Le Président Edouard Balladur s’est félicité d’accueillir Sir John Holmes à un moment important pour le monde et les relations franco-britanniques. Il a souhaité être éclairé sur la situation et le devenir de l’Irak, les discussions sur la « feuille de route » concernant Israël et la Palestine, ainsi que sur la défense de l’Union européenne et ses relations avec l’Alliance Atlantique et, enfin, sur les intentions britanniques quant à la Convention et la prochaine conférence intergouvernementale.

Après avoir remercié la Commission des Affaires étrangères pour son accueil, Sir John Holmes, Ambassadeur de Grande-Bretagne, a souligné que la coalition avait essayé de minimiser les pertes en vies humaines, de cibler le régime et non la population et de préserver les infrastructures même si elle n’y est pas toujours parvenue. Le régime de Saddam Hussein s’est écroulé, la coalition a pu donner aux Irakiens la chance inouïe d’entrevoir un avenir meilleur, bien mérité après 30 ans d’une dictature dont la brutalité apparaît crûment. Il a reconnu qu’il était plus difficile de gagner la paix que la guerre et qu’on ne pouvait se permettre d’échouer car il en va de l’avenir de l’Irak, de la stabilité de la région, et de la relation entre le monde arabo-islamique et l’Occident.

Il a d’abord décrit les enjeux immédiats en insistant sur la nécessité de soutenir l’effort humanitaire pour soulager les souffrances de la population irakienne car même s’il n’y a pas de crise majeure, de nombreuses régions ont besoin de nourriture et d’eau potable. Jusqu’ici la Grande-Bretagne a affecté 240 millions de livres à l’assistance humanitaire, et de nombreuses organisations non gouvernementales ont effectué un travail remarquable. La coalition et le reste de la communauté internationale doivent donc collaborer d’urgence dans ce domaine.

Il faut ensuite restaurer la normalité ; de gros progrès ont été accomplis. La plupart des écoles et des marchés ont rouvert et l’essentiel du territoire est approvisionné en électricité et en eau, la plupart des hôpitaux de Bagdad et des régions fonctionnent de nouveau, la grande majorité des personnes déplacées à cause du conflit sont rentrées chez elles. A Bassora l’armée britannique mène des opérations conjointes avec la police locale, et apporte eau et nourriture à la population. Le système judiciaire local a été rétabli. Les trois principales centrales électriques ont redémarré, et l’approvisionnement en électricité a retrouvé son niveau d’avant-guerre.

Le rétablissement de l’Etat de droit est essentiel. L’effondrement du régime a conduit à des débordements regrettables, à des scènes d’anarchie, et à des tragédies telles que le pillage du musée de Bagdad. La situation s’améliore cependant. Les forces de la coalition, en liaison avec l’aide des citoyens ordinaires et des fonctionnaires venus rejoindre leur poste, commencent à ramener la stabilité dans les rues.

A ce stade, l’ambassadeur a estimé qu’il était possible de commencer la reconstruction économique, politique et civile du pays en regrettant que les nombreuses voix qui prédisaient que la phase militaire serait désastreuse, saisissent actuellement la moindre occasion pour prédire l’échec des efforts menés pour donner à l’Irak un avenir plus démocratique et prospère. Selon lui, les faits donneront tort aux pessimistes et autres cyniques.

Trois principes fondent l’action de la coalition : il appartiendra aux Irakiens de décider de l’avenir de leur pays, qui doit garder ses frontières actuelles ; les ressources de l’Irak seront entièrement destinées au peuple irakien et les forces de la coalition ne resteront pas un jour de plus que le strict nécessaire.

Sir John Holmes a indiqué qu’un processus de reconstruction en trois étapes est envisagé. Il s’agit tout d’abord d’appliquer les conventions de Genève et de La Haye ; la coalition et l’Office pour la reconstruction et l’assistance humanitaire (ORHA), sous la direction de Jay Garner, seront chargés d’assurer la sécurité et de répondre aux besoins administratifs immédiats du pays. Les personnels de la coalition et de l’ORHA n’auront pas vocation à gouverner l’Irak, mais devront en faciliter le gouvernement en collaborant avec les fonctionnaires irakiens, au niveau national et au niveau local, et en épaulant les organisations internationales, notamment les agences de l’ONU et les ONG. Il a rappelé que l’ORHA n’était pas un organisme exclusivement américain, puisque vingt britanniques et des personnels venus d’Australie, du Danemark, du Japon, d’Espagne, d’Italie, de Roumanie et de Corée y sont rattachés à ce jour.

