Troupes de l’OTAN déployées pour la KFOR, 2003.

Lors du débat précédant le référendum sur le traité constitutionnel européen en France, on vit certains adversaires du texte déplorer que ce traité lie explicitement la défense européenne à l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) dans son article I-41. Certains responsables politiques exprimèrent alors leur crainte de voir une Europe dépendant indéfiniment de l’armée états-unienne. Toutefois, ces réticences ne furent pas centrale dans la campagne référendaire. Il s’agit pourtant d’une des rares occasions où la permanence de l’Alliance atlantique malgré la fin de la Guerre froide fut contestée. En effet, bien qu’elle ait perdu a priori sa raison d’être avec la fin de la Guerre froide, l’Alliance atlantique ne cesse de s’accroître et la question de sa dissolution ne semble pas être médiatiquement un débat acceptable. Dans le même temps, on voit les thuriféraires de l’alliance de l’Europe et des États-Unis poursuivre sans relâche leur défense d’une structure dont ils ont redéfinis les rôles.

Une alliance sans adversaire

On prête à Lord Ismay, premier secrétaire général de l’OTAN, la citation suivante concernant le rôle de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord : « Garder les Américains à l’intérieur, les Russes à l’extérieur et les Allemands en-bas. » [1] Cette phrase illustre la fonction duale de l’alliance militaire. Si celle-ci se présentait uniquement, durant la Guerre froide, comme un moyen d’assurer la sécurité de l’Europe occidentale contre la menace soviétique, cette organisation fut également la structure au travers de laquelle Washington put peser politiquement en Europe sur ses vassaux européens. Cette ingérence politique états-unienne s’embarrassa rarement de scrupules et passa même parfois par des méthodes terroristes [2].

Le 1er juillet 1991, l’auto-dissolution du Pacte de Varsovie, pendant de l’OTAN dans le Bloc de l’Est, mettait fin à la raison d’être officielle du traité de l’Atlantique Nord. Pourtant, aujourd’hui, l’OTAN existe toujours et est même dans une phase d’extension. Comprenant 12 membres lors de sa création le 4 avril 1949 [3] et 16 membres lors de la dissolution du pacte de Varsovie [4], l’alliance atlantique en compte désormais 26. Les nouveaux membres faisaient autrefois partie du Pacte de Varsovie et certaines sont même d’ex-Républiques soviétiques [5]. À ce chiffre ont pourrait presque ajouter une partie des 20 membres du Partenariat pour la Paix, structure d’associations entre l’OTAN et certains États servant parfois d’antichambre à l’adhésion.

États membre de l’OTAN.

Mais dès lors que le monde bipolaire n’existe plus, comment expliquer et justifier auprès des populations cet élargissement sans fin ? Comment même justifier la permanence de cette organisation militaire permettant aux États-Unis d’exercer un poids militaire en Europe ? En effet l’OTAN ne peut plus afficher un adversaire comparable à l’URSS de naguère pour justifier des déploiements de bases et et d’une ingérence politique. Les dirigeants atlantistes ont donc dû réinventer une nouvelle doxa présentant cette structure comme indispensable.

Stabiliser l’Europe au nom du « Bien »

Les conflits consécutifs à la dislocation de la Yougoslavie furent l’occasion pour l’Alliance atlantique d’agir sur un théâtre d’opération européen. D’abord en mettant en place une flotte dans l’Adriatique afin d’assurer l’embargo sur les armes aux belligérants lors de l’opération Sharp Gard, puis, à partir de 1995, en mettant en place une force de maintien de la paix en Bosnie-Herzégovine.

Durant ces opérations, on vit se développer une rhétorique prétendant que l’Europe était incapable d’assurer la sécurité sur son propre sol sans l’aide des États-Unis - une aide exercée dans le cadre de l’OTAN. Ces arguments s’accompagnèrent de la construction d’un discours sur l’importance nouvelle des actions militaires humanitaires. D’après cette rhétorique, du fait de l’éclatement de l’ex-bloc soviétique, les anciens équilibres étaient rompus et on assistait à de nouveaux conflits, opposants souvent les populations d’un même État entre eux. Du fait de la fin du monde bipolaire, il était également, enfin, possible d’intervenir dans certains pays où le pouvoir politique s’attaquait à sa propre population. On vit naître les concept d’État en déliquescence (« failed state ») et de « devoir d’ingérence » : quand un État était devenu incapable de protéger ses citoyens ou quand il organisait lui même leur extermination, il était du devoir de la communauté internationale d’intervenir, relevant de leurs fonctions en quelques sorte les autorités coupables ou incompétentes.

