(extrait du procès-verbal de la séance du mardi 20 mars 2001)

Présidence de M. Bernard Cazeneuve, Président

M. Bernard Cazeneuve, Président : Monsieur, nous vous remercions pour votre présence, aujourd’hui, devant la mission d’information. Etant donné votre qualité d’ancien brigadier-chef du 6ème Régiment de Commandement et de Soutien, une unité aujourd’hui dissoute, il nous importe de recueillir aujourd’hui votre témoignage. Votre état de santé s’est détérioré après que vous ayez quitté l’armée. Sur ce point et sans révéler ce qui paraîtrait relever du secret médical, nous souhaiterions connaître les raisons qui, selon vous, auraient pu mettre votre intégrité physique en danger au cours des opérations du Golfe.

Actif auprès de vos camarades, il nous paraît également nécessaire de connaître le sentiment de ces anciens militaires à l’égard de leur hiérarchie de l’époque ou, plus généralement, des pouvoirs publics, alors qu’ils ont servi et représenté la Nation.

S’agissant de votre parcours médical, quel accueil avez-vous reçu auprès du Service de santé des Armées et dans les hôpitaux civils et militaires ? Considérez-vous qu’aujourd’hui le corps médical s’interroge réellement, en France, sur l’origine des pathologies ou troubles développés postérieurement aux opérations conduites en 1990 et 1991 ? Enfin nous aimerions connaître vos impressions sur l’action de certaines associations dont la représentativité aux yeux du monde combattant peut paraître suspecte, voire non désintéressée.

Pourriez-vous en premier lieu, nous rappeler brièvement votre carrière militaire et, s’agissant du Golfe, les principaux faits qui ont marqué votre souvenir ? Puis, les co-rapporteurs et les membres de la mission vous poseront une série de questions.

Nous vous remercions par avance des efforts que vous consentirez pour nous présenter, de la façon la plus concrète et la plus directe possible, les événements que vous avez vécus au cours des opérations du Golfe. Je vous donne à présent la parole pour un exposé introductif.

M. Bernard Vandomme : M. le Président, Madame et Messieurs les députés, j’ai intégré le 6ème RCS dès sa création, en 1984, puis j’ai quitté l’armée le 1er octobre 1998. Au moment du déclenchement de la phase préparatoire de la guerre du Golfe, j’étais déjà en mission, en individuel, en République Centrafricaine : j’ai été stationné à Bouar, du 18 juin au 7 octobre 1990. J’ai été rappelé par mon Capitaine depuis la métropole, lequel avait reçu un message me concernant suite à la mise en place des troupes consécutivement aux événements en Irak. J’ai attendu qu’un Transall vienne nous ravitailler à Bouar pour pouvoir me rendre à Bangui, la capitale centrafricaine, où je suis resté une journée. Comme le seul avion disponible était malheureusement en panne, j’ai encore dû attendre deux jours avant de pouvoir rejoindre Paris puis mon régiment à Nîmes.

Arrivé à Nîmes, j’ai constaté que mon ancien Capitaine avait fini son commandement et quand je me suis présenté au nouveau Commandant d’unité, celui-ci a été très surpris de ma présence car il n’avait reçu aucune consigne me concernant. Je suis resté en attente à Nîmes pendant trois mois, du 7 octobre 1990 au 13 janvier 1991, au terme desquels j’ai été envoyé sur Paris pour rejoindre Rueil-Malmaison, mais sans ordre de mission.

Arrivé à Rueil-Malmaison, je me suis retrouvé au centre d’une sorte de cohue car les gens arrivaient de partout et devaient se faire enregistrer. Le lendemain, nous avons été conduits en car à Roissy où nous avons fait la pesée des sacs. C’est à ce moment-là que j’ai été surpris car on demandait à chacun son ordre de mission pour connaître sa destination. Or, n’ayant aucun ordre de mission, je ne savais pas quelle destination indiquer. J’ai donc demandé Ryadh, capitale de l’Arabie Saoudite, où je suis arrivé de nuit, sur une base dont je ne pourrais vous dire le nom.

