risques, sont déterminantes pour démontrer qu’une action militaire, conduite dans telles conditions, peut demain être le déclencheur de telle maladie sous tel délai d’incubation ou de survenance.

Toutefois, nous sommes dans l’obligation de cadrer les délais. Une association a suggéré que la notion d’imputabilité soit de toute éternité. Je dis « attention » ! Dans le code des pensions militaires d’invalidité, le seul cas prévu dans lequel toute maladie ou difficulté révélée imputable est indemnisée, est celui des personnes ayant été internées en camp de concentration. Si une personne a été détenue en camp de concentration, qu’une maladie quelconque se révèle au fil du temps, cette maladie est considérée comme étant liée à la présence en système concentrationnaire.

Faire bénéficier de cette disposition tous les militaires impliquerait que toute opération extérieure serait assimilable à un temps de détention dans un camp de concentration ! Pour ma part, j’estime qu’il s’agirait d’une faute et d’un non-sens historique majeurs. Je vous donne là mon sentiment, que je vous expose très librement.

Quant à la procédure, elle reste effectivement longue et difficile. Si on considère le dépôt de la première demande de pension, l’instruction administrative et médicale, les avis consultatifs, la décision éventuelle de la commission de réforme, les interventions de la commission consultative médicale, des experts et contre-experts, du tribunal départemental, l’appel et la cassation, un délai d’un an paraît être le minimum de temps nécessaire au traitement des dossiers, pour un système qui reste néanmoins protecteur.

S’agissant de la composition des commissions, certains des responsables sont des médecins militaires, mais a priori il n’y a aucune raison de suspecter la déontologie des médecins militaires par rapport à celle des médecins privés.

M. Claude Lanfranca, co-rapporteur : Je remercie M. le Ministre de ce propos liminaire qui a apporté un début d’éclaircissement à nos interrogations. Ce matin, il m’a semblé comprendre, selon les dires du Président de la Fédération nationale des Anciens des Missions extérieures (FNAME), que les troubles psychiatriques ou névrotiques n’étaient pas pris en compte lors des opérations extérieures comme ils l’étaient pendant une guerre. A cet égard, je vous fais lecture d’une de leurs revendications : « (...) que les névroses et symptômes traumatiques soient étendus aux missions extérieures. »

M. Jean-Pierre Masseret, Secrétaire d’Etat : Je vais vous donner une première réponse que M. Xavier Rouby, directeur des Statuts et des Pensions, pourra éventuellement compléter.

A ma connaissance, les névroses dues à un traumatisme de guerre peuvent être indemnisées sans que soit fait de distinction selon les événements qui ont eu lieu en Algérie, en Corée, en Indochine ou durant la Deuxième guerre mondiale. Il me semble même qu’aujourd’hui on évolue vers une meilleure prise en compte des psycho-traumatismes.

J’ai personnellement modifié, il y a un an, en accord avec le monde combattant, la circulaire d’application du décret du 10 janvier 1992, car elle était plus restrictive que les intentions du législateur et des pouvoirs publics. Ce texte dorénavant en vigueur a reçu l’aval du monde combattant et des médecins spécialistes. Il permet ainsi de mieux prendre en compte les psycho-traumatismes de guerre.

M. Claude Lanfranca, co-rapporteur : S’agissant du caractère d’imputabilité et de cause à effet, un militaire peut rentrer d’une opération extérieure et présenter un syndrome post-traumatique, tout en réussissant plus ou moins à conserver son équilibre. Survient un facteur déclenchant tel que la perte d’un proche ou un accident qui le fait tomber dans la dépression. On considère que l’incident est un facteur déclenchant, mais non pas la cause. Sur le total des dossiers déposés, est-il exact qu’il y ait moins de dix pensionnés pour troubles traumatiques dans le syndrome du Golfe ?

M. Jean-Pierre Masseret, Secrétaire d’Etat : Vos chiffres sont exacts. Sur les opérations du Golfe, les services ont reçu deux cents demandes qui ont été transmises au Professeur Salamon. Au 15 janvier 2001, quatre-vingt-trois demandes ont été rejetées et cent dix-sept pensions accordées à des militaires, dont voici le détail : 101 pensions pour séquelles de blessure et 16 pensions pour maladie. Les taux d’invalidité s’échelonnent entre 10 et 100 %.

Parmi les maladies, on relève une tuberculose, des amibiases, des névroses, des hépatites C, des bouffées délirantes, des ulcères, des symptomatologies anxieuses et des décompensations anxieuses, du diabète. Les névroses traumatiques et les psycho-syndromes de guerre, qui sont considérés comme des blessures, sont au nombre de dix, soit environ 10 % de psycho-traumatisés sur l’ensemble des dossiers retenus.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Environ 25 000 soldats ont été engagés dans les opérations de la guerre du Golfe, ce qui a donné lieu au dépôt de quelque 200 dossiers. Comment expliquez-vous ce faible nombre de dossiers, alors que l’on évoque un « syndrome » susceptible de toucher un nombre très significatif de soldats ?

Par ailleurs, comment expliquez-vous qu’un certain nombre d’associations, que nous avons reçues, comptent plus de membres malades qu’il n’y a de dossiers déposés auprès de vos services ?

Enfin, il a été évoqué, à l’occasion d’articles de presse et d’émissions télévisées, des pathologies infiniment plus lourdes que celles que vous venez de citer, comme ayant fait l’objet de dépôt de dossiers de pension. Pourquoi ces pathologies, du type leucémie, cancer, etc., ne font-elles pas l’objet de dépôt de dossiers auprès de vos services ? Est-ce un phénomène usuel que vous avez déjà constaté lors d’autres conflits ?

M. Jean-Pierre Masseret, Secrétaire d’Etat : En ce qui concerne les psycho-traumatismes, les Anglo-Saxons ont une approche différente de la nôtre pour tous les problèmes ayant trait au mental et au comportement. Culturellement, cela leur pose moins de difficultés. En revanche, en France, si vous avancez l’idée d’une difficulté d’ordre mental, la situation est plus difficile à assumer. Cette différence d’approche culturelle peut être un début d’explication.

