Procès-verbal de la séance du mercredi 21 mai 2003

Présidence de M. Patrick Ollier, Président

Le témoin est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation du Président, le témoin prête serment.

M. le Président : Vous avez été conseiller pour les affaires économiques et financières au cabinet de M. Lionel Jospin, du 3 juillet 2001 au 6 mai 2002. A ce titre, vous vous êtes occupé du dossier de la compagnie Air Lib.

Nous souhaiterions que vous nous exposiez dans quelles conditions vous avez pris connaissance de ce dossier, quelles ont été vos réactions à l’époque et les positions des différents ministres concernés, avant d’en arriver au bleu de Matignon et aux réunions décisionnelles.

M. Bruno BEZARD : Avant de m’efforcer de répondre aux questions que vous souhaiterez me poser, je voudrais d’une part vous apporter un certain nombre de précisions sur la nature de mes fonctions et le mode d’organisation du cabinet du Premier ministre à l’époque, d’autre part, vous indiquer les éléments de chronologie que j’ai pu reconstituer et la position des différents acteurs sur la période considérée.

J’ai été nommé conseiller économique et financier du Premier ministre au début de juillet 2001. Mes principales attributions portaient notamment sur les questions financières internationales, en particulier les négociations à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), le Fonds monétaire international (FMI), l’aide au développement, sur l’industrie financière française, notamment les banques et les assurances, sur les négociations financières européennes, et sur le soutien aux petites et moyennes entreprises (PME).

Outre ces attributions relativement traditionnelles, il va de soi que mon principal dossier à l’époque aura été la préparation du passage à l’euro et la gestion de la période d’introduction de la nouvelle monnaie, à partir du 1er janvier 2002. Bien qu’ils aient, par construction, une composante financière ou budgétaire, les dossiers d’entreprises individuelles, qu’il s’agisse d’Air France, de la SNCF, de Renault, de France Telecom, n’étaient pas, à Matignon, suivis par le conseiller économique et financier et la cellule qu’il dirige, mais par le conseiller en charge du secteur considéré, typiquement, le responsable de la cellule équipement et transport pour les deux premiers exemples cités, les deux autres exemples correspondant à des entreprises qui sont, dans la nouvelle organisation, suivis par le responsable de la cellule industrielle.

Naturellement les dossiers importants remontent ensuite dans la hiérarchie, comme dans tout cabinet, et sont évoqués avec le directeur-adjoint et le directeur de cabinet. C’est ainsi, et je tiens à vous le préciser très clairement, que le dossier Air Lib a été traité, comme beaucoup d’autres relevant des transports, du logement et de l’équipement, non pas par la cellule économie et finances que je dirigeais, mais par la cellule équipement et transport du cabinet du Premier ministre.

J’ai toutefois eu à connaître de ce dossier, très précisément entre le 12 décembre 2001 et le 7 janvier 2002. Je précise que, sauf erreur de ma part, je n’ai pas eu, en revanche, à connaître de ce dossier avant le 12 décembre 2001 et après le 7 janvier 2002. Ce cadrage chronologique me paraît important.

J’ai tout d’abord participé à une réunion informelle, chez le conseiller pour l’équipement et les transports, le 12 décembre, ma collègue ayant souhaité que j’assure l’interface avec le ministère des finances, ce qui est également une fonction traditionnelle à Matignon du conseiller économie et finances.

J’ai ensuite assisté, le 3 janvier, à 18 heures, à une réunion de ministres, sous la présidence du Premier ministre, qui a abouti à la décision de principe de ce soutien public à l’entreprise. J’ai enfin coprésidé, le lundi 7 janvier à 9 heures, une réunion interministérielle avec ma collègue en charge du dossier, afin de formaliser et de mettre en oeuvre la décision prise par le gouvernement.

Cette précision apportée, venons-en au fond. J’ignore si ce sera utile à votre commission, mais je souhaiterais rappeler les positions en présence à l’époque. Je vous prie, par avance, de m’excuser si ces informations sont redondantes avec les informations dont votre commission dispose probablement déjà.