Un officier est monté à bord de l’appareil pour nous rappeler de vérifier la destination indiquée sur l’ordre de mission et nous expliquer qu’une fois descendus de l’appareil nous devions nous placer derrière des lignes de couleurs différentes, avant d’être embarqués dans des minibus pour nous conduire manger. J’étais, alors, toujours en civil.

J’ai donc rejoint le bus. Nous avons pris la route, puis nous sommes arrivés sur une autre base que je ne saurais situer. Lorsque nous sommes descendus, j’ai vu arriver des hommes en tenue « NBC » et portant le masque à gaz. Ils ont annoncé qu’il y avait une alerte chimique. Je me suis rapidement changé et équipé d’un masque à gaz. Nous sommes ensuite montés dans des véhicules qui ont déposé les personnels, au fur et à mesure, à leur destination. Comme je ne savais pas quelle était la mienne, je suis allé jusqu’au terminus, qui était une caserne. J’ai appris par la suite qu’il s’agissait du camp de la Cité du Roi Khaled. J’ai monté des marches qui menaient à une pièce principale où des personnes étaient allongées sous perfusion. Comme j’avais besoin de me reposer, j’ai pris un matelas et je me suis couché.

Le lendemain, j’ai repris l’avion pour Ryadh. Après avoir récupéré mon sac dans l’aéroport principal, je me suis rendu à l’État-major qui comprenait et des Français et des Américains. Les gens couraient dans tous les sens. J’ai demandé à quelqu’un s’il y avait un endroit pour se laver. Au moment de me raser, un adjudant-chef est arrivé en m’ordonnant de rejoindre le bunker car il y avait une alerte chimique. J’ai pris mon masque à gaz et je me suis rendu, avec les Français et les Américains, dans ce bunker où nous avons attendu la fin de l’alerte. J’ai ensuite rejoint mon État-major. J’ai, auparavant, terminé ma toilette de manière à être présentable.

Comme j’attendais sans trop savoir quoi faire, j’ai vu, à un moment donné, passer un militaire portant un sac de La Poste. Comme je lui expliquais que je devais rejoindre la division blindée qui était stationnée dans le désert, il m’a indiqué qu’il devait y passer dans le cours de sa tournée. Je l’ai alors aidé à charger son camion, puis je suis monté derrière. C’est ainsi que j’ai rejoint mon régiment.

Sur place, on a été étonné de me voir arriver car on ne m’attendait pas. Il s’agissait d’un détachement cosmopolite car il était composé d’éléments de la Légion, du 6ème Régiment Etranger du Génie, un adjudant-chef d’Orléans, un sergent d’Allemagne, etc. Les personnels venaient d’un peu partout pour former une cellule complète au niveau du soutien.

Au niveau des équipements, on m’avait indiqué que je trouverai tout le nécessaire sur place, c’est-à-dire un porte-chargeurs, un Famas, etc. Mais j’ai été surpris car, en fait, il n’y avait rien. Avec un collègue que je connaissais de longue date et que j’ai retrouvé sur place, lors d’une tournée dans le désert, nous avons rencontré notre adjudant-chef qui disposait bien de matériels, mais en mauvais état. Il avait des porte-chargeurs qui devaient repartir sur la France pour réparation. J’en ai pris un que j’ai moi-même réparé.

Au niveau de la tenue « sable », j’ai attendu un bon mois avant d’en obtenir une. Je n’ai jamais eu de couvre-casque « sable ». Quant à une baïonnette, je n’en ai jamais été doté car il n’y en avait plus. J’ai reçu mon armement, c’est-à-dire celui de la personne que je remplaçais et qui avait été rapatriée sanitaire, au bout d’une semaine. En effet, elle avait craqué et entamé une grève de la faim pour quitter l’endroit, tant l’ambiance était exécrable. D’ailleurs le sous-brigadier-chef, que j’avais rencontré peu de temps avant, m’avait exposé la situation. J’ai donc récupéré son Famas qui était démonté et conservé dans un seau. Après l’avoir nettoyé, je l’ai remonté.