La deuxième étape qui devrait démarrer dans les prochaines semaines consistera à établir une autorité intérimaire représentative, bénéficiant d’une large assise, qui exercera progressivement des fonctions de gouvernement. Une réunion préliminaire a déjà eu lieu à Nassiriya suivie d’une autre à Bagdad hier, regroupant près de 300 participants. Ces rencontres ont rappelé la nécessité de rétablir prioritairement la sécurité et le fonctionnement des services essentiels et de contribuer à l’établissement d’institutions démocratiques. Ces réunions ont montré qu’il fallait définir plus précisément le rôle, la structure et le calendrier de l’Autorité intérimaire ainsi que la possibilité d’organiser un congrès à l’échelle nationale. Ces rencontres ne sont certes pas des congrès politiques bien organisés, mais elles constituent des chaînons indispensables. Sir John Holmes a reconnu qu’il était difficile de trouver des dirigeants irakiens susceptibles d’être membres de l’autorité intérimaire. Aussi le soutien du Secrétaire général de l’ONU, de la communauté internationale et de la coalition pour s’assurer de la représentativité de cette autorité est-il nécessaire.

Il n’est pas question d’imposer quoi que ce soit de l’extérieur, ni de peupler cette autorité d’anciens exilés rentrés en Irak. Une fois composée, éventuellement dans les premiers jours de juin, l’autorité intérimaire devra prendre en charge progressivement l’administration du pays en commençant par les ministères les moins difficiles (ce qui exclut la sécurité) et rédiger une Constitution pour que les Irakiens puissent élire un gouvernement totalement représentatif.

Sir John Holmes a déclaré qu’il était difficile d’évaluer le temps nécessaire à l’accomplissement de ce processus, estimant raisonnable de le voir se dérouler sur un à deux ans. La coalition, en effet, devra laisser derrière elle un système durable, comme elle s’y est engagée, mais ne pas rester trop longtemps non plus, pour ne pas épuiser le capital de reconnaissance dont elle bénéficie. De nombreux Irakiens suspectent les mobiles de la coalition ; s’ils se réjouissent de la disparition de Saddam Hussein, ils craignent que l’on reste dans leur pays et qu’on le domine. Du début à la fin de ce processus, l’ONU aura un rôle essentiel à jouer dans la poursuite de l’effort humanitaire et aussi dans la reconstruction économique et politique du pays. Aucune institution au monde ne connaît mieux que les Nations unies les complexités de la genèse d’une nation. Il sera donc fait appel à toute communauté internationale pour bâtir le pays.

Il a précisé que très prochainement le Conseil de sécurité examinerait la question de l’avenir du régime pétrole contre nourriture, les modalités de la levée des sanctions, et la gestion ultérieure des recettes pétrolières. La coalition tentera de faire adopter de nouvelles résolutions sur l’intégrité territoriale de l’Irak et sur la nouvelle Autorité intérimaire, en espérant que le Secrétaire général nommera sans délai un Représentant spécial chargé de faire avancer le processus politique. Il faut que les Nations unies soient présentes sur le terrain dès que possible : les Irakiens et la coalition doivent commencer au plus vite la reconstruction car les forces de nuisance sont toujours prêtes à combler le vide politique.

Les Nations unies devront examiner comment modifier leur mandat sur le contrôle du démantèlement des armes de destruction massive. Selon M. Hans Blix la commission d’inspection - la COCOVINU - ne peut pas retourner en Irak dans les circonstances actuelles car sa raison d’être n’est plus la même. L’essentiel est de trouver les armes et de les détruire. Ce sera long en raison des dissimulations dont le régime de Saddam Hussein a fait preuve, mais la vérité sera connue et le danger écarté.

