Présidence de M. Jean-Pierre SCHOSTECK, Président
M. Jean-Pierre Schosteck, président - Nous allons entendre le colonel Cachat, chef du bureau « renseignement-violences urbaines » à la sous-direction de la gendarmerie, ainsi que du lieutenant-colonel Wujkow, chef du bureau animation-coordination à la sous-direction de la gendarmerie.
(M. le président lit la note sur le protocole de publicité des travaux de la commission d’enquête et fait prêter serment.)
Vous avez la parole, Monsieur Cachat.
M. Guy Cachat - En propos liminaire, je tiens à préciser que mon bureau de renseignement s’occupe des violences urbaines, mais que cette préoccupation ne représente qu’une part infime de son activité. Les quelques travaux que je vous remettrai à la fin de mon audition ne sont pas exhaustifs ; c’est le reflet d’une partie marginale de l’activité.
Dans mon intervention, je parlerai en tant que chef du bureau de renseignement de la Direction générale de la gendarmerie nationale, la DGN. J’ai le regret d’annoncer dès à présent qu’une grande partie de mes propos risque d’être hors du sujet de l’enquête que vous êtes en train de mener. En effet, mon bureau ne suit le phénomène des violences urbaines que de manière marginale et, surtout, sans discriminer l’âge des auteurs ou des victimes. Les chiffres que je vais vous présenter sont donc à considérer avec beaucoup de précautions. En effet, même si les jeunes sont fortement impliqués dans les violences urbaines, il n’est pas possible de déterminer exactement dans quelles proportions, parce que nous ne discriminons pas l’âge des agresseurs et que, très fréquemment, les auteurs des divers jets de pierre, incendies de véhicules ou de poubelles demeurent inconnus.
Les faits recensés, pour entrer dans la catégorie des violences urbaines, doivent présenter quelques caractéristiques : ils doivent se dérouler dans des quartiers sensibles ou jugés tels et être commis en bande, c’est-à-dire à plus de deux. Ainsi, pour les incendies de véhicules, nous excluons de la catégorie des violences urbaines les véhicules incendiés qui ont précédemment servi à un délit, voire qui ont fait l’objet d’une escroquerie à l’assurance. Ce suivi ne constitue pas une comptabilité exacte du phénomène. Il tend à déterminer les grandes tendances et surtout à délimiter les secteurs géographiques les plus sensibles, dans un strict objectif opérationnel, en vue de répartir les moyens de la manière la plus opportune.
Au niveau national, dans sa zone de compétence, la gendarmerie suit le phénomène des violences urbaines depuis le milieu de l’année 1996. Si la croissance des trois premières années apparaît comme tout à fait exponentielle -le terme me paraît parfaitement applicable-, c’est, bien sûr, lié à un développement du phénomène lui-même, mais aussi, très largement, à sa prise en compte progressive dans les unités de terrain. Les chiffres des trois premières années, à mon avis, doivent être relativisés.
Ainsi, de 1997 à 1999, le nombre des faits est passé de 800 à 4300, soit une multiplication par cinq du phénomène, due, je le répète, à la conjonction des deux facteurs que je viens d’exposer. Néanmoins, à partir de l’année 2000, on peut considérer que la part liée au facteur de saisie interne devient marginale. Nous constatons alors que l’évolution se poursuit très largement. En 2000, nous recensons 7100 faits et, en fin d’année 2001, nous en sommes à 12.600 faits.
Dans ce cadre, quelques données méritent, à mon avis, de retenir l’attention. Les atteintes contre les forces de l’ordre et leurs moyens -je ne retiendrai pas les chiffres antérieurs à l’année 2000, qui ne me paraissent pas significatifs- représentent 390 faits en 2000 et 560 en 2001. Les incendies de véhicules ont quasiment doublé entre 2000 et 2001, pour atteindre, en fin d’année 2001, 4000 faits annuels. En moyenne, onze véhicules sont incendiés chaque jour dans le cadre des violences urbaines. Si je considère les trois premiers mois de l’année 2002 et que j’en fait une projection sur l’année, j’obtiens une moyenne de quatorze véhicules incendiés par jour dans le cadre des violences urbaines. Ce phénomène touche donc largement le secteur de la gendarmerie.
