Présidence de M. Jean-Pierre SCHOSTECK, président

M. Jean-Pierre Schosteck, président - Nous allons entendre M. Jean-Louis Daumas, directeur du centre pénitentiaire de Caen.

(M. le président lit la note sur le protocole de publicité des travaux de la commission d’enquête et fait prêter serment.)

Vous avez la parole.

M. Jean-Louis Daumas - Je vous remercie, messieurs les sénateurs, de recevoir un directeur de prison. Les occasions ne sont pas si fréquentes pour un professionnel de l’administration pénitentiaire de s’exprimer devant des parlementaires sur une question aussi délicate.

J’imagine que ma présence devant vous aujourd’hui ne s’explique pas par la fonction que j’occupe actuellement puisque le centre pénitentiaire de Caen, que j’ai l’honneur et la chance de diriger actuellement, est un établissement pour de très longues peines. En règle générale, il ne détient pas de détenus mineurs ni même de jeunes majeurs. Certains détenus ont pu commettre les actes qui les ont conduits en prison alors qu’ils étaient mineurs, mais leur nombre reste marginal.

En revanche, à trois reprises, avant cette fonction, j’ai croisé ou accompagné des mineurs qui étaient en grande difficulté.

De 1978 à 1985, j’ai travaillé dans un service de la protection judiciaire de la jeunesse dans les Hauts-de-Seine, à la Cité du Port de Gennevilliers, dans le service de milieu ouvert et d’hébergement situé à Villeneuve-la-Garenne, où j’ai eu la charge de mineurs délinquants, tantôt en milieu ouvert, tantôt en hébergement.

De 1989 à 1994, j’ai dirigé le centre de jeunes détenus de Fleury-Mérogis, qui hébergeait à l’époque 420 jeunes garçons âgés de 13 à 20 ans, dont une centaine de mineurs de 13 à 18 ans.

Enfin, de 1994 à 1998, j’ai eu en charge la trop grosse maison d’arrêt de Loos dans le Nord, qui hébergeait 1 200 détenus pour 575 places théoriques. Il n’est pas inutile de le rappeler à des sénateurs, tout en soulignant l’aide importante que nous a apportée le rapport qui a été élaboré par vous-mêmes, messieurs les sénateurs. La maison d’arrêt comprenait également un quartier de jeunes garçons mineurs, dont l’effectif oscillait entre 20 et 30 en permanence.

Pendant ces trois périodes, j’ai eu l’occasion de travailler avec ces jeunes, soit en milieu ouvert, soit, plus souvent par la suite, en milieu fermé.

Aujourd’hui, la société civile dans son ensemble, ainsi que les hommes politiques qui la représentent, constatent que nous sommes dans la logique du tout ou rien au regard de ces mineurs. Au cours des récents débats télévisés, les prises de position d’un certain nombre de professionnels, dans les domaines tant de la justice, notamment des syndicats de magistrats, que de l’éducation ou de la protection judiciaire de la jeunesse, confortent ce constat.

La logique du tout ou rien, c’est le tout fermé ou le tout ouvert, autrement dit la prison sans l’éducation ou l’éducation sans la contrainte. Bien entendu, je ne veux pas dire que j’ai dirigé pendant cinq ans la plus grosse prison de jeunes de ce pays sans avoir tenté de faire de l’action éducative. Cependant, la logique du tout ou rien constitue bien la faille principale d’un système qui ne conçoit l’enfermement qu’en termes de contenant et de châtiment. Il ne prévoit l’éducation que si le mineur y adhère. Si ce dernier se soustrait à l’action éducative actée par le juge des enfants, de quels moyens d’éducation dispose-t-il ?

