Procès-verbal de la séance du 1er avril 2002

Présidence de M. Patrick Ollier, Président

Les témoins sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation du Président, les témoins prêtent serment.

M. le Président : Monsieur et Madame Termignon, vous êtes tous deux délégués syndicaux affiliés au SNPC, syndicat qui représente le personnel navigant commercial.

La commission va procéder à votre audition.

Mme Sofia TERMIGNON : Lorsque Holco a repris les sociétés AOM et Air Liberté le 1er août 2001, la situation financière n’était guère brillante, voire désastreuse, dans la mesure où les prédécesseurs avaient laissé deux entreprises déficitaires. Je ne reviens pas longuement sur le sujet ; c’est un autre débat, mais peut-être l’aurons-nous si vous le souhaitez.

Depuis le début de la reprise d’Air Liberté-AOM par Jean-Charles Corbet, en tant que membres du comité d’entreprise - à l’époque, je n’étais pas élue contrairement à mon époux, mais représentante syndicale ; nous n’avons jamais obtenu d’éléments clairs sur la situation financière d’Air Lib.

M. le Président : De quelle période parlez-vous ?

Mme Sofia TERMIGNON : Depuis le début, depuis la reprise par Holco-Jean-Charles Corbet des entreprises AOM-Air Liberté le 1er août et dès le premier comité d’entreprise au mois de septembre, nous avons toujours posé la question de la situation financière de l’entreprise. Nous n’avons jamais eu de réponse à cette question.

M. le Président : Vous nous dites que, depuis le début, vous n’avez jamais eu de précisions sur la situation financière.

Mme Sofia TERMIGNON : En effet. La question était pourtant toujours inscrite à l’ordre du jour du comité d’entreprise. Vous pouvez reprendre les différents procès-verbaux depuis la cession de l’entreprise : le sujet était récurrent et revenait à chaque réunion.

M. le Président : Les syndicats n’ont pas tous la même appréciation de la situation.

Mme Sofia TERMIGNON : Je le sais. Mais nous n’avons pas dû tous avoir les mêmes informations. C’est ce que je constate aujourd’hui. Des informations nous font défaut.

Le document tant attendu n’est arrivé qu’au mois de janvier dernier. Je ne me souviens pas de la date exacte, mais je crois me souvenir qu’en janvier dernier un document analysant les flux de la trésorerie versée par Swissair à Jean-Charles Corbet-Holco a été livré. On y découvre les sommes assez élevées affectées à des filiales créées par Jean-Charles Corbet, en l’occurrence Mermoz Hollande à hauteur de 12,2 millions d’euros et Holco-Lux à hauteur de 5 millions d’euros.

On nous avait déjà parlé de l’existence de ces filiales. Mes collègues ont dû vous parler du droit d’alerte que nous avions voté précisément lors d’un comité d’entreprise. A défaut de recevoir des réponses claires, nous avions été dans l’obligation de recourir au droit d’alerte pour obtenir certaines précisions et nommer un expert-comptable qui avait toutes les connaissances financières et économiques pour réaliser l’analyse. Je ne puis vous livrer la date exacte...

M. Philippe TERMIGNON : C’était au mois de juin 2002.

Mme Sofia TERMIGNON : Je suis en possession de documents ; je pourrais vous les donner tout à l’heure.

M. le Président : Vous avez eu recours au droit d’alerte au mois de juin ?

Mme Sofia TERMIGNON : Oui, nous avons voté un droit d’alerte. M. Bonan, expert-comptable, a été nommé, mais il n’a pu obtenir tous les documents nécessaires. Par ailleurs, à l’issue des élections professionnelles, le nouveau comité a réexaminé l’exercice de ce droit d’alerte.

M. le Président : A quelle date ?

M. Philippe TERMIGNON : Octobre-novembre 2002. La majorité du comité d’entreprise avait changé, l’expert ne disposait que de peu de documents et devait le faire valoir en justice. Nous n’avions pas non plus de retour sur son action.

