Présidence de M. Jean-Pierre SCHOSTECK, président

M. Jean-Pierre Schosteck, président - Mes chers collègues, nous allons entendre M. Delaye, vice-président de l’Union nationale des associations de parents d’élèves de l’enseignement libre (UNAPEL), Mme Danièle Flocke, secrétaire régionale de l’UNAPEL, et Mme Régine Florin, enseignante, permanente de l’UNAPEL.

(M. le président lit la note sur le protocole de publicité des travaux de la commission d’enquête et fait prêter serment.)

La parole est à M. Delaye.

M. Jean-Marc Delaye - Nous sommes parents d’élèves ; nous représentons les familles de l’UNAPEL, qui compte 800 000 cotisants. Environ 2 millions d’élèves sont scolarisés dans l’enseignement catholique, soit à peu près un enfant sur cinq. Il faut savoir qu’à un moment ou à un autre, un enfant sur deux est passé, passe ou passera par nos établissements. Par conséquent, on ne peut pas considérer nos écoles comme des espèces de citadelles à l’abri des marées du temps.

Une spécificité de nos établissements tient au rôle des parents, qui y est assez fortement affirmé. Cependant, nous estimons que, si les parents se doivent d’être les premiers éducateurs, ils ne peuvent pas être les seuls.

Nous avons besoin de tous nos partenaires, au premier rang desquels figure la puissance publique. La plupart de nos écoles sont régies par des contrats d’association avec l’Education nationale.

En ce qui concerne la lutte contre la délinquance, nous partons d’un projet fondateur. Le projet éducatif de l’école catholique se raccroche à l’Evangile. Nous accueillons 10 % à 15 % d’enfants catholiques pratiquants. Ceux qui ont une culture chrétienne représentent environ 70 % des effectifs. Le reste des élèves est constitué de musulmans, de juifs et de personnes qui ne pratiquent aucune religion.

Nous souhaiterions qu’à un moment donné la puissance publique, l’Etat ou les hautes institutions comme la vôtre se penchent sur le problème du sens que l’on peut donner à l’éducation. Nous rencontrons trop souvent des enfants qui n’ont aucune référence à de quelconques valeurs. Selon nous, c’est le début de la délinquance. Pour moi qui suis juriste de formation, la loi, qui fonde la République, est un indicateur.

L’école catholique est constituée de grands établissements situés dans des quartiers très protégés et d’autresqui se trouvent dans des quartiers plus populaires. Ce n’est pas une école fermée. Mais ce qui nous inquiète beaucoup c’est le phénomène des bandes et de leur impunité. Petits, les enfants commencent par commettre de petites incivilités ; l’année suivante, ils vont venir par exemple dans nos kermesses et ils vont se livrer à des bousculades, des chapardages ; l’année d’après, comme ils n’ont jamais eu aucune sanction, leurs agissements sont un peu plus désagréables. Puis, lorsqu’ils atteignent quinze ou seize ans, nous finissons par avoir recours à des vigiles qui surveillent la porte d’entrée ou nous demandons au commissaire de procéder à des rondes perpétuelles. Il existe donc un problème. Il est essentiel de proposer aux jeunes des valeurs qui ne soient pas celles de la rue ou celles des bandes.

Dans l’éducation, il y a trois piliers, à savoir la famille, l’école et la rue.

En ce qui concerne la famille, nous voulons essayer d’aider les parents, mais il faut reconnaître que nombre d’entre eux sont très démunis. Qu’allons-nous tenter de faire ? Nous avons un projet qui s’attache à un certain nombre de valeurs, que l’on partage ou non. Cependant, il est très étonnant d’assister à l’inscription dans nos écoles de jeunes musulmans par leurs parents. Nous leur indiquons qu’il s’agit d’un établissement catholique, ce à quoi ils nous répondent : « c’est très bien ». Nous leur demandons alors pourquoi. Certains veulent que leurs enfants n’aient pas de mauvaises fréquentations. Pour d’autres, c’est le seul endroit où l’on va parler de Dieu, de valeurs, ce qui est rassurant pour eux.

Je sais que la loi a déjà prévu de nombreuses dispositions, mais il s’agit d’un axe. Il faudra un jour parler clair et indiquer quelles sont les valeurs de la République, les valeurs citoyennes et quelles mesures seront prises pour les faire respecter. Il faut cependant garder à l’esprit que tous les enfants ont besoin de transgresser. A notre époque, la transgression était bénigne, ou tout au moins sanctionnée.