Nous n’avions ni toile de tente, ni eau pour nous laver. Je dormais dans un trou. Je me lavais quand j’avais la chance d’avoir une bouteille d’eau. C’était le système D ! Comme nous étions avec des Américains, nous échangions de la nourriture contre des habits. A un moment donné, mon uniforme était moitié français, moitié américain.

Au cours du conflit, au fur et à mesure de notre avance, nous n’avions aucune information sur la situation. Quant aux alertes chimiques, elles étaient très fréquentes. A cet égard, il y avait des Détalacs, mais comme ils étaient en nombre insuffisant, il y en avait uniquement au niveau du commandement. Dès le déclenchement du Détalac, les ordres devaient être transmis par radio aux différentes unités afin de les informer de l’état d’alerte. Ensuite l’alerte se diffusait à coup de Klaxon par le biais des camions. C’était souvent la pagaille, car personne ne savait s’il s’agissait du début ou de la fin de l’alerte. Un jour, je n’ai su que nous nous trouvions en alerte chimique que parce que je me suis trouvé face au sergent de mon unité, celui qui venait d’Allemagne, en tenue « NBC » avec son masque à gaz ; c’est lui qui m’a informé que nous étions en pleine alerte !

Quand nous sommes partis pour l’Irak, nous avons connu le même type de situation. Arrivés à destination en pleine nuit, le commandement nous a ordonné de ne pas nous déployer. Nous sommes restés là sans recevoir aucun ordre ni savoir ce qui se passait, jusqu’au jour où le commandement nous a annoncé la fin du conflit. Nous avons alors fait demi-tour vers l’Arabie Saoudite.

Je suis arrivé au mois de janvier. L’offensive aérienne des Américains a été déclenchée de nuit. Nous avions reçu ordre de ne pas bouger. Selon certains sur place, la raison en était que le Président de la République de l’époque, M. François Mitterrand, n’avait pas encore donné son autorisation de nous allier aux Américains.

Quand nous avons reçu les ordres, il nous a fallu prendre le peu de matériel que nous avions, le démonter et partir, le tout sans allumer les feux de véhicules ni connaître notre destination. Nous étions tous sur les nerfs. Les cadres qui nous commandaient nous ont ordonné de nous arrêter, de nous allonger à même le sol et d’attendre, ce que nous avons fait. Au petit matin, notre bivouac ressemblait à un champ de bataille napoléonien. Des toiles de tente, des matériels traînaient dans le camp, mais il n’y avait plus personne.

C’est à ce moment-là que j’ai entendu un bruit de moteur. Il s’agissait d’un bulldozer du Génie qui arrivait à grande vitesse. J’ai alors été très surpris de le voir rassembler, dans des trous, tous les matériels abandonnés, les groupes électrogènes en bon état, les toiles de tente, les treillis neufs. Les soldats du Génie ont mis le feu, puis ont procédé à l’enfouissement. J’ai protesté auprès du conducteur de l’engin, mais il m’a dit qu’il exécutait les ordres. C’était incompréhensible car nous étions en Arabie Saoudite. Aucun coup de feu n’avait été tiré. Nous n’étions pas encore en guerre car il était seulement question de nous diriger vers la frontière irakienne. Après la destruction des matériels, nous avons pris la route tracée par les Américains dans le désert.

Tout au long de cette route, on voyait beaucoup de matériels abandonnés tels que des remorques, des obus. On aurait dit que les gens s’étaient allégés, mais pour quelle raison ? Mystère ! De ce fait, quand nous sommes arrivés à la frontière entre l’Irak et l’Arabie Saoudite, nous n’avions plus grand chose à notre disposition. Il fallait se débrouiller pour subvenir à ses besoins.

S’agissant de ma santé, j’ai ressenti mes premières douleurs avant mon départ sur l’Irak. J’ai eu des douleurs musculaires, notamment au niveau des jambes, et articulaires au niveau des genoux. Pendant une huitaine de jours, nuit et jour, je souffrais et j’avais des difficultés pour marcher.