M. le Président : Qui avait le retour ?

M. Philippe TERMIGNON : Personne.

Mme Sofia TERMIGNON : Il ne disposait pas d’éléments suffisants pour nous apporter des éclaircissements. Etant confrontés pour la première fois à ce type de procédure, nous ne savions pas réellement comment elle devait se dérouler. Nous attendions des informations de M. Bonan, qui ne venaient pas, mais il était lui-même en attente. Plusieurs échanges de courrier avec la direction d’Air Lib font état des attentes de M. Bonan.

Je souhaiterais ouvrir une petite parenthèse sur le droit d’alerte et le rapport de M. Bonan. Il a demandé une situation comptable de l’entreprise, dont le comité d’entreprise doit normalement disposer au premier exercice. Nous aurions dû avoir une première situation au 31 mars 2002. La réglementation fiscale oblige précisément l’entreprise à déposer cette déclaration fiscale correspondante, au plus tard le 30 juin. A l’époque, cela n’avait pas été fait. Et ce qui m’étonne, c’est que cela n’a alerté personne, ni Me Lafont, à l’époque mandataire ad hoc nommé par le tribunal de commerce, ni les différents cabinets d’audit mis en place, en l’occurrence le cabinet Mazars, qui intervenait pour le compte du CIRI (Comité interministériel de restructuration industrielle) et le Cabinet KPMG pour le compte de la Direction générale de l’aviation civile. Aujourd’hui, nous nous posons beaucoup de questions. Comment se fait-il que personne n’ait été alerté par cette défaillance ? Je referme la parenthèse.

Nous avons par conséquent voté le droit d’alerte, car nous n’arrivions pas à obtenir des informations qui nous étaient dues en tant que membres du comité d’entreprise et parce que nous avions besoin de l’avis d’un expert économique et financier.

M. le Président : A quel moment le comité d’entreprise a-t-il commis cet expert ?

M. Philippe TERMIGNON : Au mois de mai-juin. L’expertise a duré six mois.

M. le Président : Quand les élections ont-elles eu lieu ?

Mme Sofia TERMIGNON : En juillet. Elles ont été retardées, car, pour avoir des élections professionnelles correctement tenues, nous avons rencontré les pires difficultés, dans la mesure où les avis des organisations syndicales au sein de l’entreprise étaient très disparates. Il fut donc très difficile de tenir ces élections.

M. le Président : Autrement dit, si je comprends bien, vous faisiez partie du comité d’entreprise.

Mme Sofia TERMIGNON : J’étais représentante syndicale.

M. le Président : En juin 2002, le comité d’entreprise, soucieux d’avoir les comptes de l’entreprise et à force de les demander s’est inquiété. Il a voté un droit d’alerte et a commis un expert pour obtenir ces comptes.

Mme Sofia TERMIGNON : Tout à fait.

M. le Président : A ce moment-là, le comité d’entreprise était-il unanime ?

Mme Sofia TERMIGNON : Non, mais le personnel navigant avait la majorité. La décision avait été prise à l’initiative du personnel navigant.

M. le Rapporteur : Qui avait voté pour, qui avait voté contre ?

Mme Sofia TERMIGNON : Le SPNC avait voté pour.

M. le Rapporteur : Avec quels autres syndicats ?

M. Philippe TERMIGNON : Tous les autres, excepté la CFDT.

M. le Rapporteur : Tous les syndicats, sauf la CFDT qui s’est abstenue ou qui a voté contre ?

Mme Sofia TERMIGNON : Je ne saurais vous le dire aujourd’hui.

M. le Président : La CFDT a gagné les élections qui ont eu lieu en juillet.

Mme Sofia TERMIGNON : Ils sont devenus majoritaires.

M. le Président : Le nouveau comité d’entreprise a donc annulé le droit d’alerte ?

Mme Sofia TERMIGNON : Non.

M. Philippe TERMIGNON : Le précédent comité d’entreprise avait initié cette procédure. En prenant la majorité...

Mme Sofia TERMIGNON : Nous ne l’avons pas annulé. Nous avons demandé simplement que M. Bonan soit remplacé.

