« Paris et la résipiscence de Bush »

Paris et la résipiscence de Bush
Le Figaro (France)

[AUTEUR] Philip H. Gordon est chercheur à la Brookings Institution à Washington. Il est ancien directeur des affaires européennes du National Security Council et consultant à la Rand Corporation

[RESUME] A la veille de la commémoration du 11 Septembre, le climat politique semble avoir bien changé depuis l’annonce en grande pompe de la victoire. A cette époque, la population américaine soutenait son Président et l’idée même de voir des Démocrates à la Maison-Blanche en 2004 faisait sourire. Mais il y a eu plus de morts depuis la victoire que pendant la guerre, la stabilité n’est pas garantie et les alliés se montrent peu enthousiastes face à l’idée de soutenir Washington sur le terrain. Les difficultés, accentuées par les attaques répétées des Démocrates, ont poussé George Bush à envoyer Colin Powell auprès de l’ONU, ce qui marque une volte-face politique. Face aux critiques internationales, soit les États-Unis restent seuls, soit ils font des concessions politiques et perdent de leur influence (ce qui est aussi dangereux intérieurement pour George Bush).
De même, la France est devant un dilemme : accepter un compromis et revenir sur ses déclarations ou rester en opposition et laisser l’Irak s’effondrer. Les relations sont toujours froides entre les deux pays, d’autant plus depuis la réaction de Jacques Chirac à la proposition américaine.
Mais Paris doit coopérer pour ses intérêts, pour ne pas marginaliser l’Europe et l’ONU et pour ne pas laisser les néo-conservateurs gérer seuls cette situation. Même si un échec donnerait raison à la position française, le pays n’en subirait pas moins les conséquences. Il faut donc allier une participation sincère à un aménagement du statut d’occupation. L’ONU serait renforcée, pour le bien des Irakiens et des relations franco-américaines. Les États-Unis restent en guerre, mais perçoivent aujourd’hui les limites de l’unilatéralisme. La France doit savoir répondre à cela pour la paix et la stabilité au Moyen-Orient.

« Le prince et Poutine »

The Prince and Putin
Moscow Times (Russie)

[AUTEUR] Alexander Shumilin est directeur du Center for the Analysis of Middle East Conflicts est rédacteur en chef de mideast.ru.

[RESUME] La visite à Moscou du prince saoudien Abdullah Bin Abdul Aziz Al Saoud a été un signal fort du rapprochement entre les deux pays et une coopération russo-saoudienne pourrait avoir des implications énormes. En effet, les deux pays sont les deux premiers producteurs et exportateurs de pétrole. Vu l’influence de Riyad sur le monde musulman, une telle alliance aurait un impact majeur sur les questions énergétiques et géopolitiques mondiales.
La visite du dirigeant de fait du royaume saoudien peut être vue comme un réalignement de la politique de son pays consécutive aux accusations états-uniennes de lien de Riyad avec le terrorisme. Les investissements saoudiens aux États-Unis sont estimés entre 400 et 600 milliards de dollars et la situation ne changera pas rapidement. Toutefois, on assiste à un retrait partiel de cet argent d’après la presse occidentale suite à des dépôts de plaintes de 600 proches de victimes du 11 septembre contre trois princes saoudien, huit associations caritatives musulmanes et quelques entreprises qui sont accusées d’avoir financer Al-Qaïda. Si les plaignants gagnent, de nombreux avoirs saoudiens pourraient être gelés.
Certains optimistes espèrent voir 200 milliards injectés dans l’économie russe, mais pour l’instant il n’est question que de stabiliser le marché pétrolier et d’un accord visant à simplifier la constitution de joint-venture entre les deux pays. Dans le même temps, le clergé saoudien a condamné le terrorisme, ce qui rassure la Russie.
Il n’y a cependant pas de réel partenariat stratégique entre Moscou et Riyad. Ainsi, la Russie a refusé de rejoindre l’OPEP et il semble qu’elle cherche surtout à occuper une position entre l’Arabie saoudite et les États-Unis pour réaffirmer sa place dans le monde.

« La Corée du Nord a besoin d’une touche personnelle »

N. Korea Needs a Personal Touch
Los Angeles Times (États-Unis)

[AUTEUR] Jack Pritchard est chercheur extérieur à la Brookings Institution. Il a été l’envoyé spécial de l’administration Bush pour les négociations avec la Corée du Nord et représentant états-unien à la Korean Peninsula Energy Development Organization.