Je situe cet épisode avant le mois de février. Quant à en préciser les dates, c’est assez difficile car en état de guerre, on n’y prête vraiment pas attention. Ces douleurs ont disparu au bout de huit jours. A la fin du conflit, je suis revenu en France et, j’ai bénéficié de permissions.

Deux ans après, ces douleurs se sont manifestées de nouveau. J’étais pourtant quelqu’un de sportif et je sentais que ma jambe gauche ne fonctionnait plus normalement. Je pensais à des crampes, je me massais avec des pommades en pensant que cela passerait.

Comme j’étais encore célibataire, je vivais au régiment. Un matin, au moment de me lever, je ne pouvais plus marcher. Mon genou était enflé. J’étais obligé de m’asseoir car je ne pouvais plus rester debout. Comme j’allais passer mes permissions de fin de l’année dans le nord de la France, dont je suis originaire, j’en ai profité pour aller consulter un camarade qui est médecin généraliste. Celui-ci m’a fait savoir que ma jambe était totalement désaxée et que je devrais me faire opérer, au niveau du tibia, afin de la redresser et de sauver le genou.

Pour ce faire, il m’a recommandé un chirurgien qui m’a indiqué que je n’avais pas le choix. Selon lui, les cachets contre la douleur ne feraient plus d’effet à un moment donné et si j’attendais trop, il devrait me poser une prothèse au genou. En tant que militaire de carrière, cela me posait un réel problème.

Une fois tous les examens en main, je suis rentré à mon régiment et je suis allé à l’infirmerie qui m’a obtenu un rendez-vous à l’hôpital militaire Laveran à Marseille. Les médecins de cet hôpital m’ont dit que je devais me faire opérer, dans l’hôpital de mon choix, mais que l’armée se dégageait de toute responsabilité et considérait que cette opération ne lui était pas imputable.

De retour à mon régiment, j’ai préparé les formalités administratives nécessaires à l’infirmerie pour pouvoir quitter réglementairement le régiment et me faire opérer. Je suis resté absent quatre mois. J’ai décidé de reprendre le travail, malgré l’avis contraire des médecins.

Par la suite, mon état ne s’est pas amélioré. Dans les années qui ont suivi, j’ai eu des problèmes d’acidité dans les yeux. Ma vue avait légèrement baissé. Seules les larmes artificielles arrivaient à me soulager. Je supposais que cela pouvait venir du sable, mais on m’a expliqué que le sable irrite sur le coup et qu’ensuite, normalement, cela passe.

Par la suite, pendant au moins un an, j’ai eu des douleurs musculaires terribles au niveau du dos ; elles m’empêchaient même de conduire. J’ai eu des douleurs au niveau de la langue qui me gênaient pour m’exprimer correctement. A la suite de cela, j’ai vécu de très forts maux de tête qui me torturaient nuit et jour. Les cachets ne me faisaient aucun effet, même après être allé consulter plusieurs médecins généralistes.

Un jour, j’ai même dû être hospitalisé en urgence au CHU de Nîmes car, en me levant le matin, j’ai commencé à m’étouffer : je n’arrivais plus à respirer. J’ai cru que c’était la fin. J’ai appelé le médecin qui est venu en urgence. Il m’a ausculté, mais sans pouvoir déterminer d’où venait le problème. Des urgences du CHU de Nîmes, les médecins m’ont transféré sur l’hôpital Carémeau, toujours à Nîmes, au service neurologique.

Dans ce service, même si les médecins m’ont prescrit quelques examens et cachets, ils m’ont principalement interrogé sur les événements de la guerre du Golfe. Un jour, plusieurs médecins sont venus me voir, puis sont sortis discuter dans le couloir, en fermant la porte derrière eux. Je n’ai donc pas pu entendre leur échange. Peu après, un médecin est revenu et m’a demandé si j’avais été gazé. Je lui ai répondu que je n’en savais rien, mais que le « risque zéro » n’existe pas. Comme la guerre en Irak était une guerre où le risque chimique était réel, il est fort possible que certains en soient revenus intoxiqués.

