La commission a procédé à l’audition de Mme Leïla Shahid, déléguée générale de la Palestine en France, sur la situation au Proche-Orient.

Mme Leïla Shahid a tout d’abord considéré que les élections israéliennes étaient intervenues à un moment grave, après une période de deux ans et demi ayant abouti à la destruction du processus d’Oslo. Elle a observé que ces élections révélaient une certaine instabilité de la vie politique israélienne, aucun des quatre derniers gouvernements n’ayant pu mener son mandat à terme. Bien que ne souhaitant en aucun cas intervenir dans le processus électoral israélien, les Palestiniens sont touchés par la reconduction au pouvoir del’équipe gouvernementale qui a interrompu les négociations de paix.

Mme Leïla Shahid a indiqué qu’il y avait peu de perspectives de changement d’option de la part d’Ariel Sharon quant à son choix d’une solution militaire. Elle a néanmoins souhaité voir le nouveau gouvernement reprendre les négociations sur la base de la " feuille de route " du " quartette " (Etats-Unis, Union européenne, Russie, ONU), même si ce document ne répond pas à l’ensemble des demandes des Palestiniens.

Elle a réaffirmé sa conviction quant à l’absence de solution militaire à la question israélo-palestinienne, en soulignant que le sentiment était largement partagé, au sein de la population israélienne, d’une solution politique, par la création d’un Etat palestinien à côté d’Israël.

La déléguée générale de Palestine a fait part de son incompréhension devant le vote en faveur d’Ariel Sharon émis par une population israélienne pourtant majoritairement favorable à la paix, considérant que ce vote résultait à la fois d’un grand désarroi, du déficit de leadership politique et de l’illusion que la force militaire pourrait être une garantie de sécurité.

Les élections israéliennes sont par ailleurs intervenues à un moment important de consensus international sur la nécessité d’une ultime tentative diplomatique. Mme Leïla Shahid a ainsi rappelé que le règlement du conflit israélo-palestinien était passé au second plan des préoccupations américaines après le 11 septembre 2001, mais que le président des Etats-Unis avait néanmoins défendu devant les Nations unies une vision de deux Etats souverains, traduite dans la feuille de route du quartette. Elle a regretté la décision américaine de différer l’adoption officielle de la feuille de route, initialement prévue le 20 décembre 2002, jusqu’à l’issue des élections israéliennes.

Mme Leïla Shahid a rappelé que la feuille de route comprenait des éléments relatifs à la réforme de l’autorité palestinienne, mais elle a considéré que la question essentielle du moment touchait davantage à l’occupation militaire des territoires palestiniens qu’à un problème de transparence ou de réforme des institutions. Elle a en outre souligné que le mouvement de réformes dont le besoin est avéré était difficilement compatible avec l’absence de souveraineté et la privation de droits élémentaires.

Aussi bien les réformes de l’autorité palestinienne sont-elles inscrites dans la feuille de route, document qui comprend des exigences parallèles adressées aux deux parties pour aboutir en trois étapes à la proclamation d’un Etat palestinien en 2005, la première étape étant, en 2003, la définition de frontières provisoires. Outre la réforme de l’autorité palestinienne, le document prévoit également le gel des colonies et le retrait des territoires de l’armée israélienne.

L’ensemble de ce mouvement, a regretté Mme Leïla Shahid, est remis en cause de façon profonde par la perspective d’une guerre en Irak dont les conséquences, non seulement pour ce pays, mais aussi pour l’ensemble de la région, seraient incommensurables. Elle a cité les propos de M. Netanyahou quant à l’opportunité de cette guerre pour " se débarrasser de Yasser Arafat ", justifiant l’inquiétude et la préoccupation des Palestiniens face au conflit qui s’annonce et dont les modalités de sortie sont entourées de la plus grande incertitude.

Soulignant la difficulté à " faire la guerre d’une main et la paix de l’autre ", la déléguée générale de Palestine a conclu sur son espoir dans une solution diplomatique portée par la communauté internationale, et notamment par la France.

Puis un large débat s’est instauré au sein de la commission.

M. Xavier de Villepin s’est enquis de l’éventuel impact de la question irakienne sur le conflit entre Israël et Palestine, ainsi que des sentiments des Palestiniens envers le régime irakien. Il a également évoqué les conversations engagées officieusement entre MM. Shimon Perez et Abou Ala, et a souhaité recueillir l’opinion de Mme Leïla Shahid sur ce point.

M. Jean-Pierre Plancade a souligné la complexité croissante de la situation au Proche-Orient, qui se traduit, notamment, par un certain " recentrage " d’Ariel Sharon sur l’actuel échiquier politique israélien, alors qu’il a été longtemps perçu comme un homme de droite. Il a interrogé Mme Leïla Shahid sur l’impact des actions terroristes sur la radicalisation de l’opinion israélienne. Il s’est enfin interrogé sur les élections palestiniennes à venir et sur la nécessaire réforme de l’Autorité palestinienne.