Typiquement, comme c’est assez fréquemment le cas dans de telles circonstances, deux ministères s’opposaient : le ministère sectoriel, en l’occurrence le ministère des transports, qui plaidait pour un soutien de l’Etat jugé indispensable pour des raisons sociales et politiques, et se montrant relativement optimiste sur la viabilité ultérieure de l’entreprise, et le ministère des finances qui faisait un diagnostic plus pessimiste et qui refusait le principe d’une telle aide. Dans ce cas particulier, un autre ministère, le ministère des DOM-TOM, était concerné et plaidait également pour une intervention de l’Etat.

Les deux mécanismes envisagés étaient un groupement d’intérêt économique (GIE) fiscal et un soutien financier direct. Je ne suis pas en mesure de vous en dire plus sur le GIE fiscal car je n’ai pas eu en charge cette question qui relevait de mon collègue chargé des dossiers fiscaux. En revanche, je peux être beaucoup plus précis, pour la période chronologique que j’ai encadrée, sur le soutien financier.

Le ministère de l’équipement avait indiqué que l’une des raisons des difficultés rencontrées par l’entreprise était l’absence de recouvrement d’une créance que cette entreprise avait sur Swissair pour un montant de 400 millions de francs. Nous avions alors demandé, avec Elisabeth Borne qui était conseillère pour l’équipement et le transport, que soit étudiée une solution de marché de rachat de créance. C’est une technique qui nous semblait pouvoir permettre, moyennant une décote représentative du coût de portage et du risque de non-recouvrement, de rendre liquide, pour l’entreprise concernée, sa créance.

Cette solution n’a été jugée praticable ni par le ministère de l’équipement, ni par le ministère de l’économie, des finances et de l’industrie. In fine, lorsque la décision a été prise d’un soutien financier, contre l’avis du ministère des finances, ce dernier a recommandé comme solution technique un prêt du Fonds de développement économique et social (FDES) de 30,5 millions d’euros, tout en indiquant naturellement qu’il s’agissait de la moins mauvaise réponse technique à une orientation qu’il continuait de désapprouver. Voilà donc très précisément la façon dont, pour la période limitée dans le temps où j’ai eu à connaître de ce dossier, la chronologie et le jeu des acteurs se sont déroulés. Je vous remercie de votre attention et je suis à votre disposition pour répondre le plus précisément possible à vos questions.

M. le Président : Si nous avons souhaité vous auditionner, c’est parce que vous étiez en charge des affaires économiques et financières. Je sais la manière dont fonctionne le cabinet à Matignon où je suis moi-même resté cinq ans. Je suppose qu’il fonctionne de la même manière, quel que soit le Premier ministre.

Cela étant, vous couvriez le ministère de M. Fabius et vous aviez forcément des informations sur le dossier, alors que Mme Borne, qui présidait la réunion, était conseillère pour l’urbanisme, l’équipement et le logement.

C’est donc au titre de votre compétence en matière économique et financière que nous avons souhaité vous auditionner. Ce que nous souhaitons savoir, c’est comment la décision a été prise et pourquoi.

J’ai, sous les yeux, le " bleu " de Matignon. Concernant le ministère de l’économie, des finances et de l’industrie, il est indiqué page 2 : " Il rappelle (le représentant) que la caisse des dépôts et consignations ainsi que l’agence française de développement se sont montrés hostiles à tout octroi de prêt, en faisant valoir qu’une telle intervention n’était pas compatible avec leur objet social et qu’elle serait susceptible de constituer un soutien abusif. ". Par ailleurs, M. Fabius avait exprimé ses réticences par une note manuscrite sur une note du directeur du Trésor. Le directeur du Trésor lui-même, par une note manuscrite précisait qu’il n’y avait aucune chance que l’on puisse rentrer dans les fonds. Dans le paragraphe qui suit celui que j’ai cité à l’isntant, il a précisé : " Une autre solution qui présente toutefois le même risque de soutien abusif pourrait être de faire intervenir le FDES. Si le Premier ministre devait arbitrer en faveur d’une aide à cette compagnie au-delà de ce qui a déjà fait l’objet d’un accord, il propose, tout en confirmant ses réserves de principe, de recourir à cette solution. Cette intervention serait soumise à un ensemble de conditions. (...) "

Les questions que nous avons posées à M. Fabius ont fait l’objet d’une réponse très claire.