M. Philippe TERMIGNON : Cela a pris du temps. Ils se sont dits qu’une fois lancée, la procédure irait à son terme. Mais, en fin de compte, la procédure végétait et nous n’avions aucun retour de M. Bonan.

M. le Président : M. Bonan tardait à donner ses conclusions.

M. Philippe TERMIGNON : Parce qu’il n’avait pas non plus d’informations. C’est le chat qui se mord la queue : il ne pouvait établir son compte rendu, nous n’obtenions pas d’informations.

M. le Président : M. Bonan a-t-il expliqué pourquoi il n’obtenait pas les informations ?

M. Philippe TERMIGNON : L’entreprise ne lui fournissait pas la documentation nécessaire.

M. le Rapporteur : Par la suite, le comité d’entreprise a changé d’expert.

Mme Sofia TERMIGNON : Le droit d’alerte a été maintenu, mais a démis M. Bonan de sa mission.

M. le Rapporteur : Qui a-t-il donc choisi ?

Mme Sofia TERMIGNON : Dans des délais brefs, il fallait trouver un autre expert prenant la suite. Finalement, il est arrivé tout ce qui fut rapporté par la presse au sujet d’Air Lib. Les préoccupations furent telles de part et d’autre que nous ne sommes pas revenus sur le droit d’alerte ni sur la nomination d’un autre expert.

M. le Rapporteur : Comment avait été choisi M. Bonan ? Par le comité d’entreprise ? Etait-il connu de certains membres du comité ? Appartenait-il à l’entreprise ?

M. Philippe TERMIGNON : Il me semble qu’il était connu de M. Petit.

Mme Sofia TERMIGNON : Du syndicat Alter. M. Petit l’avait introduit parce qu’il le connaissait.

M. le Président : Peut-on dire qu’à l’issue de toutes ces péripéties, vous arrivez au récent dépôt de bilan sans avoir eu connaissance des comptes de la société ?

Mme Sofia TERMIGNON : Un document, non daté et sans caractère officiel, nous a été remis par Maître Léonzi, conseil de Jean-Charles Corbet. On y découvre les flux de la trésorerie versés par Swissair sur la base des éléments transmis par Maître Léonzi. Il fut remis le 13 février 2003. C’est le seul document que nous avons eu ; je pense que vous devez également l’avoir aussi.

M. le Président : Vous nous le communiquerez.

Mme Sofia TERMIGNON : Bien sûr. De toute façon, ce n’était pas confidentiel, puisque la presse l’a eu !

M. le Président : Avant d’avoir en mains ce document, vous ignoriez que Holco-Lux et Mermoz Hollande étaient dépositaires de certains fonds.

Mme Sofia TERMIGNON : Nous l’avons découvert grâce à M. Bonan. La découverte de la création de filiales a fait partie du peu d’éléments que M. Bonan a pu nous fournir.

M. le Président : Vers le mois de juin 2002.

M. Philippe TERMIGNON : Je ne sais plus ; c’était un peu après l’été. Nous avons eu connaissance de ces deux filiales sans en connaître le contenu. Nous avons supposé que l’une d’elles avait hérité d’un certain nombre d’avions.

M. le Président : Aucun autre syndicat, aucune autre organisation n’avait connaissance de ces filiales ?

Mme Sofia TERMIGNON : Il ne me semble pas.

M. Philippe TERMIGNON : Officiellement, non.

M. le Rapporteur : Vous faites tous deux partie du personnel navigant commercial. Pouvez-vous nous confirmer les propos de vos collègues de la CFTC, selon lesquels il existait des pratiques assez étranges : le personnel navigant était autorisé à vendre des boissons, des sandwichs, achetés par la compagnie, le personnel navigant commercial se partageant le fruit de la vente pour améliorer sa rémunération. Avez-vous constaté ces faits ?