Sir John Holmes a souligné l’aspiration de la coalition à la naissance d’un Etat démocratique ce qui est ambitieux puisque ce pays n’a pas de tradition démocratique et fait face à des tensions ethniques et religieuses fort anciennes. Le multipartisme permettrait de dissiper le mythe selon lequel Islam et démocratie s’excluent. Autrefois cause d’instabilité dans la région, l’Irak pourrait dès maintenant devenir une force de stabilité. Il a jugé hâtives les conclusions tirées sur les dangers d’une révolution islamiste en Irak comparable à celle de l’Iran, il y a vingt ans. Si le risque existe il n’est pas inéluctable. Il n’est pas extravagant pour le moment que les chiites fêtent leur liberté religieuse retrouvée.

Il a insisté sur l’importance du règlement du conflit israélo-palestinien pour la stabilité de la région. Le gouvernement britannique s’est attaché à convaincre ses amis américains de l’urgence de ce problème. Aussi s’est-il félicité que le Conseil législatif palestinien ait prévu de nommer cette semaine un nouveau cabinet réformateur permettant de passer à la publication et à l’application de la « feuille de route ». Il faut se réjouir sans réserve de ce progrès. Il revient à la coalition de réussir en Irak, pour le peuple irakien comme pour la région et pour toute la communauté internationale. C’est l’occasion de se rassembler, et de créer ensemble quelque chose de positif.

M. Roland Blum a évoqué le rôle de l’ONU qui, pour le Royaume-Uni, ne saurait se ramener à l’exercice de missions humanitaires ou économiques, mais doit être aussi un rôle politique. Il est cependant douteux que les Etats-Unis partagent cet avis. Il a également souhaité savoir quelle était la position britannique sur les menaces de sanctions américaines à l’égard de la France.

M. Gilbert Gantier a exprimé sa gratitude à l’égard du Royaume-Uni pour avoir participé à la coalition qui a lancé cette offensive militaire contre l’Irak. En effet, cette guerre étant inévitable ; il était préférable que les Américains n’intervinssent pas seuls et soient modérés dans cette entreprise par d’autres nations. Dans la mesure où la présence occidentale en Irak pourrait être mal acceptée, il s’est demandé s’il n’y avait pas un risque pour les armées américaines et britanniques de rester en Irak des mois, voire des années. Enfin, s’agissant du pétrole, dont il faut se féliciter que les installations de production n’aient pas été détruites, il a souhaité savoir quelle autorité aurait la charge de délivrer les autorisations de production.

Sir John Holmes a tout d’abord rappelé que le Président Bush lui-même avait utilisé le mot « vital » pour qualifier le rôle futur de l’ONU en Irak. Certes, il est plus facile de qualifier ce rôle futur par des adjectifs que d’en définir précisément le contenu. Il a par ailleurs fait observer que les Nations unies ne veulent pas, et ne peuvent pas, gérer le pays, mais que pour autant elles joueront aussi un rôle politique ; c’est pour cette raison que le Royaume-Uni souhaite la nomination rapide, par le Secrétaire général de l’ONU, d’un représentant spécial en Irak. Certains pensent qu’il est nécessaire de définir préalablement le mandat de ce représentant avant même sa nomination, mais cela risque d’entraîner de longs débats peu constructifs au Conseil de sécurité : or il est indispensable que l’ONU soit rapidement représentée sur le terrain, sans que pour autant son représentant ne passe pour une « chambre d’enregistrement » des décisions de la coalition. Enfin, il faut préciser qu’il y a également sur cette question un débat au sein de l’administration américaine ; ainsi, le Royaume-Uni essaye d’exercer son influence en faveur d’un rôle éminent pour les Nations unies.

Sir John Holmes a estimé que punir la France pour son opposition à la guerre n’avait pas de sens et que le Royaume-Uni ne partageait pas cette idée. Il y a des réactions émotionnelles fortes aux Etats-Unis mais parler de punition est inapproprié en ce moment.

La coalition est consciente du risque que comporterait sa trop longue présence en Irak, mais il est très difficile de mettre en place un système solide sans un minimum de temps. Par ailleurs, il serait irresponsable pour les forces américaines et britanniques de quitter maintenant l’Irak, Saddam Hussein ayant été renversé. Cette attitude serait d’ailleurs contraire à leurs obligations internationales résultant des conventions de La Haye et de Genève. La reconstruction de l’Etat irakien impliquera de résoudre des problèmes difficiles, mais il est probable que l’on s’orientera vers un Etat fédéral. Ces problèmes se seraient de toute façon posés un jour et il est peut-être préférable que les Irakiens soient aidés afin de se diriger vers un avenir démocratique.