Je suis bien placé pour vous en parler. Certes, il y a une vingtaine d’années, les difficultés n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui. D’ailleurs, l’élu des Hauts-de-Seine ici présent connaît bien la situation. Quels étaient les moyens à l’époque pour exécuter une mesure de liberté surveillée présententielle, préjudicielle, une liberté surveillée après jugement, ou une simple mesure d’action éducative au bénéfice d’un mineur qui s’y soustrayait ? Je rendais compte au juge, provoquant un incident à la liberté surveillée, et le juge prononçait un ordre d’incarcération. Encore fallait-il d’ailleurs « mettre la main » sur le mineur, ce qui demandait parfois du temps, un certain nombre de jours, voire de semaines, pendant lesquels le mineur continuait de causer de graves préjudices à autrui ainsi qu’à lui-même. On ne le dit pas assez.

Aujourd’hui, il y a un peu plus de 800 mineurs dans les prisons françaises. Il n’y en a jamais eu autant.

Mon propos ici ne tend en aucune manière à minorer l’excellent travail, tout à fait indispensable et auquel j’ai participé, qui est conduit en milieu ouvert dans le cadre de la protection judiciaire de la jeunesse ou au sein du secteur associatif habilité. Il s’agit non pas d’opposer le milieu fermé au milieu ouvert, mais de montrer que le travail qui est conduit en milieu ouvert ne se suffit pas à lui-même et que d’autres voies sont à envisager pour un certain nombre de jeunes en grande difficulté.

La question de fond est de savoir si le travail est possible avec un mineur au sein d’une institution contenante.

Hier soir encore, j’entendais à la télévision une juge des enfants, Mme de Maximy, vice-présidente d’une grande association, ainsi que des syndicalistes de la protection judiciaire de la jeunesse, dire en substance qu’au fond, la privation de liberté chez ces jeunes serait intrinsèquement criminogène et porteuse de désinsertion sociale. Ce serait aussi, selon eux, un obstacle à tout travail éducatif avec le jeune, c’est-à-dire à toute possibilité d’évolution pouvant le conduire à ce que nous sommes aujourd’hui, c’est-à-dire des adultes.

Certes, ces avis ont été exprimés au cours d’interviews courtes ne permettant pas aux intervenants de les développer. Mais il me paraît tout de même un peu fort d’entendre des professionnels des milieux judiciaires ou de l’éducation dire : « On sait ce que les institutions contenantes ont produit par le passé. » Ce qui s’est produit dans le passé doit-il obérer ce qu’on pourrait construire de nouveau avec ces jeunes ? Oui, disent-ils, car la privation de liberté serait criminogène intrinsèquement. Je dirai à cet égard que c’est un lieu commun qui a été utilisé de la même manière au regard de détenus majeurs.

Pour ma part, je ne crois pas ce que soit la privation de liberté qui soit intrinsèquement criminogène. Comme vos collègues du Sénat et de l’Assemblée nationale l’ont indiqué dans deux rapports fort pertinents l’année dernière, je pense que ce sont plutôt les conditions de mise en oeuvre de la privation de liberté qui peuvent être criminogènes, a fortiori pour des mineurs, qui sont des personnes en devenir, en évolution. Ce qui est criminogène, à mon sens, c’est précisément de ne pas agir avec le mineur, de ne pas chercher à interrompre le processus de destruction à l’encontre de lui-même et des autres.

Lorsque d’autres pistes ont échoué, le temps contenant est une occasion privilégiée de faire avec le jeune une « révision de vie », c’est-à-dire d’engager avec lui un travail dynamique destiné à favoriser à terme l’intégration de la loi, c’est-à-dire le pacte social qui fait que nous pouvons vivre ensemble dans la paix civile et dans le respect de nos différences.

J’observe que ceux qui décrètent qu’une structure contenante empêcherait le travail dynamique ne se sont pas, ou rarement, donné la peine de venir constater en milieu fermé, comme vous l’avez fait vous-mêmes, messieurs les sénateurs, si ce travail dynamique est possible ou non. Ils se contentent de jeter des oukases, de rayer d’un trait de plume l’espace éducatif qui pourrait exister en prison.

Personnellement, je conteste cette approche ; je prétends même l’inverse, et je pense que le champ éducatif a tout à fait sa place dans un lieu contenant, sous réserve évidemment qu’un certain nombre de conditions soient remplies.