Les violences urbaines en milieu scolaire méritent également de retenir l’attention. Depuis deux ans, elles se stabilisent pour atteindre quelque 800 faits. Ce chiffre est nettement inférieur à celui que vous a présenté précédemment le colonel Métais. Cependant, ces deux chiffres ne sont pas discordants. En effet, à titre d’exemple, mon bureau ne prend pas en compte les cambriolages dans les écoles, qui sont une délinquance d’appropriation et qui, à ce titre, ne rentrent pas dans le cadre des violences urbaines. A contrario, nous prenons en compte toutes les dégradations des salles de classe ou des cours d’école. Nous recensons également les rackets ou les menaces lorsque ces actes sont le fait d’une bande. Le racket d’un jeune par un autre jeune n’est donc pas considéré comme une violence urbaine. Cette nuance peut paraître un peu ésotérique, mais elle est prise en compte.
Je vais essayer de vous donner brièvement mon sentiment sur les causes de cette croissance.
La première de ces causes est, indubitablement, une extension de la zone périurbaine, qui est une zone de compétence de la gendarmerie. En moins de dix ans, cette population a augmenté d’un million d’habitants environ. La population de la zone de la police nationale s’est déplacée vers la zone de la gendarmerie. L’augmentation des forces de sécurité dans la zone de la police nationale, qu’il s’agisse de la police d’Etat, de la police municipale ou des emplois-jeunes, entraîne de facto un déplacement de la délinquance vers la zone périurbaine de la gendarmerie. Cette observation, pour politiquement incorrecte qu’elle soit, n’en est pas moins clairement vérifiée sur le terrain.
La deuxième explication de la croissance des violences urbaines est induite par la première. La proximité des différentes zones crée un phénomène de contagion. Les jeunes des villes ou villages qui jouxtent les grandes agglomérations étudient dans ces grandes agglomérations, y passent leurs loisirs et introduisent en zone rurale le mode de vie qu’ils ont côtoyé en milieu urbain.
La troisième et dernière explication concerne les petites villes ou petits villages isolés. S’ils sont également touchés par le phénomène des violences urbaines, c’est par pur mimétisme. La contagion est alors véhiculée prioritairement par les médias. Je donnerai deux exemples. J’ai vécu le premier en tant que commandant opérationnel sur le terrain. Le 30 novembre 1997, dans une commune du Cher de 6.000 habitants, cinq jeunes, dont deux mineurs de quinze et dix-sept ans, renversent deux véhicules et dégradent gravement quinze autres, uniquement pour faire comme on fait dans les grandes villes. Cet exemple m’apparaît intéressant à deux titres. Pour la gendarmerie, il est clair qu’il s’agit de violences urbaines. Cependant, l’implication des mineurs est relative : sur les cinq auteurs, deux seulement étaient mineurs. Nous le savons parce qu’ils ont été appréhendés. S’ils n’avaient pas été appréhendés, nous n’aurions pas pu vous apporter ces chiffres.
A Buneville, dans les Vosges, village totalement isolé de 1.200 habitants, en une seule nuit, les pneus de dix véhicules stationnés sur la voie publique ont été crevés. Dans ce cas, nous n’avons pas réussi à appréhender les auteurs.
En conclusion, je dirai simplement que la zone gendarmerie est largement touchée par les violences urbaines. Celles-ci caractérisent de moins en moins des zones géographiques. Il s’agit d’une violence démonstrative et gratuite qui se généralise sur l’ensemble du territoire. Il est clair, pour nous, que les jeunes en sont très largement responsables. Mais les données que possède la gendarmerie ne permettent pas de déterminer la proportion de ces jeunes dans le cadre des violences urbaines.
M. le président - Monsieur Wujkow, vous avez la parole.
M. Alex Wujkow - Mon travail de direction au sein du bureau de l’animation et de la coordination consiste essentiellement à faire remonter du terrain les informations de la police judiciaire, qui concernent la délinquance et la criminalité, via nos bureaux en région. Nous avons actuellement sept régions de gendarmerie. Nous nous appuyons donc sur les bureaux régionaux de la police judiciaire pour faire remonter les informations, de façon à mettre en place les moyens les plus appropriés pour prévenir la délinquance et, surtout, la criminalité. Lorsque, malheureusement, nous ne pouvons pas faire face, nous nous efforçons de mettre en oeuvre les moyens les plus appropriés pour constater les infractions -je cite l’article 14 du code de procédure pénale : « rassembler les preuves, arrêter les auteurs et les déférer à la justice ».
