Présidence de M. Jean-Pierre SCHOSTECK, président

M. Jean-Pierre Schosteck, président -Nous allons entendre M. Philippe Chaillou, président de la chambre spéciale des mineurs de la cour d’appel de Paris.

(M. le président lit la note sur le protocole de publicité des travaux de la commission d’enquête et fait prêter serment.)

Vous avez la parole, Monsieur Chaillou.

M. Philippe Chaillou - Monsieur le président, pour faire écho à ce que disait mon prédécesseur, je vais essayer d’être le plus concret possible. Je vais partir de mon métier, de ce que je fais. A mon sens, la justice des mineurs souffre avant tout d’être méconnue, du fait de ce que l’on appelle « la publicité restreinte », principe qui veut que les audiences pénales de mineurs ne soient pas publiques, à la différence des audiences concernant les majeurs. Ce principe de publicité restreinte est sain, il est édicté pour préserver l’avenir des jeunes, mais, en entretenant l’ignorance, il finit par se retourner contre les mineurs.

Au-delà de ce principe, la responsabilité de cette méconnaissance incombe aussi à ceux dont le métier est d’informer et qui ont tendance à privilégier le fait divers au détriment de l’analyse. Je pense à la série télévisée sur le travail du juge des enfants qui, il y a quelques années, avait passionné l’opinion et qui avait bien donné à voir le travail des juridictions pour mineurs.

Je préside la chambre spéciale des mineurs de la cour d’appel de Paris, cette chambre ayant pour mission de statuer sur tous les appels interjetés à l’égard des décisions prises par les juges des enfants tant en ce qui concerne l’enfance délinquante que l’enfance en danger. Je suis dans cette chambre depuis plus de six ans, après avoir été substitut du procureur, juge des enfants en province et à Paris, président d’un tribunal pour enfants en province et exercé d’autres fonctions à la cour d’appel, mais toujours dans le droit des personnes.

Ce n’est pas de ces fonctions juridictionnelles que je vous parlerai, même si, lorsque l’on a pour ambition de réformer la justice, il n’est peut-être pas inutile d’être informé sur l’acte particulier de juger. La seule remarque que je ferai concernant cette activité juridictionnelle est que le laxisme supposé de la justice des mineurs est un mythe. Je vais citer un seul exemple : la chambre que je préside a confirmé une peine de douze ans de réclusion criminelle prononcée à l’égard d’un mineur de quatorze ans et demi au moment des faits. Je puis vous assurer, avec le recul d’un certain nombre d’années, que les peines prononcées par les tribunaux pour enfants sont de plus en plus lourdes.

Je vais essayer de vous expliquer le rôle de coordination que j’exerce au sein de la cour d’appel de Paris depuis de nombreuses années, en dehors de tout texte et de toute obligation, même si une toute récente circulaire du garde des sceaux du 8 mars 2002 vient d’officialiser cette pratique.

Le ressort de la cour d’appel de Paris comporte sept tribunaux pour enfants -Paris, Bobigny, Créteil, Evry, Meaux, Melun et Auxerre- tout cela n’est pas très facile. Il y a plus de cinquante juges des enfants dans le ressort de la cour d’appel de Paris, soit un peu plus d’un sixième des juges des enfants sur le plan national.

J’exerce ce rôle d’animation dans la plus étroite collaboration avec l’avocat général chargé des affaires de mineurs. Je réunis tout d’abord régulièrement les présidents des tribunaux pour enfants du ressort, la dernière réunion datant du 19 mars dernier, pour tenter d’harmoniser les pratiques au sein de la cour. Je réunis tous les juges des enfants du ressort pour des réunions à thème, par exemple sur les commissions d’incarcération des mineurs, sur les mineurs étrangers isolés -des commissions parlementaires se sont penchées sur cette question. Je tiens également des réunions partenariales avec la protection judiciaire de la jeunesse, l’administration pénitentiaire, des réunions transversales avec d’autres magistrats qui s’occupent des affaires de mineurs, juges de l’application des peines.

Je visite régulièrement les juridictions de mineurs, le plus souvent avec l’avocat général chargé des affaires de mineurs. Ce ne sont pas des visites de courtoisie. Elles durent une journée. On commence par un entretien avec les chefs de juridiction ; on tient une réunion avec tous les partenaires extérieurs de la juridiction, en présence des chefs de juridiction, des juges des enfants, des substituts chargés des affaires de mineurs, avec la police, la gendarmerie, la protection judiciaire de la jeunesse, l’aide sociale à l’enfance, l’Education nationale et le barreau. L’après-midi, le magistrat délégué à la protection de l’enfance du siège que je suis réunit les juges des enfants, en général en présence du président du tribunal, pendant que l’avocat général est avec le procureur et les magistrats du parquet, les substituts chargés des affaires de mineurs. Je crois que, si les activités doivent être absolument complémentaires, il y a des moments aussi où il ne faut pas mélanger le rôle d’un magistrat du siège avec celui d’un magistrat du parquet. J’organise enfin une réunion avec les chefs de juridiction, les juges des enfants, les substituts chargés des affaires de mineurs, les juges d’instruction chargés d’affaires de mineurs et les juges de l’application des peines pour avoir un regard un peu global sur la politique de la juridiction dans le domaine des mineurs.

Je fais un rapport de ces visites au premier président. Je vous remettrai d’ailleurs le dernier rapport, si vous le souhaitez, qui date du mois de juin 2001.

Chaque année, je visite tous les quartiers de mineurs des maisons d’arrêt du ressort, le plus souvent avec l’avocat général, parfois avec le premier président. Vous avez sans doute visité le centre des jeunes détenus de Fleury-Mérogis. Nous y avons mené une action importante sur les problèmes de violence, qui se sont depuis beaucoup améliorés, au point que la prison peut être considérée comme pilote dans ce domaine. Néanmoins, le CJD abrite soixante jeunes et il faudrait faire des unités moins importantes.

Je me rends également dans les établissements privés habilités qui accueillent les mineurs placés, afin de lescontrôler -c’est la loi.

