Présidence de M. Jean-Pierre SCHOSTECK, Président

M. Jean-Pierre Schosteck, président - Nous accueillons maintenant M. Denis Robert-Charrerau, procureur près le tribunal de grande instance d’Annecy.

(Le président lit la note sur le protocole de publicité des travaux de la commission d’enquête et fait prêter serment.)

Monsieur Robert-Charrerau, vous avez la parole.

M. Denis Robert-Charrerau - En préambule, je voudrais évoquer deux idées concernant la délinquance des mineurs qui me paraissent aussi largement erronées qu’elles sont largement répandues. En illustration à mon propos, je citerai quelques chiffres très limités empruntés au département de la Haute-Savoie.

On entend souvent dire qu’en matière de délinquance des mineurs, le taux de récidive est considérable. En 2001, le commissariat d’Annecy a interpellé 314 mineurs ; 286 l’ont été une seule fois et 28 à plusieurs reprises. Sur ces 28, 18 ont été interpellés à deux reprises, 3 à trois reprises, 4 à quatre reprises, 2 à six reprises et le dernier à sept reprises. Il convient donc de moduler l’idée selon laquelle se sont toujours les mêmes mineurs délinquants qui sont interpellés. On a tendance à ne retenir que les échecs et à oublier les réussites.

En outre, il est souvent fait état de l’impunité judiciaire. Après interpellation, tous les mineurs délinquants seraient remis en liberté sans suite judiciaire.

Le département de la Haute-Savoie, qui compte 640 000 habitants, me paraît assez proche de la moyenne nationale sur le plan statistique. La délinquance des mineurs y atteint 19,5 %, contre 21 % au niveau national. En l’an 2000, 1 268 mineurs ont été interpellés en Haute-Savoie. Sur ce chiffre, 786 ont été jugés, soit par le tribunal pour enfants, soit par le juge pour enfants ; 276 ont été convoqués devant le délégué du procureur et seulement 202 n’ont pas connu de suite judiciaire. Encore faut-il préciser que sur ces 202 mineurs interpellés, il est apparu qu’un certain nombre d’entre eux n’avaient pas commis d’infraction. L’idée de l’impunité judiciaire est donc à tempérer.

La véritable impunité réside dans le fait que seulement 20 % des affaires sont solutionnées. L’institution judiciaire au nom de laquelle je m’exprime ne peut donc agir que sur celles-la. C’est une vraie faiblesse de notre société à laquelle il importe de remédier.

Je voudrais maintenant développer certaines idées concernant, d’une part, la procédure pénale applicable aux mineurs et, d’autre part, les foyers et l’incarcération.

Il a été mis en place dans l’institution judiciaire, au fil des années, une procédure rapide pour juger les majeurs que l’on appelle le traitement en temps réel, de telle sorte que les majeurs soient jugés dans un délai relativement court allant de deux à trois mois dans bien des tribunaux.

En revanche, en matière de mineurs, les délais sont beaucoup plus longs, et cela mérite, à mon sens, réflexion et modification.

Il faut bien comprendre que lorsqu’un mineur est interpellé trois possibilités existent pour le faire sanctionner. Il s’agit, premièrement, du tribunal pour enfants, composé d’un juge et de deux assesseurs, deuxièmement, du juge des enfants, qui statue en chambre du conseil, et, enfin, du délégué du procureur, formule relativement récente qui a été mise en place dans la quasi-totalité des tribunaux.

Le tribunal pour enfants est réservé aux affaires importantes, le juge des enfants connaît d’affaires moins importantes ; quant au délégué du procureur, il est délégué pour les petites affaires.

Or, autant pour le délégué du procureur il s’agit d’une procédure simple, rapide avec des délais courts puisque la personne est convoquée dans les deux mois, autant - et c’est un peu paradoxal - pour les affaires les plus graves qui ressortissent au tribunal pour enfants, la procédure est beaucoup plus longue, ce qui sans doute correspond à des nécessité de procédure.