La délinquance des mineurs est un fait. Le colonel Métais vous a dit qu’elle avait augmenté de 9,69 %. On constate donc une forte poussée de la délinquance en 2001, poussée d’ailleurs confirmée en 2002. Nous devons également nous interroger sur le rajeunissement des mineurs en cause. En effet, la tranche des treize-quinze ans est la plus représentée, notamment dans des affaires de moeurs. En revanche, le nombre des mineurs âgés de seize à dix-sept ans impliqués dans des violences diminue, ce qui pourrait nous faire plaisir. Mais mon bureau les retrouve dans le cadre des infractions les plus graves, les coups et blessures volontaires et les infractions qualifiées, c’est-à-dire les vols à main armée. Un effort de prévention doit donc être fait en faveur de la tranche d’âge des treize-quinze ans et de la tranche d’âge inférieure. En effet, dès que cette tranche intermédiaire et celle des jeunes majeurs sont impliquées, on les retrouve immédiatement dans la criminalité organisée.
Le dispositif de la gendarmerie en place actuellement s’appuie, bien sûr, sur une organisation départementale : prévention, lutte contre la petite délinquance par nos brigades territoriales dont nous possédons 3.600 unités et qui constituent le maillage territorial.
La police judiciaire dispose, au sein de chaque arrondissement, c’est-à-dire de chaque sous-préfecture, de deux brigades de recherche. Actuellement, nous en avons environ 300 et bientôt toutes les compagnies seront dotées d’une brigade de recherche. Pour faire face à la grande délinquance et à la criminalité qui commencent à toucher notre jeunesse, nous disposons de trente sections de recherche, c’est-à-dire d’une section par cour d’appel.
Le colonel Cachat a évoqué tout à l’heure un transfert. Il se fait, à mon sens, à deux niveaux. On observe tout d’abord un transfert de population de la zone urbaine vers la zone rurale. Mais il existe aussi un transfert d’activités : la ville ne peut plus contenir les centres commerciaux et industriels, qui sont déplacés là où il y a de la place, c’est-à-dire dans la proche périphérie des grandes villes, en zone de compétence de la gendarmerie. On observe également un transfert de délinquance. Par exemple, lorsque nous constatons une augmentation de la criminalité dans le secteur bancaire, nous rencontrons immédiatement les professionnels. Ces rencontres sont bien institutionnalisées. Or le milieu bancaire a commencé à s’équiper pour assurer sa propre sécurité. Que constate-t-on ? Malgré une légère augmentation en 2001 dans la zone de compétence dela gendarmerie, on observe depuis cinq ans une nette diminution des vols à main armée dans les banques. Mais il y a un transfert, car la nature a horreur du vide. Les personnes qui ne peuvent plus aller voler dans les banques vont dans les supermarchés. Quand elles ne pourront plus aller dans les supermarchés, il y a tout à parier qu’elles attaqueront les personnes âgées qui ne peuvent pas courir et qui sont donc faciles à dévaliser.
Ce transfert des actions délinquantes apparaît nettement. Il est d’autant plus grave qu’il intéresse un nombre croissant de personnes, notamment de jeunes. S’il est très difficile d’entrer dans une banque pour y prendre plusieurs centaines de milliers de francs, il est très facile en revanche de s’emparer, à la campagne, d’une poignée d’euros dans un bar-tabac, tenu quelquefois par une personne âgée.
Ce transfert de la population et des infractions est particulièrement inquiétant au regard de la délinquance des mineurs.
Que la zone relève de la police ou de la gendarmerie, ce n’est pas le sujet, car personne n’est réellement propriétaire de « sa » délinquance. Aujourd’hui, la délinquance est extrêmement mobile. Elle touche les majeurs et les mineurs. Le colonel Cachat vous disait que beaucoup de jeunes allaient au lycée en ville et vivaient à la compagne. Si on habite la campagne, on va au bowling à la ville et à la rave party en bordure des grandes villes.