Vous comprendrez que j’ai non pas une connaissance théorique de la délinquance des mineurs, mais une appréhension extrêmement concrète des mineurs eux-mêmes, que je vois tous les jours à la cour d’appel, mais également sur le terrain par des contacts avec les différents intervenants institutionnels que je viens d’évoquer.

Comment vois-je la situation actuelle ? J’étais le rapporteur général de la mission Lazerges-Balduyck, dont le rapport de quatre-vingt-six pages comporte cent trente-cinq propositions ; je ne vais pas vous les répéter, j’imagine que vous les avez lues. Les choses ont évolué ; je vous ferai donc part de la façon dont je vois les choses aujourd’hui.

La situation n’est pas très bonne. On assiste à une massification de la délinquance des mineurs, avec des réponses qui sont à mon sens de plus en plus inadaptées. Cela dit, la situation n’est pas pire qu’il y a un an ou deux. Je constate plutôt, dans mes visites des juridictions, une certaine stagnation par rapport à la délinquance des adultes. Or, depuis peu et sans le moindre fondement objectif, les discours se sont énormément radicalisés, contribuant à finir d’affoler un système et une opinion qui ont besoin de tout sauf de cela.

Face à une telle situation, l’urgence, me semble-t-il, est de reprendre les fondamentaux, d’avoir une sorte de « discours de la méthode ». Premièrement, et c’est essentiel, parce que je crois que la plupart des errements viennent de là, il ne faut pas confondre ce qui ressort du politique et ce qui ressort de la justice.

Devant un problème qui devient de plus en plus collectif -j’ai parlé de massification- la justice ne peut donner, c’est son essence même, que des réponses individuelles, ce qui marque d’ailleurs la limite de son action. Grosso modo : tu y étais ou tu n’y étais pas ; si tu y étais, tu as des comptes à rendre de ce que tu as fait. La justice peut casser une bande en renvoyant chacun à sa responsabilité individuelle dans les faits qui ont été commis, mais elle ne peut pas empêcher que la bande se reconstitue ou qu’une autre bande prenne la relève pour toutes les raisons qui font que, dans certains quartiers et pas dans d’autres, des bandes se constituent. La justice n’est pas et ne peut pas être dans la gestion collective des populations.

En revanche, il est de la responsabilité du politique qu’il n’y ait pas de manière endémique 30% de délinquants dans une rue pour des raisons socio-économiques et culturelles que tout le monde connaît, qui n’ont rien à voir avec le fonctionnement de la justice. Je me suis occupé en même temps des XVIème et XVIIIème arrondissements de Paris ; je ne vous apprendrai rien en vous disant que le taux de mineurs délinquants dans ces deux arrondissements n’était pas le même. Pourtant, la même justice y était rendue.

Or, il faut bien constater qu’il n’y a pas de réponse politique en matière de délinquance des mineurs. Ne nous payons pas de mots, la délinquance des mineurs est essentiellement un mal des quartiers en difficultés, qui cumulent tous les handicaps : chômage, immigration forte, absence de services publics. Ce n’est pas une problématique du VIème arrondissement de Paris.

Qu’est-il fait pour ces quartiers en difficultés ? A l’évidence, pas assez. Une récente étude de l’INSEE relève que, malgré la baisse de la population dans ces cités entre 1990 et 1999, le nombre des chômeurs y a nettement augmenté. En 1999, le chômage y était toujours deux fois plus élevé que sur l’ensemble du territoire national.

Or, les mineurs délinquants sont dans ces cités, tout comme les mineurs délinquants sont pour beaucoup des jeunes d’origine étrangère qui cumulent toutes les inadaptations et devant lesquels toutes les portes se ferment lorsqu’ils cherchent du travail. Il est peut-être ainsi difficile d’accepter les règles d’une collectivité qui ne vous laisse de place que devant un écran de télévision ou une console de jeux, d’autant qu’il vous sera alorsservi meurtres en série, publicités affriolantes, sommes astronomiques gagnées par quelques vedettes ou hommes d’affaires parfois véreux et pornographie.

La raison de la massification de la délinquance des mineurs n’est pas ailleurs que dans les dysfonctionnements sociaux que je viens d’évoquer. Elle n’est pas ailleurs que dans l’absence d’action sur les causes. Plutôt que de s’attaquer à ces vraies raisons, il est plus facile de trouver des boucs émissaires comme la justice ou la protection judiciaire de la jeunesse, institutions certes tout à fait imparfaites, mais qui n’auront jamais le pouvoir à elles seules de juguler le phénomène.

Pour ce qui concerne la justice des mineurs, ce que je connais le mieux, cela ne va pas très bien dans une institution -la justice- qui, globalement, va mal. Je citerai quelques points d’appui, simplement pour tenter d’y voir clair. Une sorte de tolérance « zéro » a été mise en place pour apporter une réponse à tout acte de délinquance ou d’incivilité commis par un mineur. En conséquence, le contentieux des mineurs délinquants est le contentieux judiciaire qui a le plus augmenté. Le résultat, c’est que l’institution judiciaire est engorgée. Cela rentre, mais cela ne sort pas ; ou, ce qui sort, c’est parfois du vent. Je suis désolé de tenir des propos aussi crus.

Je vais vous lire des extraits d’une lettre qui m’a été adressée le 25 février 2002 par le président du tribunal de grande instance de Meaux : « Monsieur le président, nous avons l’honneur d’appeler votre attention sur une difficulté de fonctionnement que nous rencontrons dans l’exercice de nos fonctions, relative à l’inexécution des décisions prises par les juges des enfants du tribunal de grande instance de Meaux.

