Présidence de M. Bernard PLASAIT

M. Bernard Plasait, président - Nous allons maintenant entendre Mme Nathalie Caillon, secrétaire général de l’UNSA-SPJJ et M. Régis Lemierre, membre du conseil syndical.

(Le président lit la note sur le protocole de publicité des travaux de la commission d’enquête et fait prêter serment.)

La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur - Je vous remercie d’abord d’avoir répondu à notre convocation. Comment expliquez-vous le fait que les éducateurs les moins expérimentés soient souvent confrontés aux jeunes les plus difficiles ? Quelles mesures préconisez-vous pour remédier à cette situation qui existe aussi, d’ailleurs, dans l’Education nationale ?

Mme Nathalie Caillon - Comme vous venez de le rappeler, cette situation n’est pas propre à la protection judiciaire de la jeunesse. Les règles qui prévalent dans la fonction publique -ancienneté, mutations, mouvement- font que ce sont souvent les éducateurs les moins expérimentés qui exercent sinon auprès des jeunes les plus difficiles, je ne saurais le dire, du moins dans les nouvelles structures.

Tout le monde s’accorde à reconnaître la difficulté d’exercer dans les structures d’hébergement. J’ai travaillé en hébergement pendant vingt-deux ans et jusque dans une période récente.

Pendant plusieurs années, la protection judiciaire de la jeunesse a connu un déficit de recrutement qui explique la situation actuelle. Ce n’est plus vrai depuis trois ans. Pendant très longtemps, les personnels les plus jeunes ont pu trouver des repères professionnels au contact de gens plus expérimentés, et appréhender des comportements difficiles tels que la violence, la souffrance, la douleur des jeunes avec un recul que l’expérience ne suffit certes pas à acquérir, mais qu’elle aide à concevoir.

Au fil du temps, les personnels disposant d’une certaine ancienneté se sont dirigés vers le milieu ouvert et les SEAT. Les jeunes éducateurs restèrent alors seuls dans les structures d’hébergement. Vous n’êtes pas sans savoir que, depuis quelque temps, un recrutement assez important de personnels éducatifs a été engagé. Cela renforce votre remarque puisque tous les nouveaux personnels sont nommés dans des structures nouvelles : CPI ou CER.

On peut le regretter, car le métier d’éducateur est difficile. Il s’apprend et on ne le connaît sûrement pas après deux années de formation dans les écoles de la protection judiciaire de la jeunesse.

On peut penser que le retour de personnels plus anciens dans ces structures permettrait de remédier à cette situation. Je pense que de nombreux personnels seraient prêts à le faire, mais il faudrait sans doute changer les données. On a tendance à instituer une échelle de valeur qui n’est peut-être pas la bonne, le bas de l’échelle étant l’hébergement et le haut les services éducatifs auprès du tribunal. Il conviendrait de réfléchir à des mesures incitatives qui, je le souligne, ne sont pas uniquement de nature indemnitaire ou, d’une manière plus générale, financière.

Je rencontre régulièrement des collègues qui ont vingt-cinq ou trente ans d’ancienneté. Ils peuvent avoir une vision différente de ce qu’est un groupe de jeunes et de ce qu’est la violence collective. Certains seraient prêts à revenir en structure d’hébergement, mais sous certaines conditions. En effet, exercer en hébergement, c’est accepter des horaires décalés, travailler le week-end. Or, passé un certain âge, et après avoir travaillé quinze ou vingt années dans ce système, on n’a plus très envie de continuer. On aspire, pour différentes raisons, à un rythme de vie plus régulier.

Cela dit, nous sommes persuadés que l’on peut trouver des moyens pour encourager ces personnes à retrouver leur place dans les structures d’hébergement. Peut-être conviendrait-il de moins les soumettre aux mauvais côtés qu’ils ont déjà connus pendant plusieurs années, ayant « fait leur temps » dans ce mode de prise en charge.

M. le rapporteur - Lors des visites que nous avons effectuées dans différents centres, nous avons constaté un paradoxe : d’une part, une crise du recrutement, voire des vocations, car pour un certain nombre de postes, cela relève de la vocation et, d’autre part, des personnels en surnombre dans certaines structures.

Pour faire face au manque d’effectifs, ne pourrait-on envisager d’autres formes de recrutement ? Je pense notamment à ce que l’on appelle la troisième voie avec la validation des acquis professionnels, même si ces personnes ne passent pas de concours. Dans le nord de la France, une cuisinière va sans doute devoir quitter sa fonction. On ne pourra pas renouveler son CDD, alors qu’elle remplit bien sa mission. Cette question dépasse le cadre de la PJJ et touche l’ensemble de la fonction publique. Quel est votre sentiment sur ce point ? Comment améliorer la situation ?