Quant au nombre de dossiers déposés, je n’ai malheureusement aucune explication à fournir, car les militaires ont toujours le droit d’en déposer un. S’ils ne l’ont pas fait, c’est peut-être parce que le besoin ne s’en est pas fait sentir car ils sont bien portants. Au point de vue statistique, l’armée française compterait moins de malades que d’autres armées. Ont été évoqués, pour les soldats américains, des vaccins, des insecticides, des conditions d’engagement dans des situations géographiques différentes, etc...

J’observe que nos soldats sont parfaitement informés de leurs droits. Les personnels engagés dans la guerre du Golfe ont bénéficié d’un suivi médical avant, pendant et au retour. M. Alain Richard, Ministre de la Défense, s’est d’ailleurs exprimé sur ce sujet auprès du Service de santé des Armées afin qu’il accepte aujourd’hui toute demande.

Au regard de la médiatisation de cette question depuis un certain temps déjà, nous aurions dû recevoir quantité de dossiers. Or, à ma connaissance, il n’y a pas eu une avalanche de dossiers. J’en déduis donc que les militaires n’éprouvent pas le besoin de se voir reconnaître une maladie dont ils ne souffrent pas.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Mais alors comment expliquer que les associations comptent plus de membres qui se déclarent malades que vous n’avez enregistré de dépôts de demande de pension ?

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : J’aurais quelques éléments de réponse par rapport à la question posée par notre Président. S’agissant de la dimension culturelle de cette question, à en croire les explications de militaires, les soldats estiment que s’ils ont un problème psychologique, voire une leucémie, jamais ils ne parviendront à le faire reconnaître, d’où le nombre peu significatif de dépôts de dossiers auprès des commissions de réforme. D’un point de vue culturel, rencontrer des problèmes psychologiques n’est déjà pas très valorisant. De plus, les intéressés s’interrogent, s’ils saisissent les commissions de réforme, sur la façon de rendre imputable leur maladie à la guerre du Golfe. En raison de ces éléments, nombre de militaires ne se sont pas adressés aux commissions de réforme. Selon d’autres témoignages, les soldats ont saisi directement le Service de santé des Armées, sans passer par les commissions de réforme. Par conséquent, toute une partie des militaires concernés n’ont pas suivi ce circuit.

J’en viens à présent à la question que je souhaiterais poser à M. le Secrétaire d’Etat. Une remise en question du code des pensions militaires d’invalidité n’a pas été demandée par les associations qui restent globalement favorables à ce dispositif. Toutefois on pourrait en améliorer certaines dispositions telles que ce délai des trois mois : si un militaire tombe malade hors de ce délai de trois mois après un conflit, sa maladie n’est plus imputable à la guerre. Dans le cas d’une blessure, c’est facilement prouvable. Mais lorsqu’il s’agit de problèmes gastriques, neuro-musculaires, de lymphomes, de cancers ou de leucémies qui se déclenchent après trois mois, comment résoudre cette limite de délai ?

Je conçois que vous ne puissiez rallonger les délais à l’infini. Seriez-vous néanmoins favorable à une méthode « au cas par cas » telle que celle mise en _uvre par les Américains. Ces derniers ont établi la liste de chacun des symptômes des militaires. Lorsqu’un militaire souffre d’une maladie correspondant à l’un de ces symptômes, il bénéficie d’un suivi, voire d’une indemnité selon la gravité de sa maladie. Pour ma part, j’aurais préféré qu’un tel système soit mis en place et géré par une cellule du ministère de la Santé à laquelle les militaires pourraient s’adresser.

M. Jean-Pierre Masseret, Secrétaire d’Etat : S’agissant des psycho-traumatismes, on peut s’accorder sur le fait qu’en France, ils ne font pas l’objet d’une démarche culturellement favorable. Quant aux autres maladies, de type leucémies et cancers, mon sentiment est plus réservé. C’est pourquoi dès lors qu’il y a maladie, on essaie de la faire imputer au code des pensions militaires d’invalidité qui est plus protecteur. Les interrogations du militaire ne portent pas sur l’acceptation ou non de son dossier, mais sur la possibilité de faire reconnaître sa maladie comme étant imputable au service.

M. le Médecin en Chef Philippe Loudès : Concernant les professionnels, c’est-à-dire les militaires d’active, s’ils sont atteints d’une maladie grave, un dossier d’étude de droits à la pension, y compris pour toutes les leucémies et maladies néoplasiques, est systématiquement déposé. Le problème se pose après avoir quitté l’armée car cela relève alors d’une démarche personnelle qu’ils doivent effectuer auprès des structures départementales relevant des services compétents en matière de pensions.

M. Jean-Pierre Masseret, Secrétaire d’Etat : S’agissant du délai, la maladie doit se déclarer quatre-vingt-dix jours après le début de l’intervention militaire et se faire reconnaître dans les trente jours qui suivent la fin de l’opération militaire. Si la maladie survient après ces délais, elle n’est alors pas réputée imputable à l’activité militaire.

J’ai cité tout à l’heure, selon notre barème, diverses maladies dont l’imputabilité n’est pas limitée à trente jours, certaines allant jusqu’à huit voire dix ans. Sur ce point, je vous fais part de mon opinion toute personnelle. Si des scientifiques et des médecins déterminent qu’à une exposition donnée - uranium appauvri, benzène, etc... - peuvent y être associées des maladies et que ce type de maladies peut se développer en dix ou douze ans, cela s’inscrit parfaitement dans le code des pensions militaires. En revanche, on peut indiquer dans le guide des barèmes des invalidités que tel concours de situations peut révéler telle maladie dont le délai de déclenchement est de tant. C’est pourquoi je dis que le code des pensions militaires d’invalidité est très souple car les blessures, les handicaps et les maladies sont présentés en termes génériques et très larges, sans jamais être décrits.