« En effet, les magistrats du tribunal pour enfants de Meaux font depuis plusieurs années le constat d’un retard important dans l’exécution de leurs décisions, tant au pénal qu’en assistance éducative. En dépit des moyens accordés en 2000 par les autorités concernées -protection judiciaire de la jeunesse et Conseil général-, la situation n’a pas cessé de se dégrader en 2001. Ainsi, le département de la Seine-et-Marne a atteint au 30 septembre 2001 le chiffre de 476 mesures en attente d’exécution, soit 23% des mesures en attente de la région d’Ile-de-France. » Le nord de ce département est une zone difficile ; c’est en outre un département pilote en matière de délinquance des mineurs.

« Au sein du département, la juridiction de Meaux est plus particulièrement touchée puisque le nombre des mesures en attente pour cette juridiction représente 64% du chiffre départemental (...).

« La liste d’attente comprend aussi bien des mesures d’investigation -enquêtes rapides, investigations et orientations éducatives- que des mesures éducatives -assistance éducative en milieu ouvert, liberté surveillée, mesures de réparation- ou des peines prononcées par le tribunal pour enfants -sursis avec mise à l’épreuve, travail d’intérêt général. A titre d’exemple, certains sursis avec mise à l’épreuve prononcés pour une durée de dix-huit mois ne sont pris en charge que durant les six derniers mois. Certaines peines de travail d’intérêt général ne sont pas exécutées à l’expiration du délai de dix-huit mois. Des mesures de réparation ordonnées pour une durée de quatre mois sont prorogées à deux reprises et exécutées un an après leur prononcé.

« Dans ces conditions, il est facile d’imaginer à quel point notre action pénale est frappée d’inefficacité et comment cette situation génère ou renforce un sentiment d’impunité chez les mineurs auteurs d’infractions. L’action éducative posée en principe de l’ordonnance du 2 février 1945 n’est pas exercée et conduit tout droit à la récidive certains mineurs qui, s’ils avaient été pris en charge à temps par un service éducatif, auraient pu mettre un terme à un parcours délinquant. »

Je ne vous ai pas parlé des peines de prison qui, prononcées par un tribunal, ne sont pas exécutées par le parquet. C’est aussi la réalité. Contrairement à ce que l’on dit, l’ordonnance de 1945 n’est pas un texte laxiste puisqu’il permet l’exécution provisoire de la décision, ce qu’aucun texte concernant les majeurs ne prévoit. Personne n’en parle, mais c’est tout à fait important et les tribunaux la prononcent de plus en plus. Vous pouvez faire arrêter un adulte à l’audience uniquement si vous prononcez une peine d’emprisonnement ferme ou s’il comparaît à la suite d’une procédure de comparution immédiate.

Pour un mineur, le texte est beaucoup plus répressif puisque, dans tous les domaines, le tribunal pour enfants peut assortir sa décision de l’exécution provisoire, c’est-à-dire qu’un mineur en situation de réitération que l’on condamne à trois mois d’emprisonnement ferme peut être arrêté à l’audience. Il ira en prison même s’il fait appel. Si cela fonctionnait bien, cela permettrait d’aller très vite. Par rapport à la question de la détention provisoire, c’est l’un des arguments qui revient souvent en matière correctionnelle pour les mineurs âgés de treize à seize ans. Si on fait venir les affaires relativement vite devant le tribunal, on peut arrêter très rapidement et assez fermement un mineur qui est dans la réitération.

Après cette parenthèse sur les peines de prison qui ne sont pas exécutées -je parlais uniquement des mesures éducatives dans un premier temps- j’en reviens à mon propos. On a le sentiment qu’il faut que l’institution judiciaire donne à voir qu’on fait quelque chose ; peu importe si on sait très bien que ce quelque chose qui est fait par la justice n’a pas de prise sur la réalité, peu importe s’il s’agit d’une machine qui tourne à vide !

Le problème, c’est que les gens comprennent vite que le roi est nu et que tout cela peut finir par décourager les magistrats, même ceux qui aiment beaucoup leur travail -et il y en a quand même un certain nombre.

Dans un tel contexte, que croyez-vous que je puisse penser des miracles que l’on nous annonce avec la réforme de l’ordonnance de 1945, avec les procédures de comparution immédiate ou les centres fermés ? Avec tous ces projets, j’ai bien peur qu’on finisse de casser un outil qui n’était pas si mauvais, qui reposait -lestechnocrates l’ont oublié- sur une rencontre singulière entre un jeune et son juge ou entre un jeune et son éducateur. Quand on arrive à un certain âge de la vie, on sait très bien que c’est toujours à partir d’une rencontre avec un autre qu’un jeune peut s’en sortir.

A mon sens, avant toute fuite en avant, donnons-nous premièrement les moyens d’agir sur les causes de la délinquance des mineurs et, deuxièmement, faisons en sorte que la justice ait tout simplement les moyens de faire son travail.

M. le président - Monsieur le président, nous vous remercions de votre exposé fort clair et très intéressant.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur - Pour reprendre vos conclusions, monsieur le président, comment peut-on améliorer la situation et faire en sorte que la justice ait les moyens d’agir sur la délinquance des mineurs ? Quelles grandes propositions pouvez-vous nous faire ?

M. Philippe Chaillou - Des moyens ont été donnés, des annonces ont été faites dans le milieu éducateur, mais tout cela met beaucoup de temps à arriver sur le terrain.

Par ailleurs -j’ai parlé de la juridiction de Meaux- ces moyens ne sont pas toujours accordés là où ils devraient l’être. Il faudrait une prospective, une analyse des évolutions de population ; il faut « mettre le paquet » sur les quartiers, « changer de braquet ».

Je vous livre quelques suggestions dans le désordre.

Les maisons de la justice et du droit, par exemple, offrent une justice assez proche des citoyens. Elles ne seraient pas adaptées aux grosses infractions, qui doivent être traitées au tribunal avec un certain cérémonial, mais les juges des enfants doivent leur être plus étroitement associés.

Il faut agir davantage sur le terrain.

