Question de Richard Artz : Bonjour Dominique de Villepin. Trois jours après l’attentat contre le siège de l’ONU à Bagdad, qui a coûté la vie à 24 personnes, dont Sergio Vieila de Mello, est-ce que vous estimez qu’il faudrait repenser le rôle de l’ONU en Irak ?

Réponse de Dominique de Villepin : La vraie question, c’est de savoir s’il ne faut pas repenser l’action même qui est engagée en Irak, non pas seulement évidemment celle de l’ONU, mais celle de l’ensemble des partis, y compris de la coalition. La question que nous nous posons c’est de savoir si la logique dans laquelle nous sommes engagés, qui est une logique essentiellement sécuritaire, est la bonne.

Nous pensons qu’il faudrait très rapidement substituer à une logique d’occupation, une logique de souveraineté. La condition de tout, c’est de reconnaître la souveraineté irakienne. Que les Irakiens puissent avoir le sentiment d’être véritablement aux commandes, de reprendre en main leur destin. Je crois que c’est le point de départ de tout.

Mais alors comment se situe, par rapport à ce que vous dites, cette initiative américaine actuellement, de proposer une nouvelle résolution de l’ONU, afin que le contingent international soit élargi en Irak ?

Je crois que nous sommes effectivement confrontés devant un grand choix. Soit nous continuons à agir dans une certaine ambiguïté. Mais cela ne répond pas à la situation sur le terrain, qui est à la fois une situation de décomposition, de démobilisation du peuple irakien, et en même temps une logique de confrontation, avec un piège au bout du compte que l’on voit tendu du fait de regroupement d’un certain nombre de forces nationalistes en Irak, islamiques, et terroristes, face à cela. Est-ce qu’il faut rentrer dans une surenchère sécuritaire ? Je n’en suis pas sûr.

La France demandait une résolution, mais ce n’est pas celle qui est en train de se préparer apparemment.

La France estime que la première exigence c’est de renforcer l’autorité du conseil de gouvernement irakien, très rapidement s’engager vers un gouvernement provisoire, avec une perspective d’élections, dans un calendrier très resserré, peut-être d’ici la fin de l’année, pour élire une assemblée constituante.

Je crois qu’il y a une nécessité dans ce sens, redonner, reconnaître véritablement cette souveraineté irakienne, en liaison avec l’ensemble des pays de la région, en liaison avec les organisations arabes, la ligue arabe, l’organisation islamique.

Et c’est tout ça que vous voudriez voir dans une résolution.

Je crois que c’est la condition du succès. Sans quoi, le risque c’est de voir le piège irakien s’approfondir, c’est de voir ce cycle de violence s’aggraver. Nous le constatons aujourd’hui, la violence n’épargne personne, et n’épargne rien : adductions d’eau, pipe-line pétroliers, ambassade de Jordanie, l’ONU, les forces américaines. C’est donc une profonde émotion, quotidienne, de voir tous ces morts, qui malgré tout ne peuvent pas enrayer cette situation en Irak.

Je relis un extrait de votre discours au conseil de sécurité, le 14 février, avant l’intervention. Vous disiez : l’option de la guerre peut apparaître a priori la plus rapide, mais après avoir gagné la guerre il faut construire la paix, et vous disiez : ce sera long et difficile, et il faudra préserver l’unité de l’Irak, rétablir de manière durable la stabilité dans le pays. Vous pouvez dire aujourd’hui que vous aviez vu juste ?

Oui, mais je crois que ce n’est pas le sujet. Le sujet aujourd’hui c’est de trouver des solutions. Et c’est bien ce que nous voulons faire avec nos partenaires de la communauté internationale, avec nos amis américains, et donc aborder dans un esprit constructif.

Ca renforce vos positions auprès des Américains d’avoir dit ça ?

Je crois que c’est de trouver la bonne analyse, et donc la bonne réponse qui compte. Rien ne serait pire que de colmater les brèches, de partir à partir de solutions bricolées sur de mauvaises bases, parce que cela ne permettrait pas véritablement de répondre à la situation d’urgence que nous connaissons en Irak.

Un mot sur Israël et la Palestine. C’est une nouvelle fois la fin de la trêve. Colin Powell, le secrétaire d’Etat américain a appelé hier la communauté internationale à faire pression pour mettre fin à la violence du Hamas. Concrètement, que peut-on faire ?

Nous sommes à nouveau dans un cycle tragique dans cette région. Nous l’avons vu avec le terrible attentat de Jérusalem frappant des civils, frappant des enfants. Comment faire pour arrêter tout cela ? Bien sûr, le premier ministre palestinien a dit des paroles très fortes : il faut agir face à ces mouvements radicaux, faire en sorte que cette violence puisse véritablement s’interrompre.

