Présidence de M. Jean-Pierre SCHOSTECK, président

M. Jean-Pierre Schosteck, président - Nous allons entendre maintenant M. Daniel Hoeffel, premier vice-président de l’Association des maires de France.

(Le président lit la note sur le protocole de publicité des travaux de la commission d’enquête et fait prêter serment.)

Monsieur le vice-président, vous avez la parole.

M. Daniel Hoeffel - J’interviens aujourd’hui en lieu et place de M. Jean-Paul Delevoye pour vous présenter le point de vue de l’Association des maires de France sur les problèmes de délinquance des mineurs.

J’aborderai successivement trois sujets : premièrement, la participation des maires au fonctionnement de la justice, deuxièmement, les couvre-feux et, troisièmement, l’attitude des maires à l’égard du renforcement éventuel de leurs pouvoirs en matière de police. J’évoquerai également rapidement le point de vue de notre association sur la politique de la ville et la politique de prévention.

La participation des maires au fonctionnement de la justice s’effectue sous différentes formes : d’abord à travers les contrats locaux de sécurité où le maire est un co-signataire important, ensuite par la création des maisons de justice et du droit et enfin par la confirmation du rôle des communes dans l’offre de travaux d’intérêt général qui contribuent à la prévention en matière de délinquance des mineurs.

S’agissant des contrats locaux de sécurité, le parquet a pris des engagements consistant à participer à la réflexion et à la sensibilisation, à échanger des informations sur les procédures dans lesquelles sont mis en cause les délinquants mineurs et à développer des mesures alternatives à la prison.

L’institution de délégués du procureur ou la désignation de magistrats référents pour nouer le dialogue avec le maire -c’est un point important- s’inscrit dans cette nouvelle démarche de rapprochement entre les différents acteurs et mérite que l’on y porte une appréciation positive.

La création des maisons de justice et du droit ou des antennes de justice constitue une forme de justice caractérisée par la proximité qui, en l’occurrence, est vraiment importante, fondée sur la médiation pénale et sur la réparation.

Dans le cadre des contrats locaux de sécurité, ont été mis en place sous des appellations diverses des dispositifs où les maires, en présence du procureur ou du parquet, peuvent recourir à la médiation et convoquer les parents. C’est donc un élément qui permet la participation d’un certain nombre d’acteurs, dont les maires, à une procédure de résorption de la délinquance.

S’agissant des couvre-feux qui, lorsqu’ils ont été instaurés, ont déclenché un certain nombre de polémiques, nous n’avons pas encore suffisamment de recul pour pouvoir porter une appréciation définitive. Le nombre d’enfants de moins de treize ans reconduits dans le cadre de ces mesures n’est qu’un aspect secondaire de ce dispositif qui est un signal envoyé aux parents afin de les responsabiliser. Il faudra attendre l’été prochain pour voir ce que les maires qui ont eu recours à ce couvre-feu tirent de leur propre expérience et de celle de leurs collègues.

Ces mesures de couvre-feu étaient généralement assorties d’un volet prévention faisant intervenir à côté des policiers, des correspondants de nuit, par exemple. C’est l’ensemble du dispositif qui devra être examiné après l’été prochain pour que l’on puisse éventuellement en dégager des conclusions plus générales.

On peut aussi penser que les maires ayant usé de leur pouvoir de police dans ce sens ont également voulu, à travers cette mesure, envoyer un signal aux pouvoirs publics pour qu’ils modifient ou adaptent l’ordonnance de 1945. Ce pourrait être un travail intéressant à réaliser au vu des conclusions pratiques que l’on pourra en tirer.

J’en viens maintenant au renforcement des pouvoirs de police du maire.

Selon les entretiens que nous avons eus et les travaux réalisés par l’Association des maires de France, il ne nous paraît pas nécessaire de renforcer ces pouvoirs qui donnent déjà compétence aux maires pour prendre par arrêté toute décision relative à la tranquillité publique. Il s’agit plus d’un problème de moyens et de concrétisation d’un certain nombre de mesures que d’un problème de textes qu’il faudrait adapter.

Le maire doit-il disposer de pouvoirs lui permettant de s’appuyer, en dehors de la police municipale, sur les forces de la police nationale et de la gendarmerie ou même d’avoir autorité sur celles-ci, par exemple à travers une police territoriale de proximité ? Sur le terrain et dans le cadre des contrats locaux de sécurité, les maires arrivent souvent à orienter l’emploi des forces de police.

A l’heure actuelle, les maires sont très partagés sur ce sujet. Certains sont partisans d’une nouvelle étape à franchir en matière de décentralisation des pouvoirs de police, d’autres au contraire considèrent que cette responsabilité relève essentiellement de l’Etat.

Enfin, je terminerai par la politique de prévention et la politique de la ville.

La politique de prévention au sein des contrats de ville est difficile à évaluer compte tenu de la diversité des actions engagées et des acteurs qui y concourent, qu’il s’agisse de l’Etat, des communes ou de leurs groupements, des conseils généraux, de la prévention spécialisée comme de la protection de l’enfance, des associations et des bailleurs sociaux.

L’Association des maires de France considère comme positives les orientations suivantes.

Premièrement, la recherche d’une cohérence et d’une complémentarité entre les actions de prévention, les actions de sécurité au sein des contrats locaux de sécurité et des conseils communaux de prévention et de délinquance est un gage d’efficacité.