Je crois, pour ma part, qu’il faut envisager de raccourcir ces délais pour les affaires les plus importantes qui, je le répète, sont traitées trop lentement. A cet égard, une tentative a été faite auprès du juge des enfants statuant en chambre du conseil prévoyant une telle procédure rapide. D’ailleurs, celle-ci est contenue dans la loi du 1er juillet 1996 qui a été mise en place pour essayer d’accélérer le cours du jugement des petites et moyennes affaires.

Cette disposition législative ne s’est pas, selon moi, révélée très efficace car il faut bien comprendre que cela demandait aussi l’aval du juge des enfants. C’est pourtant quelque chose qui, à mes yeux, devrait être revu.

Il est vrai que la notion de procédure rapide a souvent mauvaise presse parmi les avocats, voire parfois parmi certains juges, et je crois qu’il serait normal qu’il appartienne au parquet d’opérer un choix procédural essentiel entre le circuit ordinaire et le circuit court.

Pour les affaires importantes, les affaires graves, il existe à l’encontre des majeurs une procédure qui a parfois été décriée et dont le nom est « comparution immédiate », autrement dit la possibilité, lorsqu’un majeur est interpellé, de le faire juger dans un délai extrêmement court. Or une telle procédure n’existe pas pour les mineurs.

Il est vrai qu’il existe des spécificités en matière de mineurs. Ainsi, on a toujours expliqué qu’il fallait d’abord observer le comportement du mineur avant de le juger et on a souvent dit, peut-être à juste titre, que les procédures rapides étaient intentatoires aux libertés individuelles et aux droits de la défense.

Cela étant, je crois tout de même qu’il est possible de mettre en place un dispositif rapide pour les multirécidivistes ou pour les personnes qui n’ont aucun domicile fixe ; je pense ici, notamment, à des délinquants qui arrivent de Yougoslavie ou d’autres pays de l’Est, notamment en Haute Savoie -mais cela est également vrai dans d’autres départements- commettant une dizaine de cambriolages par jour et cela pendant pas mal de journées. Or le jour où ils sont interpellés ils n’ont aucune résidence, on ne sait pas exactement quelle est leur identité. C’est pourquoi on les place dans un foyer, même s’il est courant que le lendemain, voire deux heures après leur placement, ils ont disparu. On est donc contraint de juger ces personnes en leur absence, de prononcer un jugement par défaut.

Dès lors, il est clair, selon moi, que l’efficacité de l’institution judiciaire est à revoir, d’autant que l’on n’est même pas certain, je le répète, de l’identité réelle de ces individus.

Quand des jeunes, dans certaines cités, créent des perturbations extrêmement fortes, l’opinion publique, comme celle des élus locaux, est très pressante. Ils nous disent : « réagissez, faite en sorte que ce mineur qui crée des perturbations importantes dans ce quartier soit sanctionné et éloigné de ce quartier ».

Par conséquent, seule une procédure rapide, du style de la comparution immédiate, serait, selon moi, de nature à permettre un tel éloignement. Bien entendu, je précise que cette procédure devrait être aménagée au droit des mineurs, car il n’est pas toujours facile de réunir le tribunal pour enfants comprenant un magistrat et deux assesseurs civils ; mais on pourrait concevoir un délai de détention avant le jugement de quinze jours, par exemple, avec la comparution dans un délai de quinze jours à un mois. Cela permettrait une réaction forte et vigoureuse de la société, qui a le droit de se défendre face à certains comportements. Il est clair qu’une telleprocédure devrait être mise en place avec beaucoup de prudence et qu’elle devrait être réservée aux cas les plus graves mais aussi, heureusement, les moins nombreux.

Autre difficulté concernant la procédure pénale concernant les mineurs délinquants : ceux-ci sont jugés soit par le tribunal pour enfants pour les affaires les plus graves, soit par le juge des enfants pour les faits moins importants. Il ne faut pas oublier que le fait de juger une affaire devant le tribunal pour enfants est une affaire complexe, lourde. En effet, à l’audience, il faut convoquer le mineur délinquant, sa famille, les personnes civilement responsables ; par ailleurs, les avocats et les parties civiles sont présents. En outre, s’agissant de mineurs, il est normal que nous leur consacrions du temps, de telle sorte qu’en une matinée et en une après-midi ne peut être jugé qu’un nombre relativement limité de dossiers. Or multiplier les audiences en fonction des moyens en personnels et en matériels n’est actuellement pas possible. Il convient donc, à mon avis, d’utiliser l’autre procédure, à savoir la voie du juge des enfants siégeant en chambre du conseil, procédure qui permet de gérer beaucoup de dossiers et en termes de flux d’augmenter le nombre de jugements donc de diminuer le stock des affaires à juger et, par conséquent, de raccourcir les délais. C’est là une nécessité.