Je cède maintenant la parole à Mme Florin, qui va vous expliquer comment nous fonctionnons et quel début de réponse pourrait être apporté à cette lutte contre la délinquance.

Mme Régine Florin, enseignante, permanente UNAPEL - On sait que les Français sont très avides de Prozac ; nos jeunes délinquants sont attachés à la violence : c’est leur Prozac. Si la violence est leur premier antidépressseur, c’est qu’ils n’ont pas le moral. Si tel est le cas, c’est qu’ils n’ont pas donné de sens à leur vie et qu’ils se demandent vers quoi ils vont, d’où ils viennent, ce qu’ils vivent et où ils vont.

Dans nos établissements, la communauté éducative, c’est-à-dire les parents, les enseignants et tous les adultes, essaie d’occuper le terrain en donnant un sens à son action, en l’inscrivant dans un projet éducatif ou d’établissement. En ma qualité de formatrice non seulement d’enseignants mais aussi de parents d’élèves, je constate dans nombre d’écoles la mise en oeuvre de grands chantiers visant à revoir le projet éducatif de l’établissement, en coordination avec les parents d’élèves, les enseignants, les cadres éducatifs et les jeunes, les élèves eux-mêmes. On rédige ensemble des projets éducatifs qui donnent du sens à un dialogue.

Dans l’un de ses ouvrages, Eric Debarbieux analyse les composantes de la violence. Il estime que quelque chose tient au climat scolaire, au climat d’insécurité. Selon des chiffres qu’il cite, les enseignants considèrent qu’en trois ans, le climat d’insécurité est passé de 8 % à 47 %. Ils ressentent, constatent plus d’agressivité, même si l’on ne sait pas si les actes ont augmenté. Quand on intervient dans des établissements en prévention de la violence, est évoquée en tout premier lieu la violence verbale. Cette notion est très difficile à définir. Où commence cette violence ? Où s’arrête-t-elle ? Chacun a son système de valeurs.

Au sein des associations de parents d’élèves de l’enseignement libre, nous sommes là pour accompagner les parents dans la prise de conscience progressive de leurs responsabilités éducatives. Pour ce faire, des structures ont été mises en place, sur proposition des parents d’élèves. Ainsi existent des services d’information familles. Des bénévoles ou des salariés vont y être à l’écoute des parents. Dans le cadre de commissions dénommées « jeunes et leurs difficultés », des parents démunis pourront se tourner vers des conseillers. Ils seront écoutés par des bénévoles ou par des professionnels qui vont les accompagner. Nous mettons également en place un bouquet de services par le biais duquel les parents, au cours d’une conversation téléphonique, vont disposer d’une écoute au sujet de problèmes auxquels ils sont confrontés. C’est un travail de partenariat et de dialogue constructif. Ont également été mises en place des rencontres intitulées « parents-école » axées sur ce qui est actuellement fait en matière de parentalité au cours desquelles des parents, des enseignants, des cadres éducatifs, des responsables, des chefs d’établissement traitent de sujets éducatifs qui ne sont pas spécifiques à l’établissement, ce qui donne l’occasion de construire ensemble la parentalité. Le premier thème qui a été abordé était dénommé « autorité-éducation ». L’une des affirmations à propos de laquelle tout le monde réagit est la suivante : les parents sont démissionnaires. Enseignants, chefs d’établissement et parents disent que ce n’est absolument pas le cas. Nous nous rendons compte que nous sommes un peu tous dans « la même galère » et que nous avons tous besoin de construire ensemble ce dialogue.

La spécificité des commissions « jeunes et leurs difficultés » est que l’on s’appuie d’abord sur des structures régionales puis départementales. Pour moi, c’est un peu l’éloge de l’action modeste, car l’on s’aperçoit qu’il estpossible ponctuellement, dans des établissements scolaires, d’influencer le climat scolaire.

M. Jean-Marc Delaye - Je souhaite apporter une précision. Autrefois, notre commission s’appelait « jeunes en difficulté ». Nous avons voulu modifier l’intitulé et viser les jeunes et leurs difficultés, ce qui, à notre sens, est beaucoup plus significatif de ce qu’ils doivent affronter.