Deuxièmement, la politique de la ville est désormais conduite à l’échelle de l’agglomération, c’est de plus en plus nécessaire, l’élaboration d’une politique de prévention gagne en efficacité dès lors qu’elle s’esquisse et se met en oeuvre dans un périmètre intercommunal.

Troisièmement, le développement de la médiation, au travers notamment des emplois-jeunes, est un élément important pour la réussite des projets de prévention.

Quatrièmement, la mise en oeuvre d’actions spécifiques telles que les opérations vacances ou les délégués dumédiateur de la République peut être considérée comme une retombée positive.

En revanche, deux sujets méritent d’être approfondis et l’Association des maires de France réserve son opinion pour le moment.

Il s’agit d’abord du soutien aux agents et aux professionnels qui participent à la politique de prévention. Il faudrait développer leur formation et envisager l’élaboration d’un statut pour les agents locaux de médiation, les bénévoles associatifs, les correspondants de nuit et les adultes relais. Il convient de ne pas se précipiter, sous peine de provoquer des comparaisons qui pourraient nous entraîner dans un engrenage. Le problème est évoqué, il faut y réfléchir.

Il s’agit ensuite, dans le cadre du droit à l’expérimentation, du transfert aux villes sous forme de contrats, des compétences en matière d’action sociale et de prévention spécialisée.

Voilà, monsieur le président, les quelques réflexions que je pouvais faire au nom de l’Association des maires de France. Le bilan de certaines actions, comme le couvre-feu, serait prématuré. Sur d’autres plans, des questions sont posées, mais les maires de France sont décidés à assumer, dans un contexte clarifié, toutes les responsabilités leur incombant en tant qu’acteurs parmi d’autres de tout ce qui concerne la prévention en général et celle des mineurs en particulier.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur - Quel bilan tirez-vous des contrats locaux de sécurité ? Ont-ils eu un effet positif en matière de délinquance des mineurs ?

M. Daniel Hoeffel - Leur création est relativement récente, mais il apparaît clairement que le fait pour les différents acteurs concernés d’être liés par voie contractuelle et donc associés à une action de prévention, est un point positif.

M. le rapporteur - Du fait de l’augmentation du nombre des actes commis par des mineurs délinquants, les tribunaux sont engorgés et les réponses sont trop tardives. Or nous avons vu, notamment en Grande-Bretagne et en Hollande, des initiatives visant à sortir de la chaîne judiciaire un certain nombre de délits et à les faire traiter par la police ou des organismes locaux de type associatif. Vous semblerait-il intéressant de mettre en place dans notre pays de telles mesures avec la participation des collectivités locales, notamment en matière de médiation et de réparation ?

M. Daniel Hoeffel - La lisibilité d’une action dépend beaucoup de la brièveté des délais qui séparent l’acte de délinquance de la sanction. Tout délai qui se prolonge donne le sentiment d’une impunité et constitue un encouragement à la récidive.

Quels sont les moyens pour essayer d’y remédier ? J’ai organisé voilà six semaines dans mon département, au nom de l’Association des maires de France, un colloque où tous les acteurs : justice, police, gendarmerie, administration, collectivité étaient présents. Il existe incontestablement un problème de moyens à mettre à la disposition de la justice pour lui permettre de réduire d’une manière sensible les délais de réponse, afin d’arriver à une meilleure lisibilité de la sanction.

Toutefois, ce qui est valable en Grande-Bretagne où les mentalités et les traditions judiciaires sont différentes des nôtres peut-il être valable en France ? Je suis dubitatif. En élaborant un nouveau système, ne risque-t-on pas de créer une structure supplémentaire à côté des autres ? Je ne crois pas que l’on puisse scinder notre système judiciaire. Le temps de la mise en oeuvre et le manque de moyens seraient considérables. Or il s’agit d’un problème auquel il faut apporter des réponses pratiques dans des délais rapides.

M. le rapporteur - Les travaux d’intérêt général sont-ils souvent utilisés et les municipalités sont-elles suffisamment associées à ce type de mesure ?

M. Daniel Hoeffel - Les travaux d’intérêt général passent pour l’essentiel par les communes et les mouvements associatifs. Tout ce qui peut éviter aux jeunes délinquants de faire un stage en prison doit être favorisé. Je pense que l’on devrait davantage faire appel aux communes pour développer ces travaux d’intérêt général. Il y a du travail dans toutes les communes, quelle que soit leur taille. Les travaux d’intérêt général apportent des réponses au fléau de la délinquance.

M. Simon Sutour - Vous avez évoqué les arrêtés couvre-feu, mais vous n’avez pas parlé des arrêtés anti-mendicité. J’aimerais connaître sur ce sujet le point de vue de l’Association des maires de France ou éventuellement le vôtre.

M. Daniel Hoeffel - L’Association des maires de France n’a pas pris de position officielle, par conséquent je vous ferai part de mes réflexions personnelles.

Les maires qui ont eu recours à ces arrêtés anti-mendicité, comme ceux qui ont pris les arrêtés couvre-feu, recherchent tout moyen susceptible de préserver une certaine tranquillité dans leur commune. Un arrêté anti-mendicité, s’il n’est pas assorti de moyens pratiques permettant en tout lieu de le faire respecter, n’est pas une mesure miracle. Il faudrait « enlever » les jeunes de la rue en responsabilisant les parents, mais nous savons combien c’est difficile. Les arrêtés anti-mendicité ne constituent pas une mesure susceptible d’apporter des résultats positifs. On risque de déplacer le problème d’une commune vers une autre et de transférer le fléau au voisin.

M. le président - Nous vous remercions.


Source : Sénat français