M. Philippe TERMIGNON : Chez Air Lib, les choses se sont toujours faites rapidement et un peu à contresens. Un jour, l’entreprise a décidé de faire du low fare. Parallèlement à la négociation de l’harmonisation des statuts (les accords des ex-Air Liberté arrivant à échéance) le produit low fare a été lancé très rapidement. Nous ignorions les méthodes de services qui seraient pratiquées dans l’avion. La problématique des ventes a été évoquée deux jours avant son lancement. C’est là que la direction a décidé de commencer ainsi et que l’on verrait par la suite. C’est un chantier resté inabouti. Il aurait fallu trouver une solution, mettre cela aux normes. C’est un chantier qui n’a pas été entrepris.

M. le Rapporteur : Concrètement, en tant que personnel navigant commercial pouvant vendre des produits achetés par la compagnie, que faisiez-vous de la recette ?

Mme Sofia TERMIGNON : Elle était partagée entre tous les membres de l’équipage, hors le personnel navigant technique, c’est-à-dire les pilotes.

M. le Rapporteur : En qualité de représentants du personnel, n’avez-vous pas fait remarquer qu’il s’agissait de travail au noir ...? Et que l’on courait à la catastrophe ?

Mme Sofia TERMIGNON : Si, si.

M. le Rapporteur : La direction n’a-t-elle pas réagi ?

Mme Sofia TERMIGNON : Le sujet a été débattu dans le cadre de deux comités d’entreprise avec une solution : on attendait une autorisation de Bercy.

M. le Rapporteur : Vous vous partagiez les recettes ?

Mme Sofia TERMIGNON : En attendant de trouver la solution.

M. Philippe TERMIGNON : On nous a opposé la situation des ouvreuses dans les cinémas qui bénéficient d’un système fiscal particulier.

Mme Sofia TERMIGNON : C’est ce qu’il était envisagé de mettre en place.

M. Philippe TERMIGNON : Ils attendaient le feu vert de l’Etat, si ce n’est de Bercy.

M. le Président : A ma connaissance, les hôtesses d’accueil dans les cinémas vendent des produits qu’elles achètent. Lorsque les produits sont achetés par la société, c’est tout à fait autre chose.

Mme Sofia TERMIGNON : Les produits étaient mis à disposition par l’entreprise.

M. le Rapporteur : En tant que personnel navigant commercial, quelle appréciation portez-vous sur la gestion commerciale, sur la gestion de la compagnie à travers ce que vous avez vu et vécu ?

M. Philippe TERMIGNON : Le comité d’entreprise est une instance consultative. C’est là où il peut y avoir débat. Or, il n’y a jamais eu débat dans cette entreprise. C’était un peu une dictature.

Lors de l’ouverture d’une ligne sur l’Algérie, des personnels ne souhaitaient pas s’y rendre. Au début, M. François Bachelet a consenti une formule de volontariat. Un peu plus tard, la Compagnie a souhaité ouvrir une ligne sur Tripoli qui a un passé très sulfureux dans le domaine du terrorisme aérien. Nous avons renouvelé notre demande qui a suscité une opposition radicale. Pour beaucoup de choses c’était l’imposition.

M. le Président : Vous avez parlé de dictature : de qui ?

M. Philippe TERMIGNON : De la direction, représentée par M. Corbet.

Mme Sofia TERMIGNON : Il y a eu une perte de confiance. Lorsque Jean-Charles Corbet a repris Air Liberté-AOM, beaucoup de gens y croyaient, puisque, socialement, son offre de reprise était la moins pénalisante pour les salariés. On y croyait donc. Au fur et à mesure, la perte de confiance fut totale ; c’est lui qui a créé ce climat. Nous avons totalement perdu confiance en lui.