Pourquoi, avec une réticence aussi évidente du ministre - qu’il a lui-même confirmée tout à l’heure à plusieurs reprises - et de la direction du Trésor - qui précise qu’il n’y a aucune chance de voir rembourser ce prêt - a-t-on pris la décision d’octroyer 30,5 millions d’euros, en deux temps, alors que la société ne faisait qu’un effort de 5 millions d’euros sur les 24,4 millions d’euros regroupés à l’époque dans trois sociétés différentes - une en Hollande, une au Luxembourg et une en France ? Lorsque M. Corbet se tourne vers l’Etat pour demander une aide de 30,5 millions, celui-ci ne fait, par rapport à ses capacités financières, qu’un effort de 5 millions. Cela nous a beaucoup interpellés.

Je continue ma lecture : " Le cabinet du Premier ministre rappelle que le Premier ministre a conclu la réunion des ministres en constatant les divergences exprimées sur la viabilité à terme de la compagnie, mais en soulignant que le problème devait être analysé à la lumière de la situation d’urgence issue du non-paiement des 400 millions de francs par Swissair, sur laquelle le ministre des transports, de l’équipement et du logement a attiré son attention. "

Ensuite, on lit : " Postérieurement à la réunion, le Premier ministre confirme le schéma d’aide suivant ", c’est-à-dire le GIE, l’intervention du FDES et un certain nombre de conditions. C’est là que l’on en revient aux 5 millions d’euros versés sur les 24 mobilisables, possédés par les différentes filiales. Au moment où vous avez pris cette décision, étiez-vous informé de tout cela ? Quelles sont les raisons qui ont poussé le Premier ministre à passer outre les avertissements du ministre des finances et surtout pourquoi le Premier ministre confirme-t-il cette décision postérieurement à la réunion ?

Autre question : est-ce M. Jospin lui-même qui a confirmé ou bien est-ce le système décisionnel, par délégation au conseiller, qui a permis de prendre cette décision ?

M. Bruno BEZARD : Je voudrais revenir sur un point. Comme vous avez passé un certain temps à Matignon, vous devez savoir qu’il y a un système décisionnel avec des conseillers, une hiérarchie et un Premier ministre. J’y reviendrai par la suite.

Deuxième remarque, vous avez indiqué que j’avais présidé différentes réunions interministérielles. A ma connaissance, je n’ai coprésidé qu’une réunion interministérielle. Par conséquent, le pluriel me paraît abusif.

M. le Président : Je n’ai pas dit que vous aviez présidé, mais participé à cette réunion et en tant que chargé des affaires économiques et financières, vous deviez être informé de ce dossier, en dehors du fait que nous n’avez pas présidé la fameuse réunion présidée par Mme Borne.

M. Bruno BEZARD : J’ai coprésidé avec Elisabeth Borne, comme le " bleu " en témoigne, la réunion interministérielle du 7 janvier et je vous dis très clairement que ce dossier n’était pas traité par la cellule économique et financière, car les dossiers d’entreprises individuelles sont traités par la cellule sectorielle.

En revanche, comme c’est l’attribution traditionnelle du conseiller économique et financier, j’ai eu à faire l’interface, dans la période qui est sous revue, entre Bercy et Matignon. A ce titre, ce point peut vous intéresser.