Le dispositif de la gendarmerie s’appuie sur des moyens spécialisés qui sont, peut-être, la vocation de mon bureau. Je ne dispose pas de statistiques particulières sur la délinquance des mineurs puisque cette mission revient au colonel Métais. Je constate cependant qu’il n’existe pas, actuellement, de structures d’enquête nous conduisant à nous intéresser spécifiquement à des mineurs, y compris sur des affaires de criminalité organisée. Celle-ci, qu’elle touche les stupéfiants, les vols de voitures, la contrefaçon, les vols de fret ou la délinquance d’appropriation alimente une économie parallèle et souterraine dans les cités.
J’aurais peut-être dû évoquer l’appareil législatif et décliner, à l’intérieur de cet appareil, l’appareil gendarmerie. Bien évidemment, la police judiciaire est dirigée par les magistrats, notamment les procureurs de la République. La gendarmerie s’appuie donc sur le dispositif législatif pour lutter contre la délinquance des mineurs et des majeurs.
En conclusion, je souhaiterais insister sur deux idées.
La première, c’est qu’il ne doit pas y avoir de message brouillé. La gendarmerie est une force de prévention et d’action répressive. Ces deux missions doivent être conduites avec humanité. La vocation de la gendarmerie et de nos unités dans le domaine judiciaire est la suivante : prévenir et guérir. Quant à la justice, elle poursuit les infractions, instruit, juge et exécute les peines. Les services sociaux, de leur côté, mettent en place une politique sociale. On ne peut pas demander à l’acteur gendarmerie d’agir sur les trois créneaux en même temps.
Ma deuxième idée est qu’il ne faut pas démotiver nos agents et nos officiers de la police judiciaire qui travaillent dans les unités de recherche. Aujourd’hui, leur rythme de travail est évalué -sincèrement- à plus de douze heures de travail par jour. Ces personnels sont extrêmement motivés. Il est hors de question, pour eux, à l’heure actuelle -et j’espère que cela durera le plus longtemps possible- de « décrocher », d’arrêter une enquête qui leur a été confiée. Ils s’impliquent et se font un devoir et un honneur de rassembler les preuves et d’élucider une affaire.
Nous disposons aujourd’hui d’un arsenal réglementaire et législatif qui, je pense, est relativement confortable. Il ne servirait sans doute à rien de prendre de nouvelles dispositions si les textes précédents ne sont pas appliqués.
Les mineurs que nous rencontrons et que nous entendons sont parfaitement au courant de ce qui se passe. Certes, ils ne maîtrisent pas les termes juridiques, mais ils savent très bien que, lorsqu’une infraction est punie de trois ans d’emprisonnement, son auteur ne subira jamais trois ans d’emprisonnement. Aucun tribunal n’a prononcé ces trois ans. Et quand bien même il prononcerait une telle peine, il serait difficile de l’exécuter.
En dernier lieu, il convient de veiller à l’utilisation des mineurs par les majeurs, notamment ce qui concerne la délinquance d’appropriation. A l’évidence, la minorité est une notion bien maîtrisée par les mineurs mais aussi par les majeurs. Veillons à ce que les majeurs ne se servent pas des mineurs pour commettre certains vols. En effet, le mineur interpellé échappera en grande partie à la sanction et le butin reviendra au majeur.
M. le président - Messieurs, vos propos reprenaient un ensemble de propositions que j’avais présentées en tant que rapporteur sur des textes précédents. Je m’aperçois que mes idées cheminent, y compris chez ceux qui y étaient assez farouchement opposés. Gardons donc espoir !
M. Alex Wujkow - Il faut laisser le temps au temps.
M. Jean-Jacques Hyest - Vous avez bien décrit le déplacement des violences urbaines vers la zone de gendarmerie. En ce qui concerne les outils d’analyse de la délinquance en zone périurbaine, existe-t-il une base unique de recensement ? Vous savez qu’un problème de statistiques oppose la gendarmerie à la police nationale. Certes, des efforts ont été faits, des protocoles signés. Rencontrez-vous les services de police pour essayer d’analyser en commun, à partir de bases communes, ces statistiques ?