M. Régis Lemierre - Nous sommes favorables au projet de recrutement sur titres ou à la troisième voie. Cela permettrait d’employer des personnes qui ont déjà une expérience professionnelle et qui possèdent une maturité supérieure à celle des jeunes qui sortent de l’université avec une licence de psychologie ou de droit, voire une maîtrise ou un DEA. Ce serait un enrichissement pour la PJJ. Nous sommes donc ouverts à la diversification des modes de recrutement.

Nous n’avons aucune appréhension sur la troisième voie, car nous pensons qu’il s’agit, comme le recrutement sur titres, d’une bonne méthode. En revanche, nous sommes réservés sur les contrats à durée déterminée. Nous avons travaillé à la résorption des emplois précaires, qui a d’ailleurs fait l’objet d’une loi. Les contractuels sont dotés d’un statut assez précaire et ces emplois sont moins bien gérés que les postes de titulaires.

Nous préconisons, depuis des années, la création de postes de titulaires-remplaçants. L’administration n’a créé que peu de postes de cette nature. Cette voie alternative nous paraît pourtant fiable. Elle a été développée dans l’Education nationale, au niveau du primaire. Ces personnels portent le nom de titulaires académiques. Alors qu’un instituteur peut être remplacé dès le deuxième jour de son absence par un titulaire académique, dans le secondaire, il faut parfois attendre des semaines avant qu’un maître auxiliaire ne remplace un professeur. La formule du contrat, plus souple, n’est pas toujours performante. C’est la raison pour laquelle nous sommes favorables à la création de postes de titulaires-remplaçants.

M. le rapporteur - Les titulaires-remplaçants devraient donc avoir une certaine polyvalence.

Mme Nathalie Caillon - Non ! Ces trois dernières années, j’ai été titulaire-remplaçante dans le cadre des éducateurs. Les agents techniques d’éducation sont encore assez rares.

Les éducateurs sont nommés dans les directions régionales, ou plus rarement départementales, et effectuent des remplacements sur le territoire d’une région. Nous avons souhaité l’extension de cette pratique. Nous avons demandé que des bilans soient dressés, car il s’agit de dispositifs assez récents, qui ne remontent qu’à sept ou huit ans. Il faut leur laisser le temps de s’étoffer. A l’heure actuelle, les bilans sont trop peu nombreux.

Les titulaires-remplaçants effectuent des remplacements dans tous les départements d’une région, en priorité en hébergement et dans les autres structures en cas d’urgence. Cela demande une certaine gymnastique en termes d’adaptation dans la mesure où l’éducateur peut travailler pendant trois semaines en hébergement, puis en milieu ouvert avant d’exercer dans un service éducatif auprès du tribunal ou en dispositif de jour. Il faut une complémentarité des connaissances, mais pas des compétences.

M. le rapporteur - En termes de fluidité d’organisation, comment s’est passée la mise en place des 35 heures dans les services de la PJJ ?

Mme Nathalie Caillon - Il y aurait beaucoup à dire sur ce qui s’est passé en amont, mais pour répondre à votre question, je me limiterai à la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail.

Nous sommes, vous le savez, la seule organisation de la PJJ à avoir signé l’accord-cadre. Nous avons essayé d’optimiser ce qui pouvait se passer. Nous espérions que cet accord porterait tous ses fruits le plus rapidement possible. Or, pour l’instant, nous restons un peu sur notre faim. Les commissions de suivi ne se réunissent pas toujours au rythme prévu. Des conclusions doivent certes être rendues, mais les expertises ne sont pas encore allées à leur terme. Des délais supplémentaires nous sont demandés. Il est très difficile de faire descendre les directives nationales sur le terrain. L’application de cette mesure est donc très disparate.

En fait, les situations sont très diverses, comme ont pu le constater les cabinets extérieurs chargés d’effectuer des états des lieux. Cinq mois après la signature de l’accord-cadre, cette diversité ne s’est pas amenuisée. Nous le regrettons, car notre signature était liée à un traitement équitable de tous les personnels, qu’ils travaillent à Lille ou à Marseille, c’est-à-dire aux deux extrémités du pays. Je n’ai rien contre Lille ni contre Marseille.

Le comité de suivi sur la réduction du temps de travail devait nous permettre de nous exprimer, en qualité d’organisation syndicale, sur la mise en oeuvre de cette mesure. Il ne s’est réuni que deux fois. Les réunions sont régulièrement reportées. En outre, son contenu est très flou dans la mesure où les informations qui remontent du terrain ne sont pas toujours suffisantes.