Il faut construire un système nouveau introduisant de la contention dans l’éducatif et de l’éducatif dans l’enfermement. Je ne crains pas d’utiliser ce mot d’enfermement, contrairement à certains. Actuellement, les structures éducatives de la protection judiciaire de la jeunesse ne sont pas dans ce schéma, à l’exception de certaines d’entre elles qui se situent sur un versant un peu plus contenant. Je pense aux centres d’éducation renforcée, aux centres de placement immédiat, dont je respecte le travail. D’ailleurs, les professionnels de la justice et de l’éducation leur reconnaissent un certain nombre d’avancées significatives. Mais si le jeune se soustrait à la structure et s’il n’y a pas de contention, le travail éducatif est immédiatement malmené.

Inversement, dans les quartiers de mineurs en détention, l’encadrement humain de surveillants a été multiplié par trois depuis cinq ans par les gardes des sceaux successifs -M. Toubon d’abord, puis Mmes Guigou et Lebranchu- de manière à ne pas interrompre la prise en charge par les surveillants aux moments de grande tension, notamment les week-end et en fin de journée. Mais il ne s’agit pas là d’une présence éducative. Les surveillants qui assurent l’accompagnement de ces mineurs n’ont reçu qu’une formation complémentaire très modeste. Ils ne sont pas les interlocuteurs privilégiés du mineur.

De même, les travailleurs sociaux de l’administration pénitentiaire, notamment les conseillers d’insertion et de probation, n’interviennent pas de manière dynamique. Ils n’assurent pas un accompagnement quotidien, au plus près des mineurs. Je me souviens que, lorsque j’étais éducateur en préfecture, à la protection judiciaire de la jeunesse, il fallait assurer une présence éducative dès le réveil du gamin.

Nous sommes toujours, soit dans un système éducatif où la contention n’existe pas, soit dans un système de contention où le volet éducatif est insuffisant.

Comment peut-on avancer ? Le point qui est fondamental à mes yeux et qui doit constituer un signe fort en direction des hommes politiques est la nécessité d’introduire la mixité culturelle. Cessons de classer, d’un côté, ceux qui éduquent dans le cadre de la protection judiciaire de la jeunesse et au sein du secteur associatif habilité et, de l’autre, ceux qui seraient le bras armé de la répression, y compris dans le cadre de l’ordonnance de 1945.

Le quotidien Le Monde a publié une synthèse d’une partie de vos travaux. Vous indiquez que l’ordonnance de 1945, qui a été toilettée plusieurs fois, n’empêche absolument pas le juge pénal d’ordonner des mesures répressives. Il n’y en a même jamais eu autant depuis quelques années.

Mais le problème réside tout de même bien dans l’absence de mixité culturelle, dans l’alternative unique « contention ou éducation. » La réponse n’est pas dans le développement exponentiel des quartiers de mineurs, comme certains le prônent. Elle n’est pas non plus dans le statu quo de structures strictement éducatives. Il importe de s’orienter vers des lieux qui soient adaptés à la contention des mineurs réputés les plus difficiles, les plus violents.

Je suis intimement convaincu qu’il reste une grande place pour effectuer un travail en milieu fermé, sans le faire au détriment du milieu ouvert. Mais, pour les jeunes les plus difficiles, les plus violents, les plus abîmés, en plus grande souffrance, il faut introduire la mixité culturelle dans les établissements, accompagner l’action pénitentiaire de celle de la protection judiciaire de la jeunesse, avec l’intervention de deux types de personnels, des surveillants et des éducateurs. Les surveillants n’ont pas à faire le travail de l’éducateur. Les éducateurs n’ont pas à faire le travail des surveillants. Il y a de la place pour les deux métiers. Ce sont deux métiers de la République. Dans son rapport sur l’état des prisons, le Sénat a commencé à battre en brèche les idées reçues, caricaturales et misérabilistes, sur le métier de la surveillance. A titre personnel, je vous en remercie.