Mon mari a évoqué le problème de l’ouverture de lignes vers l’Algérie et Tripoli. Les accords avec les personnels d’ex-Air Liberté et d’ex-AOM n’étant pas les mêmes, il fallait trouver une procédure d’harmonisation. Nous n’y sommes jamais parvenus, car, à chaque fois, les représentants de la direction revenaient avec des propositions différentes. La situation se répétait sans cesse. La distorsion de traitement et des statuts des personnels d’ex-Air Liberté et d’ex-AOM ne pouvait entraîner qu’une fusion ratée. La fusion ne s’est, à mon sens, jamais réellement faite. Cela fait partie de la mauvaise gestion.

M. le Président : N’y a-t-il pas eu harmonisation ?

Mme Sofia TERMIGNON : Par la force des choses, dans la mesure où les accords des personnels d’ex-Air Liberté sont arrivés à échéance. Lorsque nous avons été pris en location-gérance au bout de quinze mois, on nous a alors appliqué les accords d’ex-AOM.

Nous n’avons donc jamais pu négocier d’harmonisation entre nos accords et ceux d’AOM.

M. le Président : Je ne comprends pas. Un syndicat nous a indiqué qu’il y avait eu harmonisation au niveau du personnel.

Mme Sofia TERMIGNON : Pour le personnel au sol, alors que je me limite au personnel navigant.

M. le Président : Pour le personnel au sol, l’harmonisation a eu lieu, non pour le personnel navigant.

Mme Sofia TERMIGNON : On nous a imposé les accords existants pour les salariés de ex-AOM. Nous n’avons jamais négocié.

M. le Président : N’y a-t-il pas eu d’accord entre la direction et les syndicats ?

Mme Sofia TERMIGNON : Seulement sur une grille de salaires identique que les ex-AOM et les ex-Air Liberté ont signée. Nous étions alors en novembre 2000.

M. le Rapporteur : Quelle avait été la position du SNPNC lors de la décision du tribunal ? Etiez-vous pour la solution de reprise par M. Corbet ? Avez-vous appuyé cette solution ? Etiez-vous neutres ?

M. Philippe TERMIGNON : J’étais alors membre du comité d’entreprise. Nous avions voté pour la reprise par Holco. Sur la proposition de Marc Rochet, nous nous étions abstenus. De toute manière, la reprise par M. Rochet n’était pas possible, lui-même ayant déposé le bilan. Nous nous étions également abstenus sur la proposition de FIDEI.

M. le Rapporteur : Vous n’avez pas totalement répondu à la question : quelle est votre perception, en tant que syndicat, de la gestion de l’entreprise entre début août, date de la reprise, jusqu’au dépôt de bilan et la liquidation ?

M. Philippe TERMIGNON : Sur la gestion pratique de l’entreprise consistant à changer de cap, quand tout se passe bien, tout le monde est content ; en l’occurrence, on s’aperçoit que c’est un désastre. Des décisions ont peut-être été prises qui n’étaient pas les bonnes. Quant à la gestion financière, même si l’on nous a livré des comptes, à Air Lib, c’était assez flou sans compter que Air Lib était une branche de Holco. On sait tous que l’argent des Suisses a atterri chez Holco qui l’a ensuite ventilé en fonction des besoins des filiales. Nous étions tous au courant du chèque des Suisses, c’est là que l’on a fait des additions, des soustractions et qu’on s’est dit qu’il en manquait peut-être.

Mme Sofia TERMIGNON : J’estime que des fautes de gestion énormes ont été commises par Jean-Charles Corbet, notre président-directeur général, ne serait-ce que socialement - reportez-vous à ce que je vous ai dit tout à l’heure. Ce n’est pas un détail. Sans même parler de l’aspect financier, qui pour nous a été occulte, l’aspect social a été vraiment très mal géré.

M. le Rapporteur : De fortes tensions divisaient-elles les syndicats ? Initialement, avez-vous voté pour la solution Corbet ?

Mme Sofia TERMIGNON : Seule la CFTC a voté contre.