M. le Président : Cela m’intéresse d’autant plus que vous avez été en charge pendant la période limitée du 12 décembre au 7 janvier. Or il se trouve que la décision a été prise au cours de cette réunion du 7 janvier et que le Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI) a confirmé que, pendant cette période, il a instruit le dossier en quatre jours. M. Massignon nous a indiqué avoir reçu M. Corbet le 5 janvier pour une décision prise le 7 janvier, soit quarante-huit heures avant le bleu de Matignon.

M. Bruno BEZARD : Je voudrais vous donner une dernière précision. La décision n’a pas été prise le 7 janvier, mais elle a été prise par le Premier ministre le 3 janvier, lors d’une réunion de ministres. Le 3 janvier, c’était la décision de principe et le choix de l’instrument prêt FDES. Le terme prêt FDES a été employé, pour la première fois, le 3 janvier dans le bureau du Premier ministre. Ce compte rendu que vous avez là rend compte d’une réunion interministérielle de formalisation d’une décision de principe prise dans le cadre plus solennel d’une réunion de ministres.

M. le Président : Vous allez dans le sens qui est le mien, car il ne m’a pas échappé qu’il y avait eu cette réunion du 3 janvier au cours de laquelle une décision de principe a été prise par le Premier ministre. Mais ce qui nous surprend, c’est que le CIRI, qui est chargé d’instruire le dossier - et M. Fabius a confirmé tout cela -, ne rencontre M. Corbet que le 5 janvier, c’est-à-dire deux jours après, et que l’on prend une décision sur ce principe et cette organisation sans qu’aucun dossier ait été instruit par l’organisme instructeur, en l’occurrence le CIRI.

M. Massignon nous a expliqué qu’il rencontre M. Corbet, pour la première fois, le 5 janvier. Il supposait que M. Corbet viendrait avec un dossier financier, mais il a été surpris de voir qu’il n’en avait pas. Lorsque nous avons demandé à M. Massignon s’il avait eu des comptes, il nous a confirmé qu’il n’avait eu à sa disposition aucun compte, et que l’instruction avait été menée avec une célérité remarquable par les services de l’Etat, en environ 48 heures, et que le prêt avait été libéré le 9 janvier, après la décision du 7 janvier.

Cette procédure a été extrêmement rapide. Nous vous demandons comment une décision aussi importante d’attribution de fonds publics a pu être prise au vu d’un dossier qui n’était pas encore instruit le 3 janvier et qui n’avait pas été très "nourri" par M. Corbet, entre le 3 et 9 janvier, date à laquelle le prêt a été libéré ?

M. Bruno BEZARD : Je ne peux pas vous répondre sur la façon dont le dossier a été instruit à la direction du Trésor. Mais il se trouve que je connais l’un des acteurs que vous avez cités, Jean-Baptiste Massignon, en qui j’ai toute confiance. Je pense que, par construction, ce qu’il vous dit est rigoureusement exact.

Je ne sais pas non plus dans quelles conditions le dossier a été instruit par ceux qui avaient la charge du dossier à Matignon. En revanche, je peux vous dire que le principe du prêt FDES a été décidé le 3 janvier à 18 heures.

M. le Président : Je vous remercie de nous confirmer tout cela. Notre interrogation ne porte pas sur la date, mais sur le fait qu’à cette date, il n’y avait pas de dossier. Ceci est confirmé par l’audition de M. Massignon, puisqu’il a rencontré M. Corbet deux jours après.

Le 7 janvier, vous êtes co-président avec Mme Borne de cette réunion dont les détails ne figurent pas dans le " bleu ". Vous dites que c’est le GIE fiscal. Or dans les auditions auxquelles nous avons procédé, nous a été indiqué par tous ceux qui avaient eu connaissance de ce dossier que le gouvernement a donné l’autorisation de créer un GIE fiscal. Toutefois nulle part, il n’a été apporté l’élément essentiel du GIE fiscal. En effet, pour créer un GIE, il faut avoir un accord de l’administration de l’Etat, des avions à acheter, en l’occurrence deux Airbus à l’époque et, enfin, des investisseurs.