Nous disposons d’un guide des barèmes des invalidités, sous forme de listes, avec des taux d’invalidité correspondants. Les médecins experts l’utilisent à titre de guide indicatif, mais le code lui-même ne décrit aucune maladie. Ainsi, tout problème peut être rattaché au code des pensions militaires d’invalidité, dès lors qu’on lie le fait et le lien de cause à effet.

M. le Commissaire général Xavier Rouby : Je serai moins manichéen que la plupart des interprétations sur l’imputabilité. Lorsqu’il est dit que la maladie doit être reconnue dans les quatre-vingt-dix jours du début du conflit ou dans les trente jours suivant la fin du conflit, cela signifie que si la maladie se déclenche pendant ce délai, elle est automatiquement présumée imputable. Néanmoins cela ne signifie pas que si ce délai des trente jours est dépassé, il n’y a aucune possibilité d’indemnisation. Dans ce cas, l’intéressé lui-même doit prouver l’imputabilité de sa maladie au service, alors que dans l’autre cas de figure, c’est à l’administration de prouver le contraire.

M. Charles Cova, Vice-président : C’est quand même là que réside la difficulté majeure, à savoir apporter la preuve d’être tombé malade dans les quatre-vingt-dix jours qui ont suivi le début du conflit.

M. Jean-Pierre Masseret, Secrétaire d’Etat : Ne peut-on quand même pas faire confiance aux médecins dans ce cas-là ?

M. Jean-Louis Bernard : Le tribunal dispose d’une procédure d’expertise dans laquelle un expert civil, totalement indépendant, est nommé et donne ses conclusions. Il appartient ensuite au militaire, personnellement ou par le biais de son avocat, de faire valoir ses droits. Je crois que tout est prévu.

Monsieur le Ministre, je ne partage cependant pas votre enthousiasme quant au guide des barèmes et invalidités que je trouve totalement obsolète. Le chiffrage des différents taux d’amputation de tous les segments de membres est d’une tristesse à pleurer, à la fois pour les amputés et pour l’expert.

Par ailleurs, le véritable problème se situe au niveau de la divergence avec les différents barèmes de la Sécurité sociale. On peut concevoir que les points de pension et d’indemnisation soient différents et que la société soit plus généreuse à l’égard de ses soldats qu’à l’égard d’autres catégories de personnes. Toutefois, il est difficile de comprendre, notamment lorsqu’on est expert, que la même réduction de capacité fonctionnelle soit diversement appréciée, en fonction des circonstances de l’accident dont la personne a été victime. Ce taux peut varier de 15 % à 85 %. Il me semble qu’il faudrait concevoir un barème quasi-unique, avec des divergences compte tenu du fait que les blessures militaires peuvent être différentes et bénéficier d’un point d’indemnisation différent.

M. Jean-Pierre Masseret, Secrétaire d’Etat : Il faut bien y réfléchir avant de demander une réforme du code des pensions militaires d’invalidité. Ce code existe depuis 1918. Il appartient à la culture de ce pays. Intellectuellement, de façon cartésienne, votre propos est cohérent, mais extrêmement difficile à mettre en _uvre. Certes la valeur différente du point permettrait de traiter différemment l’accident du travail de l’accident subi par un soldat engagé au service de la France. Mais faire adopter un tel changement par le monde combattant demanderait du temps, car c’est un sujet extrêmement délicat d’interprétation.

Pour ma part, j’ai simplement voulu souligner que ce code était suffisamment souple, dans sa conception initiale, pour permettre toutes les évolutions qui suivent chaque conflit ou qui découlent du progrès de la connaissance scientifique. Ces évolutions apportent généralement un plus, mais parfois un moins. Par exemple, si autrefois les médecins considéraient que telle maladie était liée à telle situation et qu’il s’avère que ce n’est plus le cas, on sort du dispositif. Il n’est pas inutile, au moment de la professionnalisation de l’armée, de disposer d’un instrument qui « sécurise » au maximum celles et ceux qui s’engagent au service de la France.

M. Charles Cova, Vice-président : M. le Ministre, vous nous dites que le militaire doit attendre un an avant l’examen de ses droits à pension. Or ce matin, l’un des participants nous a indiqué qu’il faut parfois deux ans. Quand un soldat a été blessé et qu’il est retourné à la vie civile après quatre ou huit ans de service, il se retrouve sans rien pendant un an, ce qui est encore concevable, mais inadmissible dans le cas de deux ans. Peut-être conviendrait-il que vous organisiez différemment les services et les commissions qui étudient les cas afin d’accélérer les procédures. Un délai entre six mois et un an serait acceptable, mais pas au-delà. Envisagez-vous donc d’accélérer la procédure, au moins pour ceux qui n’ont droit qu’à la pension d’invalidité ?

Les pensions sont indexées au taux du grade. Pourquoi un homme, atteint de la même blessure, serait-il traité différemment selon qu’il est officier ou non officier ? Vous savez également que les marins sont mieux traités en matière d’indemnisation que les militaires de l’armée de Terre. Cela vient de l’époque où il y avait différents ministères : Guerre, Marine, armée de l’Air, armée de Terre. Aujourd’hui, au moment où l’armée devient professionnelle, une telle situation n’est plus d’actualité. Pourquoi ne pas introduire une harmonisation entre les pensions des différentes armées, sans pénaliser ceux qui les perçoivent déjà ? C’est pour l’avenir que je parle de cela.

M. Jean-Pierre Masseret, Secrétaire d’Etat : C’est le Général de Gaulle qui a institué, en 1962, le système sur le taux du grade. Lorsque mon prédécesseur, M. Pasquini, a tenté d’évoquer cette question, il s’est « cassé les dents ». Toute évolution ne pourrait qu’amener le soldat vers la situation du Général et non le contraire. Je vous accorde que ce système n’est pas juste, mais votre mission peut tout à fait pointer ce problème.