M. Régis Lemierre - Notre organisation est la seule à avoir signé l’accord-cadre. Nous avons fait preuve d’ouverture en nous inscrivant dans une approche réformiste. Nous avons demandé des créations d’emplois, comme la plupart des organisations de fonctionnaires. Le ministère a arbitré. En fait, nous avons signé un compromis pour aller de l’avant. Le suivi était donc très important. Or, la qualité de ce suivi est très médiocre et le contrat n’est pas rempli. Tel est le reproche que nous formulons.

Mme Nathalie Caillon - Une expertise devait évaluer le nombre d’emplois nouveaux nécessaire après la mise en place de la RTT. Pour l’instant, nous attendons les résultats.

M. le rapporteur - Il n’y a pas eu de bilans ?

Mme Nathalie Caillon - Des bilans sont en cours, mais ils prennent du retard. Le nombre de 1 300 créations d’emplois à la PJJ a été évoqué. Comme nous le disent nos collègues de terrain, on entend parler de moult créations d’emplois mais rien ne change.

Nous avons demandé à notre direction de nous communiquer la répartition des emplois nouveaux envisagés pour la transmettre à nos adhérents. Nous avons renouvelé cette demande à plusieurs reprises depuis deux ans. A l’heure actuelle, nous n’avons toujours pas obtenu de réponse.

La commission de suivi sur la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail devait se saisir de cette question. Il est en effet très difficile de définir le nombre des créations d’emplois nécessaires à la suite de la diminution de la durée hebdomadaire de travail sans connaître les effectifs et l’organisation des services. C’est un exemple parmi d’autres.

Comme l’a indiqué M. Lemierre, nous sommes très déçus. Lorsque nous nous sommes engagés, nous pensions sincèrement que notre administration s’engageait également et que chacun respecterait sa part du contrat. Or, je le répète, cinq mois après la signature de l’accord-cadre, de nombreuses interrogations subsistent. Nous espérons que les réponses ne sont que différées et que ces retards n’hypothéqueront pas la suite du processus.

M. le rapporteur - Quel jugement portez-vous sur la réforme des services éducatifs auprès des tribunaux ?

M. Régis Lemierre - Nous sommes opposés à cette réforme qui met en cause la « greffe éducative » que constitue l’arrêté instituant les services éducatifs auprès des tribunaux.

Les SEAT ont permis le développement d’une culture éducative dans les tribunaux. Cet aspect est très important. Un magistrat aussi qualifié qu’Alain Bruel, ex-président d’un tribunal pour enfant, auteur d’un excellent article dans la revue Esprit, déclare qu’il a appris son métier avec des éducateurs. Ces derniers lui ont montré comment les choses fonctionnaient sur le terrain, comment on tissait des liens sur le territoire. Alain Bruel a travaillé dans le cadre de la liberté surveillée.

Les SEAT, je vous le rappelle, sont nés de la fusion des services d’orientation éducative, qui assuraient des permanences dans les tribunaux, et des services de la liberté surveillée. Cette réforme a été conduite d’une manière très idéologique. L’administration avait un a priori sur ces services. Elle nous a dit vouloir conclure un accord avec l’UNSA, car nous étions influents - nous occupons la deuxième place en termes de représentativité à la PJJ. Nous avions en outre conclu une alliance avec l’Union syndicale des magistrats. Je me souviens, au cours d’une audience, être allé voir Mme Perdriolle pour la prévenir de la gravité de l’erreur qui se préparait.

Ces services étaient nécessaires. Les personnels ont besoin de savoir où ils vont. Avec la réforme, ils seront placés dans des centres d’action éducative chargés d’organiser des permanences au sein des tribunaux. La gestion administrative se fera à distance du tribunal, ce qui est une erreur. Seuls dix grands SEAT continueront à fonctionner et ils seront pour la plupart situés en région parisienne.

L’intérêt des SEAT réside dans leur proximité avec la juridiction. Nous avons toujours été favorables à ce que ces services soient gérés dans le cadre d’un projet départemental. La PJJ est présente au tribunal. Il y a donc bien un patron en la personne du directeur départemental de la PJJ.

La proximité permet une bonne connaissance des rouages et des mécanismes judiciaires, du parquet, des juges d’instruction, des juges des enfants. Les contacts quotidiens permettent une approche commune propice à l’expérience éducative. Je pourrais faire un parallèle avec la médecine régulatrice dans les hôpitaux. Un régulateur oriente les mineurs et donne un avis éducatif aux magistrats. Ces derniers peuvent alors prononcer des mesures, voire ordonner la détention provisoire.