Le problème dans ces procédures est que le juge des enfants siégeant en chambre du conseil a des pouvoirs assez limités : il peut infliger une mesure d’admonestation, une mesure de remise à parent, une mesure de protection judiciaire, un placement en établissement ou une dispense de peine, c’est-à-dire des sanctions pour l’essentiel symboliques et dont le caractère « sanctionnateur » n’est pas très fort.

Il conviendrait, à mes yeux, que le juge des enfants dans son audience de cabinet puisse prononcer, à l’instar de ce que fait le tribunal pour enfants, des peines d’amende ou de travail d’intérêt général. Pour ma part, j’y serais plutôt favorable.

En ce qui concerne les majeurs, un juge unique peut prononcer de courtes peines d’emprisonnement qui peuvent aller jusqu’à cinq années sans que cela ne choque plus personne aujourd’hui. Dès lors, ne pourrait-on envisager que le juge des enfants en audience de cabinet puisse de la même façon infliger de courtes peines d’emprisonnement ? Il s’agirait là, me semble-t-il, d’une amélioration du système.

Autre difficulté : il nous est souvent reproché par rapport aux mineurs une absence de réaction judiciaire. Cela tient en grande partie au fait que pour juger des mineurs le huis clos est obligatoire dans les salles d’audience. De même, il y a interdiction absolue de publier le nom des personnes condamnées s’agissant des mineurs, de telle sorte que la presse ne fait jamais état de condamnations concernant les mineurs au tribunal pour enfants, ce qui peut laisser à penser qu’il y a impunité totale concernant les mineurs. En effet, il n’est pas rare d’entendre des responsables locaux nous demander si tel ou tel mineur a oui ou non été jugé. Certes, il l’a été mais dans la confidentialité telle que le prévoit la loi. Il y a là, je l’avoue, une difficulté que je ne sais comment résoudre ; je pose la question.

Il est vrai que cette disposition créant la confidentialité représente une protection importante pour les mineurs, mais elle a l’inconvénient de priver la société d’une connaissance du travail effectué par la justice, la police et la gendarmerie, et cela est un peu dommage. Il y a là - on l’a bien vu ces temps-ci -une sorte de rupture du consensus, un malentendu entre nos concitoyens et l’institution judiciaire. Ainsi, on nous reproche de ne rien faire, ce qui est souvent inexact.

Autre nécessité procédurale dont il a été souvent débattu : faut-il oui ou non instaurer la possibilité d’incarcérer des mineurs de moins de seize ans pour des délits ? Pour ma part, je serais plutôt enclin à le penser s’agissant de mineurs se situant dans la tranche d’âge des 14, 15 et 16 ans. Bien sûr, cela n’est pas satisfaisant en soi, mais, compte tenu de la montée très forte de certains comportements extrêmement violents de nature à créer des perturbations, il est nécessaire d’éloigner ce mineur délinquant de son environnement. Or, aujourd’hui, seule l’incarcération permet cet éloignement. Enfin, dernier élément du point de vue procédural : il est évident que toute réforme de procédure nécessite des moyens, notamment pour les parquets - je suis bien placé pour le savoir. En effet, les magistrats du parquet sont en général peu nombreux, alors que le jugement des mineurs exige plus de temps que celui des majeurs. Il faut donc, si l’on veut être efficace, renforcer les moyens des parquets, car, si je prends l’exemple de la Haute Savoie, il n’y a même pas un magistrat à temps complet pour traiter la majorité des affaires concernant les mineurs de ce département. Cela n’est pas admissible.