S’agissant des délais, très honnêtement, dans le cadre de la mission qui m’a été confiée de gérer ce département ministériel, je n’aurais pas ouvert ce dossier. Un certain nombre d’Anciens combattants que je rencontre se plaignent effectivement de la longueur des procédures. Si les travaux de votre mission permettent de poser ce problème, cela peut aider les pouvoirs publics. Mais il existe déjà différentes procédures d’ordre judiciaire. Aucune avance n’est accordée dès lors qu’il y a demande d’une pension. Néanmoins il existe des possibilités de versements anticipés avant que toutes les procédures soient terminées. (S’adressant à M. le Commissaire général Xavier Rouby) Dans quel cas se mettent-elles en place ?

M. le Commissaire général Xavier Rouby : Aucune avance n’est versée dans le cadre de la procédure d’instruction normale. La pension une fois accordée est ensuite versée à titre rétroactif depuis la date de la demande. Si l’instruction du dossier a duré un an, cela donne donc lieu à un rappel d’un an.

En revanche, si un individu qui n’a pas obtenu satisfaction dans le cadre d’une demande de pension, a porté son dossier au contentieux au plan départemental, et que le tribunal des pensions lui a donné satisfaction, il a la possibilité de demander une allocation provisoire d’attente si l’administration va en appel. S’il est débouté lors de cet appel, il devra la rembourser.

M. Charles Cova, Vice-président : Ce matin, nous avons auditionné un Président d’association qui nous a avoué percevoir une pension d’invalidité de 3 500 francs, soit à peine un RMI, alors qu’il est à un taux d’invalidité de 95 %. Estimez-vous qu’une telle somme lui permet effectivement de vivre ?

M. Jean-Pierre Masseret, Secrétaire d’Etat : Les pensions ne sont pas des substitutions de revenu, mais un élément de réparation.

Si une personne a subi un préjudice tel qu’elle est tétraplégique, sa pension sera très élevée car elle est totalement dépendante sur le plan financier. Mais si elle est encore en état de travailler, la pension ne sera pas un revenu de substitution, mais une compensation à un handicap.

M. Jean-Louis Bernard : C’est là que réside le problème ; cette personne, pensionnée à 95 % exerce, par ailleurs, des fonctions dans une collectivité territoriale avec, semble-t-il, une efficacité qui doit être supérieure à 5 %, sinon la collectivité territoriale ne l’aurait pas gardée pendant toutes ces années.

M. Claude Lanfranca, co-rapporteur : Pensez-vous possible de pouvoir rappeler l’ensemble des militaires qui ont été sur le théâtre des opérations du Golfe et les faire examiner par un médecin traitant, un médecin militaire ou un médecin du travail ?

M. Jean-Pierre Masseret, Secrétaire d’Etat : Cette démarche me paraît souhaitable. Lors d’une de mes visites à un régiment, cette question a été évoquée avec le chef de corps et des journalistes. Ce régiment a principalement été appelé sur le théâtre des Balkans, car la guerre du Golfe date déjà de dix ans. Ce chef de corps indiquait qu’il lui était possible de connaître tous les soldats ayant séjourné dans les Balkans, durant ces cinq dernières années, et de les rappeler. Ce régiment dispose d’un médecin de garnison et peut aussi faire appel à des médecins réservistes.

Cela n’est donc pas inaccessible. Sur le plan psychologique, il me paraît même souhaitable d’aller le plus loin possible dans le rappel de ces hommes ou de ces femmes, de façon à leur offrir la possibilité d’un examen médical plus ou moins poussé. Si j’étais ancien militaire du Golfe, je me ferai immédiatement établir un bilan médical au cas où il y aurait une évolution de ma santé ou une évolution du droit et de la prise en compte de différentes pathologies. Cela me paraît normal : me l’appliquant à moi-même, je vois mal comment je pourrais le refuser aux autres.

Certes cette opération n’est pas simple, car quelque 25 000 soldats ont été impliqués dans le Golfe, mais ce n’est rien au regard des 93 000 militaires successivement passés dans les Balkans. Depuis, un certain nombre d’entre eux ont rejoint la vie civile, d’où une marge de déperdition. Mais pour celles et ceux qui seraient intéressés, lancer un tel appel me paraît souhaitable.

M. Aloyse Warhouver : Lors d’une réunion à laquelle M. le Ministre et moi-même avons assisté, des experts médicaux ont prouvé qu’établir un bilan de santé complet à 25 000 personnes présenterait un coût économique très important.

Je voudrais m’écarter du sujet du syndrome du Golfe pour revenir sur le Sida, maladie que vous avez évoquée. Malheureusement, de plus en plus de soldats contaminés par le Sida reviennent des théâtres extérieurs.

M. Jean-Pierre Masseret, Secrétaire d’Etat : Je parlais des possibles contaminations par transfusion sanguine.

M. Aloyse Warhouver : Absolument. Deux cas ont été rejetés au niveau du département de la Moselle, mais je les ai renvoyés au niveau national. Une mère âgée a vu son fils mourir du Sida. Comment peut-elle apporter la preuve que cela vient ou pas d’une transfusion ou d’une contamination ? Vu l’augmentation du nombre de cas de Sida chez les militaires opérant sur les théâtres extérieurs, il conviendra sans doute de les sensibiliser au maximum sur les risques encourus. Par ailleurs, il faudra déterminer comment apporter la preuve qu’il n’y a pas eu transfusion à un moment donné et que la contamination a pu se faire par un autre biais que celui de rapports sexuels.

M. Jean-Pierre Masseret, Secrétaire d’Etat : Il y a transfusion sanguine lorsqu’un événement le justifie, notamment sur un théâtre militaire. Il est ensuite possible d’établir le lien de cause à effet par le biais de cette transfusion. Dans le cas que vous avez cité, si la transfusion a été faite lorsque la personne était militaire, elle doit être notée dans son dossier médical. Le Sida, maladie sexuellement transmissible, peut aussi relever de l’activité, mais détachable du service. En ce cas, ce n’est pas prévu dans le code des pensions militaires d’invalidité.

M. Bernard Cazeneuve, Président : D’autant qu’il n’est pas indispensable d’être en service pour avoir des activités détachables du service !