Quelle forme juridique pourrait prendre cette mixité culturelle ? A l’heure actuelle, nous sommes engoncés dans les statuts. La fonction publique est éminemment protectrice pour ses salariés -je ne m’en plains évidemment pas. Cela étant, n’existe-t-il pas d’autres formes de gestion des ressources humaines, du recrutement, de la formation, du déroulement de carrière, afin de mobiliser des gens sur des projets de mixité culturelle ?

Il faudrait se creuser la tête. Nous ne sommes tout de même pas « condamnés », soit à travailler immuablement dans ce qui existe aujourd’hui, soit à faire table rase de l’existant.

Actuellement, les échafaudages de statuts, de filières, sont tels qu’on ne peut toucher à un seul morceau de l’édifice. Des structures éducatives ou contenantes, des quartiers des mineurs risquent de se trouver paralysés par des départs normaux en fin de carrière ou des absences pour motifs divers. Il ne s’agit pas de mettre à mal le statut de la fonction publique, les organisations syndicales s’y opposeraient. Il s’agit de chercher une façon de fédérer et de réunir les intervenants dans le cadre de la mixité culturelle.

Le législateur a inventé les groupements d’intérêt public, les GIP, voilà quelques années. Cette formule juridique est sous-utilisée. Ne pourrait-on imaginer que le législateur crée une agence dont le projet serait précisément la prise en charge des mineurs les plus difficiles ?

Pour quoi faire ? La mixité culturelle ne suffit pas. Le contenu relève des politiques publiques. Personnellement, je ne crains pas de vous dire que les politiques publiques sont insuffisamment mobilisées. Elles ne touchent pas seulement à la justice, aux services pénitentiaires et à la protection judiciaire de la jeunesse. Elles concernent aussi les services de santé. Ces mineurs nécessitent souvent des soins médicaux très lourds. Les collègues de la protection judiciaire de la jeunesse les désignent d’ailleurs sous l’expression un peu bizarre de « border line ». Je sais, pour les avoir fréquentés, que, si ce sont des délinquants, voire des criminels, ce sont aussi des individus en grande souffrance. C’est pourquoi il est impératif de mobiliser davantage les politiques de santé publique, et ce de manière plus directive. Quand l’Etat veut être directif, il sait l’être.

De même, il importe de mobiliser davantage les moyens de l’Education nationale et de la formation professionnelle. Vous avez parlé de discrimination positive suivant le schéma des zones d’éducation prioritaire. A cet égard, je ne peux pas répondre. Je ne suis pas un technicien dans ce domaine.

Deux autres axes sont également tout à fait importants. L’un concerne les directions départementales de la jeunesse et des sports. Je pose la question suivante : que seraient les lieux contenants sans l’accès aux politiques publiques de la jeunesse et des sports ?

L’autre axe, auquel on ne pense généralement pas, a trait aux politiques d’accès à la culture. L’accès à la culture est une condition indispensable pour que les jeunes dont nous parlons puissent nous rejoindre.

Pour conclure sur le concept de mixité culturelle, j’indique que, depuis 1978, je n’ai eu de cesse, au service du ministère de la justice et de la République, de passer de l’éducatif à la contention. Lorsque j’ai intégré l’administration pénitentiaire, c’était comme si j’avais déclaré la guerre à mes collègues de la protection judiciaire de la jeunesse de Villeneuve-la-Garenne. A l’inverse, lorsqu’il m’arrive de louer auprès de mes collègues de l’administration pénitentiaire le réel travail accompli par les services de la protection judiciaire de la jeunesse, notamment par ceux qui contiennent les jeunes les plus difficiles -ce qu’on ne dit pas assez-, mes collègues me considèrent avec une moue de travers.

Il importe que les parlementaires fassent passer la mixité culturelle dans la réalité. Appelez ces structures comme vous voulez. Je ne veux pas employer des termes souvent empreints d’idéologie. Mais j’insiste sur la nécessité d’une prise en charge éducative de telles structures dès la première heure du matin, lorsque la porte de la chambre ou de la cellule s’ouvre. C’est une première condition de la mixité culturelle.