Peut-être cela provoquera-t-il des levées de boucliers, mais, dans le texte de l’ordonnance de 1945, étaient prévus des délégués bénévoles à la liberté surveillée. Ils ont fonctionné, puis ont été abandonnés. Dans les quartiers, quelques adultes bénévoles, à la personnalité bien trempée, des pères de famille -certains se mobilisent parfois pour aller chercher les enfants- qui seraient bien identifiés, bénéficieraient du soutien des institutions, pourraient agir auprès de ces jeunes : ils sont en effet au plus près d’eux, ils connaissent la réalité de leur quartier.

Je crois enfin -cela a été évoqué- que les juridictions ne sont pas très bien gérées. Peut-être le temps est-il venu d’en confier la gestion à des ingénieurs en organisation, par exemple, à des gens dont c’est le métier d’organiser. Les choses deviennent de plus en plus complexes, et la justice des mineurs est tributaire des modes de fonctionnement de la justice en général.

Je disais que la justice allait mal : c’est une évidence. Toutefois, même si elle est actuellement extrêmement fragilisée, et qu’il ne faut donc pas trop en rajouter, elle a quand même besoin, à mon sens, de réformes fondamentales.

Ainsi, les citations par huissier sont complètement inopérantes dans les quartiers. A Paris, elles sont toujours délivrées : les huissiers convoquent les gens au Palais de justice -ils perçoivent bien sûr des émoluments- pour la leur remettre. Des moyens plus simples -lettre recommandée avec une sorte de contrat avec La Poste-pourraient être adoptés. Un employé de l’étude se rend -ou non- dans les quartiers ; du fait des décisions prises par défaut, avec des possibilités d’opposition, les procédure traînent pendant des années.

Sur les voies de recours devant la justice, il y aurait, à mon avis, à dire. La justice doit être un peu efficace : elle n’est faite ni pour les juges, ni pour les auxiliaires de justice ; elle est faite pour les justiciables. Il faut qu’il y ait une certaine autorité de la chose jugée.

Je vais tenir des propos peut-être un peu iconoclastes : en France, toute affaire peut-être jugée deux fois. C’est un principe. Je ne suis pas certain que, pour le justiciable, ce soit une bonne chose.

Ce droit d’appel rallonge évidemment la durée des procédures. Dans d’autres pays, il est possible uniquement s’il y a des raisons de faire appel : soit le premier juge, soit une petite commission au niveau de la cour d’appel en décide.

Basculer les moyens dévolus à l’appel en première instance, prendre le temps d’écouter les gens, faire moins de justice à l’abattage, restreindre un peu le droit d’appel, permettrait d’avoir une pyramide avec beaucoup plus de moyens en première instance.

M. le rapporteur - Les structures d’accueil sont-elles bien adaptées, en nombre suffisant ?

M. Philippe Chaillou - Je ne sais pas où vous en êtes de vos investigations.

Un gros problème d’hébergement se pose. La PJJ est en difficulté sur ce point, même si les CER, les centres éducatifs renforcés, ne fonctionnent pas mal.

Il existe malgré tout des solutions. Je vais parler un peu de mon expérience passée.

J’ai beaucoup travaillé, quand j’étais en province, et ensuite, à Paris, en première instance, en tant que juge des enfants, avec des « lieux de vie ». Il ne s’agit pas de « Cheval pour tous », qui a été évoqué dans la presse. Les magistrats doivent contrôler ces endroits, mais il est bien évident qu’un certain nombre de jeunes qui se sont marginalisés et qui ont vécu avec le moins de contraintes possible -il faut dire les choses telles qu’elles sont- ont le plus grand mal à intégrer une structure d’hébergement classique. Pour eux, il faut du « cousu main », des structures qui proposent quelque chose auquel ils puissent « accrocher ».

Je me souviens avoir travaillé avec des gens qui avaient retapé un thonier. Une fois sur l’océan, ils faisaient faire de la plongée aux jeunes, qui quittaient ainsi la cité. J’étais alors dans le XVIIIème arrondissement de Paris. J’avais une photo du bateau dans le tiroir de mon bureau. Un gamin m’était déféré ; après l’avoir sermonné -c’était un peu une mise en scène- je la lui montrais : « Cela te dirait d’aller là-bas ? » Je passais un coup de téléphone aux éducateurs, qui venaient le chercher, et il partait dans ce lieu de vie où il était encadré.

Se pose bien sûr la question de l’après : il n’y a pas de miracle dans ce domaine-là, mais on peut s’appuyer sur des structures alternatives qui offrent un projet dans lequel ces gamins puissent rencontrer des limites.

En effet, tel est bien le problème : ce sont des gamins qui n’ont pas de limites. Ils doivent pratiquer des activités formatrices, se confronter un peu à quelque chose, rencontrer des adultes sachant s’opposer à eux.

Il y a aussi tout le côté prestance. Il est difficile d’analyser, de ne pas dramatiser, cette délinquance des mineurs. Pourtant, un très grand nombre d’entre eux sont de très pauvres garçons -il faut bien dire ce qui est- et, dans la rue -parce que c’est sur la voie publique que cela se passe- ils adoptent une attitude de prestance : ils en rajoutent par rapport aux copains.

Les différents intervenants ne doivent pas se laisse prendre, parce que dès que l’on gratte un peu, on voit bien que les masques tombent : ces gamins peuvent « rouler des mécaniques » et, cinq minutes après, se mettre à pleurer.

Il ne faut pas non plus en faire des « durs à cuire », si je puis dire ; il faut que ce masque tombe : la délinquance s’arrêtera quand ce masque, ce besoin de se rassurer avec la bande n’auront plus lieu d’être.

M. le rapporteur - Quel jugement portez-vous sur la mission, l’organisation, le fonctionnement et, éventuellement, l’évolution de la PJJ ?

M. Philippe Chaillou - Je ne peux pas juger la PJJ : j’ai bien assez de juger les mineurs et leurs familles ! Je ne vais pas m’en sortir par une boutade ; je vais essayer de vous expliquer les choses tout simplement.

J’ai d’ailleurs, à ce sujet, émis certaines critiques. Selon les départements, elle donne satisfaction ou non.