Ce sont ces arguments qui furent utilisés pour justifier le bombardement de la Serbie par l’OTAN en 1999. Se basant sur une propagande faisant des nationalistes serbes et du président Slobodan Milosevic les seuls responsables de massacres ethniques, dont on exagéra alors l’importance, l’OTAN déclencha une « guerre humanitaire » dont l’objectif affiché était l’arrêt de ce qui était présenté comme un « génocide ». L’OTAN mena cette attaque sans changer ses statuts mais en agissant ainsi elle changea de nature. En effet, l’organisation n’est sur le papier qu’une alliance défensive chargée de la sécurité de chacun de ses membres. En attaquant la Serbie, elle se transformait de facto en une coalition agressive se reconnaissant le droit d’attaquer un État souverain sans l’accord du Conseil de sécurité de l’ONU. Mais maniant les arguments moraux et s’appuyant sur un discours opposant la lutte des démocraties occidentales face à la dictature et utilisant la rhétorique du « droit d’ingérence », elle parvint à faire accepter 78 jours de bombardements illégaux comme une victoire de la justice sur la barbarie. Accusant les opposant au conflit d’être des partisans de « la grande Serbie » ou des complices de la barbarie, les propagandistes atlantistes parvinrent à museler ceux qui les contestaient et à détourner les citoyens européens de la vraie question que posait la transformation de l’OTAN. Bien que rares aient été les thuriféraires de l’alliance à aller aussi loin, l’OTAN fut globalement présentée comme une alliance militaire au service du « bien » et de la stabilité en Europe. Cet argument sert encore à justifier les adhésions des pays de l’Europe orientale.

Le président serbe Boris Tadic au siège de l’OTAN, le 19 juillet 2006.

Encore aujourd’hui, chaque extension de l’OTAN est présentée positivement au nom de la démocratie. Chaque nouvelle adhésion est l’occasion pour les dirigeants atlantistes de rappeler l’attachement aux « valeurs communes » euro-atlantiques et de présenter l’adhésion du nouvel État comme l’assurance de stabiliser la démocratie dans ce pays. Exemple saisissant de cette logique, la Serbie, qui a été victimes de bombardements illégaux et qui a été victime de crimes de guerre commis par l’Alliance, voit désormais son statut démocratique jugé à l’aune de ses relations avec l’OTAN. Après avoir été la victime de l’Alliance atlantique, la Serbie réclame aujourd’hui l’adhésion au Partenariat pour la Paix, ce qui est présenté comme une preuve de l’évolution démocratique du pays [6].

Toutefois, l’argument de la pacification et de la stabilisation de l’Europe n’est plus aussi central depuis le déclenchement de la « guerre au terrorisme ». Le 11 septembre 2001 a ouvert la voie à une nouvelle justification de l’existence de l’OTAN, prémisse d’un nouvel accroissement de ses compétences.

L’OTAN face aux « nouvelles menaces »

Les attentats de New York et de Washington le 11 septembre 2001 offrirent une nouvelle réponse à la question de l’utilité de l’OTAN. En effet, suite aux attentats et en pleine émotion suscitée par les images des tours jumelles s’effondrant, les pays de l’alliance atlantique se sont déclarés prêt à agir en soutien des armées états-uniennes. Ils invoquèrent l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord. Ce texte stipule qu’« une attaque armée contre l’un ou plusieurs des pays alliés, en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque contre tous les alliés ». C’est en vertu de l’application de ce traité que les forces de l’OTAN, participèrent à l’attaque de l’Afghanistan et au renversement du régime, remplacé par celui d’Hamid Karzaï, suivant les affirmations de Washington sur l’implication du gouvernement afghan dans les attentats.