Sir John Holmes s’est félicité que les puits de pétrole n’aient pas été détruits, évitant ainsi une catastrophe environnementale. La sécurisation prioritaire de ces puits était donc indispensable. Il a par ailleurs admis que la question du pétrole oblige la coalition à prendre en compte les Nations unies, seule autorité à pouvoir juridiquement autoriser la distribution et la vente du pétrole irakien. D’ailleurs, les entreprises pétrolières seraient très réticentes à investir en Irak si la situation des contrats n’était pas clarifiée au regard du droit. Enfin, il est très clair que ces ressources appartiennent aux Irakiens eux-mêmes. Mais il est urgent de régler cette question car l’argent du pétrole est nécessaire pour construire un nouvel Irak, même si se pose le problème des modalités : ni la coalition ni l’ONU ne semblent bien placés pour gérer directement la ressource pétrolière ; certains ont évoqué la Banque mondiale, voire la création d’un fonds spécial créé à la Banque centrale irakienne. En tout état de cause, il faut tout faire pour éviter de donner l’impression que cette guerre a été menée pour s’assurer l’accès au pétrole.

M. Renaud Donnedieu de Vabres a estimé que la France n’avait pas reconnu l’existence de liens entre le régime de Saddam Hussein et Al Qaïda, ce qui explique qu’elle avait semblé peu solidaire de la lutte contre le terrorisme menée par les Etats-Unis. Il s’est interrogé sur la nature comparée des liens bilatéraux franco-britanniques et franco-américains. Il a également demandé si la Grande Bretagne avait été surprise de l’absence d’utilisation d’armes de destruction massive par Saddam Hussein lors du conflit. La durée de celui-ci correspondait-elle aux prévisions opérées par les autorités britanniques ?

A l’heure actuelle, les Etats-Unis jouent un rôle prépondérant dans la reconstruction et les Etats présents ne donnent plus l’impression de faire partie d’une véritable coalition. Cette situation s’explique-t-elle par la prudence des autorités britanniques sur les questions liées à la reconstruction de l’Irak ? Cette prudence est-elle motivée par le souci de trouver une position européenne commune ? Quel devra être le rôle de l’envoyé spécial de l’ONU et quel sera son pouvoir réel ?

M. François Rochebloine a fait part de ses inquiétudes quant au risque de l’installation d’un régime islamique en Irak et il a demandé si la question des armes de destruction massive n’avait pas servi de prétexte pour renverser le régime de Saddam Hussein.

Sir John Holmes a répondu que la relation de la France avec les Etats-Unis ne pouvait pas être semblable à la relation avec la Grande-Bretagne, car la France et la Grande-Bretagne sont membres de l’Union européenne, ont des liens profonds et quotidiens et une crise des relations bilatérales n’aurait pas beaucoup de sens. Les Américains ont évoqué des liens entre Al Qaïda et Saddam Hussein ; la Grande-Bretagne a indiqué quant à elle que des contacts sont avérés mais que l’on n’avait pas la preuve d’un lien systématique.

Il est fondamental de comprendre que les Américains se sentent en situation de guerre depuis le 11 septembre, ce qui explique leurs réactions quant à certains éléments du conflit.

La Grande-Bretagne a été naturellement très soulagée que les armes de destruction massive, qui existent à coup sûr, n’aient pas été utilisées. La désorganisation de l’armée irakienne, que l’on a constatée et comprise après la chute de Bagdad, pourrait expliquer que ces armes de destruction massive n’aient pas été employées. Il est aussi possible que leurs différents éléments constitutifs aient été démontés en vue des inspections. En outre, les responsables de l’armée irakienne ont été avertis à plusieurs reprises que l’usage de ces armes serait considéré comme un crime de guerre et entraînerait des poursuites.