Au retour du Golfe, le régiment n’a fait l’objet d’aucune visite ni soutien médical. Je ne veux pas mettre en cause l’infirmerie de l’armée car si le Capitaine n’avait pas d’ordres ou de renseignements sur les événements dans le Golfe, il ne pouvait prendre l’initiative de faire examiner les soldats. De toute façon, il ne disposait pas du matériel nécessaire dans son infirmerie pour procéder à des examens concrets.

M. Jean-Louis Bernard : Vous nous avez décrit un certain nombre de symptômes, levant par là même un éventuel secret médical. Je me permettrais donc de vous poser quelques questions précises, auxquelles vous êtes libre de ne pas répondre.

En ce qui concerne votre opération de la jambe gauche, vous avez dû avoir un compte rendu opératoire. Dans ce compte rendu, était-il question d’ostéotomie, de valgisation, etc ?

M. Bernard Vandomme : Tout à fait.

M. Jean-Louis Bernard : Je m’en doutais. Par ailleurs, vous avez parlé d’acidité dans les yeux. Avez-vous consulté un ou plusieurs ophtalmologistes à l’époque ?

M. Bernard Vandomme : Oui ; ce sont eux qui m’ont prescrit les larmes artificielles.

M. Jean-Louis Bernard : Ensuite intervient un épisode plus sérieux puisqu’il conduit à une hospitalisation en urgence au CHU de Nîmes, avec, si j’ai bien compris, une sensation d’étouffement. Il n’est pas fait, semble-t-il, état d’une hospitalisation en réanimation ou dans un service de pneumologie, mais plutôt en neurologie. Y a-t-il eu ventilation artificielle, intubation pulmonaire ?

M. Bernard Vandomme : Non.

M. Jean-Louis Bernard : Lorsque vous vous êtes rendu au CHU de Nîmes, vous avez été directement hospitalisé au service neurologique alors que vos troubles sont essentiellement respiratoires. Comment expliquez-vous cela ?

M. Bernard Vandomme : J’avais beaucoup de mal à respirer ; mes membres tremblaient. Aux urgences, les médecins, après avoir réalisé quelques prises de sang, ont décidé de me transférer au service neurologique de l’hôpital Carémeau à Nîmes, où je suis resté une semaine. J’étais très affaibli ; je ne pouvais plus dormir ; j’avais du mal à respirer et à parler. Les médecins m’ont principalement interrogé sur mes attributions et sur les événements de la guerre du Golfe.

M. Jean-Louis Bernard : Ont-ils prononcé le terme de « dépression » ?

M. Bernard Vandomme : Non, pas du tout.

M. Jean-Louis Bernard : Etes-vous sorti de l’hôpital avec un traitement médical à suivre ?

M. Bernard Vandomme : Non ; j’ai suivi un traitement avec de l’Isoptine, mais il n’a pas eu d’effet.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : J’aimerais revenir sur les conditions de vie que vous avez connues dans le Golfe. Par rapport aux facteurs de risques énoncés, avez-vous pris des médicaments, de la Pyridostigmine par exemple ?

M. Bernard Vandomme : Oui ; juste avant notre départ pour l’Irak, des plaquettes nous ont été distribuées. J’en ai moi-même reçu une plaquette de la main à la main, dont il me semble avoir pris, sur ordre, trois cachets, avant de partir sur l’Irak.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : En avez-vous pris également après ?

M. Bernard Vandomme : Non.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Vous avez évoqué des alertes chimiques. Pouvez-vous en donner les dates ? Par ailleurs, vous souvenez-vous de votre localisation le 21 janvier ?

M. Bernard Vandomme : En janvier, nous étions en Arabie Saoudite, aux alentours de Ryadh, mais je ne saurais pas vous dire où exactement. L’État-major ne nous montrait pas notre position sur la carte.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Etes-vous monté à bord de chars irakiens détruits ?