J’aimerais aussi m’exprimer quelques instants sur la prison, les foyers et les établissements fermés. La société a le droit de se protéger ; cela, je crois, n’est contesté par personne aujourd’hui. Certes, nous rêvons tous d’une société sans prison, surtout pour les mineurs et, à cet égard, je voulais rappeler ce que disait un sénateur et non des moindres, Victor Hugo, dont on fête le bicentenaire de la naissance cette année, à savoir qu’il suffirait d’ouvrir des écoles pour supprimer des prisons. L’idée était belle, généreuse, elle a été mise en oeuvre, mais, hélas ! elle n’a pas tout à fait réussi. On a ouvert des écoles, mais on n’a pas supprimé les prisons, et je crois, malheureusement, que cela correspond à une nécessité dans notre société.

Il est vrai que les prisons ou les quartiers de mineurs tels qu’ils existent actuellement dans notre pays ne sont, à mes yeux, aucunement satisfaisants, certains fonctionnements ou certains locaux étant parfaitement indignes de notre société. Il faut donc les revoir de fond en comble.

Bien sûr, une prison pour mineurs, cela doit comporter des murs d’enceinte et des barreaux aux fenêtres pour que le mineur ne puisse sortir, mais cela doit aussi être un lieu où l’on doit facilement pouvoir entrer pour y pratiquer l’enseignement, le sport ou d’autres activités de loisirs. Ce n’est pas le cas actuellement, où l’on appelle pompeusement « quartier des mineurs » un bout de prison plus ou moins isolé alors qu’en fait il s’agit souvent de quatre ou cinq cellules qui ne se différencient nullement du quartier des majeurs.

Pour ma part, il doit s’agir de lieux géographiquement bien distincts, avec des modes de fonctionnement différents, même si en la matière il ne faut pas faire preuve de trop d’angélisme. C’est ainsi qu’à la maison d’arrêt de Chambéry, l’an dernier, le quartier où s’est produite une révolte était celui des mineurs et non celui des majeurs. Il s’agit donc de lieux tout à fait difficiles à tenir et il faut en être complètement conscient.

A côté de l’incarcération, il est nécessaire d’avoir recours à des établissements que l’on appelle des foyers, même si c’est très souvent une difficulté quotidienne pour le juge, car trouver un foyer pour un mineur délinquant à cinq heures du soir ressemble à une gageure. En effet, les foyers sont organisés de telle sorte qu’ils s’arrogent le droit d’ouvrir ou de ne pas ouvrir leurs portes. En fait, ils sélectionnent les mineurs qu’ils veulent bien recevoir et l’on pourrait presque parler à ce sujet d’un profil type auquel correspond assez peu le mineur délinquant difficile et violent.

Il faut noter qu’il n’est pas rare dans un département comme le mien qu’après avoir placé un mineur un peu difficile dans un foyer, ce mineur, dans l’heure qui suit ou le lendemain, disparaisse, ce qui bien sûr empêche tout travail éducatif.

Il est donc nécessaire, selon moi, d’envisager la création de structures plus fermées interdisant la possibilité pour le mineur délinquant de sortir, ce qui sur le plan de l’architecture comporterait évidemment un mur d’enceinte - qui est toujours mal vu pour un mineur - ainsi que des barreaux aux fenêtres, mais pour l’instant on n’a rien inventé d’autre. On serait ainsi assuré que le mineur qui, à vingt heures ou à vingt-trois heures est dans sa chambre, sera également présent le lendemain matin à sept heures. On pourrait d’ailleurs envisager que l’administration pénitentiaire assure la partie surveillance car les personnels éducatifs ne souhaitent pas exercer ce rôle de contrainte.

Il faut donc concevoir des établissements qui, tout en empêchant les mineurs de sortir à l’extérieur, permettent à l’extérieur d’entrer facilement dans l’établissement, afin que les éducateurs, les instituteurs, les professeurs de sport ou les groupes de contact puissent facilement oeuvrer. On pourrait ainsi très bien concevoir une barrière s’ouvrant dans un sens et pas dans l’autre. J’ai entendu dire qu’il existait en Espagne des structures de cette nature, où les différents quartiers sont symbolisés par des couleurs allant du bleu sombre au bleu ciel au fur et à mesure que l’on approche de la sortie, avec un régime adapté à chaque échelon. Cela permet aussi, en cas de problème, de faire marche arrière.