Mme Flocke, à qui je vais céder la parole, est sur le terrain, à Marseille, où elle s’occupe d’une commission desécurité aux abords des établissements scolaires.

Mme Danièle Flocke, secrétaire régionale de l’UNAPEL - La délinquance n’est pas une fatalité et en s’en donnant les moyens, on peut inverser l’évolution. Depuis treize ans, à Marseille, existe la commission « sécurité aux abords des écoles ». Elle est parfaitement adaptable à tous les établissements scolaires de France. Je représente les 15.000 familles de Marseille et des communes voisines ainsi que les 30.000 autres de notre région académique.

Force est de constater malheureusement -et les chiffres sont là pour le souligner- qu’il existe une montée en puissance de l’incivilité d’où découle tout ce qui nous inquiète, à savoir les agressions, le racket, la drogue, les dealers. Pour traiter cas pas cas ces menaces, pour les prévenir et pour les combattre, j’essaie, à chaque appel, de trouver la solution adéquate et de mettre les intéressés en relation avec la personne appropriée, le bon service, naturellement le plus rapidement possible.

Je vais tout d’abord évoquer la mairie. A Marseille, je demande à ses services de sécuriser le devant des établissements scolaires par le biais d’élargissements de trottoirs, d’installations de feux, etc. Je réclame également la venue de personnes sous contrat emploi-solidarité pour aider les plus petits à traverser. Ce sont des adultes, présents tout au long de la journée. A Nice, il existe même des papis et des mamies « trafic », et le système fonctionne très bien. Je demande aussi du matériel pédagogique de prévention routière. Toutes ces mesures constituent un point de départ. Souvent, des officiers de police m’ont indiqué qu’il était bien d’avoir un site propre autour des établissements, sans petits buissons où pourrait être cachée notamment de la drogue.

En ce qui concerne la police et la gendarmerie, je téléphone à mes correspondants scolaires pour obtenir des îlotiers. En cas de problème plus important, je joins la brigade des mineurs ou celle des stupéfiants.

J’accompagne également parfois les parents dans leurs démarches compliquées, éprouvantes. Il en est ainsi lorsqu’il s’agit d’amener un enfant derrière une glace sans tain dans des affaires de pédophilie.

L’unité de prévention urbaine a été créée à Marseille voilà une dizaine d’années. Elle est constituée par des policiers volontaires qui se déplacent dans les écoles. Ils abordent la délinquance, la drogue, les sectes et toutes sortes de préventions. Ils travaillent aussi la nuit.

En ce qui concerne les actes de pédophilie, des actions d’information ont également été menées.

En fait, je suis le lien entre les établissements scolaires, les parents et les pouvoirs publics. Au cours de différents entretiens que j’ai pu avoir, mes interlocuteurs ont estimé qu’il fallait responsabiliser tant les parents que ceux de substitution. J’ai souvent entendu qu’il s’agissait d’une obligation citoyenne.

A titre personnel, je rappellerai que la loi de 1945 avait certes été adoptée à l’égard d’enfants qui n’avaient plus de parents, au lendemain de la guerre. Même si elle ne correspond plus aux enfants d’aujourd’hui, il serait bien de la faire appliquer, car elle a de bonnes bases.

M. Jean-Marc Delaye - Quand on est parent d’élèves et que survient un acte de délinquance dans un établissement, il est extrêmement important d’accompagner les parents. Il faut arriver à les convaincre de porter plainte. Globalement, nous sommes très présents dans nos établissements et, structurellement, nous entretenons des liens très forts avec les chefs d’établissement. De ce fait, un réel dialogue se noue au sein de l’école.

Pour terminer, je citerai quelques chiffres. En 1995, 24 % des élèves ont éprouvé un sentiment d’insécurité alors que 41 % d’entre eux ont connu le même sentiment en 1998. Il est à relever une nouveauté. Dorénavant, l’insécurité ne concerne plus seulement la cour ou les extérieurs de l’école ; elle est également ressentie à l’intérieur des classes. Chez les adultes, cette même impression est passée de 7 % à 49 %. Quant aux actes d’agressivité dont les enseignants sont les victimes, ils ont grimpé de 6 % à 37 %.