Cette attaque fut la première organisée en dehors d’Europe. Après l’attaque de la Serbie créant une jurisprudence sur la possibilité pour l’OTAN d’attaquer un pays ne représentant pas une menace et d’agir sans accord de l’ONU, l’attaque de l’Afghanistan ouvrait encore davantage le cadre d’action de l’Alliance atlantique en ne limitant plus son action à l’Europe et à l’Amérique du Nord. Mais, plus important encore, elle faisait entrer l’Alliance atlantique de plein pied dans « la guerre au terrorisme ». Cette dernière fut même présenté, dès lors, comme la nouvelle raison d’être de l’organisation. L’ex-ambassadeur états-unien à l’OTAN, R. Nicholas Burns, s’en réjouit notamment dans une tribune publiée par l’International Herald Tribune en octobre 2004 [7].

Le secrétaire général de l’OTAN Jaap de Hoop Scheffer et le president afghan Hamid Karzaï, le 20 juillet 2006.

L’Alliance adopta la rhétorique bushienne sur le terrorisme, cessant de le faire apparaître comme une méthode, utilisée par certains groupes armés ou par des États, pour le présenter comme un adversaire en soi et l’assimiler à l’extrémisme islamiste. Partant du principe que chaque pays de l’alliance pouvait être désormais victime du terrorisme et que la réponse adéquate au terrorisme était d’ordre militaire, l’alliance pu construire un discours légitimant sa permanence fondée sur la lutte « nécessaire » contre « le terrorisme » menaçant « la démocratie ». L’OTAN utilisa donc la même justification que le Pentagone pour obtenir l’augmentation de ses budgets et souscrit au concept de « Choc des civilisations ».

Rappelons le : le « Choc des civilisations » développé par Samuel Huntington n’est pas une simple théorie sur l’évolution des relations internationales, c’est une idéologie qui a été construite progressivement dans les années 90 pour offrir un ennemi de remplacement à l’URSS et justifier le maintien, puis le développement, des fonds alloués au complexe militaro-industriel. Aujourd’hui, rares sont les analystes et experts médiatiques des relations internationales qui rejettent cette analyse. L’ancien conseiller de sécurité nationale du président états-unien Jimmy Carter, Zbigniew Brzezinski, est aujourd’hui l’un des rares à contester cette vision du monde qu’il considère comme contre-productive pour les intérêts états-uniens [8].

La théorie du « Choc des civilisations » offre la vision d’un complot islamique mondial à la dangerosité égale, voire supérieure, à celle du Bloc soviétique et justifie des interventions militaires dans les zones comprenant les derniers stocks importants d’énergies fossiles [9]. En effet, selon Washington la plus grande menace actuelle pour les pays occidentaux seraient l’acquisition par « les terroristes » d’« armes de destruction massive » qui pourraient leur être donner par des États hostiles. Tout comme de parler de « terroristes » comme de membres d’un groupe globalement unifié, parler d’armes de destruction massive est un non-sens. Cette expression désigne en effet à la fois des armes chimiques, comme les gaz de combats, et des armes nucléaires. Si elles peuvent susciter une peur équivalente pour une population mal informée, il ne s’agit toutefois pas du tout des mêmes armes et la réponse à apporter n’est absolument pas la même. Toutefois, la lutte pour empêcher ces armes de tomber entre de « mauvaises mains » est un slogan mobilisateur, rarement remis en cause.

Construisant un complot islamique mondial pouvant frapper n’importe où, cet axe de propagande justifie le maintien de dépenses militaires élevées et le déploiement important de troupes dans les zones « soupçonnées » de devenir des « repaires » de terroristes. Elle permet également de justifier de menacer des pays accusés de vouloir donner des armes mortelles aux groupes terroristes.

Cette explication des relations internationales a eu un succès fou dans les médias dominants européens et notamment en France. En effet, cette vision du monde a permis de justifier le rejet des revendications égalitaires des populations issus des anciennes colonies, assimilés aux musulmans, en faveur de plus d’égalité avec les Français dits « de souche » [10]. Le mythe du grand complot musulman sert de béquille à une idéologie coloniale devenue difficilement affichable.

