Un aperçu de l’avenir

Bagdad, le 4 juillet 2053 - Aujourd’hui, des responsables irakiens
sont venus au commandement des Etats-Unis installé à Camp Franks, afin
de célébrer avec les Américains la Journée de l’indépendance des
Etats-Unis et de les remercier de tout ce qu’ils faisaient depuis
cinquante ans pour maintenir la paix en Irak.

Tiré par les cheveux, direz-vous ? Prenez un calendrier de 2003,
remplacez l’Irak par le Japon, la Corée du Sud ou l’Allemagne, et
cette histoire devient réelle. Les démarches entreprises par les
Etats-Unis afin de maintenir la paix et d’aider à reconstruire ces
pays se sont transformées en des engagements considérables et
permanents, sans fin déterminée. Si l’on en juge par l’expérience des
Etats-Unis dans des situations d’après-guerre, les troupes américaines
pourraient fort bien être encore en Irak dans cinquante ans.

On peut certes faire valoir que les circonstances qui entouraient la
fin de la Seconde Guerre mondiale étaient différentes. Voyons.
L’engagement des Etats-Unis a commencé par l’occupation du Japon et de
l’Allemagne pour les raisons suivantes :

1) La guerre avait renversé un régime menaçant, et il fallait qu’un
gouvernement stable fournisse les services essentiels et qu’il relance
l’économie.

2) Nous avons reconstruit l’infrastructure et créé des institutions
démocratiques.

3) Cela a conduit les gouvernements intéressés à nous demander de
rester et de continuer de les aider à se protéger des menaces
extérieures.

4) Nous avons été heureux de le faire, parce que nous avons ainsi
obtenu une influence durable dans des zones où les Etats-Unis ont des
intérêts.

Tous ces facteurs, à l’exception du premier, s’appliquent également à
la Corée du Sud.

En Irak, nous en sommes à la deuxième étape. Cette fois, avant de nous
engager pour cinquante ans, nous devrions nous poser de nombreuses
questions, dont celles-ci :

 Les Etats-Unis ont-ils intérêt à progresser vers les étapes 2 et 3 ?
Si oui, comment convaincre les Irakiens que la présence américaine est
aussi dans leur intérêt ? Sinon, quand partons-nous ? Et que
ferions-nous si le nouveau gouvernement irakien nous demandait de
rester ?

 Serions-nous prêts à défendre l’Irak contre des menaces
extérieures ? Lesquelles ? Et dans quelle mesure doit-on consacrer la
puissance militaire et économique des Etats-Unis à cette tâche ?

 S’agit-il vraiment d’une opération américaine ? Le gouvernement
affirme que d’autres pays sont libres de participer, mais cette
réponse est un simple reflet des faits : nos troupes sont déjà sur
place parce que nous avons gagné une guerre, alors nous ferons le
travail jusqu’à ce que quelqu’un d’autre se présente. Elle n’aide pas
beaucoup à décider si les Etats-Unis ont intérêt à reconstruire l’Irak
seuls, dans le cadre d’une coalition, sous les auspices des Nations
unies ou d’une autre manière. Savons-nous ce que nous voulons que nos
amis nous aident à faire en Irak ?

 Si nous partons, quelles raisons avons-nous de croire qu’un Irak à
l’économie revitalisée et à l’armée reconstituée ne portera pas de
nouveau atteinte aux intérêts des Etats-Unis ? Comment faire en sorte
que ce pays reste amical ?

 Comment les politiques nationales influent-elles sur la volonté de
reconstruire l’Irak, notamment lorsque nos alliés traditionnels dans
cette partie du monde ne veulent pas d’une autre puissance dans leur
voisinage ? Comment la reconstruction de l’Irak modifie-t-elle
l’équilibre régional des pouvoirs et comment devrions-nous réagir à ce
changement ?

L’histoire montre que si nous ne réfléchissons pas à ces questions dès
maintenant, nous risquons de nous retrouver avec un engagement sur
cinquante ans qui exigera des ressources humaines et autres et qui
aura une incidence sur notre prestige. Chacune de ces questions
demande mûre réflexion, et on peut penser à des dizaines d’autres.
Nous avons réussi à faire du Japon, de l’Allemagne et de la Corée du
Sud des alliés prospères parce que l’occupation de ces pays avait été
minutieusement réfléchie et planifiée à l’avance.

Malheureusement, je ne suis pas convaincu qu’une telle prudence a été
la règle dans le cas présent. Bien avant le début de la récente guerre
contre l’Irak, j’ai écrit deux lettres au président Bush au sujet des
difficultés qui risquaient de surgir après la guerre, l’exhortant à
faire en sorte que tout plan de guerre envisage ces difficultés et
qu’il conçoive le rôle précis des Etats-Unis dans ce contexte. Nous
commençons à remettre en état l’infrastructure et à tenter de mettre
en place des institutions. C’est bon pour le peuple irakien. Mais dans
quelle mesure ces mesures seront-elles adaptées aux intérêts à long
terme des Etats-Unis ? J’attends encore un débat de fond sur ce sujet.

Je ne pense pas que le gouvernement Bush manque d’esprits éclairés
pour fixer les objectifs et les rôles appropriés. Pourtant, le chaos
de l’après-guerre en Irak montre tous les symptômes d’une occupation
planifiée au jour le jour. Cette occupation est différente de celles
du Japon, de l’Allemagne et de la Corée du Sud, où nos forces ne se
sont pas heurtées à l’opposition armée qui se manifeste chaque jour en
Irak. Il s’ensuit que l’élaboration d’un plan détaillé est encore plus
importante. Un plan adéquat n’est pas une simple feuille de route ; il
doit comporter des repères qui permettent de mesurer si nous
accomplissons la mission que nous nous sommes donnés.

Peut-être les Etats-Unis ont-ils intérêt à maintenir leurs forces
militaires en Irak pendant cinquante ans, peut-être pas. En tout cas,
cela ne doit pas se produire indépendamment de notre volonté. Il est
temps de poser les questions difficiles, sinon nous nous retrouverons,
dans des décennies, en train de gérer une occupation accidentelle. Les
Etats-Unis ont une fois de plus montré qu’ils n’avaient pas leur
pareil pour mener une guerre fondée sur une stratégie bien conçue et
brillamment exécutée. Montrons maintenant une fois de plus qu’ils sont
aussi doués lorsqu’il s’agit de faire la paix.

Ike Skelton est un membre démocrate de la commission des services
armés de la Chambre des représentants ainsi que de sa sous-commission
des opérations tactiques aériennes et terrestres.

Traduction officielle du département d’État