On trouve de tout à la PJJ. Des éducateurs remarquables y travaillent -j’en ai vu me tirer d’affaire des gamins ... chapeau !- des hommes extraordinaires.

Il faut que vous ayez cela vraiment présent à l’esprit, quelque conclusion que vous rendiez : c’est sur la personnalisation des relations que tout se joue ; ce sont des gamins qui n’ont pas eu, à un moment donné, soit dans leur famille, soit après, quelqu’un avec lequel un accrochage ait pu se faire et avec lequel ils aient véritablement eu des échanges.

Il faudra se méfier, de toute façon, de tout ce qui pourra être mis sur pied.

Ainsi, les comparutions immédiates sont le pire de tout : ce sera la justice à la chaîne, un tribunal où les prévenus vont défiler. Or, en matière de justice, il ne faut surtout pas de choses systématiques, de stéréotypie des fonctionnements. En introduire dans un domaine comme celui-là serait terrible. Il faut qu’à chacun soit rendu son dû. Ces enfants ont un tel sentiment d’injustice vissé au corps -légitime ou pas : c’est une autre question- que si l’institution en rajoute en fonctionnant d’une manière stéréotypée, elle va provoquer une casse effroyable.

Ceux qui se consacrent à la PJJ doivent donc avoir la fibre éducatrice.

La question sociale qui est posée est la suivante : qui « se coltine » ces gamins ? Il n’y a pas beaucoup de candidats, il faut bien dire ce qui est. Nous parlons de la PJJ, pas des élus, mais ces derniers, quand un centre éducatif renforcé va s’implanter sur leur territoire, ont un peu peur.

Si, donc, à la PJJ, certaines personnes sont absolument remarquables, d’autres le sont moins. Elle a sans doute dû recruter des éducateurs très jeunes, avec un profil uniquement universitaire, sans, peut-être, l’épaisseur humaine nécessaire. Il n’est pas commode de gérer ces gamins au quotidien.

Cela étant, pour connaître d’autres milieux éducatifs, que ce soit l’aide sociale à l’enfance ou les établissements privés habilités, j’estime que, sur le plan individuel, elle donne satisfaction.

L’institution elle-même rencontre parfois des difficultés de fonctionnement.

Je vais encore poser des questions peut-être un peu iconoclastes : peut-on être éducateur et fonctionnaire ? Un fonctionnement administratif n’est-il pas absolument contradictoire avec cette implication qu’il faut avoir au jour le jour ?

Ce n’est pas une histoire d’horaires : à un moment donné, vous irez vite, et à un autre, il faudra être capable de passer des heures. C’est pour cela que je disais voilà un instant que, pour les cas un peu lourds, les structures alternatives me semblent les mieux à même de répondre à cette problématique : elles n’ont pas la pesanteur d’une institution.

Il faudrait que la PJJ -je ne sais pas si elle le pourra ; toutefois, des expériences ont été menées- puisse s’améliorer sur ce plan.

C’est aussi une question de valeurs. Nous avons connu des époques de grands pédagogues : Antoine Makarenko, et, dans un registre totalement différent, don Bosco. Il n’y en a plus, ni dans notre pays, ni ailleurs. Quelles valeurs avons-nous ? L’argent ? Quelles valeurs collectives, humaines, sur l’éducation des enfants, au bon sens du terme ?

J’ai beaucoup travaillé avec Françoise Dolto. Une femme comme elle aurait pu formuler de nombreuses remarques dans le contexte actuel, avec son intuition, son coeur, la connaissance qu’elle avait des hommes. Elle n’hésitait pas, d’ailleurs -c’était une femme courageuse qui avait beaucoup de franc-parler- à dire ce qu’elle pensait.

M. le président - Sur l’ordonnance de 1945, il semble bien que tout le monde soit à peu près d’accord. Peut-être devrait-elle être modifiée et mise à jour mais, en général, elle donne satisfaction.

Le problème n’est-il pas plutôt un problème de seuils ?

M. Philippe Chaillou - J’y avais pensé, bien évidemment. Il faut prendre du recul et dire les choses telles qu’elles sont, tout simplement.

Vous savez que la loi ne fixe pas l’âge auquel un mineur peut faire l’objet de poursuites pénales. Selon la formule un peu alambiquée de la jurisprudence, le mineur peut être poursuivi pénalement « quand il peut vouloir et concevoir l’acte », à savoir quand il a à peu près l’âge de raison, donc entre sept et dix ans. Je laisse cela à la réflexion de chacun.

Il peut passer devant une juridiction de mineurs.

Le deuxième seuil est celui de treize ans : une sanction pénale peut être appliquée.

L’acte de délinquance d’un mineur de moins de treize ans, quel qu’il soit, justifie-t-il d’autres mesures qu’un placement ? C’est une question.

Le troisième seuil, vous le connaissez : c’est seize ans, pour la détention provisoire, et le dernier, c’est dix-huit ans.

Si, en Allemagne, les seuils sont un peu plus élevés qu’en France, en Grande-Bretagne, ils sont plus bas. Depuis une récente loi, un mineur peut faire l’objet de sanctions pénales dès dix ans.

Pour ces gamins qui font un peu peur, entre dix ans et treize ans, faut-il une réponse pénale ? C’est aussi une vraie question. Faut-il entrer tout de suite dans cet engrenage-là ?

Ce que je vais dire vous choquera peut-être. Je sais être véritablement ferme quand cela se justifie, j’ai confirmé des peines très lourdes : j’estime que, pour une mineur, la détention provisoire ne peut parfaitement se justifier que si ce mineur est dans une fuite en avant, qu’il convient de l’arrêter et que nous n’avons pas d’autre moyen pour ce faire que de le bloquer. Annoncer : « Je te mets en prison, je t’arrête pour les autres, pour toi aussi ; tu vas réfléchir un peu, nous reprendrons les choses après » ne m’a jamais posé de problème.