M. André Vauchez : La science évolue. Elle fait des découvertes sur la connaissance véritable de certaines maladies plus fréquentes aujourd’hui qu’autrefois. On connaît ainsi l’évolution lente de certaines maladies. A titre comparatif, on explique aux gros fumeurs que lorsqu’ils ont arrêté de fumer, après dix ans ils ne risquent plus de développer le cancer du fumeur. Cela devrait être vérifié car chaque cigarette apporte un effet cumulatif.

Pour ce qui est des maladies comme les lymphomes, les scientifiques peuvent-ils dire aujourd’hui, s’agissant de l’effet déclencheur et l’effet cumulatif, s’il faut remonter à cinq ou dix ans en arrière ? Ces indications des scientifiques vous permettraient de modifier certaines dispositions du code au niveau de ces maladies spécifiques. On n’a plus affaire à des maladies microbiennes classiques que l’on connaît bien, grâce à Pasteur, qui était jurassien, comme vous le savez.

M. Jean-Pierre Masseret, Secrétaire d’Etat : A cette question, je n’ai pas une réponse précise. Les pouvoirs publics attendent des médecins et des scientifiques qu’ils leur indiquent par rapport à un syndrome - qui n’est pas une maladie mais un faisceau de situations qui peut amener à une maladie - et à un théâtre extérieur - tel que le Golfe ou les Balkans -, si dans un environnement donné, des éléments de cet ensemble peuvent, sur une certaine durée, provoquer une maladie chez nos militaires. Dès lors que les scientifiques nous diront que cela peut exister, nous le prendrons en compte. Nous y avons tout intérêt dans le cadre de la professionnalisation de la défense.

De plus, très honnêtement, ces situations portant sur quelques dizaines de cas, cela ne devrait pas ruiner le budget de la France. Si nous voulons que des gens s’engagent pour nous, il faut leur donner des assurances sur leur sécurité et leur protection. Si les scientifiques considèrent que tel faisceau de situations peut provoquer telle maladie, nous devons le prendre en compte. C’est un acte normal vis-à-vis de ceux qui s’engagent.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Je suis tout à fait d’accord avec votre façon d’aborder les choses. Je souhaiterais avoir quelques chiffres. Au niveau de la guerre du Golfe, on a parlé de vingt-cinq mille soldats. Or vingt-deux mille d’entre eux auraient apparemment quitté l’armée. Vos services sont-ils en mesure de les retrouver en tant qu’Anciens combattants ? Par ailleurs, s’agissant des Balkans, combien de personnes sont-elles concernées ?

Ce matin, lors de l’audition d’Anciens combattants, ils nous ont indiqué que souvent le tribunal des pensions demande l’examen d’un dossier par la commission consultative médicale (CCM). Le reproche qu’ils font est la non-transparence de cette commission car ils ne savent pas qui y siège.

M. Jean-Pierre Masseret, Secrétaire d’Etat : Ce n’est pas une commission, mais un service.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Peut-être serait-il bien, dans le cadre d’une politique de transparence, d’indiquer qui compose ce service.

Par ailleurs, s’agissant des militaires qui se posent des questions légitimes sur leur santé, il conviendrait de se mettre d’accord sur les protocoles car l’expertise médicale, telle qu’elle est pratiquée par l’armée, reste très superficielle. Si je prends le cas de Mme Dubin que nous avons auditionnée, c’est au moyen d’une analyse de sang que son augmentation de plaquettes a été détectée. C’est en pratiquant des diagnostics plus poussés qu’on met à jour un problème. Avec des diagnostics globaux, on ne détecte rien.

M. Jean-Pierre Masseret, Secrétaire d’Etat : S’agissant de la contribution de mes services pour identifier une fraction des vingt-quatre mille soldats ayant séjourné au Golfe, nous connaissons ceux qui sont titulaires de la carte du combattant ou du titre de reconnaissance de la Nation (TRN). Ainsi nous pouvons les identifier comme ayant été sur le théâtre du Golfe ou des Balkans. Pour obtenir la carte de combattant, le soldat doit avoir combattu quatre-vingt-dix jours au front, mais elle est aussi attribuée en cas de citation ou de blessure reconnue « blessure du fait de guerre ».

Dans le cadre de la guerre du Golfe, seule la Marine a transmis la liste de ses unités combattantes. En revanche, les services historiques de l’armée de l’Air et de l’armée de Terre n’ont pas encore fait connaître à nos services les unités dites combattantes.

M. le Commissaire général Xavier Rouby : Au total, il a été attribué 14 136 cartes du combattant ...

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Ce sont donc des personnes que l’on peut facilement retrouver.

M. Jean-Louis Bernard : Cela inclut-il des cartes qui auraient été attribuées, de manière rétrospective, à des Anciens combattants d’Afrique du Nord ?

M. Jean-Pierre Masseret, Secrétaire d’Etat : Non, ce chiffre concerne uniquement le Golfe.

M. le Commissaire général Xavier Rouby : ... et 64 000 titres de reconnaissance de la Nation.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Je ne comprends pas la signification de ce chiffre de 64 000 titres de reconnaissance de la Nation.

M. le Commissaire général Xavier Rouby : Il concerne l’ensemble des opérations extérieures.

M. Jean-Pierre Masseret, Secrétaire d’Etat : A l’intérieur des opérations extérieures, nous pouvons identifier s’il s’agit d’opérations au Tchad, au Liban, dans le Golfe, au Kosovo ou en Bosnie-Herzégovine.

En ce qui concerne la commission consultative médicale, elle n’est pas une commission. Elle ne se réunit pas. Il s’agit d’un service administratif dont une partie est installée au Val-de-Fontenay, en région parisienne, et l’autre à La Rochelle, auprès du Service des pensions des Armées. Le président de la commission est le Médecin chef Laborde, et le vice-président, le docteur Pujol, médecin militaire lui aussi qui est à La Rochelle. Le Médecin chef travaille avec douze ou quinze médecins militaires répartis sur les deux sites.