M. Guy Cachat - Je vais répondre à votre question de deux manières.
Tout d’abord, il n’y a pas de cohérence totale entre la saisie de la police et celle de la gendarmerie. En effet, les Renseignements généraux ont été précurseurs en matière de statistiques des violences urbaines. Ils avaient commencé à les prendre en compte bien avant 1995. Lorsque la Direction centrale de la police judiciaire, la DCPJ, a pris en compte l’analyse des violences urbaines, elle a utilisé son propre logiciel, appelé SAIVU. De son côté, la gendarmerie a utilisé un autre logiciel. Voilà trois ans, quand j’ai pris la direction de ce bureau, je me suis posé la même question que vous : les violences urbaines constatées par la gendarmerie sont-elles totalement identiques à celles de la zone urbaine ? Je ne suis pas capable de répondre à cette première question.
Ensuite, j’ai estimé que, si je changeais mon système de saisie de données, toutes les données des années antécédentes devenaient caduques. Ce point constituait pour moi un obstacle majeur puisque, alors, je n’aurais plus disposé d’historique ni de références. Or mon rôle -et le politique dans ce domaine ne nous donne aucune directive- est de dégager de grandes tendances. Si je changeais la prise en compte des données, je repartais de zéro. Mais il faudra peut-être le faire un jour ou l’autre, c’est clair.
Ma deuxième observation concerne le logiciel SAIVU. Bien que je sois très mal placé pour parler d’une maison qui n’est pas la mienne, je pense que ce logiciel est certainement plus performant que le nôtre mais qu’il présente un écueil majeur. En effet, il est très consommateur en personnel, alors que notre logiciel nous permet de ne pas extraire du personnel de terrain pour réaliser la saisie.
En conclusion, et en essayant de ne pas faire preuve d’étroitesse d’esprit, je pense que l’Observatoire de la délinquance, en particulier avec le rapport Pandraud-Caresche, nous imposera, certainement, une prise en compte homogène.
M. Jean-Jacques Hyest - En matière de délinquance des mineurs, vous dites qu’on observe à la fois une délinquance propre aux mineurs et un développement de l’utilisation des mineurs pour des formes de délinquance organisée.
M. Alex Wujkow - Les mineurs sont surtout utilisés pour des délinquances d’appropriation. Le majeur qui fait agir le mineur pour son compte sait que, lorsque le mineur sera interpellé, il ne risque pas grand-chose. S’il est clandestin sur notre sol, par exemple, il sera placé dans un foyer ouvert, d’où il pourra aussitôt s’échapper, sachant qu’il ne risque même pas une expulsion, car il finit par bien comprendre la loi du pays qui l’accueille.
Pour lutter contre la grande délinquance ou la criminalité organisée, nous mettons en place, soit des groupes d’enquêteurs, soit des cellules d’enquête. Dès que nous détectons, dans une région, un phénomène particulier touchant les vols et les trafics de véhicules ou les vols dans les mairies, comme c’était le cas dans le centre de la France récemment...
M. Jean-Jacques Hyest - Pas seulement dans le centre de la France !
M. Alex Wujkow - ... ou dans un département que vous connaissez bien. Nous avons pu, grâce à certaines arrestations, élucider plusieurs centaines de cambriolages dans les mairies. Dans de tels cas, nous mettons en place une structure propre pour lutter contre le phénomène. Nous désignons un officier qui devient chef de cellule, directeur des opérations, ou un officier d’une section de recherche ou encore un sous-officier supérieur d’une brigade départementale, qui devient directeur d’enquête. Nous lui donnons une dizaine d’enquêteurs ainsi que les moyens logistiques et financiers pour travailler. Ces enquêteurs sont réservés aux phénomènes régionaux ou nationaux.
Mon bureau est impliqué dans ces actions, en liaison avec le centre de documentation de Rosny-sous-Bois, le STERJD. Nous procédons aux analyses, y compris à l’analyse criminelle et à l’analyse criminelle stratégique, pour déterminer si le problème est cyclique et si on risque de le retrouver à certains endroits durant certaines périodes.