Cela étant, il faut être prudent : on peut faire énormément de casse. Nous savons ce qu’est la prison. Il est vraique, sur le plan des principes, et même si, dans les faits, je n’hésitais pas, j’essayais toujours de me dire qu’il aurait bien le temps d’y aller quand il aurait dix-huit ans et qu’auparavant, nous devions essayer tout ce qu’il était possible d’essayer.

Tel est un peu le type de réflexion que je me ferais à propos de ces gamins qui font peur. Prenons du recul ! Si nous, les adultes, ne savons pas en venir à bout alors qu’ils ont entre dix et treize ans, cela nous renvoie, par des moyens qui ne sont pas pénaux, à une impuissance de notre société par rapport à sa jeunesse qui me semble terrible.

Il faut que nous nous regardions en face. Ce sont des choses dont je suis persuadé. La démission des parents existe depuis longtemps. Qu’est-ce que cela signifie ? Que des milliers de jeunes doivent venir devant la justice pour trouver enfin des limites ?

Les limites doivent se rencontrer très tôt : il faut savoir dire « non » à un enfant, sans nécessairement donner d’explication. « Non », c’est « non » ; cela ne se discute pas, et c’est structurant. Or, dire « non » semble être impossible à un certain nombre de parents, malheureusement.

M. Bernard Plasait - Nous apprenons, au fil des auditions, que cette ordonnance de 1945 fait l’objet d’un très large consensus, au moins quant à ses principes et quant au fait qu’elle est une espèce de catalogue d’outils mis à la disposition du magistrat, ce dernier se plaignant le plus souvent que, si les outils existent bien sur catalogue, ils ne sont pas forcément disponibles au moment où il en a besoin.

M. Philippe Chaillou - En magasin !

M. Bernard Plasait - Je vous ai bien compris : il faudrait plus de moyens, pour passer du virtuel au réel.

Beaucoup de ceux qui nous ont donné leur sentiment positif sur ce texte précisent néanmoins qu’il a été souvent retouché depuis 1945 et qu’il mériterait sans doute de subir encore deux ou trois petites modifications, et ce quelquefois, d’ailleurs, sur des points très particuliers, qui sont presque des détails. Toutefois, selon les magistrats, les procédures, par exemple, s’en trouveraient simplifiées, accélérées.

Voyez-vous quelques retouches de cette nature à apporter à cette ordonnance ?

Un outil, peut-être, manque, parce que la délinquance a sans doute changé depuis 1945, est devenue beaucoup plus violente : nous avons besoin de traiter les « noyaux durs », ce qui est difficile. Lorsqu’ils ont pu être isolés, il faut quelquefois pouvoir les enfermer, sans pour autant les mettre en prison, d’où l’idée de centres fermés.

De tels centres ont existé -c’étaient les maisons de correction- mais ont été fermés pour de bonnes raisons. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, si nous les réinventions, même sous un autre nom, nous nous heurterions aux mêmes difficultés, et nous serions sans doute obligés d’y renoncer.

Un intervenant nous a soumis, en fonction de son expérience, l’idée de centres semi-fermés.

Dans un centre fermé, les éducateurs, les surveillants, le personnel doivent être particulièrement bien formés pour parvenir à résister à la pression de mineurs très violents. Ce n’est pas à la portée de n’importe qui.

Dans son esprit, un centre semi-fermé serait un centre éducatif renforcé particulièrement bien surveillé, assorti d’un volet réellement fermé qui serait utilisé de façon très limitée et provisoire : quand, à l’intérieur du centre, un jeune ne serait plus maîtrisable, il serait mis quelques jours dans ce centre fermé avant de réintégrer ensuite la structure normale.

Cette idée vous paraît-elle être une piste ou bien relève-t-elle de l’utopie ?

M. Philippe Chaillou - Je vous remercie : vous avez avancé sur des choses très concrètes, vous êtes allés assez loin dans vos réflexions.

Sera-t-il possible de ne pas toucher à l’ordonnance de 1945 ?

M. Bernard Plasait - J’ajoute simplement que ne pas la modifier sera sans doute difficile, parce que nous avons besoin de mesures symboliques, ne serait-ce que vis-à-vis des jeunes délinquants, et, bien sûr, de l’opinion publique.

M. Philippe Chaillou - Cela ne m’a pas échappé. Cela étant, je ne peux pas répondre : il appartient au législateur, au Gouvernement, de prendre leurs responsabilités par rapport à l’opinion, par rapport à la population. Les juges appliqueront les textes tels qu’ils seront.

En tant que professionnel, je ne suis pas certain qu’il faille procéder à des retouches. Il faut à mon avis absolument garder cette idée essentielle -je crois que vous en êtes convaincus- là aussi en termes de symboles, même si cela peut être parfois perverti, qu’il ne s’agit pas de la même justice que celle des majeurs. Il faut le signifier clairement. Si on l’abandonne, on abandonne tout, on abandonne l’essence de la justice des mineurs.

Ce texte -même si les juges le manient avec la plus grande souplesse, même si, après avoir essayé une mesure éducative, ils s’aperçoivent très vite qu’il leur faut prononcer une peine, appliquer une sanction- doit préciser qu’aux mineurs de moins de dix-huit ans ayant commis une infraction qui relève de la loi commune, nous répondons tout d’abord d’une manière éducative, par des mesures éducatives. C’est absolument fondamental.

Par ailleurs, il faut absolument conserver cette relation entre les personnes, autrement dit la personnalisation.

Vous savez qu’il existe deux sortes d’audiences en matière correctionnelle : l’une devant le juge des enfants, qui officie en chambre du conseil, dans son cabinet, l’autre devant le tribunal pour enfants, avec tout son cérémonial, c’est-à-dire que le juge est en robe, il est assisté par deux assesseurs qui ne sont pas magistrats. C’est le juge des enfants qui décide seul de l’orientation d’une affaire, soit en cabinet, soit devant le tribunal. A la place que j’occupe à la cour d’appel, j’ai parfois eu le sentiment que des « erreurs d’aiguillage » avaient été commises. Je n’aurais pas renvoyé certaines affaires, qui avaient notamment trait à laviolence, en cabinet. Elles auraient pu être justiciables du cérémonial du tribunal pour enfants et de son arsenal de peines. Je m’en ouvrais voilà peu de temps à une collègue, juge des enfants ; elle m’a rétorqué que l’audience en cabinet « dégonfle » les choses. La justice des mineurs doit être capable de surprendre et de ne pas faire endosser à un gamin les oripeaux de délinquant qu’il veut revêtir à tout prix afin de se faire passer pour un dur. J’ai trouvé cette observation assez pertinente.