Je voudrais également insister sur les lacunes concernant les mineurs souffrant de troubles psychiatriques importants, ce qui est souvent le cas pour les multirécidivistes. Or il n’existe quasiment aucun lieu pour recevoir ces mineurs : l’hôpital n’en veut pas, les foyers non plus. Reste la prison, ce qui crée un gros problème pour eux-mêmes et pour leur environnement, car ces mineurs sont susceptibles de mettre en échec une équipe éducative.

Par conséquent, il est urgent, me semble-t-il, de créer un certain nombre de lieux, de centres plus ou moins rattachés aux hôpitaux publics où les mineurs souffrant de problèmes psychiatriques puissent avoir leur place.

Je souhaiterais, enfin, faire deux ou trois réflexions.

Premièrement, il me semble qu’il faut faire attention à ne pas trop stigmatiser une génération, celle des jeunes d’aujourd’hui. J’entends souvent dire, quand une affaire n’est pas solutionnée : « c’est sûrement un mineur qui a fait le coup ». Or ce n’est pas toujours le cas, loin s’en faut et il faut se méfier d’une société qui chercherait par trop à opposer une génération à une autre. C’est peut-être la première fois dans notre histoire que quatre générations cohabitent, et il ne faudrait pas que la génération la plus âgée rejette tous les maux sur la plus jeune. Il font donc cesser de stigmatiser systématiquement les mineurs, car il y a là un danger.

Deuxième réflexion, assez banale, il faut le dire, mais que je rappelle pour mémoire : les premières victimes de la délinquance des mineurs fréquentent les quartiers difficiles. Je pense au racket ou à d’autres violences. Par conséquent, les mineurs ne sont pas seulement auteurs, et dans les transports, par exemple, ce sont souvent eux les premières victimes, de même que dans les établissements scolaires ou aux abords de ceux-ci. Nous devons donc agir aussi pour que les mineurs soient protégés, c’est important.

Troisième réflexion, il faut éviter de tout judiciariser. Ainsi, il n’est pas normal que des procédures soient intentées pour des bagarres relativement anonymes ayant lieu dans des cours de récréation. Il convient de rappeler toutes les institutions à la nécessité de réagir. Il existe un pouvoir disciplinaire interne à l’Education nationale, de même que dans les immeubles à travers les offices d’HLM. Il faut que ce pouvoir disciplinaire soit effectivement utilisé et ce n’est qu’en cas de difficultés sérieuses qu’il convient de saisir l’institution judiciaire.

Enfin, je terminerai mon propos en citant Hésiode qui, au VIIIème avant J.-C., écrivait dans Les Travaux et les Jours : « Je n’ai plus aucun espoir pour l’avenir de notre pays si la jeunesse d’aujourd’hui prend le commandement demain, parce que cette jeunesse est insupportable, sans retenue, simplement terrible. Notre monde atteint un stade critique. Les enfants n’écoutent plus leurs parents. »

C’est dire qu’il ne faut pas désespérer de notre jeunesse, la génération à venir n’est pas pire que la nôtre !

M. Jean-Claude Carle, rapporteur - Vous nous avez dit qu’environ 20 % des affaires étaient élucidées. Y a-t-il moyen de faire mieux ?

M. Denis Robert-Charrerau - C’est un problème difficile, monsieur le rapporteur, et je serai peut-être encore plus sévère que vous sur le diagnostic. En effet, dans les 20 % d’affaires solutionnées, il faut bien voir que certaines d’entre elles le sont quasi systématiquement -je pense aux chèques sans provision ou à l’abandon de famille.

Bien sûr, il est vrai qu’en cas de vol d’un autoradio dans la rue en l’absence de témoins le travail est extrêmement difficile. Dès lors, comment faire ? Il faut, à mon avis, des effectifs supplémentaires ainsi qu’une volonté politique de donner des moyens à la police judiciaire, qui se sent parfois oubliée. En effet, c’est la police judiciaire qui est chargée du travail de longue haleine dans les enquêtes, alors que les policiers sont moins nombreux aujourd’hui qu’il y a dix ans.