Cependant, ces données doivent être tempérées. Certes, quatre fois plus d’élèves sont agressés, mais ces faits ne représentent que 0,042 % de la délinquance.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur - Les chiffres que vous venez de nous communiquer, monsieur Delaye, concernent-ils l’enseignement privé ?

M. Jean-Marc Delaye - Ce sont des données globales.

M. le rapporteur - La délinquance touche-t-elle de la même manière l’enseignement privé et public ?

M. Jean-Marc Delaye - Nous avons plus de moyens de lutter contre la délinquance, les parents étant très présents dans et aux abords des établissements. Se crée de ce fait une espèce de réseau. Les parents se connaissent et connaissent les enfants qui fréquentent l’établissement. Dans le XVIIIème arrondissement, où était scolarisé l’un de mes enfants, certains parents d’élèves étaient commerçants et, lorsqu’ils s’apercevaient d’actes douteux, ils téléphonaient à l’école ou à l’association de parents d’élèves. Il existe par conséquent des référents. Cela fait partie de nos projets d’établissement ; c’est une volonté affirmée. Quand vous entrez dans un établissement privé, vous prenez l’engagement de suivre certaines règles du jeu. De plus en plus, nous allons essayer de développer cela avec les enfants. Ainsi, une petite école de Paris a mis en place en primaire un conseil, dont les membres sont élus à l’issue d’une campagne électorale, et qui élabore des projets. Il s’agit, par exemple, de définir comment les élèves vont se mettre en rang, qui va balayer la cour, qui va éviter de mal parler, etc. Ce sont des projets à leur niveau, mais c’est là que tout commence. Dans l’école du XVIIIème arrondissement où était mon fils, existait un conseil d’élèves avec des élections ; les représentants des élèves participaient au conseil d’établissement, etc. Cela permet aux enfants de savoir ce qu’est la vie citoyenne.

Plus les parents seront présents dans les établissements et plus nous pourrons sinon les former, du moins les informer des dangers et leur apporter une écoute. L’expression « comité éducatif » a été créée par les parents d’élèves de l’enseignement libre voilà vingt-six ans environ. Grâce à vous, messieurs, il est repris dans la loi.

A titre personnel, il me paraît extrêmement important de revaloriser la philosophie, puis de la réintroduire dans les enseignements technologique et professionnel et d’intégrer le questionnement philosophique, y compris chez les petits. Pour les personnes aux cheveux blancs comme moi, cela s’appelait l’instruction civique et la morale. Je sais que l’Education nationale fait de grands efforts en ce sens, mais elle peut mieux faire.

M. le rapporteur - Mme Flocke a parlé du bien-fondé et de l’efficacité du partenariat entre les parents, la police, la justice, les différents acteurs. Vous sentez-vous suffisamment associés aux diverses réponses qui peuvent être proposées, aussi bien par votre fédération nationale qu’au niveau local ?

Mme Danièle Flocke - Au niveau local, la réponse est positive. Le maire, M. Gaudin, met tout en oeuvre pour cela. Tout le monde y met du sien.

Je suis persuadée que la présence et l’engagement des parents aux abords des écoles est essentielle. C’est un gage de sécurité pour nos enfants. Il faut demander cet effort aux parents.

M. Jean-Marc Delaye - A l’échelon national, depuis quelque temps, les différents ministères, qu’il s’agisse de celui de l’Education nationale ou de celui qui est en charge de la santé, affichent une volonté assez forte d’associer les parents à la réflexion qu’ils peuvent mener. Nous pouvons apporter sinon des solutions, du moins des pistes de réflexion.

Mme Régine Florin - Ainsi, dans les réseaux d’écoute et d’aide à la parentalité qui ont été mis en place par la délégation interministérielle à la famille, les actions de sensibilisation à la prévention des conduites à risques, à la drogue, à la violence qui sont organisées à l’intérieur des établissements scolaires à l’attention des parents ont bénéficié de subventions dans le cadre des réseaux. Le délégué interministériel est récemment venu présenter ces réseaux d’écoute au conseil des présidents et il s’est vivement intéressé à ce que nous faisions. En réalité, il faut que nous nous prenions par la main et que nous allions demander.

M. Jean-Marc Delaye - Il est à noter une bonne écoute, notamment dans les établissements parisiens. Les policiers viennent assez souvent en uniforme, fait qui est nouveau et que je trouve très bien, expliquer comment lutter contre le racket, présenter les dangers de la drogue, etc. De plus en plus, les actions sont réalisées avec les chefs d’établissement, voire avec les enseignants. Les parents, tout comme leurs enfants les premiers, ont encore peur des représailles et des violences. A ce stade, un important travail reste à accomplir.