La rapidité de la victoire s’explique par le décalage entre les technologies utilisées par les armées de part et d’autre. On peut aussi se demander si les soldats irakiens avaient intérêt à se battre et à mourir pour Saddam Hussein et pour un régime qui n’a rien fait pour eux.

La coalition a été dominée par les Etats-Unis ainsi que l’action de l’actuel office de reconstruction, mais ce dernier a un caractère de plus en plus international ; des contingents de troupes internationales et européennes seront en outre amenés à prendre part à la reconstruction et à la sécurité de l’après-guerre.

La Grande-Bretagne essaie d’influencer l’action américaine, ainsi par exemple elle a considéré qu’il n’était pas souhaitable d’imposer Ahmed Chalabi aux Irakiens. La Grande-Bretagne continuera à soutenir un rôle fondamental des Nations unies pour légitimer l’action conduite dans l’après-guerre.

Le régime qui va s’installer en Irak sera nécessairement un régime islamique, mais islamique ne veut pas dire islamiste. Le souhait de la coalition est de mettre en place un état en même temps démocratique et représentatif qui devrait prendre en compte l’existence d’une majorité chiite, sans doute. Parmi les chiites différentes opinions s’expriment : celles favorables à un régime islamiste, celle qui veulent le départ des Etats-Unis, mais aussi celles qui approuvent entièrement ce qui a déjà été fait et qui souhaitent l’établissement d’un régime qui ne soit pas fondamentaliste. En fin de compte, les Irakiens choisiront eux-mêmes leur gouvernement.

Le Président Edouard Balladur estimant que la question de la conciliation d’un régime islamique, voire islamiste, était quelque peu abstraite, s’est enquis de la position britannique concernant les autorités compétentes pour juger les responsables de crimes de guerre ? Il s’est également demandé comment envisager les rapports entre le futur représentant spécial de l’ONU et le général Jay Garner ? Comment se prendront les décisions ? Quel rôle, d’autre part, les inspecteurs de l’ONU doivent-ils désormais jouer en matière de recherche des armes de destruction massive en Irak ? Enfin, quel est le point de vue du Gouvernement britannique vis-à-vis des sanctions applicables à l’Irak : faut-il décider leur levée ou seulement leur suspension ?

M. John Holmes a répondu qu’il n’y avait pas encore de décision définitive sur le lieu de jugement des crimes de guerre et sur la nature de la juridiction qui en sera chargée. Il a cependant estimé qu’il serait préférable que les auteurs de ces crimes soient jugés en Irak, mais il ne s’agit pas d’une position arrêtée par la Grande Bretagne et des Etats-Unis.

Il ne doit pas y avoir de lien de subordination entre le représentant spécial de l’ONU et le général Jay Garner, ni dans un sens, ni dans l’autre : il faut donc trouver une articulation entre ces deux autorités qui évite tout conflit, car il existe une forte demande de la population irakienne en faveur d’un gouvernement opérationnel. L’intervention des Nations unies est sur ce point indispensable.

Le rôle des inspecteurs des Nations unies n’a pas fait l’objet de décisions à l’heure actuelle. La Grande Bretagne considère pour sa part qu’il est acceptable que la COCOVINU vérifie l’authenticité des découvertes d’armes de destruction massives opérées par les membres de la coalition. L’essentiel est que la découverte des armes de destruction massive soit vérifiée par une autorité indépendante. Les Etats-Unis sont sur ce point plus réticents et il faudra en discuter au sein du Conseil de sécurité.

La question de la levée formelle des sanctions dépend de l’existence et de la découverte des armes de destruction massive. Il est en tout cas clair que le système de sanction est aujourd’hui dépourvu d’utilité. Leur suspension, qui évite de reprendre l’ensemble de la procédure devant le Conseil de sécurité, apparaît comme une bonne solution dans l’immédiat. Il y a par ailleurs des discussions pour savoir si le Conseil de sécurité doit adopter une résolution portant sur l’ensemble de la situation irakienne actuelle ou s’il faut procéder sur la base de plusieurs résolutions traitant séparément les questions qui se posent (pétrole contre nourriture, levée des sanctions, régime des inspections). Il y aura sur ce point des propositions dans les semaines qui viennent.

Le Président Edouard Balladur a fait préciser si la levée des sanctions n’était envisageable qu’une fois la question du démantèlement des armes de destruction massive tranchée.

