Le régime juridique actuel distingue donc le port de signes religieux - qui, on l’a vu, est autorisé - et le port « ostentatoire » de signes religieux, qu’il appartient aux autorités locales d’interdire. Or il apparaît extrêmement difficile de déterminer ce qu’est un port ostentatoire.

M. Rémy Schwartz, maître des requêtes au Conseil d’État, lors de son audition40 a reconnu les difficultés rencontrées pour définir la notion : « J’ai conclu à plusieurs reprises sur cette question et j’ai avoué, à titre personnel, ma difficulté pour apprécier ce qui est ostentatoire. Il faut sans doute faire appel au bon sens : une tenue islamique telle la burka serait bien évidemment considérée comme ostentatoire, mais il y a, au-delà, des marges entre la burka et le port d’un petit signe religieux. La jurisprudence étant lacunaire sur ce point, je suis incapable de vous dire, en l’état de la jurisprudence, ce qui est regardé ou non comme ostentatoire. »

L’encadrement du port de signes religieux relevant des chefs d’établissement, ceux-ci sont amenés à définir, eux-mêmes, ce qui est ostentatoire et à mettre en œuvre des compromis dont la validité juridique reste aléatoire.

Les solutions pour les chefs d’établissement sont extrêmement diverses. Face à une situation de crise, ils sont amenés à accepter le port du voile en bandeau (laissant apparaître les cheveux des jeunes filles), le port de signes religieux dans la cour de récréation mais pas en classe, à tolérer le port de foulard de couleur ou blanc : on assiste ainsi à l’émergence d’un véritable « droit local ».

Ce constat est partagé aussi bien par les chefs d’établissement que par les responsables politiques.

Auditionné par la mission, M. Pierre Coisne41, principal du collège Auguste Renoir d’Asnières (Hauts de Seine), a constaté « je dirais qu’il existe une variété de situations qui nous entraînent vers une variété de réponses, nous incitent au louvoiement et conduisent à un droit local. Les autorités de l’Education nationale nous incitent à opérer un droit à géométrie variable, le danger étant qu’il faut adapter à chaque fois les règles aux situations en raison du rapport de force tant avec les familles qu’avec le corps enseignant. »

Lors de son audition par la mission2, Mme Micheline Richard, proviseure du lycée Ferdinand Buisson d’Ermont (Val d’Oise) a expliqué de la même façon : « une de mes jeunes filles portait un voile noir en début d’année. J’ai demandé conseil à une de mes collègues. Elle m’a répondu : « chez moi, elles mettent un foulard avec des fleurs. Je ne veux ni du noir, ni du blanc. » Pourquoi du noir, du blanc ou des fleurs ? » De même, Mme Thérèse Duplaix, proviseure du lycée Turgot de Paris 3ème, a affirmé2 : « La loi est un cadre. Actuellement, nous n’avons pas de cadre, ce qui autorise tous les petits arrangements et fait que nous naviguons entre le noir, les fleurs et autres compromis. »

Interrogé par la mission, M. Xavier Darcos, ministre délégué à l’enseignement scolaire42 a repris le terme : « on voit apparaître une sorte de droit local. Les chefs d’établissement doivent faire du cas par cas. Ici, ils tolèrent le bandeau, là ils ne disent rien et s’arrangent, aménagent un peu les cours, à l’image de certains maires qui ouvrent les piscines à tel moment pour qu’il n’y ait que les musulmans, à tel moment pour qu’il y ait tel autre groupe. On arrive à une sorte de « bricolage » réglementaire local qui, si l’on n’y prend pas garde, installera une sorte de confusion par rapport au principe que nous voulons affirmer. »

Le système juridique actuel conduit donc à subordonner les conditions d’applications d’une liberté fondamentale, à des circonstances locales et à une pluralité de décideurs. Cette situation n’est pas satisfaisante.

Alors que le principe de laïcité est en cause, et donc la capacité de l’école à préserver un espace protégé, à l’abri des pressions communautaristes, les chefs d’établissement ont le sentiment d’établir des compromis fragiles, voire de « reculer » face aux revendications identitaires.

Légiférer sur le port de signes religieux à l’école ne vise donc pas à rendre plus « facile » la situation des chefs d’établissement confrontés à des revendications identitaires, mais à éviter de fabriquer des compromis peu satisfaisants et précaires pour l’application d’un principe aussi fondamental que le principe de laïcité.

Votre Président considère qu’on ne peut se contenter de ce « bricolage réglementaire local », alors que le port de signes religieux constitue parfois un « test » des valeurs républicaines et du principe de laïcité.


Source : Assemblée nationale française