M. Jean-Pierre Masseret a souhaité connaître les conséquences d’une éventuelle intervention en Irak sur le conflit israélo-palestinien, soulignant que certains conseillers du Président Bush sur ce dossier étaient des proches du Likoud. Il s’est également interrogé sur l’évolution du Proche-Orient en cas d’éviction de Saddam Hussein du pouvoir à Bagdad.

M. Daniel Goulet a déploré que la focalisation de la communauté internationale sur le problème irakien relègue au second plan la nécessaire mise en oeuvre des résolutions des Nations unies sur le conflit israélo-palestinien. Il a évoqué l’éventualité de la proclamation d’arrêt unilatéral des attentats par l’Autorité palestinienne, qui serait de nature, selon lui, à enrayer la spirale de la violence qui affecte cette région.

M. Didier Boulaud a souhaité recueillir l’appréciation de Mme Leïla Shahid sur la notion de " crise de légitimité " évoquée par certains, concernant l’Autorité palestinienne.

Mme Danielle Bidard-Reydet a rappelé que les élections palestiniennes, souhaitées par la communauté internationale et prévues initialement pour janvier 2003, n’ont pu se tenir dans le contexte de violence extrême et il est impossible d’exiger la tenue d’élections alors que se poursuit l’occupation des territoires. Elle a interrogé Mme Leïla Shahid sur les résultats des récentes élections en Israël, en se demandant si le refus réitéré du candidat travailliste, M. Mitzna, de participer à un éventuel gouvernement d’union nationale dirigé par Ariel Sharon ne marquait pas la renaissance d’un mouvement fort, favorable à une solution politique.

Mme Josette Durrieu a souhaité recueillir le sentiment de Mme Leïla Shahid sur les véritables raisons de l’échec des négociations de Camp David, et sur les éventuelles occasions manquées par l’Autorité palestinienne dans ce dossier. Reconnaissant que l’Autorité palestinienne n’existait plus dans les faits, elle s’est inquiétée de l’éventuelle succession de Yasser Arafat. Elle s’est enfin interrogée sur le contenu d’une éventuelle initiative internationale.

M. Jean-Guy Branger a relevé que si les positions des pays européens divergeaient sur le problème irakien, elles étaient, en revanche, très proches sur le conflit israélo-palestinien, s’accordant sur la nécessité que coexistent deux Etats souverains. Il s’est cependant inquiété de la pérennité de cette cohésion par-delà un éventuel conflit avec l’Irak.

M. Emmanuel Hamel a demandé à Mme Leïla Shahid ce que les Palestiniens attendaient de la France pour la promotion de la paix dans la région.

M. Michel Pelchat a évoqué le succès électoral du parti laïc Shinouï (" Changement "), et s’est interrogé sur son apport à un éventuel processus de paix.

Enfin, M. André Dulait, président, a souhaité recueillir le sentiment de Mme Leïla Shahid sur le vote émis par les arabes israéliens lors des récentes législatives.

En réponse, Mme Leïla Shahid a apporté les éléments suivants :

 les Palestiniens, tout comme une majorité du monde arabe, portent une appréciation négative sur le régime irakien, constatant que Saddam Hussein a combattu toutes les couches de la société de son pays. Il reste qu’il existe une grande sollicitude à l’égard du peuple irakien ainsi qu’une grande amertume envers la communauté internationale, du fait de l’impact désastreux, sur cette population, de dix ans d’embargo. Cette amertume est accentuée par le sentiment du " deux poids deux mesures " dans l’application concrète des résolutions des Nations unies ;

 la vision européenne d’une interdépendance euro-méditérannéenne risque d’être affectée par un conflit en Irak et la présence américaine durable dans la région qu’il entraînerait. Dans le monde instable qui prévaut depuis l’effondrement du mur de Berlin, la Palestine et la région alentour sont un lieu particulièrement vulnérable ;

 le dialogue entre Palestiniens et certains responsables israéliens n’a jamais cessé jusqu’à l’accession d’Ariel Sharon aux responsabilités. Celui-ci suit sa ligne politique depuis toujours : il faut rappeler que celui-ci a voté non seulement contre les accords d’Oslo, mais également contre les accords passés antérieurement entre Ménahem Begin et Anouar El Sadate et contre le traité de paix avec la Jordanie ;