Sir John Holmes a répondu que le Conseil de sécurité pouvait en fait décider de la levée des sanctions à tout moment. Les autorités russes ont cependant émis le souhait que les conditions définies par le Conseil de sécurité pour lever les sanctions aient été préalablement remplies.

Le Président Edouard Balladur a demandé si la Grande-Bretagne partageait le sentiment français selon lequel il n’y aura de solution possible et durable au Proche Orient que s’il est exercé de fortes pressions émanant des Etats-Unis. Ceux-ci sont-ils prêts à exercer ces pressions ?

Sir John Holmes a répondu que selon lui, davantage que des pressions, c’est plutôt l’engagement fort des Etats-Unis, pour parvenir à la solution de cette question, qui a manqué au cours des dernières années. Il serait souhaitable que les Etats-Unis montrent à présent des symboles de cet engagement fort. La position du Président Bush a considérablement évolué : il a évoqué pour la première fois, en 2002, la nécessité de deux Etats, Israël et l’Etat palestinien. Le Président américain s’est engagé lors de sa rencontre avec M. Blair, à faire autant d’efforts pour aboutir à un règlement du conflit israélo-palestinien, que le Premier Ministre britannique en a fait vis-à-vis de l’Irlande du Nord. Il a reconnu la nécessité d’agir de façon urgente et efficace pour publier la feuille de route et ses mécanismes d’application. Il faut être positif et prendre le Président Bush au mot, car sa détermination rencontrera certainement des obstacles tant du côté du gouvernement israélien qu’à l’intérieur même des Etats-Unis.

M. Jean-Claude Guibal a demandé si l’Union européenne pouvait exercer une influence sur le monde arabo-musulman.

Sir John Holmes a estimé que l’Europe doit jouer un rôle important car ces pays sont nos voisins et c’est notre sécurité qui est en jeu. De plus, les Quinze ont une approche identique sur le conflit du Moyen-Orient. Néanmoins, la triste réalité, assez frustrante, est qu’il est difficile pour l’Europe d’avoir un poids si les Etats-Unis ne sont pas devant ou derrière elle. L’Union européenne peut cependant, à travers sa politique extérieure et de sécurité commune, jouer un rôle de façon plus large dans la région, en œuvrant contre la prolifération des armes par exemple.

Le Président Edouard Balladur a évoqué la question de la défense européenne et des relations transatlantiques alors que se tient à Bruxelles une réunion entre la France, l’Allemagne, la Belgique et le Luxembourg, visant à accélérer la construction de l’Europe de la Défense. Il a indiqué avoir été frappé par les propos de Tony Blair dans le Financial Times, proclamant sa méfiance pour un monde multipolaire. Il y a là un enjeu majeur pour l’avenir qui va probablement susciter des débats à la Convention sur l’avenir de l’Europe et à la Conférence intergouvernementale qui va suivre.

Sir John Holmes a estimé que Tony Blair voulait dire qu’un partenariat stratégique entre les Etats-Unis et l’Union européenne était nécessaire, ce qui ne signifie pas qu’il faille être d’accord sur tout. Il peut y avoir des désaccords mais il faut alors chercher à les régler rapidement plutôt que de chercher à créer un contrepoids à « l’hégémonie américaine » ; Tony Blair a d’ailleurs dit également qu’il souhaitait la construction d’une Europe plus forte, plus unie et plus crédible militairement. La construction de l’Europe et un partenariat transatlantique ne sont pas antinomiques, et les participants au Sommet de Bruxelles souhaitent également un tel partenariat. Les relations entre l’OTAN et l’Europe de la Défense doivent être des relations de partenariat et de complémentarité, le but étant d’éviter de dupliquer des structures qui existent déjà dans le cadre de l’OTAN. Pour autant, l’Europe doit se réserver une capacité d’agir de façon autonome si l’OTAN ou les Etats-Unis ne sont pas engagés. Dans cette optique, le programme à réaliser est déjà ambitieux et suffisant pour le moment, s’agissant de prendre le relais de l’OTAN en Macédoine et en Bosnie, d’une part, et de développer ses capacités réelles, d’autre part.

Source : Assemblée nationale (France)