Dans ce contexte, l’OTAN n’eut aucun mal à justifier son maintien et elle a même revendiqué, en Europe, de jouer un rôle de premier plan dans la « guerre au terrorisme ». Ainsi, le secrétaire général de l’OTAN, le chrétien-démocrate néerlandais, Jaap de Hoop Scheffer, a insisté lors d’un discours prononcé à New York en novembre 2004, devant le Council on Foreign Relations, sur la pertinence de l’analyse états-unienne du terrorisme, sur la nécessité pour l’Europe d’y souscrire et sur le rôle que l’OTAN avait à jouer dans ce combat [11]. Récemment, au nom de la « guerre au terrorisme », les forces de l’OTAN se sont déployées en Allemagne pour s’assurer qu’aucun attentat ne frappe la Coupe du monde de football. Ce déploiement, rarement commenté dans la presse européenne, a suscité la joie de l’analyste néoconservatrice du Wall Street Journal, Melanie Kirkpatrick, qui y a vu un signe de la dimension « globale » que prenait l’alliance [12].
En effet, en adoptant comme préoccupation principale la lutte contre « le terrorisme », l’alliance a ouvert la voie à une redéfinition de son organisation.

Face à de nouveaux enjeux, une redéfinition de l’organisation

Toutefois, si la définition d’un nouvel ennemi a été effectué avec brio et que le rôle de l’OTAN dans cette lutte est souligné par ses partisans, il ne suffit pas de justifier qu’il faille plus de moyens à l’alliance atlantique, il faut le faire accepter aux dirigeants européens. Or, si les chefs d’États et de gouvernements d’Europe occidentale souscrivent généralement à la problématique de la « guerre au terrorisme » dans leurs discours et reconnaissent éventuellement le rôle que l’OTAN pourrait jouer dans la lutte contre le « terrorisme international », ils rechignent dans les négociations à accorder les moyens qu’exige l’alliance. C’est ce qui ressortit notamment de la pompeuse cérémonie qu’organisa l’OTAN en février 2004 pour célébrer l’adhésion de ses nouveaux membres.

Les dirigeants européens s’expriment peu sur leur manque d’enthousiasme à soutenir les réformes voulues par Washington afin de faire des troupes de l’OTAN de bons supplétifs de l’armée états-unienne mais, aux États-Unis, cette situation agace. C’est ce que ne manqua de noter l’analyste conservateur du Washington Post, Jim Hoagland [13], espérant toutefois que les difficultés intérieures rencontrées par l’actuel gouvernement français et le départ de Gerhard Schröder de la chancellerie allemande ouvrirait une période favorables aux projets états-uniens.

Il faut toutefois noter que les thuriféraires traditionnels de l’Alliance atlantiques commentent peu les réformes militaires que l’OTAN doit engager. On rappelle qu’il est nécessaire que les différentes armées de l’Alliance conservent une « compatibilité » et que cela nécessite des « adaptations » des armées des pays membres, mais on ne s’étend pas. En effet, en développant trop ces questions on risquerait d’être obligé d’admettre que la « compatibilité » des forces militaires est l’expression politiquement correcte pour désigner l’obligation faite aux membres de l’OTAN d’acheter du matériel militaire états-unien et apparenterait trop les négociations de l’alliance à un racket du complexe militaro-industriel. Lockheed Martin n’est-il pas le fondateur, via son vice-président Bruce P. Jackson, du Comité états-unien pour l’élargissement de l’OTAN (US Committee to Expand NATO) [14] ? Toutefois, rares sont les responsables favorables à l’OTAN à souligner cette dimension. Les réactions dans l’opinion à l’achat par la Pologne de quarante-huit F16 avec des fonds européens en décembre 2002 ont démontré qu’il s’agit d’un sujet sensible.

Les soutiens de l’OTAN préfère éluder le sujet en parlant de la nécessité de développer l’action de l’Alliance dans certaines zones du monde d’où elle est absente, au nom de la « guerre au terrorisme », laissant de côté les aspects « techniques » que de tels déploiements impliquent.

Ainsi, R. Nicholas Burns, dans la tribune de l’International Herald Tribune citée plus haut, se réjouissait de l’implication de l’OTAN dans la formation des troupes irakiennes par la Coalition d’occupation, demandait que des efforts se poursuivent dans ce sens et se contentait d’appeler à ce que l’alliance « s’adapte » à ces nouvelles missions. Lors de la première visite que Jaap de Hoop Scheffer a mené dans les pays du Golfe, la problématique développée était la même. Lors d’une conférence sur le rôle de l’OTAN dans le Golfe arabo-persique organisée conjointement par l’OTAN et la Rand Corporation, l’auteur a présenté les évolutions de l’Alliance et appelé au partenariat avec les États du Golfe. M. De Hoop Scheffer a loué la collaboration de ces pays et de l’Alliance atlantique au sein de l’Initiative d’Istanbul et l’a justifiée au nom des évolutions géopolitiques et des transformations des régimes locaux. Ainsi, il plaçait l’OTAN comme une organisation soutenant les réformes démocratiques régionales (utilisant les mêmes arguments que pour justifier les adhésions des pays de l’Est) et étendant sa protection (bienveillante) aux nations en voie de démocratisation face à la nouvelle menace globale que serait le terrorisme international.