 l’incontestable succès du Likoud lors des dernières législatives israéliennes s’explique largement par le bilan désastreux du parti travailliste depuis l’échec de Camp David. Faute d’avoir su analyser les raisons de cet échec, ce parti en a rejeté la responsabilité sur les Palestiniens, et singulièrement sur Yasser Arafat. Leur récente défaite est également le fruit de leur longue participation au gouvernement d’union nationale d’Ariel Sharon, où ils détenaient quatre portefeuilles essentiels ;

 une réorganisation de l’Autorité palestinienne, souhaitée par les Palestiniens eux-mêmes, tout comme des élections pour en renouveler les membres, ne peuvent être envisagées dans l’état d’enfermement où se trouvent la population et ses représentants. Certes, les attentats perpétrés par des " kamikazes " palestiniensont contribué à créer un climat de peur tant en Israël que dans les territoires. Chaque action terroriste est une tragédie morale et politique. Mais ces actions sont davantage une conséquence de la situation que sa cause et seuls une négociation et un accord politiques peuvent réduire ce climat de violence ;

 les dirigeants américains eux-mêmes ne maîtrisent pas les conséquences régionales d’une éventuelle intervention militaire en Irak. Celle-ci est soutenue aux Etats-Unis par un courant très favorable à Israël à un moment où les relations entre les deux pays sont plus étroites que jamais ;

 une déclaration unilatérale de trêve proclamée par Yasser Arafat ne serait pas suivie d’effet. La solution peut-elle d’ailleurs résulter d’une initiative de la partie la plus faible ? Les Palestiniens sont aujourd’hui plus déterminés que jamais à obtenir un droit légitime en tant que peuple. Une solution ne peut donc venir que de la communauté internationale sur la base d’un règlement politique et de l’acceptation de l’autre, mais la communauté internationale, mobilisée par le problème irakien, a relégué le conflit israélo-palestinien au second plan de ses priorités ;

 de nombreux Palestiniens ressentent le manque de légitimité des membres de l’Autorité palestinienne et ils réclament des élections qui leur permettraient d’exprimer leur opinion sur leurs dirigeants, et de prendre ainsi en main leur destin. Faute de pouvoir obtenir des conditions favorables à la tenue de ces élections, dans un contexte d’occupation persistante des territoires, une dissolution de l’Autorité palestinienne serait alors envisageable, ses membres étant de facto dans l’incapacité d’exercer leur mission. Les Palestiniens en reviendraient alors au statut qui prévalait du temps de l’OLP ;

 la résistance dont fait preuve Yasser Arafat, depuis 18 mois qu’il est soumis à une intense pression d’Israël, est tout à fait remarquable et la situation matérielle extrêmement difficile à laquelle il est réduit accroît sa popularité au sein de la population palestinienne. Ceci ne dissimule pas d’éventuelles erreurs commises lors de la négociation d’Oslo, notamment sur le dossier de la colonisation. On assiste en fait aujourd’hui, par des moyens militaires, politiques, économiques et financiers, à une volonté israélienne de destruction et de fragmentation de la société palestinienne pour la réduire à un état de faiblesse tel qu’il la contraindrait à accepter le " diktat " d’Israël. La priorité des Palestiniens est donc de résister à cette tentative de destruction ;

 pour comprendre l’échec de Camp David, il convient de se référer aux analyses formulées par différents auteurs, notamment le journaliste français Charles Enderlin. Dans cette affaire, Ehoud Barak, pressé d’aboutir à un accord de paix, a pâti de son manque d’expérience politique ;

 le peuple palestinien s’est battu durant ces cinquante dernières années pour obtenir le droit de choisir lui-même ses dirigeants, d’abord contre les pressions des responsables arabes comme Nasser, puis Hafez El Assad et enfin Hussein de Jordanie. Les Palestiniens voudront se donner des dirigeants à même de gérer un Etat moderne ;

 le refus de M. Mitzna de rejoindre un gouvernement d’union nationale traduit non pas une évolution vers la paix du parti travailliste, mais une crise de l’ensemble des partis politiques en Israël. Le mouvement favorable à la paix ne connaît pas une telle crise mais il n’est pas représenté électoralement ;

 le Président Jacques Chirac a acquis, à l’occasion de la crise irakienne, une indéniable crédibilité internationale, qu’il doit utiliser au profit de la paix au Moyen-Orient. La désunion européenne est cependant un problème, car la France ne peut, seule, assumer la démarche de paix et de coexistence. L’Europe est le premier marché pour Israël, qui y exporte 70 % de sa production ; c’est aussi le continent d’origine de la majorité des Israéliens, ce qui donne à ce continent des atouts pour rappeler Israël à ses devoirs ;

 les arabes israéliens ont voté à 80 %, ce qui constitue un taux de participation supérieur à celui d’autres catégories ; ils constituent 18 % de l’électorat d’Israël et disposent, dans la nouvelle Knesset, de 9 élus issus de leurs propres partis politiques.

Source : Sénat français