M. Bernard Vandomme : Non ; j’ai un peu d’expérience en ce domaine et je suis, de plus, issu d’une famille de militaires. Je l’avais fortement déconseillé à un jeune, qui était dans mon unité, car il me semblait que ces chars étaient certainement piégés. Je lui ai dit : « Tu regardes de loin. Si tu veux une photo, tu la prends à distance, mais tu restes avec moi et tu n’y vas pas. Visiter ces chars serait le meilleur moyen de sauter sur une mine. Leur piégeage est tout ce qu’il y a de plus logique ».

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Saviez-vous que les Américains utilisaient des obus à base d’uranium appauvri ?

M. Bernard Vandomme : Non ; nous n’étions au courant de rien. De mon trou, le soir, j’entendais les moteurs d’avion et ensuite je voyais de loin les éclairs et les bombardements, mais sans savoir quel type d’obus ils utilisaient. Nous n’avions aucune information à ce sujet.

M. Claude Lanfranca, co-rapporteur : Je vous remercie d’avoir répondu le plus précisément possible aux questions. Monsieur, vous dites avoir des douleurs.

M. Bernard Vandomme : Oui, malheureusement.

M. Claude Lanfranca, co-rapporteur : Mais Monsieur, ce sont des douleurs que l’on ne voit pas ! En tant que médecin, je ne parviens pas à faire la corrélation entre votre état de santé et les opérations menées dans le cadre de la guerre du Golfe. Je m’interroge et je cherche.

Par exemple, vous dites avoir pris trois cachets de Pyridostigmine : chacun sait qu’un tel traitement ne comporte aucun risque et ne peut être à l’origine de vos douleurs musculaires et articulaires. Les troubles que vous évoquez sont ce que les médecins qualifient de troubles « fonctionnels » ou « cognitifs » et, au niveau médical, ne peuvent être observés. Même si la personne les ressent réellement, on ne sait pas en expliquer la cause directe. D’autre part, ces douleurs ne peuvent pas venir de l’uranium appauvri car s’il peut provoquer des troubles sanguins ou autres, il ne peut pas entraîner des troubles fonctionnels.

Auriez-vous une suggestion qui nous permette de relier votre état de santé à un événement ayant eu lieu pendant la guerre du Golfe ? Pour ma part, le stress semblerait en fait être l’élément direct.

M. Bernard Vandomme : Je n’ai pas vraiment d’idée sur ce point. Quant au stress, je ne pense pas que c’est cela : j’ai eu l’habitude de voyager et de me débrouiller ; ce n’est pas ce qui me faisait peur.

Les seuls éléments concrets dont je peux vous faire état sont que j’étais un homme en bonne santé et très sportif avant de partir. Mes premières douleurs sont apparues sur place et ensuite, la situation n’a fait que se dégrader. Je ne sais pas d’où viennent ces problèmes et je ne pourrais pas affirmer que la raison réside dans les cachets de Pyridostigmine, les médicaments, etc. Je ne sais pas !

M. Claude Lanfranca, co-rapporteur : Assurément, les cachets de Pyridostigmine ne sont pas la cause de votre incident à la jambe. Peut-être votre problème de tibia est-il dû à un accident pendant votre service, car il est certain que ni un comprimé ni un gaz ne peuvent désaxer une jambe. Une ostéotomie, terme qui apparaît sur votre compte rendu opératoire, signifie que le chirurgien a prélevé un bout d’os et rectifié l’axe de la jambe.

M. Charles Cova, Vice-président : Tout d’abord, merci de nous avoir apporté votre témoignage. Avez-vous un souvenir de véritables alertes chimiques auxquelles vous auriez pu être confronté ? A l’occasion de ces alertes chimiques, pensez-vous avoir inhalé un produit ?

M. Bernard Vandomme : Je ne sais pas, car les alertes se déclenchaient régulièrement, sans que l’on sache s’il s’agissait de vraies alertes ou d’alertes d’entraînement. Néanmoins, les seules douleurs que j’ai ressenties pendant la guerre du Golfe, je les ai ressenties avant mon départ sur l’Irak. Pendant une semaine, j’ai eu beaucoup de difficultés pour marcher.