Accompagné de Valéry Turcey, secrétaire général de l’USM, je suis allé voir Mme Perdriolle, qui a reconnu la pertinence de certains de nos arguments. En mars 2001, la réforme est passée sans que l’on ait tenu compte de nos avis, lesquels étaient pourtant appuyés par des organismes divers, notamment l’Union syndicale des magistrats et l’Association professionnelle des magistrats de la jeunesse.

Cette réforme n’étant pas achevée, elle peut encore être modulée. Rien n’est définitif. Les services ne sont pas cassés. Il reste des personnels disponibles. Il est encore temps de changer de cap.

M. le rapporteur - Nous avons constaté la présence d’un goulet d’étranglement dans l’exécution des mesuresordonnées par les juges. Comment s’effectue le tri entre les mesures estimées urgentes et les autres ? Quelles solutions préconisez-vous pour améliorer cette situation ? Plus la mesure est appliquée rapidement, plus elle est efficace pour des jeunes qui éprouvent des difficultés à se projeter dans l’avenir et plus elle apporte une réponse sociale forte aux attentes du grand public.

Mme Nathalie Caillon - J’ignore comment s’effectue le tri des mesures. En fait, je ne pense pas qu’il y ait des règles. Le choix résulte de négociations ponctuelles entre la PJJ et les juridictions. On s’efforce, en fonction des informations que nous transmettent nos collègues, d’évaluer l’urgence de la mesure, même si, sur le principe, nous trouvons inacceptable que des mesures restent en attente.

Une mesure éducative doit être appliquée immédiatement, qu’il s’agisse d’un recueil de renseignements socio-éducatifs, d’un contrôle judiciaire ou d’une mise en liberté surveillée. C’est d’ailleurs l’esprit de l’ordonnance de 1945. La façon de choisir l’ordre des mesures n’est donc pas arrêtée.

J’évoquais tout à l’heure les commissions de suivi sur la réduction du temps de travail. Une autre commission, qui s’intéressera au milieu ouvert, s’attachera à définir des normes nouvelles pour les SEAT. Le nombre de mesures exercées par chaque éducateur est très fluctuant. Il peut aller de vingt à trente-cinq en fonction des régions. Jusqu’à présent, c’est le directeur du service ou, dans certains cas, le directeur départemental, qui décide du nombre de mesures suivies par l’éducateur. Lorsque ce dernier a atteint son quota, il s’arrête.

Les mesures en attente sont la plupart du temps bloquées dans les services. Les personnels se sentent donc coupables de la non-application d’un certain nombre de mesures. Toutefois, sauf à augmenter le nombre des personnels, je ne vois pas comment on pourrait corriger cette situation.

Un remède consisterait peut-être à interpeller les magistrats sur les décisions qu’ils prennent. Toutes les mesures sont-elles nécessaires ? La forme retenue est-elle la plus appropriée ? Mais lorsque la mesure est prise, il faut l’appliquer. S’il manque des éducateurs pour le faire, il faut accroître leur nombre. Les bilans que nous évoquions tout à l’heure nous apporteraient sans doute des éléments de réponse, mais nous ne les avons toujours pas.

M. le rapporteur - Si je vous comprends bien, les délais de réponse, parfois très longs, s’expliquent par un manque de moyens matériels ou humains. Vous avez parlé du nombre de dossiers que doivent traiter les juges. Des interventions en amont ne seraient-elles pas de nature à réduire cet encombrement ?

Mme Nathalie Caillon - Comme je l’ai indiqué, on pourrait interpeller les magistrats sur le bien-fondé de leurs décisions. Ce n’est pas facile pour un éducateur. C’est un peu moins délicat pour un directeur départemental. En tout état de cause, je ne suis pas persuadée que cela suffirait à résorber l’encombrement actuel.

Mme Lazerges et M. Balduyck, dans un rapport que vous n’êtes pas sans connaître, estiment nécessaire de créer 3 000 emplois à la PJJ. Tout à l’heure nous évoquions la création de 1 300 postes. Nous sommes loin du compte.

M. Régis Lemierre - Permettez-moi d’ajouter un mot sur l’articulation entre l’aide sociale à l’enfance et les tribunaux.

L’aide sociale à l’enfance traite de la protection administrative. On constate une judiciarisation excessive des mesures de protection administrative. Je ne veux pas mettre en cause les services des conseils généraux. Ils ont toutefois tendance, pour les prédélinquants, à se retourner vers les services de justice ou vers le juge des enfants. Les SEAT sont ainsi confrontés à des cas qui relèvent de la protection administrative. Il faut sur ce point engager un travail de fond avec les présidents de conseils généraux.

M. le rapporteur - Quel jugement portez-vous sur les CPI et sur les CER ? Que pensez-vous de l’opportunité de créer des centres fermés et quelles pourraient être leurs déclinaisons ?