M. le président - Tout le monde se rend compte que rien ne peut se faire sans que toutes les parties prenantes soient associées. Tous ceux qui, à un titre ou à un autre, doivent faire face à ces problèmes de délinquance doivent assumer leurs responsabilités. Il est effectivement normal que les parents soient de plus en plus associés. Leur présence à la sortie des établissements est certainement une bonne chose. Si elle est facilement envisageable dans le primaire, qu’en est-il dans le secondaire ?

M. Jean-Marc Delaye - En ce qui concerne les lycées, malheureusement, une telle présence n’est pas assurée. Au collège, elle fait l’objet d’une espèce de tractation. En cinquième ou en quatrième, les enfants acceptent encore que leurs parents les accompagnent, surtout si ceux-ci sont impliqués dans le milieu éducatif et qu’ils en profitent pour rencontrer d’autres parents. Ils leur demandent simplement de leur lâcher la main 50 mètres ou 100 mètres avant l’école. Une telle attitude est dissuasive. J’en veux pour preuve l’anecdote que m’a racontée une amie hier soir. Elle accompagnait sa fille à l’école et celle-ci lui a demandé de la laisser à 100 mètres de l’école ; sans que la mère sache pourquoi, sa fille est revenue vers elle sous prétexte qu’elle avait oublié de lui demander quelque chose, et elle s’est laissée conduire jusqu’à la porte de son établissement.

Une personne d’une communauté africaine faisait remarquer que les membres de ladite communauté ne nous comprenaient pas nous, parents. Ils se demandaient pourquoi, si l’on voyait l’un de leurs fils commettre une incivilité, on ne lui donnait pas une claque. Dans nos écoles, on ne sait pas agir ainsi, mais on pourrait se permettre de faire une observation.

M. le président - Lors d’une audition précédente, un intervenant nous expliquait que les communautés africaines, notamment, vivent ainsi ; dans les villages, n’importe quel adulte peut réprimander n’importe quel enfant, et tout le monde trouve cela très bien. La transplantation en France pose quelques problèmes, et on peut le regretter.

M. Jean-Marc Delaye - Je ne suis pas tout à fait d’accord. J’ai le souvenir de m’être fait rappeler à l’ordre lorsque je laissais un peu trop vivement éclater ma jeunesse sur le trottoir de l’école. On était repris par des adultes à l’époque et on trouvait cela tout à fait normal. Nos moeurs ont évolué. Mais je crois qu’il faut laisser le droit aux jeunes de transgresser. Le seul problème est qu’ils sachent s’arrêter.

M. le rapporteur - Que pensez-vous de la proposition tendant à redynamiser les internats au collège et au lycée ?

M. Jean-Marc Delaye - Elle peut engendrer le pire et le meilleur. Si ce sont des internats-prisons dans lesquels on va enfermer des jeunes sans leur fixer un projet, il s’agira de ce que l’on appelait avant des « maisons de correction ». En revanche, si, dans ces structures, on leur apprend à vivre en société, à respecter un certain nombre de valeurs collectives, cette formule peut être la meilleure des choses.

A un moment donné, il va falloir que le Parlement soit unanime sur un certain nombre de points. C’est très important pour moi. Vous devez donner des orientations.

M. le rapporteur - Que pensez-vous de la sanction éventuelle infligée aux familles défaillantes sur les allocations familiales ?

M. Jean-Marc Delaye - C’est une tentation. S’il s’agit de les en priver, on les rend encore plus volatiles et on les enferme encore plus dans la délinquance. Si une telle mesure est imposée de façon brutale, ce n’est pas une bonne solution. En revanche, si l’on trouve un biais afin que l’argent bénéficie aux enfants exclusivement et non à toute la famille, cette proposition peut être intéressante.

M. le président - Au cours d’un débat en séance publique, j’avais suggéré d’élargir les possibilités de tutelle, de façon que les allocations continuent de profiter à l’enfant.