Une possibilité serait de se tourner vers le parquet, qui représente l’accusation et la poursuite dans la justice classique. Certes, il connaît moins le jeune en question, notamment en cas de récidive. Il aura moins de finesse dans l’analyse que le juge des enfants car il ne voit que des procédures.

Pour bien faire, il faudrait une entente entre le siège et le parquet. Le juge des enfants peut parfois être dans l’identification au jeune. Le parquet, lui, se place plutôt du point de vue de l’identification à la victime. Cela étant, il faut bien qu’il y ait un juge.

Que le juge des mineurs, au pénal ou dans le cadre de l’assistance éducative, soit plus proche du mineur n’est pas scandaleux.

J’espère, messieurs, que vous assisterez à une audience du tribunal pour enfants.

M. le président - Nous l’avons déjà fait.

M. Philippe Chaillou - Il se passe parfois des choses extraordinaires. Certaines victimes arrivent extrêmement vindicatives. Le rôle du président est de les laisser s’exprimer devant le gamin. Puis celui-ci va avoir la parole et va raconter son histoire. Alors, la majorité des victimes changent d’attitude et l’on assiste à un rapprochement des positions. Et le gamin lui-même fait du chemin.

La justice doit rechercher cette pacification sociale. Le jugement est un plus, mais l’objet de l’opération est bien d’arriver à ce que les gens puissent vivre ensemble.

La personnalisation peut également avoir lieu avec un policier. La première rencontre d’un gamin avec un agent de police peut être extrêmement forte. Si un jeune s’entretient « à chaud » avec un policier ferme mais bienveillant, bien dans son rôle de représentant de l’ordre, cela peut être très important.

A contrario s’il est face à quelqu’un qui se laisse prendre à cette prestance et qui ne prend pas les choses au deuxième degré, on peut arriver à une sorte d’escalade.

M. le président - C’est un peu le rôle de l’officier de prévention, qui agit ainsi dans les quartiers.

M. Philippe Chaillou - Certes, mais lorsque l’on est arrêté alors que l’on commet une bêtise, que l’on est placé en garde à vue, apparaît la culpabilité ; l’auteur de la faute a des comptes à rendre devant la société. Le jeune a devant lui, physiquement, quelqu’un qui lui demande des explications. Mais, en matière de prévention, il peut s’agir uniquement de bla-bla.

M. le président - En tant que maire de banlieue, j’observe que tout ce travail préventif avec la police est effectué. C’est la répétition des actes qui pose des problèmes.

M. Philippe Chaillou - J’aborderai maintenant la question des centres fermés ou semi-fermés. Il faut prendre garde. N’est-ce pas le désir secret d’écarter les jeunes délinquants pendant un laps de temps important qui sous-tend cette idée ? Que va-t-il se passer ? J’estime que la détention en prison est plus claire. Il ne faut pas transiger en matière de liberté. En France, existent des lieux de contention. Il s’agit de l’hôpital psychiatrique, où l’enfermement est ordonné sur décision de placement d’office. Il y a aussi la prison, y compris pour un mineur.

Les centres fermés à vocation éducative où seraient placés les mineurs pendant on ne sait combien de temps satisfont tout le monde. On ne va plus entendre parler de ces jeunes pendant un bon moment, mais, lorsqu’ils vont sortir, ce sera la pagaille. Ils vont être entre eux. La situation va être explosive. Pour moi, ce n’est pas la solution.

Je vous ai parlé d’endroits alternatifs qu’il faudrait développer en France. Il faut certes prévoir des garanties et des contrôles sur place : il n’est pas question que l’on y fasse n’importe quoi. Ces structures ne devraient accueillir que quelques gamins. Il ne faut pas se leurrer : on ne peut pas mettre ensemble quinze, vingt gamins extrêmement durs. Personne n’y tient. Les lieux de vie doivent regrouper trois, quatre, cinq jeunes, ayant des activités, encadrés par des adultes, bénéficiant éventuellement du soutien d’un psychologue.

M. François Zocchetto - Ma première question concerne l’éventuelle restriction du droit d’appel, que vous avez évoquée tout à l’heure, monsieur Chaillou. Si l’on s’engageait dans cette voie, il faudrait être certain qu’une telle mesure a une utilité. Sauf erreur de ma part, il ne me semble pas que les décisions rendues par un tribunal pour enfants qui sont frappées d’appel soient très nombreuses. Pouvez-vous nous donner une indication de leur pourcentage ? Quels sont également les délais ?

M. Philippe Chaillou - Il est exact qu’il ne s’agit pas d’un problème central de la justice des mineurs, même si tel est le cas en ce qui concerne la justice, prise dans sa généralité.

Je ne saurais pas vous dire le nombre de procédures pénales qui existent dans le ressort des tribunaux pour enfants. Chaque année, 200 à 250 arrêts pénaux sont rendus, y compris dans des affaires criminelles concernant des mineurs qui ont moins de seize ans au moment des faits.

Les délais sont longs ; l’appel intervient au moins un an après le jugement. C’est beaucoup trop.

Quant à l’assistance éducative, environ 500 décisions sont rendues par an. Quand on statue, par exemple, sur une ordonnance de placement provisoire prise par un juge des enfants au titre de l’enfance en danger, autrement dit, le retrait d’enfant, cette mesure étant valable six mois, on doit se prononcer avant. On accorde par conséquent une priorité au traitement de certaines affaires.