Lorsque les dossiers lui parviennent pour avis, le Médecin chef les attribue à des médecins qui les examinent. Aucun délai ne leur est imposé, mais on pourrait néanmoins leur demander s’il est possible d’améliorer ce temps d’examen des dossiers. En principe, ils travaillent plutôt rapidement.

M. le Commissaire général Xavier Rouby : Les dossiers restent au maximum un mois à la CCM. 

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Mais la décision se prend sur dossier. Il n’y a donc pas de recours possible.

M. Jean-Pierre Masseret, Secrétaire d’Etat : Ce service s’insère dans une procédure plus générale dans laquelle se retrouvent toutes les possibilités de recours, d’expertises et de contre-expertises. Un dépôt de dossier fait l’objet d’une instruction administrative. La personne concernée doit généralement se faire aider par l’administration car, dans certains cas, il lui faut retrouver des lieux d’affectation, des conditions d’engagement et d’autres détails. Au cours de l’expertise médicale, des médecins privés, assermentés et mandatés dans cette affaire, interviennent. Ensuite vient l’avis de la commission de réforme qui n’est pas saisie obligatoirement à ce stade.

Une première proposition est adressée à la personne qui a déposé le dossier. Si cette proposition ne lui convient pas, la commission de réforme, dont tous les membres sont des militaires - un médecin, un commissaire, un officier du corps de troupe et un médecin du Service de santé -, statue. Les membres de cette commission étant tous désignés par les autorités territoriales militaires, je n’ai aucun lien avec elle : elle m’échappe totalement.

La décision est proposée par le canal du directeur régional des Anciens combattants qui peut, s’il souhaite des avis complémentaires, saisir la commission médicale consultative, laquelle peut le cas échéant désigner de nouveau des experts. Lorsque mon directeur régional fait la proposition à l’Ancien combattant concerné, cela débouche soit sur la concession, soit sur le rejet, et on ouvre alors toutes les procédures, soit sur l’envoi du dossier à La Rochelle s’il s’agit d’un militaire professionnel. Au bout du compte, le dossier aboutit toujours au Service des pensions du ministère des Finances qui peut encore demander un réexamen par cette commission consultative médicale.

M. Charles Cova, Vice-président : Le ministère des Finances demande-t-il souvent un rééxamen du dossier ?

M. le Commissaire général Xavier Rouby : Sur 9 000 concessions de pensions dans l’année, on compte environ une quinzaine de blocages de ce type au niveau du ministère des Finances.

M. Charles Cova, Vice-président : Pouvez-vous nous donner le nombre de dossiers concernant les Balkans ?

M. Jean-Pierre Masseret, Secrétaire d’Etat : Nous avons actuellement 317 pensions accordées à des militaires ayant participé aux différentes opérations des Balkans : 296 pensions pour séquelles de blessures et 21 pour maladies.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Pouvez-vous nous donner le détail de ces séquelles de blessures ?

M. le Commissaire général Xavier Rouby : Ce sont des renseignements nominatifs couverts par le secret médical. Nous ne sommes donc pas en mesure de vous les fournir.

M. Jean-Pierre Masseret, Secrétaire d’Etat : Je peux néanmoins vous indiquer la nature des séquelles. Sur les 296 pensions accordées pour blessures, 221 pensions ont été concédées, pour un taux de 10 % à 30 %, pour acouphènes, c’est-à-dire des sifflements ou des bourdonnements durables d’oreilles, plaies, entorses, fractures mineures. Trente-deux pensions ont été concédées, pour un taux supérieur à 60 %, pour névroses, psycho-syndromes traumatiques, amputations, cataractes et cécités, infirmités multiples dont une pour tétraplégie.

M. le Commissaire général Xavier Rouby : La tétraplégie concerne une personne qui a reçu une balle dans la nuque.

M. Jean-Pierre Masseret, Secrétaire d’Etat : Sur les 21 pensions accordées pour maladies, 15 pensions ont été concédées, pour un taux de 10 à 30 %, pour hypertensions artérielles, états dépressifs et un cas de sarcoïdose médiastinopulmonaire et musculaire.

M. Jean-Louis Bernard : Cette maladie induit des lésions quelque peu semblables à la tuberculose, mais ce n’est pas tuberculeux.

M. Jean-Pierre Masseret, Secrétaire d’Etat : Cinq pensions ont été accordées, pour un taux supérieur 50 %, pour infections neurologiques multiples, insuffisances rénales, un méningiome parasagital et une tumeur en C7-D1.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Et aucune leucémie !

M. Jean-Pierre Masseret, Secrétaire d’Etat : Pas encore.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Les malades ont été vus dans les hôpitaux militaires, mais aucun n’a déposé de demande de pension. C’est l’exemple type de ce dont nous parlions tout à l’heure.

M. le Commissaire général Xavier Rouby : Pour qu’une pension soit accordée, la maladie doit être stabilisée.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Stabilisée, cela veut-il dire identifiée ? Qu’est-ce que cela signifie exactement ?

M. le Commissaire général Xavier Rouby : On indemnise les séquelles d’une maladie. Mais tant que la maladie est évolutive, c’est le problème de la consolidation.

M. Jean-Pierre Masseret, Secrétaire d’Etat : (s’adressant à M. le Commissaire général Xavier Rouby) Prenons le cas d’un cancer, maladie à évolution plus ou moins lente, à quel moment peut-on considérer qu’il est consolidé, s’il apparaît qu’il y a un lien de cause à effet entre le cancer et l’engagement d’un militaire ?

M. Claude Lanfranca, co-rapporteur : On considère - je parle sous le contrôle de mes confrères médecins ici présents - qu’une maladie est consolidée lorsque le traitement que l’on peut faire pour cette maladie a atteint son maximum. Au-delà c’est fini.

Par ailleurs, par confraternité, je voudrais souligner qu’en tant que médecin civil, j’ai beaucoup d’admiration pour les médecins militaires car ils accomplissent un travail très précis et aussi valable que celui des autres médecins.