M. Régis Lemierre - Nous étions très mesurés sur le dossier relatif à la création des unités à encadrement renforcé. Nous déplorons qu’un long délai de latence se soit écoulé entre la création des UEER et celle des CER. Nous avions accepté ces dispositions sous réserve qu’elles soient pilotées et évaluées correctement. Or, de ce point de vue, nous constatons un déficit énorme de la part de notre administration et de notre direction.

La création des CPI a été décidée plus tard, lors d’un conseil de sécurité intérieure. Nous avions amendé le cahier des charges qui nous paraissait trop restrictif. Nous estimons en effet qu’il faut garder de la souplesse dans l’action éducative. Si vous verrouillez tout en instituant un règlement interne trop rigide, aucun enfant ne restera. Ou alors, il faut construire une prison !

La difficulté actuelle tient à un défaut de pilotage et d’évaluation. Il arrive que l’on ouvre un CPI avant de s’apercevoir que les bâtiments sont classés au registre des Monuments historiques. Il faut alors consulter un architecte accrédité et attendre six mois avant de pouvoir changer des fenêtres. Il arrive aussi que l’on ait les locaux sans disposer des personnels nécessaires.

Les CPI ont fait l’objet de résistances idéologiques de syndicats concurrents, si je puis dire. Notre syndicat, qui y était favorable, ne peut que déplorer les carences de notre administration en matière de pilotage et de création de ces structures.

Mme Nathalie Caillon - Nous sommes loin d’être persuadés, et c’est un doux euphémisme, que le bilan mitigé de la mise en oeuvre des CPI soit dû à l’esprit initial du projet. Il est lié à des contingences matérielles, comme l’indiquait mon collègue à l’instant. Nous restons convaincus que, si l’esprit premier, celui qui a présidé à notre travail sur le cahier des charges, avait prévalu, le bilan ne serait peut-être pas tout à fait le même.

M. Régis Lemierre - Par ailleurs, nous sommes opposés aux centres fermés. Cette opposition ne se justifie pas par un refus des sanctions. Certains mineurs doivent être mis provisoirement en dehors du système éducatif classique. Pour être clair, ils ont besoin d’être incarcérés. Nous sommes à l’aise sur ce sujet. L’action éducative ne peut pas tout faire.

Les centres fermés, dont je connais le fonctionnement pour avoir travaillé à Juvisy, ont fait l’objet d’un article deCécile Prieur paru dans Le Monde. Le centre de Juvisy a été fermé par Alain Peyrefitte, alors garde des sceaux, à la demande de son directeur. Ce centre, en proie à une espèce de violence institutionnelle, « explosait ». On demandait aux éducateurs de contenir de jeunes délinquants sans leur donner les moyens spéciaux qui existent dans les maisons d’arrêt. La surveillance est un métier. Le travail dans la contrainte est particulier. En outre, les maisons d’arrêt peuvent compter sur des contrôles avec l’intervention du juge de l’application des peines ou avec les prétoires.

L’action éducative ne peut pas résoudre toutes les difficultés. A Juvisy, j’ai constaté que certains collègues, qui avaient de l’ancienneté, pratiquaient la violence institutionnelle. Il ne s’agissait pas de la petite claque qui peut parfois être salutaire. C’était une violence véritable, qui s’appuyait sur des leaders. Il s’agissait en fait d’un centre paracarcéral présentant les défauts d’un établissement carcéral -dont le fonctionnement doit être amélioré- avec une violence plus grande encore, car les relations n’étaient pas médiatisées comme elles peuvent l’être dans une prison.

Il faut rénover les quartiers des mineurs. Nous avons tous en mémoire l’incendie récent qui a coûté la vie à deux jeunes détenus. En premier lieu, il ne faut pas dépasser les prescriptions du cahier des charges.

Un très bon quartier des mineurs, comportant vingt places et doté de moyens, vient d’ouvrir à la maison d’arrêt de Nanterre. On y trouve des enseignants détachés de l’Education nationale, deux travailleurs sociaux à temps plein et des intervenants des services pénitentiaires d’insertion et de probation, les SPIP. Néanmoins, si, comme c’est le cas dans certains établissements, ce quartier reçoit plus de mineurs qu’il n’est prévu dans le cahier des charges - les maisons d’arrêt ne sont pas soumises à un numerus clausus - il connaîtra des difficultés. Son organisation s’en trouvera bouleversée.