M. François Zocchetto - Lorsque l’on assiste à des procédures impliquant des mineurs, on a parfois l’impression que certaines personnes devraient être jugées non à leur place mais à leurs côtés, alors qu’elles sont absentes. Je pense en premier lieu aux parents. J’ai été frappé de constater que des mineurs qui comparaissent devant le juge des enfants ne comprennent pas la procédure, qui peut être trop solennelle. C’est parfois le cas en cabinet où va être employé le vouvoiement, où le jeune va peut-être être appelé « monsieur » pour la première fois de sa vie. Ce jeune a l’air absent, regarde derrière pour voir si ses parents ou une personne de connaissance ne sont pas présents. Selon vous, monsieur Chaillou, existe-t-il des possibilités d’associer une responsabilité pénale des parents dans ces procédures ?

On comprend bien l’absence de sanction pénale ou une responsabilité pénale atténuée pour les mineurs -souhait partagé par la majorité d’entre nous- mais on constate l’existence d’un vide, à savoir qu’à un moment, il n’y a plus de responsable. Comment pourrait-on organiser une responsabilisation pénale éventuelle des adultes qui ont la charge de ces enfants ?

Je me demande même parfois si l’on applique vraiment les textes relatifs à la corruption des mineurs, notamment dans des affaires de moeurs où l’on voit des mineurs totalement dépassés par les événements en raison de l’environnement dans lequel ils vivent. Parallèlement, les adultes qui vivent à leurs côtés ne font pas l’objet de poursuites.

M. Philippe Chaillou - En droit pénal, la responsabilité est individuelle : c’est celui qui a commis l’acte qui est responsable. Les parents ne seront jamais les auteurs moraux de l’infraction. Au sein de la mission à laquelle j’ai participé avait été mise en exergue cette responsabilité des parents. Je crois que les choses avancent.

Sur le plan strictement pénal, un texte prévoit des possibilités de poursuites contre des parents. Nous sommes dans un domaine d’interprétation stricte : il faut que les parents aient failli dans l’éducation. Ce sont des termes assez vagues. Le travail du juge consiste essentiellement à faire rentrer des faits dans une qualification pénale, mission peu facile.

Je suis assez d’accord avec cette idée d’insister sur cette place, cette responsabilité des parents. Mais il ne faut pas mettre l’accent uniquement sur l’aspect pénal. Il convient aussi de mener des actions de soutien car certains parents sont totalement dépassés.

Monsieur le sénateur, vous avez évoqué les affaires sexuelles. L’une de mes collègues, qui, après avoir travaillé dans l’administration centrale, est revenue en juridiction, m’a dit être frappée par le fait qu’il y a un avant les cassettes pornographiques et un après. Les parents laissent traîner à la maison de telles cassettes, que les enfants visionnent. Il existe un réel problème.

On fait ceux qui sont surpris par le nombre d’agressions sexuelles, par les tournantes, etc. Il faut garder à l’esprit ce que peuvent voir des gamins à longueur de temps. J’ai traité des affaires dans lesquelles des mineurs ont mis en scène des actes de violence qu’ils ont vus. En matière sexuelle, j’estime que nous avons une responsabilité écrasante du fait de la publicité, des cassettes pornographiques. Des gamins de quatorze ans qui soumettent avec violence une jeune fille ou une femme à ce qu’ils appellent « la doublette » n’ont pas inventé cet acte. Ils l’ont vu dans des cassettes.

A l’audience, on essaie d’expliquer la situation aux jeunes coupables d’agressions sexuelles graves, mais ils ne comprennent pas ou font comme tel. Dans de telles affaires, ils sont donc condamnés à de fortes peines de prison. Il ressort ensuite de discussions avec les personnes qui les prennent en charge qu’ils n’ont toujours pas compris et qu’ils ont le plus grand mal à le faire. Dans quelle société vivons-nous pour que ces interdits assez fondamentaux ne puissent pas être entendus ?

M. le rapporteur - En ce qui concerne la PJJ, j’estime qu’il existe des difficultés de lisibilité dans son action et, par conséquent d’efficacité. Monsieur Chaillou, vous avez indiqué que la compatibilité est difficile entre un éducateur et un fonctionnaire. La solution ne consisterait-elle pas à prendre l’exemple de l’éducation où ont été mises en complémentarité les fonctions d’éducation et de bâtisseur ? Il conviendrait alors de faire appel à des partenariats avec les collectivités locales. La PJJ n’y gagnerait-elle pas ?

M. Philippe Chaillou - On pourrait effectivement faire de ces agents des sortes d’experts, de contrôleurs et de garants vis-à-vis de l’Etat de ce qui peut se faire à l’échelon local. Mais, si l’on agit ainsi, cela revient petit à petit à faire changer leur métier. Il faut bien qu’ils soient sur le terrain, sinon ils vont perdre leur savoir-faire et devenir des ronds-de-cuir.

Lorsque j’exerçais les fonctions de rapporteur général de la mission précitée, j’avais pensé essayer de créer une grande direction de la PJJ. Cette option n’a pas été retenue.

Récemment, je me suis orienté vers une autre direction. Il ne faut pas que la PJJ meure car personne d’autre ne peut exercer ses missions. Il faut l’améliorer.

En matière de délinquance des mineurs, il convient tout d’abord d’en déterminer les causes. Et nous devons mettre l’accent sur les quartiers. Il est tout de même presque question de guerre civile ! Pour moi, c’est le problème politique numéro un. Or il est assez absent du débat actuellement, et je trouve cela dramatique. Le politique est fait de gestes symboliques. Récemment, j’indiquais préférer la mise en oeuvre d’un ministère de la jeunesse à l’affectation de moyens à la PJJ.

Sur la question de la délinquance des mineurs, à un moment donné, une parole politique forte, qui rassemble, doit s’exprimer. On entend tout et n’importe quoi sur ce sujet, comme si la France n’avait pas de tradition en la matière. Or tel n’est pas le cas. Partons de l’acquis. Nous n’avons absolument pas à rougir de ce que nous avons élaboré patiemment.


Source : Sénat français