Or les investisseurs ne sont jamais arrivés. Tous les rapports que nous avons pu lire des différents cabinets montrent que la banque Arjil, qui avait été sollicitée la première fois, s’est désistée très rapidement. Après que l’Etat a validé l’obtention d’un prêt de 30,5 millions sur des conditions bien établies, les vérifications, faites ou pas, n’ont pas permis que les engagements pris soient respectés. C’est la raison pour laquelle nous voudrions savoir comment la décision a été prise, malgré les réticences très fortes du ministre des finances.

M. Bruno BEZARD : Comme je vous l’ai indiqué, je n’ai pas d’autre information à vous donner sur le GIE fiscal. En revanche, je n’ai pas répondu à une de vos questions qui était la manière dont cette décision avait pu être prise en dépit des réticences du ministre des finances. Ma réponse est de dire que les positions du ministère des finances ne l’emportent pas toujours.

M. Xavier de ROUX : Vous avez indiqué, tout à l’heure, qu’il n’y avait pas de rationalité économique et que cette décision avait été prise pour des raisons sociales et politiques. Quelles étaient ces raisons ?

M. Bruno BEZARD : Ce que j’ai dit exactement, c’est que le ministère des transports était favorable à un soutien de l’Etat, qu’il avait une vision plus optimiste que le ministère des finances sur la viabilité ultérieure de l’entreprise, et qu’il considérait " pour des raisons sociales et politiques ", etc. Je n’ai pas dit que la décision avait été prise pour des raisons sociales et politiques.

M. Xavier de ROUX : Vous avez coprésidé cette réunion au cours de laquelle l’arbitrage formel a été fait, et c’est au cours de cette réunion qu’une motivation est formulée quant à cette décision qui devient une décision du Premier ministre. Vous avez indiqué tout à l’heure que cet arbitrage avait été rendu pour des raisons sociales et politiques. J’aimerais savoir quelles étaient, dans l’esprit de l’arbitre, les raisons sociales et politiques ?

M. Bruno BEZARD : J’apporterai deux précisions. La décision a été prise au cours d’une réunion présidée par le Premier ministre et non pas lors de cette réunion. Par ailleurs, je n’ai pas indiqué que la décision avait été prise pour des raisons sociales et politiques, mais j’ai retracé la position du ministre des transports.

Quant à la motivation, elle figure à la première page du " bleu " de la réunion du 7 janvier 2002. Ce sont globalement les arguments qui ont été développés à l’époque par ceux qui étaient favorables au principe d’un soutien public, c’est-à-dire sur le plan social, les emplois de l’entreprise, sur le plan économique, l’aéroport d’Orly et les liaisons avec l’Outre-Mer.

Mme Arlette GROSSKOST : Je me permets de revenir sur l’accord du prêt FDES, puisque vous avez participé à sa mise en place. M. Fabius, que nous avons auditionné tout à l’heure, a évoqué les garanties accordées dans le cadre de ce prêt FDES, lequel comportait une contrepartie, sous forme de garanties. Pourriez-vous nous les rappeler, d’autant que vous parlez de rachat de créance de Swissair qui n’a pas été fait alors qu’il nous a semblé que le CIRI, dans son audition, avait fait état d’une cession de créance ?

M. Bruno BEZARD : S’agissant de la fixation des conditions précises dont le prêt FDES était assorti, cela a eu lieu postérieurement à la période pendant laquelle je me suis occupé du dossier, c’est-à-dire après le 7 janvier. Je n’ai pas le détail précis de ces conditions. Ce dont je me souviens en revanche, c’est que le ministre des finances, lors de la réunion chez le Premier ministre, a clairement indiqué que si soutien il devait y avoir, le prêt FDES était la moins mauvaise solution, mais qu’il devait être assorti de conditions drastiques.