M. Jean-Marc Delaye - Le tutorat me paraît être une solution.

M. Jacques Mahéas - Je suis optimiste à propos du tutorat car de plus en plus de jeunes retraités s’occupent par exemple des aides aux devoirs. Je félicite les parents car l’on ressent une prise de responsabilité de leur part dans les écoles que vous avez mentionnées.

Je voudrais tout d’abord savoir si le choix de mettre son enfant en école privée est toujours dicté, comme autrefois, par des considérations religieuses ou si ce n’est pas plutôt la crainte de l’insécurité dans les écoles publiques qui motive les parents.

Par ailleurs, quand se produit dans un établissement privé un fait dramatique, qu’en tirez-vous comme conclusion ?

M. Jean-Marc Delaye - Deux de mes enfants ont été scolarisés dans le public et les deux autres l’on été dans le privé. Par conséquent, mon cas correspond tout à fait à la statistique française.

M. Jacques Mahéas - Avez-vous mis vos enfants à un moment donné de leur scolarité dans le public et ensuite dans le privé ?

M. Jean-Marc Delaye - Plusieurs critères ont motivé mon choix. Dans certains cas, la qualité de l’enseignement public était supérieure à celle du privé, ce qui a pu influencer ma décision. Mon choix n’a pas été à proprement parler purement religieux. D’ailleurs, seuls 10 % à 15 % des parents qui optent pour l’enseignement catholique le font par conviction religieuse. C’est fort bien car nous sommes sous contrat d’association avec l’Etat et nous estimons faire partie du service public de l’éducation.

Ma situation est cependant un peu particulière. En ce qui concerne le premier de mes enfants, je n’ai pas eu le choix : lorsque j’ai voulu l’inscrire à l’école la plus proche de mon domicile dans le XVIIIème arrondissement, la directrice m’a indiqué qu’il n’y avait pas de place. Elle m’a également fait part des difficultés qu’elle rencontrait en matière de réussite scolaire en raison du nombre important d’élèves par classe -une trentaine- et de la diversité des ethnies qui pouvaient aller jusqu’à vingt-cinq par classe. Elle m’a donc conseillé de rechercher un autre établissement, public ou privé, qui accepterait mon fils. J’ai alors trouvé une école dont le projet éducatif et le mode de fonctionnement m’ont convaincu.

Si un projet éducatif existe, car tel n’est pas toujours le cas, il faut le faire vivre. S’il s’agit simplement d’une feuille de papier que l’on fait signer aux parents en début d’année sans faire respecter ce projet, cela n’a aucun intérêt. Ce fait a entraîné mon engagement personnel. Mes enfants et petits-enfants ont fait ou font leurs études dans l’enseignement privé. De surcroît, un tel choix implique des sacrifices pour certains parents.

Parfois, des parents musulmans nous disent : « c’est mieux tenu dans vos établissements ». Je n’aurai pas l’outrecuidance de soutenir que c’est vrai mais ces personnes le perçoivent ainsi. Cela signifie que les parents sont réellement en attente de repères pour leurs enfants.

Je disais tout à l’heure que pour moi, en République, la loi est la valeur suprême. Si elle n’est pas bonne, il est de votre responsabilité, messieurs les sénateurs, de la changer.

Nous sommes des parents vraiment engagés et nous ne comptons pas notre temps. Lorsque des catastrophes se produisent dans un établissement, nous allons en rechercher la raison et nous allons essayer d’accompagner les parents. Une personne m’a fait la réflexion suivante : « Si j’ai un fils qui a de brillants résultats scolaires mais si, alors qu’il a quinze ans, on m’apprend qu’il est assassin ou qu’il est mort, je considérerai que je n’aurai pas réussi mon éducation ».

Nous avons l’impression qu’il faut absolument prendre en compte cette dimension. Pour ma part, j’estime pouvoir faire quelque chose. Mais, dans le secteur public, c’est moins évident. Les chefs d’établissement ont un peu moins de pouvoir sur leur propre établissement ; par conséquent, ils ne peuvent pas donner la même impulsion.

Mme Régine Florin - Il est clair qu’il y a le sens d’une équipe d’adultes qui est soudée autour d’un enfant, lequel se reconnaît comme étant identifié individuellement et non comme étant perdu dans l’anonymat. De ce fait, le comportement n’est pas le même. Au lieu de dire : « toi, là-bas », si je dis : « Charles, qu’es-tu en train de fabriquer ? », cela change tout !


Source : Sénat français