Un centre fermé présente des dangers. L’alternative réside dans la création de bons quartiers pour mineurs. Vous avez sans doute entendu parler d’un foyer du secteur associatif, Cheval pour tous, qui a fait l’objet d’articles parus dans la presse à la suite de l’incarcération de son directeur pour pédophilie. Ce foyer connaissait une grande violence institutionnelle. Il faut empêcher l’émergence de cette forme de violence, qui existe d’ailleurs parfois en maison d’arrêt. Mais dans ces dernières, des procédures permettent d’éviter qu’elle ne s’amplifie.

La création de centres fermés serait une erreur. En voulant faire mieux que la prison, on risque de faire pire. C’est le danger. Comprenez bien qu’il ne s’agit pas de notre part d’une position idéologique antisécuritaire. Les centres fermés constituent, pour nous, un contresens pédagogique.

Mme Nathalie Caillon - On peut être très bon dans le travail que l’on a choisi et pour lequel on a été formé ettrès mauvais dans celui que l’on n’a pas choisi et pour lequel on n’a pas été formé.

Il faut, certes, des structures « contenantes ». Nous vous avons fait part de notre position sur les CPI et sur les CER. L’enfermement ne relève pas de nos compétences. Comme l’ont démontré les expériences qui ont été conduites, nous sommes très mauvais dans ce genre d’exercice. En outre, ne l’oublions pas, ce n’est pas nous qui souffrons le plus, ce sont les jeunes. Pour que la prise en charge éducative soit efficace et donne des résultats intéressants pour les jeunes qui nous sont confiés, nous devons nous limiter à ce que nous savons faire. Si on nous oblige à exercer des tâches pour lesquelles nous ne sommes pas formés, le travail risque d’être mal fait.

M. Régis Lemierre - Un mineur placé dans un foyer peut, comme dans un CPI, faire l’objet d’un traitement rigoureux. Faisons respecter le règlement intérieur. S’il doit sortir, imposons-lui de rentrer à une heure donnée. Interdisons-lui de sortir si nous estimons qu’il ne doit pas sortir. Ne nous trompons pas de débat. Nous sommes favorables à la rigueur éducative. Le mineur peut aussi mettre en cause l’objectif du placement.

Enfin, vous pourrez constater, à la lecture du livre blanc de l’Union syndicale des magistrats, que certaines mesures ne sont pas respectées. Cela vaut aussi pour les majeurs. Lorsqu’on confie à la PJJ un mineur placé sous contrôle judiciaire, ou bénéficiant d’un sursis avec mise à l’épreuve s’il a été condamné, et que les mesures le concernant ne sont pas respectées sans pour autant être révoquées par le magistrat, comment voulez-vous que les éducateurs accomplissent leur travail ? La pratique judiciaire doit être en conformité avec les mesures qui sont ordonnées. Il s’agit là d’une difficulté réelle qui a été largement soulignée par l’Union syndicale des magistrats.

M. le rapporteur - Je voudrais revenir sur le patrimoine. Vous avez évoqué un certain nombre de monuments historiques dont on ne savait même pas si les portes ou les fenêtres fermaient... Est-ce à dire que la PJJ a acquis un patrimoine sans suffisamment se soucier de sa bonne utilisation ou de sa fonctionnalité ?

Mme Nathalie Caillon - Ce qui est certain, c’est que nous avons tous travaillé dans des structures qui abritaient, par exemple, un escalier classé : pour réparer la rampe, il fallait demander moult autorisations ; ou bien un arbre figurant sur je ne sais plus quelle carte, dont on ne pouvait pas scier la branche qui allait nous tomber sur la tête, ce qui nous contraignait à toute une gymnastique pour que les jeunes n’y passent pas ; ou encore un bâtiment dont la façade donnait sur je ne sais quel site, si bien qu’on ne pouvait pas mettre n’importe quelle fenêtre... C’est cela que nous avons voulu dire.

Il est très agréable de travailler dans de tels endroits ; mais quelquefois, avec la population dont nous avons à nous occuper, ce n’est pas forcément le plus efficace, au quotidien.

Cela étant, j’ai trop peu d’informations pour pouvoir parler des achats qui ont été faits ; je constate simplement, pour y travailler quotidiennement, que ce n’est pas forcément le plus facile.

M. Régis Lemierre - Je peux parler des achats qui datent de la période où j’ai débuté, en 1975.

La PJJ a travaillé dans les fameux internats professionnels d’éducation surveillée ; ensuite sont venus les internats spéciaux d’éducation surveillée. Elle avait alors un patrimoine qui correspondait à la population qu’elle accueillait.

Mais la mode des grands internats a disparu, à juste raison d’ailleurs, et la PJJ a développé des unités très diversifiées, des petits foyers collectifs plus implantés dans la ville. Elle est sortie de l’ère de ces grands internats, mais elle a conservé ce patrimoine, un peu trop longtemps peut-être.