Présenter l’alliance comme une organisation regroupant les démocraties contre le terrorisme nécessite également de repenser les adhésions. Ainsi, l’ancien président du gouvernement espagnol, José-Maria Aznar, qui est avec Vaclav Havel l’un des deux principaux responsables européens du courant néo-conservateur, a fait publier par son think tank, la Fundación para el análisis y los estudios sociales, un rapport réclamant un élargissement de l’OTAN à l’Australie, au Japon et à Israël afin de faire participer ces pays plus efficacement à la lutte contre le terrorisme [15]. L’OTAN deviendrait ainsi officiellement une « alliance des démocraties ». Bien que cet argument soit souvent entendu, il est pourtant historiquement faux. Le Portugal de Salazar en fut un membre fondateur, la Grèce du régime des colonels y eut toute sa place et, via le réseau stay behind, l’alliance participa à différentes tentatives de déstabilisations d’États membres ou de coups d’État. Il est vrai que l’Espagne n’adhéra formellement à l’alliance qu’en 1982, après la démocratisation espagnole. Toutefois, l’alliance ne fit rien pour soutenir cette démocratisation et mis tout son poids pour empêcher les communistes espagnols de trop peser sur le processus démocratique. M. Aznar demandait également, comme Jaap de Hoop Scheffer, un renforcement du poids de l’OTAN dans la « guerre au terrorisme », c’est à dire, concrètement, un renforcement des capacités d’ingérence politique des États-Unis en Europe.

La possible adhésion d’Israël à l’OTAN trouva un second souffle avec le développement de la crise iranienne. Ainsi, lors de la 42e conférence annuelle sur la politique de sécurité, qui s’est tenue à Munich les 4 et 5 février 2006, les trois cents participants ont évoqué l’élargissement de l’OTAN et la crise iranienne [16]. A priori, on ne voyait pas trop le lien imaginé par les organisateurs de la Conférence entre l’élargissement et la crise iranienne. Mais l’explication de texte avait été donnée juste avant par M. Aznar lors d’une présentation préparée par George Schultz à la Hoover Institution, puis dans une tribune publiée par le Wall Street Journal : l’OTAN devrait avoir pour mission de coaliser les États occidentaux ou occidentalisé pour vaincre le jihad en général (comprendre l’islam) et l’Iran en particulier. L’adhésion d’Israël à l’Alliance créerait une obligation à tous les autres États membres de porter secours à l’État juif s’il était attaqué par l’Iran, même en légitime défense.

Cette conférence intervenait un an après que M. Jaap de Hoop Scheffer soit le premier secrétaire général de l’OTAN à se rendre en Israël, suscitant sur place un débat sur l’utilité pour Israël de rejoindre l’OTAN. Depuis, cette question revient régulièrement.

Une question en appelant une autre, la transformation de l’OTAN en une grande alliance militaire des démocraties, ou du moins des régimes considérés comme tel à Washington, pourquoi ne pas faire de l’OTAN un substitut à l’ONU ? Si on considère que la démocratie est le seul régime acceptable, alors l’OTAN, qui les regroupe, devient la principale organisation légitime. Cet argument est encore peu développé, l’extension étant encore en marche, mais on le voit poindre épisodiquement dans les projets et discours des cercles atlantistes. Condoleezza Rice, comme Madeleine Albright avant elle, encourage régulièrement à la constitution d’organisation rassemblant, sous la direction des États-Unis, toutes les « démocraties » du monde. De son côté, Victoria Nuland, ambassadrice états-unienne auprès de l’OTAN et épouse du théoricien néo-conservateur Robert Kagan, a appelé dans le quotidien français Le Monde à une refonte de l’Alliance tout en se montrant floue sur la nature des transformations à mener. Toutefois, bien que l’ambassadrice ne fasse aucune proposition concrète, son texte révèle le projet états-unien pour l’OTAN. En demandant que l’Alliance atlantique devienne le lieu de rassemblement des démocraties et agisse dans le domaine militaire, humanitaire mais aussi dans le domaine économique (afin d’assurer la prospérité de ses membres), Mme Nuland substitue l’OTAN à l’ONU [17].