Au cours des opérations judiciaires, nous ciblons les équipes de malfaiteurs et rassemblons les preuves en amont. En effet, avec le renforcement de la présomption d’innocence, les enquêteurs sont conduits et c’est certainement très bien- à faire en amont un travail de « rassemblement de la preuve », qui est particulièrement long et difficile. Certes, la police judiciaire n’a pas de prix et l’élucidation d’une affaire non plus, mais elle a quand même un coût. Nous nous efforçons de réduire les coûts parce que les budgets ne sont pas toujours à la hauteur nécessaire. Une fois le travail effectué, nous nous apercevons -c’est le cas d’une affaire récente de vols avec violence- que, sur trente personnes arrêtées, dix sont mineures. Il s’agissait de vols de scooters et de vols de voitures, qui partaient à l’étranger. Des mineurs étaient rémunérés à la commande pour pouvoir alimenter ce trafic.
M. le président - La gendarmerie, par sa structure hiérarchique, arrive très bien, en fin de compte, à coordonner ses moyens. Vous avez dit que des sections de recherche se constituaient pour les grandes affaires. On a pu constater, d’ailleurs, que des affaires extrêmement complexes qui touchaient plusieurs régions, notamment l’affaire du pillage des banques et de l’arrachage de distributeurs automatiques de billets, dans le sud-ouest, avait nécessité la mise en oeuvre de gros moyens. La gendarmerie y a pourvu.
Cette coordination est-elle aussi facile avec les autres services concernés, surtout quand il existe plusieurs services de police judiciaire, comme cela arrive parfois ?
Au niveau de la territorialisation des moyens de la justice, comment cela se passe-t-il pour les mineurs ?
M. Alex Wujkow - En ce qui concerne l’échange d’informations et la coordination avec les autres services, qu’il s’agisse de la douane ou de la police nationale, nous ne rencontrons pas de difficultés majeures. On relève bien, çà et là, quelques points de friction qui tiennent davantage à des problèmes humains qu’à des problèmes de structures. Ces frictions amusent plus les journalistes que les enquêteurs eux-mêmes. On fait un bon film sur le thème de la guerre des polices, alors que, franchement, sur le terrain, ce n’est plus une réalité. La coordination entre les services existe. Au niveau régional, elle dépend des sections de recherche. Parmi les attributions du commandant de la section de recherche figure l’échange d’informations avec son homologue du service régional de police judiciaire.
Mon bureau organise au niveau central l’échange d’informations entre les différents services, qu’il s’agisse des Renseignements généraux, de la DST ou de la DNAT pour tout ce qui touche au terrorisme -dans ce domaine, on traite une criminalité particulière qui est certainement la plus grave- mais également des autres services de la police nationale, comme la préfecture de police ou les offices de la direction centrale de la police judiciaire. Lorsqu’un problème de « conflit de compétences » nous est soumis, c’est-à-dire quand un service fait valoir qu’il a obtenu le renseignement le premier ou qu’il a plus de saisines que les autres, le chef de l’office concerné et un personnel de mon bureau, qui est souvent le chef de l’animation judiciaire, se rencontrent. Depuis trois ans que je dirige ce bureau, nous avons toujours trouvé une sortie honorable pour les gendarmes comme pour les policiers.
En ce qui concerne la territorialisation des moyens de la justice, vous voulez certainement parler du regroupement des procédures, qui pose un problème plus délicat. La règle veut que le magistrat qui est saisi conduise son dossier jusqu’au bout, sauf dans certains cas qui, malheureusement, sont minoritaires. Encore faut-il que tous les magistrats instructeurs aient bouclé leur dossier. En outre, ce n’est qu’au niveau des curriculum vitae que le magistrat saisi va récupérer l’ensemble. Pour ce qui concerne la recherche de la preuve, chaque magistrat s’occupe de son dossier et ne le transmet qu’une fois achevé au magistrat qui le récupère.
Pour les dossiers de vols à main armée, relativement simples à constituer, la preuve s’obtient par des moyens de surveillance habituels, la génétique ou les empreintes. Pour d’autres dossiers, notamment ceux qui portent sur des phénomènes nationaux à répétition de moindre importance, il se trouve peu de magistrats -et ce n’est pas mal que de le dire- pour récupérer l’ensemble des saisines qui existent à l’échelon national. Du reste, le voudraient-ils, qu’ils ne le pourraient pas. En effet, la loi ne le permet pas dans la plupart des cas.
Source : Sénat français
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