Se pose ensuite le problème des moyens juridiques accrus donnés à la police et à la gendarmerie ; mais cela, bien évidemment, porte atteinte aux libertés de nos concitoyens. Dans ce domaine, une décision politique est donc tout à fait nécessaire. Tel est l’objet de la réforme de la procédure pénale : faut-il donner des pouvoirs accrus aux services de police et de gendarmerie ou, au contraire, doit -on accorder plus de droits à nos concitoyens pour accroître la liberté individuelle de chacun ? Il y a là un équilibre à trouver en fonction de l’état de notre démocratie qu’il appartient aux hommes politiques, donc aux parlementaires, de trouver.

M. le rapporteur - Que pouvez-vous nous dire de la réparation, monsieur le procureur ? Est-ce une mesure efficace ?

M. Denis Robert-Charrerau - Il s’agit là d’une bonne mesure, monsieur le rapporteur, mais qui est relativement complexe à mettre en oeuvre. En effet, en matière judiciaire, comme dans tous les domaines, on a tendance à privilégier les procédures les plus simples qui sont aussi les plus rapides.

Les mesures de réparation, elles, demandent du temps pour les magistrats ainsi que des moyens pour les personnels, pour les éducateurs et de ce fait elles sont, selon moi, insuffisamment utilisées.

Ce que je vais dire va peut-être vous paraître contradictoire -il s’agit là d’une sanction qui reçoit l’adhésion à la fois de l’opinion publique et des élus locaux dans les comités de surveillance et dans les CLS- mais il est vrai que ces mesures s’adressent à des mineurs à peu près « convenables ». C’est un peu comme pour le travail d’intérêt général : lorsque le mineur condamné doit se présenter à neuf heures du matin au service technique de la mairie de tel endroit, évidemment, s’il n’arrive qu’à onze heures, les élus nous disent : « c’est bien beau le travail d’intérêt général ou la mesure de réparation mais les services techniques commencent à en avoir assez ! »

Par conséquent, il faut presque un délinquant idéal pour que la mesure de réparation puisse fonctionner. Ce n’est donc pas la panacée, même si cela mérite sans aucun doute d’être encore développé.

M. le rapporteur - Vous avez parlé de la possibilité, dans des structures un peu plus fermées, d’une certaine perméabilité de l’extérieur vers l’intérieur permettant aux éducateurs ainsi qu’aux services associatifs ou sportifs de pénétrer dans ces lieux.

Ne pourrait-on envisager d’utiliser ceux que j’appellerai les « papis » et les « mamies », c’est-à-dire les retraités et les préretraités, qui pourraient apporter aux mineurs délinquants l’affection dont ceux-ci ont sans doute manqué ?

M. Denis Robert-Charrerau. L’idée me paraît en effet intéressante, monsieur le rapporteur, concernant surtout les mineurs très déstructurés qui viennent de familles où ils n’ont connu de la part ni de leurs parents ni de leurs grands-parents les relations affectives nécessaires à leur épanouissement. S’agissant de bénévoles ayant bénéficié d’une brève formation de manière à ne pas être trop facilement manipulés par certains mineurs, cela paraît être un plus et, pour ma part, j’y serais plutôt favorable.

Cela dit, la difficulté pourrait venir de leur cohabitation avec les professionnels du monde éducatif, car ces derniers ont souvent tendance à exclure les bénévoles ; mais le problème n’est pas insurmontable, car il est bien évident que ces bénévoles auront une motivation très forte et qu’ils pourront apporter quelque chose. Nous avons besoin de gens ayant du charisme et qui fassent en sorte que les mineurs s’identifient plus facilement aux adultes.

M. le rapporteur - Concernant des mineurs appartenant à certaines communautés étrangères telles que les gens du voyage, nous avons pu voir qu’il était très difficile d’apporter une réponse adaptée, efficace. Selon vous, quels moyens pourrait-on mettre en place pour améliorer la situation ?

