(jeudi 28 juin 2001)
M. Jean Gagnon : A Potocari, les hommes et les femmes ont été séparés dans le but de faire un tri à Bratunac pour savoir s’il y avait, parmi eux, des combattants. C’était la raison donnée. C’était le piège, et les Hollandais sont tombés dans ce piège. Les hommes étaient dirigés vers la gauche, vers cette maison que l’on appelle la maison inachevée, et par la suite, étaient envoyés dans la maison blanche, que nous allons apercevoir dans quelques instants, pour la fouille.
Les hommes ont tous été fouillés et mis à bord des autobus et des camions pour les emmener vers Bratunac, tandis que les femmes étaient de l’autre côté et prenaient des autobus pour aller vers Kladanj et la Fédération de Bosnie. C’étaient des autobus de la région qui avaient été mobilisés pour les hommes, d’un côté, et les femmes et les enfants, de l’autre. C’est le 12 juillet que tout a commencé.
A gauche, vous avez une maison qui n’est pas terminée où sont maintenant installés des réfugiés. C’est là qu’il a été procédé au premier tri parmi les hommes. Les hommes, à l’arrière de la maison blanche, ont été fouillés, puis envoyés vers les autobus qui les ont emmenés vers Bratunac. Le tri s’est terminé le 12 juillet. Ce jour-là, le général Mladic est venu adresser la parole aux réfugiés qui étaient ici derrière, pour leur dire que rien ne leur arriverait. C’est ce que l’on a pu voir à la télévision. Il y avait des familles partout, à l’intérieur des usines, sur les côtés, dans la rue, et il y avait une barrière. Les hommes âgés et les plus jeunes étaient restés avec les familles. Il y a eu un double tri.
Il y avait ici le bâtiment du bataillon hollandais. Environ 6 000 personnes s’y étaient réfugiées. Dans quelques minutes, nous allons arriver à la fin de l’enclave, qui se situe au niveau du pont et du point d’observation des Hollandais pour protéger l’enclave, à partir du Nord. Les trois rencontres de négociations entre le général Mladic et le colonel Karremans ont eu lieu dans l’hôtel Fontana, à droite en tournant sur la route de Bratunac. Les hommes, qui ont été séparés de leurs familles à Potocari et mis sur des camions ou dans des autobus en direction de Bratunac, ont été rassemblés dans un hangar à Bratunac.
Le 11 juillet, à 22 heures, il y a eu une première rencontre entre le général Mladic et le colonel Karremans. Le 12 juillet, il y a eu une deuxième rencontre.
A la prochaine étape, nous allons nous arrêter à Glogova où nous avons découvert une fosse commune dont nous n’avons pas encore terminé l’exhumation. Mais au mois d’août, nous reviendrons sur le site de Glogova pour achever les travaux d’exhumation. Environ 2 000 corps ont été exhumés sur le site de Srebrenica.
Sur le chemin, je vais vous montrer les fosses où ont été retrouvés les corps de personnes exécutées ici. L’été dernier, on a trouvé, à l’intérieur d’une fosse ici, la porte d’un entrepôt d’où les corps avaient été exhumés. En tant qu’enquêteur du tribunal, nous cherchons toujours les preuves indiquant où les gens ont été exécutés, où le crime a eu lieu. Ici on a donc trouvé cette porte. Par ailleurs, les témoins et les survivants du point d’exécution que vous allez voir nous ont aidés, sans compter les nombreuses pièces automobiles qui se rattachaient à cet entrepôt. En effet, lorsque nous avons exhumé ce site, nous avons trouvé des pièces d’automobile, des moteurs. Cela permet de corroborer les témoignages des survivants et de lire l’histoire, lorsque nous exhumons des corps. La présence de ces pièces s’explique par le fait que, lorsqu’on ramassait les corps avec des machines, on ramassait tout ce qui était autour et on enterrait le tout.