La deuxième consiste, je le répète, à mobiliser toutes les politiques publiques concernées.

Enfin, la question de savoir si le lieu de la mixité culturelle doit relever de la protection judiciaire de la jeunesse ou de l’administration pénitentiaire en développant les prisons pour mineurs n’est pas mon propos. Il appartient au législateur de trancher en la matière. Je dis simplement qu’à l’heure actuelle, il y a une sous-utilisation de certains modes de gestion du service public. Nous n’en avons qu’une version verticale, cloisonnée et compartimentée. Un GIP, une agence, un établissement public pourraient créer des établissements spécifiquement habilités à prendre en charge les mineurs auteurs des infractions les plus graves.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur - Je reviens sur le concept de mixité culturelle. Lors de ses différentes visites sur le terrain, la commission d’enquête a effectivement constaté la multiplicité des acteurs, ainsi qu’un manque de coordination. Qui pourrait être en quelque sorte le pilote ou bien le fil rouge dans ce concept ? Pour mobiliser, il faut qu’il y ait un chef, un pilote, quelqu’un qui coordonne l’ensemble.

M. Jean-Louis Daumas - Si vous parlez de pilotage de politiques publiques au niveau national, je vous ai déjà répondu en partie. On pourrait très bien imaginer la création d’une structure, d’un établissement public, d’un GIP, dont le responsable serait nommé par le garde des sceaux, ministre de la justice. De quelle culture le responsable doit-il venir ? C’est difficile à déterminer.

Si vous choisissez des structures contenantes, à mon avis il est impératif que le pilote soit issu de l’administration pénitentiaire. J’ajoute, non pas pour me dérober mais parce que je crois à la mixité culturelle, qu’il faut prévoir un copilote. En effet, pourquoi faudrait-il toujours choisir les uns au détriment des autres ? Pourquoi retomber dans le schéma classique « ou l’un ou l’autre » ?

Votre question, qui me prend un peu au dépourvu, illustre bien la situation que j’ai évoquée dans mon intervention : pourquoi faut-il choisir de manière aussi brutale ? Vous savez peut-être que, depuis quelques années, certains directeurs départementaux de la protection judiciaire de la jeunesse ne sont plus issus de la filière éducative. Ils sont deux ou trois à venir de l’administration pénitentiaire, et je crois savoir que cela ne se passe pas plus mal. On pourrait imaginer aussi que des directeurs de prison soient issus de la filière éducative. Je viens moi-même de la protection judiciaire de la jeunesse.

M. le rapporteur - Vous venez d’utiliser les termes de « structure contenante ». Que pensez-vous des projets de centres fermés qui sont souvent évoqués ?

M. Jean-Louis Daumas - J’observe d’abord que les centres fermés existent déjà. Il s’agit des centres éducatifs renforcés, les CER, et des centres de placement immédiat, les CPI. Certains fonctionnent bien, d’autres moins bien, même s’ils sont très peu fermés.

Je me demande si ces « lieux » -je cherche le terme approprié pour ne pas choquer- sont toujours pensés correctement pour contenir les jeunes concernés. En effet, si l’on veut contenir ces jeunes, il faut envisager les moyens non seulement humains, mais aussi physiques. Très récemment, un reportage télévisé sur un CER abordait le problème de la fugue des jeunes qui se soustraient à l’action éducative. Il faut appeler un chat un chat. Si les centres ont vocation à être fermés, alors ils sont fermés. Ce sont des lieux contenants, des quartiers mineurs d’établissements pénitentiaires, avec des garanties éducatives. Vous ne me ferez pas bouger d’un centimètre sur ce point.