M. Bernard Cazeneuve, Président : S’agissant de la consolidation de la maladie, cela pose un problème de fond pour des pathologies qui seraient éventuellement induites par un contact avec l’uranium appauvri. Ce sont les pathologies les plus identifiées notamment médiatiquement, à savoir les leucémies, les cancers, etc. Le militaire, qui se trouve malade au terme de son engagement dans le conflit, ne pourrait bénéficier d’une pension que dès lors que la maladie a été considérée comme ayant été consolidée.

M. le Commissaire général Xavier Rouby : Non, c’est le taux d’invalidité qui est déterminé, mais il peut en faire la demande à n’importe quel moment.

M. Jean-Pierre Masseret, Secrétaire d’Etat : (s’adressant à M. le Commissaire général Xavier Rouby) La question que pose le Président est : à quel moment le militaire malade touche-t-il sa pension ?

M. Bernard Cazeneuve, Président : Lorsque nous allons publier notre rapport qui comportera un certain nombre de propositions, nous ne pourrons pas nous en tenir à l’explication formulée par le ministère que vous représentez. Celle-ci consiste à dire, pour ceux qui sont atteints de leucémies ou de cancers, à la fois sur le principe de la pension et sur le taux qui sera appliqué, qu’il faut attendre la consolidation de la maladie pour le déterminer.

Au regard de la rapidité d’évolution de la maladie et de la longueur des délais d’examen des pensions, des militaires ne pourront jamais percevoir ces pensions ! Si ces pensions peuvent cependant faire l’objet de réversion à la veuve, cela pose néanmoins un problème de fond, car si le militaire décède avant la fin de l’examen de son dossier, la pension n’aura pas été versée, d’où l’impossibilité d’une réversion.

M. le Commissaire général Xavier Rouby : Il faut toujours tenir compte de la date initiale de la demande de pension. Imaginons le cas d’une personne qui dépose une demande de pension et qui, durant l’instruction du dossier, développe une maladie grave et décède : s’il est admis par expertise que la maladie est imputable au service une pension sera versée à cette personne entre le moment du dépôt de sa demande de pension et la date de son décès ; ensuite sa veuve percevra la réversion.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Nous sommes plus particulièrement intéressés aujourd’hui, notamment en ce qui concerne les Balkans, par le développement d’un certain nombre de pathologies cancéreuses ou de leucémies qui pourraient être induites par le contact de nos soldats avec diverses substances présentes sur le théâtre des opérations. Nous serons en mesure, compte tenu des investigations que nous conduisons, aussi bien sur le Golfe que sur les Balkans, de déterminer à quel moment nos troupes ont été en contact avec de l’uranium appauvri, des nuages neurotoxiques, etc.

En revanche, nous ne serons pas en mesure d’établir le lien scientifique entre le développement de ces pathologies et la mise en contact de nos soldats avec un certain nombre de substances. C’est pourquoi des études épidémiologiques très poussées devront être effectuées, d’où l’importance des travaux conduits par le groupe des experts présidé par le Professeur Salamon.

Selon les spécialistes, ces études épidémiologiques seront nécessairement très longues. Il conviendra en effet de reconstituer des cohortes, d’effectuer des enquêtes de type « cas-témoins », d’observer l’évolution des affections sur une longue période. Par conséquent, le lien de causalité ne pourra pas être établi avant plusieurs mois, voire plusieurs années. Or l’imputabilité ne peut être établie que dès lors que le lien de causalité l’est aussi.

M. Jean-Pierre Masseret, Secrétaire d’Etat : Tout à fait !

M. Bernard Cazeneuve, Président : C’est un problème concret auquel nous allons être confrontés. Nous sommes aujourd’hui dans une situation où, au travers des médias, des témoignages et de l’action de diverses associations, des cas de leucémies sont pointés en France et en Europe chez des soldats, pour beaucoup d’entre eux jeunes, ayant été impliqués sur le théâtre des opérations. L’imputabilité ne pourra être établie qu’au terme de ces études. Des veuves, pendant des mois ou des années, ne percevront pas de pension sous prétexte que l’imputabilité n’aura pas pu être établie puisque les études épidémiologiques n’auront pas été conclusives. Cela pose un réel problème.

M. Jean-Pierre Masseret, Secrétaire d’Etat : Si le dossier n’a jamais été déposé, la veuve ne percevra effectivement aucune pension.

M. le Commissaire général Xavier Rouby : Par définition, s’il n’y a pas eu de demande, il n’y a pas de pension possible, ni de reversion.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Sans être devin, je peux imaginer les situations auxquelles nous allons être confrontés dans un certain nombre de mois : des veuves de militaires décédés, qui n’ont pas déposé de dossiers, feront des demandes reconventionnelles en expliquant à votre ministère que leurs époux sont décédés en raison de leur implication dans le conflit.

M. Jean-Pierre Masseret, Secrétaire d’Etat : Mais les médecins auront démontré la causalité.

M. Bernard Cazeneuve, Président : La causalité ne sera établie que très a posteriori, au terme des longs travaux épidémiologiques notamment amorcés par le Professeur Salamon. Les pouvoirs publics, les Ministres, les institutions administratives seront confrontés à une situation très difficile face à des demandes reconventionnelles.

M. Claude Lanfranca, co-rapporteur : Cela pourrait rejoindre l’affaire du sang contaminé.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Tout à fait. Dans le cadre de la mission qui nous est confiée, nous souhaitons, en tant que parlementaires, ayant anticipé ces problèmes, formuler des propositions qui soient suffisamment responsables pour pouvoir embrasser l’ensemble des cas pratiques et, en même temps, suffisamment précises pour pouvoir traiter ces cas dès lors que leur réalité aura été établie.

Si nous ne formulons pas ces propositions au terme de nos travaux, nous n’aurons pas, d’une part, rempli notre mission ni, d’autre part, contribué à faire ce qui nous incombe dans notre rôle de contrôle a posteriori de l’action de l’Exécutif, à savoir formuler des recommandations qui permettent de l’aider à remplir ses missions. J’aimerais que vous puissiez nous dire comment vous avez anticipé cette situation et éventuellement envisagé les choses, sur le plan méthodologique.