Comme ma collègue, je ne suis pas en mesure de parler des nouveaux achats, nous n’avons pas la compétence pour le faire. Mais il est certain que les vieux bâtiments ont été conservés trop longtemps et que l’on ne savait pas vraiment qu’en faire.

M. le rapporteur - Patrimoine et réalité ne vont pas toujours de pair !

J’évoquais tout à l’heure une crise des vocations, notamment chez les éducateurs. Quel est, selon vous, le rôle d’un éducateur aujourd’hui ?

M. Régis Lemierre - Si l’on prend la notion d’éducation dans son acception la plus large, sans la restreindre au sens qu’elle prend pour la justice, pour la PJJ, le rôle d’un éducateur, aujourd’hui, est d’assurer l’épanouissement du mineur et d’essayer de faire évoluer son comportement vers l’autonomie, de manière qu’il puisse devenir un adulte et qu’il aille vers un meilleur confort psychologique, vers une meilleure articulation avec son environnement. L’éducation, c’est induire par des actes et par du « faire-avec » -et non par de la parole : les éducateurs ne sont pas des psychanalystes- des comportements nouveaux qui permettent cette autonomisation du mineur.

Dans le champ de la justice, lorsque nous avons affaire à des mineurs qui sont en danger, notre rôle est de leur faire accepter la mesure, de leur permettre de « recoller » avec leur environnement familial si c’est possible, de réintégrer une scolarité, éventuellement d’avoir un emploi, d’entrer dans un processus de formation...

Si ce sont des délinquants, nous travaillons aussi sur l’acte et sur le rappel à la loi -l’intégration de la sanction prononcée par la juridiction est importante- ainsi que sur la réparation de l’acte. L’éducateur exerce sa mission sous mandat judiciaire, en liaison avec un juge d’instruction ou un juge des enfants, et il doit bien travailler sur cette culpabilité du mineur pour lui permettre d’évoluer et de changer de comportement. Certains mineurs n’ont pas conscience de ce qu’ils ont commis, quelle que soit la gravité de l’acte. L’éducateur a alors un rôle important à jouer, tant dans cette prise de conscience que dans la réparation de l’acte commis.

Ce que je viens d’énoncer est un peu général, c’est en quelque sorte le référentiel, qui peut ensuite se décliner sous de multiples formes : par une pratique, bien sûr, et peut-être par une pédagogie sans cesse renouvelée qui permette de s’adapter aux nouvelles populations de mineurs auxquelles nous nous adressons, qui ont énormément changé. Le patrimoine aurait dû changer, mais les méthodes pédagogiques aussi !

M. le rapporteur - Quelles mesures préconisez-vous pour améliorer aujourd’hui le fonctionnement de votre institution, la PJJ ?

Mme Nathalie Caillon - Cela fait déjà quelque temps que nous formulons des demandes très précises, très simples, mais apparemment très ambitieuses.

Nous souhaitons que notre administration se dote d’un projet national qui soit ensuite décliné à l’échelon des régions et des départements, puis que chaque structure soit dotée de projets de service. Un tel projet national devrait nécessairement être piloté et évalué par la direction de l’administration centrale. C’est là une demande très ancienne et récurrente de notre organisation syndicale, mais pour l’instant, malheureusement, elle n’est pas près d’aboutir : le projet n’existe pas et le pilotage guère plus.

Nous souhaiterions des dynamiques beaucoup plus fortes dans le sens de la rénovation du service public. Cela passe par des états des lieux, par des évaluations... Nous avons déjà évoqué quelques points en réponse à vos questions, nous pourrions en citer beaucoup d’autres.

Nous sommes sans arrêt abreuvés de circulaires définissant des mesures nouvelles sans que jamais le point soit fait sur les mesures anciennes, si bien que ceux qui travaillent sur le terrain ont beaucoup de mal à s’y retrouver. Quelles doivent être leurs priorités ? Que traite-t-on maintenant différemment d’avant ? Pourquoi ces choses-là ? Que laisse-t-on tomber ? On n’en parle jamais ! Nous connaissons très peu de bilans, d’évaluations, nous connaissons très peu de mesures qui soient suivies jusqu’à leur terme, avec tout ce que cela comporte de mise à plat, d’évaluation en fin de mesure.

M. Régis Lemierre - L’administration a ouvert quantité de chantiers qui n’ont jamais été menés à leur terme. Chaque fois que nous posions une question, on nous répondait qu’il fallait expertiser, parce qu’on n’avait pas le temps. Nous avons l’impression d’une administration toujours dans l’urgence et qui n’a pas su piloter, comme pour les CPI et les CER.