Personnellement, je suis plutôt pour des structures qui dépendraient de l’administration pénitentiaire, avec une filière éducative qui serait beaucoup plus représentée qu’elle ne l’est actuellement. Aujourd’hui, nous sommes dans les demi-mesures à tel point que l’on peut se demander si nous ne conduisons pas des politiques par défaut. Ces centres sont-ils aussi fermés que vous voulez bien le dire ?

D’autre part, soyons pragmatiques. Vous croyez à des politiques publiques. Pour connaître les deux institutions de la protection judiciaire de la jeunesse et l’administration pénitentiaire, je suis en mesure de vous dire que, hormis les quartiers des mineurs des établissements pénitentiaires, vous ne trouverez pas dans ce pays des structures susceptibles d’être équipées ou outillées correctement dans un délai raisonnable pour accueillir ces jeunes.

Donc, ne nous berçons pas d’illusions. La création de centres éducatifs renforcés ou fermés va prendre au bas mot dix-huit mois ou deux ans. Mme Guigou avait ordonné la mise en route d’un programme de 4 000 places de prison supplémentaires. Je peux vous dire que l’on n’en voit pas la couleur pour l’instant. Regardons donc lavérité en face et continuons à poursuivre le travail de ressources humaines qui a été enclenché dans les quartiers des mineurs pour empêcher le retour de la barbarie que des juges de l’application des peines et des professionnels de la justice ont dénoncée à Fleury-Mérogis, voilà quatre ans. A l’époque, les jeunes se faisaient taillader sur les cours de promenade ou dans certains lieux coupe-gorge.

Les parlementaires du Sénat et de l’Assemblée nationale ont réclamé des quartiers des mineurs qui ne soient pas une « humiliation pour la République », mais bien des quartiers des mineurs détenus dans le respect des principes de la Déclaration des droits de l’homme.

Il faut donc qu’ensemble, nous y mettions les moyens en ressources humaines avec le souci constant de la mixité culturelle. Aujourd’hui, les surveillants exerçant dans les quartiers des mineurs sont des fonctionnaires admirables, qui travaillent avec des jeunes en grande souffrance, qui sont confrontés à la violence verbale, à un rapport de force permanent. C’est en mettant, en face de ces jeunes, des acteurs déterminés, des hommes « debout », qui présentent un certain nombre de garanties, que l’on parvient à contenir ces jeunes. Mais il faut aussi amener la mixité culturelle.

Donc, je le répète, pour répondre à votre question, monsieur le rapporteur, je ne crois pas, contrairement à l’avis d’une partie de la classe politique, que les centres fermés puissent devenir opérationnels dans un délai qui soit raisonnable aux yeux de nos concitoyens.

Vous avez des outils législatifs à votre disposition.

Peut-être une loi de finances rectificative constituerait-elle une voie rapide pour faire en sorte que les efforts qui ont été développés dans les quartiers des mineurs soient poursuivis ?

Peut-être faudrait-il se donner les moyens de reprendre le projet de loi pénitentiaire qui est dans les cartons ? Une première lecture avait été envisagée au Sénat. Ce texte pourrait comporter un volet pour les mineurs. Il y a là un débat politique majeur.

Par ailleurs, on dit manquer de places. Mais j’observe que les prisons françaises comptent tout de même 800 gamins. Y a-t-il une vocation à en avoir davantage ? Je l’ignore. Interrogez les magistrats.

Mais, d’ores et déjà, attelez-vous à la mixité culturelle, car l’essentiel des critiques de nos concitoyens porte sur le « ou tout l’un, ou tout l’autre », et c’est de cela qu’il faut précisément sortir.

M. Bernard Plasait - Votre idée d’une prison pour mineurs, qui serait différente des structures que nous connaissons à l’heure actuelle et qui n’opposerait pas les surveillants et les éducateurs, mais assurerait au contraire la mixité, me paraît tout à fait intéressante à étudier.

Chacun voudrait à la fois améliorer les conditions de détention, notamment en réduisant la promiscuité, et imaginer une prison idéale. Dans le système actuel, il y a, d’un côté, la prison qui assure la punition et la contention, de l’autre, le traitement en milieu ouvert qui, à certains moments, se révèle insatisfaisant puisqu’il faudrait pouvoir contenir, isoler, enfermer.