Sur le deuxième point de votre question, j’ai mentionné que nous avions envisagé, au cabinet du Premier ministre, une autre solution. Très honnêtement, je ne sais pas si, avec le recul, elle aurait été préférable aujourd’hui. On partait du principe qu’il y avait un problème de trésorerie lié au non-recouvrement évident d’une créance importante. Sur le marché, il existe des techniques de mobilisation des créances qui, normalement, permettent au prix d’une décote, le rachat, la liquéfaction ou la titrisation de cette créance.

A l’époque, nous avions suggéré aux deux ministères concernés, plutôt que d’envisager un prêt direct de l’Etat, de recourir à ce type de solution, moyennant une décote importante, puisque la perspective de recouvrement était faible et que le coût de portage pouvait être élevé. Lors de la réunion informelle à laquelle je faisais allusion, le 12 décembre, nous avons suggéré cette solution ; les deux ministères nous ont indiqué qu’elle n’était pas mobilisable.

M. le Président : Ce sont également les informations que nous avons sur ce point.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Je prolonge la question de M. de Roux. Vous avez indiqué avoir été concerné par ce problème à compter du 12 décembre, ce qui signifie que vous-même avez eu connaissance de ce problème seulement à partir de ce moment-là.

Entre le 12 décembre et le 3 janvier, date de la réunion des ministres, le cabinet à Matignon n’est pas resté inactif. Il doit y avoir eu, au niveau du cabinet, des réunions sous l’autorité du directeur de cabinet. Le Premier ministre n’a pas pris sa décision le 3 janvier, sans avoir eu une préparation de sa réunion interministérielle par son propre cabinet.

Vous avez donc dû faire une simulation pour évaluer les conséquences du non octroi de ce prêt. A votre avis, quelle a été la raison majeure qui a fait que le Premier ministre, contre l’avis du ministre des finances, a pris sa décision ?

M. Bruno BEZARD : S’agissant de réunions au niveau du directeur de cabinet, je ne me souviens pas avoir participé personnellement à une réunion chez le directeur de cabinet ou chez le directeur de cabinet-adjoint. En revanche, j’ai eu une réunion informelle avec la cellule transports et les deux cabinets, la réunion chez le Premier ministre et la réunion de formalisation du 7 janvier.

S’agissant d’une éventuelle simulation des conséquences d’un non-soutien public. En ce qui me concerne, ce n’était pas de ma responsabilité. J’ignore si la cellule équipement et transport l’a fait, mais je suis sensible à votre question parce que j’ai déjà eu l’occasion, y compris dans un passé récent, de participer au traitement de grandes crises financières. C’est le type de travaux que l’on effectue systématiquement.

Mme Chantal ROBIN-RODRIGO : Monsieur le Président, permettez-moi de vous reprendre par rapport à ce que vous avez dit tout à l’heure, à savoir que M. Fabius indiquait qu’il n’y avait aucune chance d’obtenir le remboursement. Je vais minimiser vos propos. Jamais M. Fabius n’a dit cela.

M. le Président : Excusez-moi, j’ai fait mention du quatrième point de la notation manuscrite du directeur du Trésor sur la note adressée à M. Fabius.

Mme Chantal ROBIN-RODRIGO : Effectivement M. Fabius a porté toute réserve quant à l’attribution de ce prêt, mais jamais à aucun moment, il n’a dit dans son audition que ce prêt n’avait aucune chance d’être remboursé.

M. le Président : C’est bien le directeur du Trésor qui l’a écrit à la main sur une note adressée à M. Fabius, note sur laquelle M. Fabius lui-même souligne qu’il est réticent à l’attribution du prêt et que, malgré sa réticence, il se doit de l’accorder. Je vous confirme que ce n’est pas M. Fabius, mais le directeur du Trésor qui a dit cela.

Mme Chantal ROBIN-RODRIGO : Très bien.

Mme Chantal ROBIN-RODRIGO : Monsieur Bézard, vous connaissez M. Massignon, secrétaire général du CIRI. Connaissez-vous également M. Pérol ?