M. Charles Cova, Vice-président : Dans un régiment de commandement et de soutien, vous deviez avoir des contacts avec les troupes étrangères, notamment américaines. Estimez-vous que ces troupes étaient mieux protégées et organisées que les troupes françaises ?

M. Bernard Vandomme : Les troupes américaines disposaient de tout le matériel nécessaire. Elles avaient des douches, et même des salles de sport en Arabie Saoudite.

Parfois, nous utilisions les voitures que les officiers laissaient en réparation dans notre atelier, pour visiter les autres zones, afin de nous changer les idées et de décompresser, car nous ne supportions plus de rester sans ordres. Nous allions voir les soldats américains pour chercher du matériel, échanger des rations contre un T-shirt, etc.

M. Charles Cova, Vice-président : Cette situation devait être propre au 6ème Régiment de Commandement et de Soutien car les autres régiments dans le Golfe n’étaient pas aussi désorganisés que vous le laissez entendre.

M. Bernard Vandomme : Je ne connais pas la situation des autres régiments.

M. Charles Cova, Vice-président : Selon vos explications, nous avons le sentiment que chacun, dans cette armée française, faisait ce que bon lui semblait.

M. Bernard Vandomme : Nous manquions de matériels, ce qui n’était pas de la faute des Colonels. Un chef de corps, c’est un gérant. S’il ne reçoit que 20 camions sur les 30 qui lui sont nécessaires pour travailler, il devra néanmoins accomplir sa tâche avec les véhicules disponibles. Idem pour les effectifs. Si 300 personnes sont nécessaires pour que son régiment tourne correctement et qu’il n’en reçoit que 100, il devra néanmoins s’en accommoder. Tout vient du haut niveau.

M. Charles Cova, Vice-président : Ma dernière question est plus personnelle. Vous êtes maintenant marié. Avez-vous des enfants ?

M. Bernard Vandomme : Nous avons rencontré des problèmes à ce sujet. Ma femme a été enceinte une première fois, puis elle a fait une fausse-couche spontanée. La seconde fois, enceinte de deux mois, lors d’une visite de contrôle, le médecin l’a informée que l’enfant était mort, d’où l’obligation de subir un curetage. Actuellement nous avons fait une demande d’adoption.

M. André Vauchez : Vous avez abondamment évoqué, au début de votre propos, les différentes phases qui se sont déroulées en Afrique, puis en France, avant votre envoi en Arabie Saoudite. Je ne fais pas bien le lien avec la mission que vous deviez accomplir dans le Golfe. Avez-vous le sentiment d’avoir été utile pendant ces longs mois passés en Afrique puis dans le Golfe avant de rentrer en France ?

M. Bernard Vandomme : Honnêtement non. Je suis mécanicien. Quand j’ai été rappelé de la République Centrafricaine, mon Commandant d’unité, qui était en France, n’en avait même pas été informé. Lorsque je suis arrivé dans le Golfe, je me suis vraiment demandé pourquoi j’avais été rappelé. Je n’apportais aucun savoir-faire particulier. Je pense même avoir plutôt été une charge pour les militaires du détachement car ils n’avaient déjà pas suffisamment de matériel pour eux-mêmes !

M. André Vauchez : Comment ressentez-vous cela maintenant ?

M. Bernard Vandomme : Avec le recul, il me semble qu’à l’époque, il y avait un problème majeur de matériel, c’est-à-dire un problème d’origine financière. Tant que nous faisions des man_uvres en temps de paix, ce problème restait invisible ; mais il est réellement apparu au moment de la guerre du Golfe.

A l’époque, en tant que Force d’Action Rapide (FAR), notre rôle était d’intervenir à différents endroits dans le monde. Je trouve anormal que des régiments faisant partie de la FAR, au moment où ils devaient intervenir, se soient retrouvés sans moyens. Cela laisse supposer que les fonds nécessaires soit n’avaient pas été débloqués pour équiper les régiments, soit avaient été débloqués mais utilisés à d’autres fins.