Il ressort d’un certain nombre d’auditions effectuées par la commission d’enquête que, si la prison comme ultime recours est nécessaire, elle présente sans doute l’inconvénient du manque de souplesse. Le magistrat condamne pour un temps donné à la prison. Par ailleurs, le milieu ouvert ne permet pas la contention. D’où l’idée d’un centre semi-fermé qui a été exposée devant notre commission d’enquête. Il s’agit d’un système souple fondé sur la possibilité d’effectuer des allers et retours entre la filière éducative et, lorsque c’est nécessaire, l’enfermement pour un temps donné, lequel peut être cassé plus facilement qu’une condamnation à la prison afin de retourner en milieu plus ouvert.

Cette idée de souplesse vous paraît-elle bonne et réalisable ? Dans une telle hypothèse, l’enfermement relèverait-il de l’administration pénitentiaire ?

M. Jean-Louis Daumas - Cette souplesse me semble évidemment tout à fait pertinente. Elle me rappelle le dispositif que le législateur a inventé voilà quelques années. Fondé sur le principe de l’ajournement de la peine, il prévoit que la juridiction, qui convoque un majeur ou un mineur pour un délit, ne se prononce pas sur le fond, mais fixe rendez-vous quelques mois plus tard au prévenu, à charge pour ce dernier de faire ses preuves d’ici là. Vous voyez bien l’intérêt de la souplesse qui est encore plus grand chez une personne en devenir. Les choses ne sont pas figées. Nous touchons ici à la définition de l’éducation, c’est-à-dire essentiellement de la souplesse, du mouvement et de la dynamique.

Cela étant, ne nous privons pas de ce qui existe. Notre pays souffre de la maladie de l’empilement des textes. Il crée de l’outil législatif sans l’utiliser, sans voir qu’il existe déjà.

Je serai concret : les centres de semi-liberté ont plus de cinquante ans. Ils sont sous-utilisés. Pourquoi les mineurs n’y ont-ils pas accès ? Rien ne l’interdit dans la loi. Outre la souplesse, ils présentent l’intérêt non négligeable de leur petite taille et de leur effectif réduit. Je vous invite à visiter le centre de semi-liberté d’Haubourdin, dans l’agglomération lilloise. Il s’agit d’un établissement pénitentiaire qui compte 30 places. Il se prête très bien à la mixité culturelle. Pourquoi n’y aurait-il pas dans ce lieu une présence éducative de la protection judiciaire de la jeunesse à côté de celle des surveillants ? Je voudrais qu’on m’explique le tabou idéologique qui s’y opposerait.

Par ailleurs, la création des centres pour peines aménagées, les CPA, qui constituent une nouvelle catégorie de prison, vient d’être publiée au Journal officiel. Ces centres relèvent de l’administration pénitentiaire. Ils ont été créés pour des courtes peines pour les majeurs. On pourrait très bien en faire bénéficier les mineurs qui sont condamnés la plupart du temps à des peines courtes.

Le chef d’orchestre, vous l’avez : c’est le juge de l’application des peines, qui est compétent à l’égard des mineurs. Les formules existent, qu’il s’agisse de la semi-liberté, de l’obligation de remplir un travail d’intérêt général, de l’éventuelle suspension ou du fractionnement des peines, ou bien des permissions de sortir.

Pourquoi chercher ailleurs ce qui existe déjà dans notre arsenal législatif ? Pourquoi refaire travailler le législateur ? Il suffirait que le garde des sceaux donne une orientation de politique pénale aux parquets généraux en leur recommandant d’utiliser plus complètement les centres de semi-liberté ou les CPA. Il n’y a que deux CPA sur le territoire, mais peut-être est-ce une bonne formule ? Ni le code pénal ni le code de procédure pénale n’indiquent que tous ces outils ne doivent pas être utilisés à l’égard des mineurs. S’il suffit de toiletter les dispositifs, ce n’est pas le plus compliqué.