M. le Rapporteur : Quand avez-vous commencé à éprouver des doutes sur la bonne gestion de l’entreprise ?

Mme Sofia TERMIGNON : A partir du moment où fut attribué à une ex-déléguée syndicale CGT, Nathalie Cohen, un poste de directrice du personnel navigant commercial, sachant que cette personne était membre fondateur de la SDTA (Société de développement du transport aérien) regroupant exclusivement des salariés d’AOM. Elle était également secrétaire du comité d’entreprise. Elle a " atterri " du jour au lendemain à la direction du personnel navigant commercial alors que nous avions déjà un directeur PNC, présent, aussi bien du côté d’AOM que d’Air Liberté. C’était une première erreur. J’ai rencontré M. Corbet avec mon époux pour l’alerter sur ce point, car la situation avait été mal ressentie par l’ensemble du personnel navigant. Au début, il a bien voulu nous écouter, mais, dans la mesure où M. Bachelet était à l’époque président du directoire, M. Corbet n’intervenant qu’à titre d’actionnaire, M. Bachelet n’a pas souhaité démettre cette personne de ses fonctions, puisqu’elle venait d’être nommée. Nathalie Cohen était également déléguée syndicale CGT.

Fusionner deux populations totalement différentes - les ex-AOM et les ex-Air Liberté - et mettre à la tête du personnel navigant commercial une personne issue d’AOM, d’autant plus déléguée syndicale et membre fondateur de la SDTA dont le principe consistait essentiellement à la sauvegarde des emplois AOM et rejetait totalement la fusion avec les salariés d’Air Liberté a été une première erreur de Jean-Charles Corbet.

M. le Rapporteur : Quelle était la compétence de Mme Cohen ?

Mme Sofia TERMIGNON : Elle était chef de cabine principale.

M. le Rapporteur : Elle était donc opérationnelle.

Mme Sofia TERMIGNON : Tout à fait.

M. le Rapporteur : Avait-elle une expérience dans le domaine de la gestion du personnel ?

Mme Sofia TERMIGNON : Absolument pas, comme du reste la plupart des directeurs qui ont " atterri " chez Air Lib à un moment donné.

M. le Rapporteur : Avez-vous d’autres exemples à nous citer ?

Mme Sofia TERMIGNON : Non, c’est le seul que je puisse mettre en avant, puisque nous l’avons vécu. Nous avons essayé de trouver une solution, une bonne solution. Nous n’avons pas réussi. L’aboutissement est là. La démonstration c’est que les négociations n’ont jamais avancé.

M. le Rapporteur : Un des objets de notre commission d’enquête est de répondre à la question : quelle a été l’utilisation des fonds publics ? Il y a eu un prêt du FDES de 30,5 millions d’euros et puis un moratoire en matière fiscale et de cotisations sociales.

Je vous pose la question comme je l’ai posée aux deux autres organisations syndicales auditionnées cet après-midi : pensez-vous que les fonds publics ont été bien utilisés ?

M. Philippe TERMIGNON : L’Etat n’est intervenu que dans un deuxième temps, la première grosse rentrée d’argent venant des Suisses. Jusqu’au mois de janvier 2003, nous ne savions pas ce qu’il en était de cet argent. Quant à la réponse sur les crédits qui ont suivi, donnez-la nous !... Dès lors que la première ventilation a été floue, l’argent qui a suivi n’a pu s’inscrire que dans le même registre.

M. le Président : Tout au long des démarches, depuis le début de la reprise par M. Corbet jusqu’à la fin, avez-vous eu connaissance des investisseurs promis au départ et que l’on n’a, semble-t-il, pas vus ?

M. Philippe TERMIGNON : Secret !

Mme Sofia TERMIGNON : Depuis le début, M. Corbet recherchait des investisseurs ; mais hormis M. Erik de Vlieger, PDG du groupe IMCA, nous n’avons jamais eu écho de quelque investisseur que ce soit. Il était réellement à la recherche d’investisseurs potentiels, mais aucun ne fut confirmé.

M. le Président : S’agissant d’IMCA, nous interrogerons les personnes concernées, mais M. de Vlieger a indiqué lui-même qu’il n’avait jamais formulé de telles promesses.