Tous les collègues qui m’ont précédé dans le Golfe, alors que j’étais encore en République Centrafricaine, n’avaient aucun équipement, ni même de lit pour dormir. Un Colonel m’a même avoué dernièrement qu’il avait manqué beaucoup de matériels. Ce sont les navires civils, qui font la navette entre Toulon et la Corse, qui ont dû venir nous rechercher. Peut-être trouvez-vous cela normal, moi non ! Une armée, qui possède ses propres navires, doit pouvoir conduire et venir rechercher ses hommes. J’estime que le Gouvernement de l’époque n’avait pas mis les moyens nécessaires pour équiper cette armée.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Ce manque d’équipements s’applique-t-il aux tenues « NBC », aux appareils de détection, ou au couchage, au toilettage, à la nourriture, aux armes, etc. ?

M. Bernard Vandomme : Mon appréciation porte sur l’ensemble. Il manquait beaucoup de matériels tant pour les douches et le couchage que pour les armes.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Durant votre séjour dans le Golfe, avez-vous suivi des formations par rapport aux cadres qui étaient avec vous ?

M. Bernard Vandomme : Non, pas du tout.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Avant de rentrer en Irak, vous évoquez un épisode, qui s’est déroulé en Arabie Saoudite, au cours duquel des militaires du Génie sont venus enterrer des matériels. L’hypothèse d’alertes chimiques avérées qui auraient donné lieu à une contamination de ces matériels, vous semble-t-elle plausible ?

M. Bernard Vandomme : J’ai toujours pensé qu’un événement avait eu lieu cette nuit-là. On manquait déjà de matériel, alors pourquoi en détruire ! De plus, comme nous partions seulement vers la frontière irakienne, il n’était pas logique de détruire du matériel, notamment des groupes électrogènes en bon état.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Avant d’enterrer le matériel, y a-t-il eu un événement particulier tel qu’un bombardement ou des alertes chimiques ?

M. Bernard Vandomme : Il y a eu l’offensive aérienne lancée par les Américains lors de laquelle nous avons reçu l’ordre de revêtir la tenue « NBC » et le masque à gaz. Vers 3 ou 4 heures du matin, nous avons reçu l’ordre de quitter la zone car nous attendions, soi-disant, l’ordre du Président de la République de l’époque. C’est au petit matin que tout ce matériel a été détruit.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : A quelle date a eu lieu cet événement ?

M. Bernard Vandomme : Il s’est déroulé lors de l’offensive aérienne lancée par les Américains en janvier, bien avant l’offensive sur l’Irak. Ensuite les troupes se sont dirigées vers la frontière irakienne où elles sont restées positionnées un mois en attente.

M. Claude Lanfranca, co-rapporteur : Enterrer du matériel contaminé par des produits chimiques suppose un fort degré de contamination, susceptible d’entraîner le décès des personnels se trouvant à son contact. Or il n’y a eu aucune mort d’homme jusqu’à ce jour. Cette hypothèse me paraît donc peu probable.

M. Bernard Vandomme : En conclusion, je voudrais souligner qu’un médecin du CHU de Nîmes, le docteur Gris, m’a indiqué que tous mes symptômes sont équivalents à ceux d’une personne âgée d’au moins 80 ans. Il m’a adressé un courrier dans lequel il mentionnait que ces symptômes correspondaient, selon lui, aux symptômes décrits chez les vétérans américains de la guerre du Golfe. Toutefois, à son niveau, il ne disposait pas de suffisamment d’informations, hormis celles qu’il a pu lire dans les revues médicales.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Ce dossier, qui est devant vous, est une compilation de vos échanges. Pourriez-vous nous en remettre une copie ?

M. Bernard Vandomme : Tout à fait. Le voici.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Je vous remercie de votre témoignage.


Source : Assemblée nationale (France)