Et les pays européens qui ont multiplié les initiatives pour placer sur leurs listes terroristes un certain nombre de ces mouvements, examineront la situation, et ce qu’il convient de faire de façon appropriée. Mais cela ne suffit pas ! Il faut véritablement accélérer ce processus. Nous le voyons.

Comment ?

Accélérer le processus en crédibilisant la paix. Nous en restons en permanence dans cette région aux préliminaires. Nous en restons à une expectative. Il faut résolument que du côté israélien on s’engage à se retirer des territoires, libérer les Palestiniens, pour que les Palestiniens puissent avoir le sentiment que leur vie va changer.

Et il faut, du côté palestinien, renoncer aux attentats de façon extrêmement claire. Et c’est alors que nous pourrons véritablement passer à de nouvelles étapes, mais qu’il faut rendre là aussi très crédibles. Je pense à une conférence internationale, à des élections palestiniennes. Je pense éventuellement à un déploiement de forces dans la région.

Il y a là des étapes indispensables, et il est important d’élargir la capacité d’action de la communauté internationale. Les Etats-Unis ne peuvent pas le faire seuls. Il faut que le quartet se réinvestisse, il faut que l’Europe se réinvestisse et que chacun prenne ses responsabilités.

Autre sujet : la Libye. La France menace de mettre son veto à la levée des sanctions contre ce pays, si n’est pas renégociée l’indemnisation des familles qui ont été victimes de l’attentat contre un avion UTA en 89. L’indemnisation qui est très inférieure à ce que les Anglais obtiennent à propos d’un autre attentat, la Panam en 88. La France va utiliser un délai qu’elle a maintenant, puisqu’il a été obtenu que le vote sur les sanctions soit repoussé. Comment on va l’utiliser ce délai ?

Nous sommes d’accord, et nous soutenons le principe de la levée des sanctions. Mais nous défendons aussi le principe d’équité. Comment réconcilier les deux ? Eh bien les familles des victimes ont engagé des discussions avec la fondation du fils du colonel Kadhafi, pour essayer d’arriver à une situation qui soit respectueuse du droit des victimes.

Et qui donc ne donne pas lieu au décalage que nous constatons aujourd’hui, avec des indemnisations 300 fois inférieures à ce qui est fait dans d’autres cas. Donc il y a là une situation qui, pour la France, ne peut être acceptée. Nous l’avons dit à nos partenaires. Nous leur avons demandé.

Ils ont compris ?

Ils l’ont compris puisqu’ils ont accepté de reporter ce vote. Nous souhaitons trouver une solution. Les familles des victimes, les représentants des familles des victimes sont partis en Libye hier, après que je les ai rencontrés. Nous avons mis à leur disposition un avion pour ce faire, et nous voulons espérer que dans les prochaines heures ces discussions pourront aboutir. Il appartient évidemment aux Libyens de trouver, avec les familles des victimes, la solution. Je crois que c’est possible. Nous voulons aboutir.

Le budget du ministère des Affaires Etrangères, on dit qu’après les restrictions très strictes, le fonctionnement même de l’administration pourrait être affecté.

La situation budgétaire, chacun des ministres en est conscient, est une situation difficile. Donc il est important que chacun puisse de ce fait assumer sa responsabilité. Il faut le faire dans cette période, bien sûr, et nous le faisons. Parallèlement, nous réformons le Quai d’Orsay en profondeur pour le rendre plus efficace, pour l’adapter, et permettre à nos moyens d’action d’être parfois mieux utilisés.

Donc c’est une double exigence. A la fois, bien sûr, faire des économies, mais en même temps se réformer, de façon à permettre à cet outil d’être pleinement adapté. Je ne vous dirais pas que les choses sont faciles, mais nous travaillons dans un esprit positif, et chacun de nos diplomates connaît bien les contraintes. Et il a à cœur de donner le meilleur de lui-même.

Est-ce que tous les autres ministères qui ont des services à l’étranger, à commencer par celui de l’Economie, pourraient faire les mêmes économies que le Quai d’Orsay ?

Dans les réformes auxquelles nous travaillons, il y a bien sûr le souci d’avoir une vision globale de l’action extérieure de l’Etat, dans laquelle le Quai d’Orsay n’occupe qu’une partie, et moins de la moitié. Il y a, là, une nécessité de cohérence. Et nous travaillons, y compris dans cet esprit, sur la nouvelle loi de finances.

Merci Dominique de Villepin.

Merci.

Source : ministère français des Affaires étrangères