M. Philippe TERMIGNON : Je crois qu’ils ne sont pas tombés d’accord.

Mme Sofia TERMIGNON : Sans doute. Je le découvre ! Et cela selon M. de Vlieger ?

M. le Président : M. de Vlieger a prétendu ne pas connaître le plan de financement.

Mme Sofia TERMIGNON : Cela me semble étrange. M. de Vlieger est venu nous en parler !

M. Philippe TERMIGNON : Je les ai vus à la télévision dans le cabinet de Maître Léonzi. Ils ont dû s’entendre sur un accord.

M. le Président : A quelle date cela se situait-il ? Le plan définitif a été proposé le 20 novembre 2002.

M. Philippe TERMIGNON : C’était à cette date là. Je les ai vus à la télévision dans le cabinet de M. Léonzi, tous les deux souriants, ils avaient dû s’entendre sur quelque chose.

M. le Président : Vous situez-vous en novembre 2002 ou en janvier ?

M. Philippe TERMIGNON : En décembre, entre les deux. M. de Vlieger devait-il s’engager à bloquer de l’argent ou non ? D’après ce que j’ai lu dans la presse, il me semble qu’ils se soient entendus sur une répartition d’avions.

M. le Président : Selon les informations dont nous disposons, qui restent à confirmer - nous interrogerons les personnes responsables pour cela -, on n’a jamais vu les 150 millions d’euros d’investissement d’IMCA destinés à l’acquisition de nouveaux avions.

Mme Sofia TERMIGNON : Nous n’avons jamais été destinataires de documents officiels. Nous avons entendu M. de Vlieger lors d’une réunion de comité d’entreprise.

M. le Président : Il était prévu 50 millions d’euros de trésorerie - à confirmer - plus des paiements courants, lesquels étaient également à confirmer. Rien ne l’a jamais été.

Mme Sofia TERMIGNON : Oui, nous avons toujours été au courant : rien n’a jamais été confirmé par un document officiel.

M. de Vlieger a fait deux interventions lors de deux comités d’entreprise. La première fois, il a claqué la porte et il est reparti.

Vos propos m’étonnent un peu. Mais il est vrai qu’il n’y a jamais eu de documents officiels signés, présentés en tant que tels.

M. le Président : Il serait intéressant de rencontrer M. de Vlieger.

On nous a beaucoup parlé du rôle d’Air France dans tout ce qui s’est passé. Avez-vous eu le sentiment que la direction d’Air France était très présente dans les débats, par personnes interposées ? Avez-vous quelque chose à dire sur le rôle de M. Paris ?

M. Philippe TERMIGNON : M. Paris a des fonctions à Air France. Nous l’avons souvent croisé à Air Lib.

Mme Sofia TERMIGNON : Très souvent.

M. le Président : Où cela ?

Mme Sofia TERMIGNON : A Air Lib, bâtiment 363.

M. le Président : Il dit n’avoir aucun rapport avec Air Lib.

Mme Sofia TERMIGNON : Peut-être, mais il était très souvent là.

M. le Rapporteur : Qu’est-ce qu’il y faisait ?

Mme Sofia TERMIGNON : Je l’ignore. Il venait certainement voir M. Corbet. Il faudrait lui demander car nous n’avons, pour notre part, jamais pu le savoir.

M. le Rapporteur : Vous êtes-vous entretenus avec lui ?

Mme Sofia TERMIGNON : Une de mes collègues de la CGT a essayé de rencontrer M. Paris. Je crois qu’elle a eu un court entretien avec lui, mais il a rapidement coupé court ; il a même été très en colère. Cela s’est arrêté là.

Nous n’avons jamais eu d’éclaircissements sur la présence de M. Paris au sein d’Air Lib.

M. le Président : Cela fait la seconde fois que l’on nous dit qu’il se met fortement en colère.

Mme Sofia TERMIGNON : Ma collègue vous le confirmera, puisque c’est elle qui a eu cette altercation avec M. Paris.

M. le Président : Nous lui demanderons. Je vous remercie.


Source : Assemblée nationale (France)