Des rapports ont été commandés pour rénover les méthodes de l’administration centrale, notamment le rapport de M. Vacquin, sociologue des organisations bien connu. Nous n’en avons jamais eu communication, officiellement.

L’administration centrale a été fortement questionnée sur le cloisonnement de ses deux sous-directions, l’une qui travaille sur les méthodes de l’action éducative, l’autre sur la gestion des personnels. Il n’y a aucune véritable transversalité ou, plus exactement -car il ne faut pas non plus caricaturer-, il y en a très peu, et cela fait longtemps que cela dure. C’est une vraie difficulté.

Nous avons l’impression que nulle part dans l’administration il n’y a de pilote. Il faut un véritable projet -mais il n’existe pas, c’est vrai- pour que les personnels sachent quelles sont leurs missions, sachent où ils doivent aller. Ensuite, il faut y aller.

Cela ne veut pas dire qu’il n’y aura pas de résistance syndicale ; il y en a toujours, même de la part des syndicats réformistes : le rôle des syndicats est quelquefois de résister, parce qu’ils sont mandatés par leurs personnels, comme, en politique, les élus sont mandatés. Vous m’objecterez que, selon la Constitution, tout mandat impératif est nul ; mais la situation des syndicats n’est pas la même.

Néanmoins, l’administration doit aller de l’avant. Si elle reste paralysée sur toute réforme, comme cela a été le cas ces dernières années, que se passe-t-il ? Les personnels en subissent les conséquences !

La PJJ, actuellement, est acculée. Elle n’est pas responsable de tous les maux ! D’ailleurs, le rapport Lazerges-Balduyck, qu’évoquait ma collègue, souligne les responsabilités multiples dans les carences du traitement de la délinquance juvénile, responsabilités aussi bien de l’Education nationale que de l’administration pénitentiaire et d’autres administrations.

Quoi qu’il en soit, si une adaptation aux réalités du monde actuel avait été conduite de manière plus sûre, à partir de projets bien ciblés, la PJJ n’en serait pas là, le dos au mur, en grande difficulté sur la question de la délinquance juvénile. Les personnels en souffrent et, sur ce point, nous nous interrogeons très fortement sur laresponsabilité de notre administration centrale.

Mme Nathalie Caillon - Nous souhaiterions que soit créé un secteur de gestion des ressources humaines, et je parle bien de création ; nous souhaiterions que soient élaborés des projets ciblés ; nous souhaiterions qu’existe un accompagnement des personnels qui parte de l’administration centrale pour aller jusqu’à chaque individu, dans chaque structure, et que les choses soient conduites du début à la fin : que l’on cesse de lancer des chantiers dont nous ne voyons jamais la fin et dont nous faisons en quelque sorte les frais, car nous sommes traités de tous les mots de la terre.

M. le rapporteur - Si j’ai bien compris, cohérence et proximité !

M. Régis Lemierre - Il est un autre point auquel il faut également être attentif.

Vous avez rencontré les personnels de la PJJ, et vous savez que les forces existent. Certes, toutes ne sont pas représentées par les syndicats -tous les syndicats, même confédérés, n’ont pas vocation à représenter tous les personnels-, et les non-syndiqués sont nombreux. Mais vous avez pu constater que l’institution recèle des richesses importantes.

Pourtant, celles-ci n’apparaissent pas. Des articles sont publiés qui font état de difficultés relevant fondamentalement, à notre avis, de la gestion et de la responsabilité de la direction.

Or, si l’on veut construire avec un syndicalisme réformiste, il faut pouvoir contractualiser, il faut pouvoir baliser les réformes que l’on engage. Si l’on fait cela, on trouvera forcément un terrain d’accord avec les personnels. Mais il faut mener un dialogue social construit, ce qui n’a pas été le cas.

Mme Nathalie Caillon - Plus qu’un manque d’exploitation des richesses -qui, c’est clair, existent dans notre administration-, on constate un épuisement des personnels, lié précisément au manque de considération, de prise en compte de ces richesses-là, et qui les conduit très rapidement à démissionner, au sens figuré du terme, mais quelquefois aussi au sens propre.

J’ai toujours été étonnée de voir comment cette institution parvenait, en quatre ou cinq ans, à épuiser les personnes et comment celles-ci, alors qu’elles arrivaient pleines de bonne volonté, avec des idées très précises sur la tâche qu’elles avaient à accomplir, baissaient les bras.

M. le président - Madame, monsieur, je vous remercie. Si je vous comprends bien, il y a...

Mme Nathalie Caillon - ... du travail !

M. le président - ... beaucoup de gâchis que l’on pourrait éviter.

Mme Nathalie Caillon - Il y a beaucoup de choses à faire.

M. le président - Il faut donc s’y atteler !


Source : Sénat français