Toutefois, ces projets de transformations, même s’ils sont dans les têtes des dirigeants atlantistes ou états-uniens ne sont encore que des projets lointains et l’Alliance reste, pour l’instant, avant tout une organisation militaire servant à l’ingérence états-unienne en Europe, se légitimant par la lutte contre le terrorisme et servant également, comme lors de sa création, à laisser la Russie « dehors ». Ainsi, dans un texte largement diffusé dans les médias internationaux par le cabinet Project Syndicate et par le Council on Foreign Relations, le secrétaire à la Défense, Donald Rumsfeld a déclaré : « Aujourd’hui, notre attention se porte sur l’Irak et l’Afghanistan. Mais dans les années à venir, nos priorités changeront. Et ce que nous serons peut-être amenés à faire à l’avenir sera probablement déterminé par les choix que feront d’autres entités. Prenons l’exemple de la Russie […]. La Russie est le partenaire des États-Unis en matière de sécurité et nos relations, dans l’ensemble, sont bien meilleures qu’elles ne l’ont été depuis des décennies. Mais par certains côtés, la Russie s’est montrée peu coopérante et a utilisé ses ressources énergétiques comme une arme politique, par exemple, et a résisté aux changements politiques positifs se produisant chez ses voisins. » L’auteur pointait également la Chine comme adversaire potentiel.

Il s’agit là d’une reprise de la doctrine Baker, du nom de James Baker, l’ancien secrétaire d’État de George Bush père, qui voyait dans l’extension vers l’Est de l’OTAN un moyen d’empêcher toute reconstruction d’un adversaire russe. M. Rumsfeld adapte cette stratégie à l’idéologie du Choc des civilisations qui fait des puissances asiatiques russes et chinoises les adversaires à vaincre après en avoir fini avec « l’islamisme ».

Soldats de l’OTAN, quartier général Heidelberg.

[1Citation originale : « Keep the Americans in, the Russians out and the Germans down. »

[2« 1980 : carnage à Bologne, 85 morts », Voltaire, 12 mars 2004.

[3Belgique, Canada, Danemark, États-Unis, France, Islande, Italie, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni.

[4Les 12 signataires originels furent rejoints par la Grèce et la Turquie (1952), la République fédérale d’Allemagne (1955) et l’Espagne (1982).

[5La République tchèque, la Pologne et la Hongrie ont rejoint l’OTAN en 1999 et la Bulgarie, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Slovaquie et la Slovénie en 2004.

[7« The war on terror is NATO’s new focus », par R. Nicholas Burns, International Herald Tribune, 6 octobre 2004.

[8« Do These Two Have Anything in Common ? », par Zbigniew Brzezinski, Washington Post, 4 décembre 2005.

[9« La “Guerre des civilisations” », par Thierry Meyssan, Voltaire, 4 juin 2004.

[10« L’obsession identitaire des médias français », par Cédric Housez, Voltaire, 9 mars 2006.

[11Des extraits de cette interventions ont été reprise dans l’édition du 15 novembre 2004 du quotidien britannique The Independent sous le titre « Europe should wake up to the threat of terrorism ».

[12« NATO Goes Global », par Melanie Kirkpatrick, Wall Street Journal, 13 juin 2006.

[13« A Transformative NATO », par Jim Hoagland, Washington Post, 4 décembre 2005.

[14« Une guerre juteuse pour Lockheed Martin », Voltaire, 7 février 2003.

[15« La OTAN : Una allianza por la Libertad. Cómo transformar la Alianza para defender efectivamente nuestra libertad y nuestras democracias », Fundación para el análisis y los estudios sociales, décembre 2005. Voir à ce sujet « L’OTAN : Une alliance pour la liberté », par Cyril Capdevielle, Voltaire, 6 décembre 2005.

[17« Nouveaux horizons pour l’OTAN », par Victoria Nuland, Le Monde, 7 décembre 2005.