M. Denis Robert-Charrerau - C’est un peu l’ambiguïté du droit pénal, monsieur le rapporteur, qui a été construit en 1945 sur l’idée d’une certaine générosité. Il faut dire que cela fonctionne bien pour beaucoup de mineurs, car nombre de ceux qui sont interpellés une fois ne reviennent pas. Statistiquement, c’est le plus grand nombre.

Cela dit, bien entendu, il existe des délinquants tout à fait rebelles à la mesure éducative, ne nous faisons pas d’illusion. Certains même sont utilisés et connaissent parfaitement la réglementation. C’est ainsi que l’on voit très souvent dans les tribunaux - cela nous heurte un peu et nous agace, nous, magistrats - des mineurs qui nous rappellent les règles concernant la garde à vue ou la détention et qui nous disent avec un certain toupet qu’on ne peut rien contre eux puisqu’ils ont moins de 16 ans !

Or il faut bien voir que les adultes qui sont derrière ces jeunes, et qui parfois les utilisent, ont également cette connaissance. Dans ce cas, il n’est plus possible d’être dans la réaction éducative et je pense qu’il faut effectivement trouver une réaction plus vigoureuse. A cet égard, les centres fermés, offrant la possibilité de retirer pour un temps le mineur du milieu où il se trouve me paraissent adaptés. C’est, je crois, une nécessité.

En effet, à l’heure actuelle, ces mineurs bénéficient d’une véritable impunité. On a essayé le foyer, mais, dans l’heure qui suit son placement, le mineur, après avoir pris sa douche, fugue, ce qui d’ailleurs n’est pas forcément pour déplaire à l’équipe éducative qui s’en trouve soulagée.

Mme Nicole Borvo - Personnellement, je ne crois pas qu’il faille renoncer à l’éducation, quels que soient les actes commis, car après la sanction viendra le temps de la réinsertion.

Vous avez dit que dans certains cas - encore faut-il savoir lesquels -la prison était une solution même si ce n’est pas la panacée.

Quant à la réparation, vous avez souligné qu’elle n’est pas assez utilisée. Pour ma part, je pense qu’il conviendrait d’approfondir la réflexion dans ce domaine, car, après une incarcération en centre fermé qui va durer un certain temps, que va-t-il se passer pour le mineur délinquant ? Il faut, je crois, inventer des choses nouvelles.

Ainsi, ne serait-il pas envisageable de combiner des sortes d’internats permettant de tenir les jeunes à l’écart de leur lieu d’origine ou de leur lieu de délinquance avec des mesures de réparation, par exemple, sous forme de travail d’intérêt général ? Ce serait là, me semble-t-il, une solution satisfaisante.

M. Denis Robert-Charrerau - Peut-être me suis-je mal exprimé, madame la sénatrice, car ma position n’est sans doute pas très différente de la vôtre, à savoir que la prison pour les mineurs est en soi un échec, c’est évident, même si c’est peut-être un échec nécessaire.

Il faut tout de même reconnaître qu’on y a recours de manière relativement limitée. Par ailleurs, il est clair que l’incarcération du mineur ne peut intervenir que pour une durée très courte.

C’est souvent ce que je dis à l’extérieur : « s’il faut mettre un mineur en prison, il faut faire en sorte qu’il soit meilleur en sortant que lorsqu’il y est entré, sinon cela ne sert à rien ! »

Il faut bien voir que la demande d’incarcération est très forte dans notre société, et le parquet, à cet égard, est considéré comme n’étant pas assez repressif. Or, pour ce qui me concerne, je rappelle toujours que la prison n’est pas la panacée, que la sortie doit être préparée et que, quoi qu’il en soit, l’incarcération doit être de courte durée.

Personnellement, je serais plutôt favorable à ce que l’on supprime la prison pour les mineurs en mettant en place des établissements fermés possédant une structure plus éducative que celles qui existent actuellement. Reste, bien sûr, à construire de tels établissements, mais il est vrai qu’aujourd’hui, en l’état actuel des choses, les juges n’ont souvent pas le choix : c’est la prison ou la liberté, il n’existe pas de sanction intermédiaire véritable en 2002.

M. le président - La commission vous remercie, monsieur le procureur.


Source : Sénat français