M. Bruno BEZARD : Tout à fait. Je le connais même très bien.

M. Xavier de ROUX : Le CIRI avait-il pour mission d’alerter, après la passation de ce prêt, les services du ministère des Finances sur des conditions requises et qui n’ont pas été respectées ?

M. Bruno BEZARD : Effectivement, le CIRI avait, par construction, mission d’informer le ministre.

M. le Président : Quelles étaient les fonctions de M. Pérol ?

M. Bruno BEZARD : Sauf erreur de ma part, il était sous-directeur B de la direction du Trésor, c’est-à-dire en charge de l’épargne, des marchés financiers et du CIRI.

M. le Président : Il supervisait le CIRI, mais n’en était pas le responsable direct qui était M. Massignon, secrétaire général ?

M. Bruno BEZARD : J’ai l’impression que vous voulez m’entraîner dans des questions de personnes, ce qui me met un peu mal à l’aise.

M. le Président : Je ne veux vous entraîner nulle part. M. Fabius nous a indiqué tout à l’heure qu’il lui semblait que le responsable du CIRI était M. Pérol. Or nous n’avons vu le nom de M. Pérol figurer nulle part. Lorsque nous avons auditionné M. Massignon en sa qualité de secrétaire général du CIRI, il nous a été indiqué qu’il assumait ces fonctions depuis le mois de mai 2001. M. Pérol était son supérieur hiérarchique à la direction du Trésor.

M. Bruno BEZARD : La direction du Trésor, comme tout ministère, a des lignes hiérarchiques. Chaque bureau est placé sous l’autorité d’un sous-directeur, lui-même placé sous l’autorité d’un chef de service, lui-même placé sous l’autorité d’un directeur. Ensuite on peut jouer sur les mots. Mais il convient de voir quel est le degré de reporting vers le haut.

M. le Président : Nous sommes tout à fait d’accord, et c’est pourquoi nous avons interrogé M. Massignon, secrétaire général du CIRI et M. Philippe Leroy, son secrétaire général-adjoint en charge personnellement du dossier. Toute la discussion vient du fait que M. Fabius a indiqué que M. Pérol était en charge du dossier, alors qu’il est en fait sous-directeur de la sous-direction B.

Dans le " bleu ", il est indiqué, postérieurement à la réunion : " Confirmation d’un accord pour la mise en place du GIE fiscal pour l’acquisition de deux Airbus. " Tout à l’heure, j’ai évoqué la banque Arjil qui a été sollicitée par les sociétés intéressées pour être conseil dans le montage du GIE. La banque Arjil devait notamment apporter des conseils pour le financement du GIE. Or elle s’est retirée du schéma, et il n’y a jamais eu d’investisseurs pour financer l’achat des avions.

Sur la décision prise postérieurement à la réunion, sur quelles garanties l’accord administratif pour ce GIE a-t-il été fondé en ce qui concerne les investisseurs ? Cela constitue en effet une pièce essentielle du dispositif décisionnel de l’attribution des fonds publics. Or nulle part, il n’est fait état d’investisseurs. De son côté, Airbus a vendu par la suite les deux avions, en l’absence d’investisseurs, à la compagnie Air Tahiti Nui, car personne ne pouvait les payer du côté d’Air Lib. A votre connaissance, y avait-il des garanties apportées pour ces investissements ?

M. Bruno BEZARD : Je suis confus de me répéter et de vous décevoir, mais je n’étais en charge ni de l’instruction, ni de la décision de ce GIE fiscal. Par conséquent, je n’en sais rien.

M. le Président : A Matignon, où j’ai passé un certain temps, les gens se parlent d’un bureau à l’autre. Il y a des échanges, en particulier je suppose sur un dossier aussi important.

M. Bruno BEZARD : Je suis sous serment. Je suis formel, il n’y a pas eu d’échanges sur cette question.

M. le Président : Je vous remercie d’avoir répondu avec autant de précision aux questions posées.


Source : Assemblée nationale (France)