M. Jean-Pierre Masseret, Secrétaire d’Etat : Il est clair que nous n’avons pas anticipé notre action possible sur cette question que nous découvrons ensemble. C’est le problème de la consolidation qui nous a amenés à cette réflexion. Le problème posé est : comment congeler des droits virtuels, en quelque sorte ? On bloquerait un droit de tirage dont une « personne » pourrait bénéficier au bout d’un certain laps de temps, y compris après son décès. Je ne suis pas en mesure de développer une réponse construite sur ce sujet. J’intègre néanmoins cette question dans ma réflexion. Peut-être M. Rouby peut-il déjà vous fournir des éléments de réponse, au moins d’un point de vue strictement administratif.

M. le Commissaire général Xavier Rouby : Dans le code des pensions militaires d’invalidité, la veuve peut à tous moments, si son mari est décédé depuis plusieurs années, déposer une demande de pension de veuve. L’imputabilité se fait alors sur le dossier médical de l’intéressé. Dans l’hypothèse où, dans cinq ans, il serait démontré que le benzène a une responsabilité dans le développement de leucémies, les veuves pourront demander une pension. En revanche, je ne saurais vous répondre sur le délai ; il n’y a pas rétroactivité.

M. Claude Lanfranca, co-rapporteur : Comment, dans l’intervalle, ces personnes vivent-elles quand elles doivent attendre trois ou quatre ans ?

M. le Médecin en Chef Philippe Loudès : S’agissant des militaires de carrière qui sont toujours dans les armées, après la déclaration de la maladie et avant l’attribution de la pension, ils sont placés en congé de longue durée. Dans ce cadre, ils sont payés malgré leur inactivité. Ce congé de trois ans, qui peut aller jusqu’à cinq ans dans les cas de cancers, concerne l’ensemble des maladies cancéreuses et les troubles psychosomatiques.

M. Jean-Pierre Masseret, Secrétaire d’Etat : Qu’en est-il des appelés et des engagés sur contrats courts qui ont quitté l’armée ?

M. le Médecin en Chef Philippe Loudès : Pour ceux de ces personnels malades qui sont encore en activité, leur contrat est prorogé le temps d’épuiser leurs droits à congés longue durée. Cela permet normalement de couvrir le délai nécessaire à l’aboutissement de leur dossier de pension.

M. Bernard Cazeneuve, Président : L’imputabilité est le c_ur de l’affaire. Imaginons qu’au terme des travaux du Professeur Salamon, il soit démontré - on est loin de l’avoir fait et il faudra du temps - que l’uranium appauvri peut être à l’origine d’un certain nombre de leucémies. Aujourd’hui, pour pouvoir démontrer cela il faut procéder à des analyses d’urine au terme desquelles on parvient à prouver que l’uranium est à l’origine de la maladie. Il est évident que si le patient est décédé, il sera impossible d’effectuer des analyses d’urine.

Au-delà de la réponse administrative et politique, il y a peut-être aussi une réponse préventive. L’une des possibilités, pour faire en sorte que les dossiers médicaux soient prêts pour le cas où des demandes reconventionnelles viendraient à être présentées, est de systématiser un certain nombre d’examens. Ainsi les dossiers des militaires professionnels ou non contiendraient un certain nombre d’éléments qui permettraient, au terme d’éventuelles demandes de pensions, de se prononcer médicalement, y compris si le patient est décédé, sur les droits du patient ou de ses ayants droit. Or la systématisation de l’examen médical n’est aujourd’hui pas établie ?

M. le Médecin en Chef Philippe Loudès : Il est proposé de recevoir et d’effectuer des examens sur l’ensemble des personnels d’active et des personnels engagés dans le Golfe ou les Balkans, qui sont maintenant réservistes ou retournés dans le civil et ont été localisés par l’intermédiaire des services des pensions. Toutefois on ne peut pas pratiquer systématiquement l’ensemble des examens cliniques du domaine de connaissance des leucémies. Il serait irréaliste d’envisager de faire à tout le monde des cariotypes par exemple.

En revanche, tous ceux qui se présenteront dans les hôpitaux militaires, auprès du Service de santé des Armées, qu’ils soient civils ou militaires, subiront un ensemble d’examens cliniques et paracliniques qui pourront aller progressivement en fonction du besoin vers des examens complexes, IRM par exemple, afin de cibler le dossier des intéressés de manière aussi précise que possible. Mais dans l’état actuel des choses, aucun examen ne permet de diagnostiquer, par anticipation, la possibilité d’une éventuelle hématopathie maligne future.

M. Jean-Pierre Masseret, Secrétaire d’Etat : Lorsque le militaire quitte le service, il subit automatiquement un examen médical complet.

M. Claude Lanfranca, co-rapporteur : Oui, mais une ponction externale ou un prélèvement d’os, qui sont des examens traumatisants, ne sont effectués que lorsqu’il y a de très fortes suspicions.

M. Jean-Louis Bernard : Peut-être aurons-nous la réponse, dans quelques années, sous forme statistique. De deux choses l’une, soit nous aurons un certain nombre de leucémies, d’hémopathies, de lymphomes dans une proportion qui ne sera pas, statistiquement, différente de la population normale, comparativement à la population du Golfe ou des Balkans et alors, il sera pratiquement impossible de démontrer le rôle du service ; en revanche, s’il s’avérait qu’il y ait dix, quinze, voire vingt fois plus de cas de leucémies dans cette population de nos soldats, il y aurait alors une interpellation extraordinaire.

M. Jean-Pierre Masseret, Secrétaire d’Etat : Ce n’est pas le cas actuellement. Selon nos informations, il y aurait plutôt moins de leucémies dans la communauté militaire qu’il y en a dans la population civile, à structures d’âge comparables. Pour le moment, nous ne relevons aucun élément de distorsion.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Nous vous remercions, M. le Ministre, de toutes ces indications et ainsi pour votre aide dans l’accomplissement de nos travaux.


Source : Assemblée nationale (France)