La fosse commune était ici et s’étendait jusqu’à une cinquantaine de mètres, elle était ouverte. Nous avons une autre fosse commune qui se trouve là. La fosse commune est délimitée par les arbres. Ici nous avons un autre site. Ils n’ont pas transporté tous les corps dans des fosses secondaires. Pour voler les corps, ils ont fait le travail de nuit et ceux qui ont fait ce travail peu intéressant l’ont fait de manière mécanique en mettant les corps dans des camions. Ils ont fait cela la nuit pour éviter les images satellitaires ou les avions U2 des Américains qui prenaient des photos pendant le jour. Ils ont tenté de tout camoufler en faisant cela la nuit.
Dans ce secteur, on estime à plus de 1 000 le nombre de corps ensevelis. L’an passé, j’ai travaillé sur ce site d’exhumation où un enquêteur travaille encore cette année. Beaucoup de personnes reviennent. A quelques kilomètres d’ici, certaines sont venues spontanément nous voir pour nous dire qu’elles avaient trouvé une fosse commune sur un terrain. On a pensé que c’était une petite fosse commune, mais on a exhumé plus de 50 corps. Nous devons y retourner cette année pour achever nos travaux.
C’est un travail très ardu parce que nous cherchons les preuves pour savoir quelles ont été les armes utilisées et le lieu de l’exécution. On tente d’identifier les personnes en cherchant leurs vêtements. C’est difficile parce qu’ils étaient fouillés et volés dans la maison blanche. D’autres personnes ont été exécutées un peu plus loin d’ici, mais elles n’ont pas été transportées de Potocari à Bratunac. Ce sont des personnes qui ont quitté le village de Susnjari par la colonne, en passant par les forêts. A un moment donné, comme les Serbes attaquaient des deux côtés pour détruire la colonne le plus possible, beaucoup se sont rendus.
De plus, elles ont été trompées parce que les Serbes avaient volé de l’équipement hollandais. Au tout début, les Hollandais se chargeaient de l’escorte totale des autobus qui quittaient Potocari pour se rendre à Kladanj, mais lors de leur retour, ils se sont fait voler leurs véhicules, leurs matériels, leurs Casques bleus et leurs gilets pare-balles. Les Serbes se servaient de cet appât pour attirer et mettre en confiance les gens, en leur disant qu’ils faisaient partie de l’ONU. Mais le cours de l’histoire nous a permis de comprendre qu’ils ont été tués.
(Il déroule une carte.) M. Ruez s’est servi de la même carte. Nous sommes ici à Glogova. On a pu déterminer avec les sols, les pollens, les douilles des armes à feu que les corps avaient été transportés vers Zeminjada. Maintenant, suite à l’enquête de l’an passé et à l’exhumation de ce site, on peut dire que des corps ont été transportés et exécutés à Kravica Warehouse, un entrepôt à environ deux kilomètres d’ici. Nous n’avons pas encore exhumé les fosses secondaires. Nous faisons seulement des tranchées pour déterminer si nous sommes aux bons endroits. Nous avons repéré ces fosses. Etant donné l’éloignement de ce site, nous nous attaquons d’abord à cette partie-là.
Nous reprenons la route. On va ralentir en arrivant à Kravica. En 1996, des techniciens en identité judiciaire se sont rendus sur les lieux et ont trouvé du sang, des cheveux, de la chair, tout ce que vous voulez, sur les murs de l’entrepôt. Même si les Serbes avaient tenté de nettoyer les lieux, nous avons trouvé des preuves.
Par la suite, nous irons à Stonovic Polje, mais sans nous arrêter. Sur la carte, vous voyez ici la route, les hommes qui sont partis par les forêts se sont réunis ici à Susnjari. Ils ont marché vers cette direction. Leur but était de traverser les routes principales. Vous avez une route principale qui relie Bratunac à Konjevic Polje, et de Konjevic Polje à Milici. Les hommes se dirigeaient dans cette direction pour arriver le plus vite possible à Tuzla.
Mais l’armée serbe n’avait pas prévu qu’un si grand nombre de personnes partirait par les forêts. Les premières ont pu passer parce que l’armée serbe n’était pas prête. Mais lorsqu’elle a été prête, elle a refermé l’enclave, beaucoup d’hommes se sont rendus et on ne les a jamais revus.
Source : Assemblée nationale (France)
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