M. le rapporteur - On ne peut pas utiliser ces aménagements pour les jeunes qui sont en détention provisoire et qui représentent 80 % des jeunes incarcérés.

M. Jean-Louis Daumas - C’est vrai. Mais la détention dite provisoire a tendance à être de moins en moins provisoire dans notre pays.

Cela étant, la détention provisoire ne permet pas d’introduire de souplesse, à moins que le juge d’instruction ou le juge des enfants ne décide, si l’infraction est correctionnelle, de suspendre l’incarcération provisoire. Mais, dans ce cas, quelles garanties la société a-t-elle ? Où le gamin va-t-il aller ? Il n’ira pas dans un CPA ni dans un centre de semi-liberté puisque la détention provisoire aura été suspendue.

Sur ce point, je n’ai pas de réponse à vous apporter. Mais je constate que les mineurs condamnés sont de plus en plus nombreux. Vous dites, monsieur le rapporteur, qu’il y a seulement 20 % de condamnés mineurs en France. Ce pourcentage est tout de même beaucoup plus élevé qu’il y a dix ans.

Pour les jeunes qui sont condamnés, je le répète, il y a deux outils qui sont notoirement sous-utilisés, les centres de semi-liberté et les nouveaux CPA. Les centres éducatifs fermés ne sont pas pour demain. C’est ce qui apparaîtra quand le garde des sceaux devra rentrer dans une politique d’acquisition foncière et de construction de ces centres.

Ne nous privons pas d’outils que la République possède déjà. Ne soyons pas aveugles. Je vous souffle la piste des centres de semi-liberté et des mesures pénales existantes qui sont sous-utilisées à l’égard des mineurs, comme si on répugnait à leur appliquer les dispositions du code pénal. Mais en quoi le code pénal serait-il un outil déstructurant au regard de ces mineurs ? La semi-liberté, la libération conditionnelle, le chantier extérieur, ne sont-ils pas des mesures éducatives ? Que sont-ils alors ?

M. le rapporteur - Comment est assurée la continuité de l’action éducative à la sortie de prison ? Le passage du témoin entre les travailleurs sociaux pénitentiaires et la protection judiciaire de la jeunesse se passe-t-il dans de bonnes conditions ? Y a-t-il des améliorations à apporter dans ce domaine ?

M. Jean-Louis Daumas - Là encore, le succès des politiques publiques dépend souvent de la qualité des acteurs et de leur bonne volonté réciproque à travailler ensemble. Entre les services départementaux de la protection judiciaire de la jeunesse et ceux de l’administration pénitentiaire, je considère, pour ma part, que cela ne se passe pas si mal.

Il faudrait institutionnaliser les commissions départementales de suivi de l’incarcération du mineur que j’ai mises en place avec mes collègues à Fleury-Mérogis en 1990. Elles sont destinées à réunir autour d’une même table les travailleurs sociaux de la protection judiciaire de la jeunesse et ceux de la prison, le juge des enfants et le juge de l’application des peines quand le mineur est condamné, ainsi que l’administration pénitentiaire incarnée par les surveillants chargés des quartiers des mineurs. Ces commissions fonctionnent dans tous les lieux comprenant des quartiers des mineurs, à condition de veiller à leur bon fonctionnement.

S’agissant du suivi en milieu ouvert, la plupart des mesures exécutées par les travailleurs sociaux de la protection judiciaire de la jeunesse sont maintenant des dispositions pénales. Les mesures de liberté surveillée, voire de contrôle judiciaire se substituent progressivement aux mesures civiles d’action éducative enmilieu ouvert, l’AEMO. Je n’ai donc pas de photographie sur le suivi des mesures après la détention. Le suivi repose largement sur la volonté des deux administrations à travailler ensemble.

M. le président - Merci, monsieur le directeur. Vos propos étaient tout à fait intéressants.


Source : Sénat français