[RESUME] Beaucoup a été dit à propos de ma démission du département d’État. En fait, je n’ai pas démissionné pour provoquer un débat public et si je ne me suis pas encore exprimé sur la question, c’est justement pour éviter de mettre dans l’embarras mes collègues participant aux discussions entre les six partis sur la question nord-coréenne à Pékin. J’ai donné ma démission le 18 avril mais je ne me suis effectivement retiré que lorsque j’ai estimé que les prochaines discussions étaient prêtes.
Si j’ai démissionné, c’est parce que j’ai jugé que mon poste n’existait que nominativement et qu’on ne me laissait pas travailler. Je pense que l’administration a eu raison d’internationaliser la question nucléaire nord-coréenne et que la résolution du problème nécessitera l’implication des six partenaires. Toutefois, il manque une discussion bilatérale en parallèle car ce n’est pas dans une séance plénière de quelques jours qu’on peut traiter les questions de fonds. En outre, pour qu’une relation bilatérale fonctionne, il faut du temps et c’est ce type de relation que j’avais pu installer. Il faut installer des relations personnelles.
Ce type de relations n’est pas une « récompense » pour les Nord-coréens, cela permet simplement d’avancer et de chercher des solutions au problème.

« Trouver le visage de la terreur dans les données »

Finding the Face of Terror in Data
New York Times (États-Unis)

[AUTEUR] Ex-conseiller de Sécurité nationale, John M. Poindexter a démissionné le mois dernier du poste de directeur de l’Information Awareness Office qu’il occupait au Pentagone. Il a été avec Oliver North l’un des principaux acteurs du scandale Iran-Contras.

[RESUME] Le gouvernement fédéral dispose de davantage de données que de capacité humaine à les analyser. Aujourd’hui, nous avons besoin d’outils, et pourtant le Sénat semble prêt à annuler un programme technologique innovant et prometteur.
En janvier 2002, le programme Total Information Awarness (TIA) était mis en place. Depuis, plusieurs mythes se sont construits sur ce programme, mais aussi sur le Darpa (Defense Advanced Research Projects Agency) lui-même. Il faut rappeler que le Darpa construit des outils ; il ne les utilisent pas. C’est au gouvernement et au Congrès de décider comment les utiliser.
La guerre contre le terrorisme doit bien sûr se faire à la fois à l’intérieur et à l’étranger, et pas uniquement par des militaires. Le Darpa, avec l’aide du TIA, est donc parfaitement approprié pour conduire ce genre de programme.
Mais c’est aussi un mythe de croire que le TIA développe un système d’espionnage contre les Américains. Le but de ce programme est de détecter les plans des terroristes et toutes les données disponibles sont légales. L’information sur les activités terroristes est mélangée avec des données sur des innocents, mais cela pourra permettre de protéger l’identité des personnes qui n’apparaissent pas liées avec le terrorisme.
Bien que le Darpa soit transparent sur sa vision et ses buts, il ne peut divulguer les détails de ses conclusions. Depuis le début, nous avons répété les buts de ce programme et il est normal que certaines données soient confidentielles. De toute façon, il faudra du temps avant que ce système puisse utiliser tout son potentiel.
Le TIA est le seul programme qui peut aider à éviter des attaques terroristes contre les intérêts américains. Le Congrès est libre de légiférer pour éviter certains abus. Cependant le Sénat voudrait non seulement éliminer les parties du programme pouvant menacer la vie privée, mais aussi celles qui ne font que connecter des données disponibles. Le Sénat devrait reconsidérer sa position et continuer à soutenir la Maison-Blanche dans son important travail.

« Expulser Arafat pourrait renforcer son pouvoir »

Expulsion would strenghten Arafat
Haaretz (Israël)

[AUTEUR] Yosef Paritzki est le ministre israélien de l’Infrastructure.

[RESUME] Récemment, et surtout depuis la démission de Mahmoud Abbas, de nombreux Israéliens demandent l’expulsion d’Arafat. Mais son expulsion serait-elle vraiment synonyme d’une fin de son influence auprès des Palestiniens ? Les moyens de communication actuels, entre autre, lui permettraient de toute façon de continuer à diriger le pays. Lorsque Arafat était en Tunisie, avec des moyens de communication plus primaires, il arrivait à conduire son peuple.
Non seulement une expulsion ne couperait pas ses liens avec les Palestiniens, mais elle pourrait même avoir des effets inverses. Arafat deviendrait une sorte de martyr exilé par un conquérant cruel et serait davantage sollicité par les médias internationaux. L’Europe pourrait lui ouvrir ses portes, sans parler de la popularité qu’il gagnerait dans le monde arabe.
En fait, la proximité qui existe entre Arafat et notre pays a quelque utilité. Ce qui est plus proche est toujours plus accessible. Dans tous les cas, une expulsion éloignerait l’option de la négociation.
Nous devons voir la réalité en face : Arafat est un héros national, et serait davantage encore s’il était en exil. Au contraire, négocier avec lui, paradoxalement, le fragiliserait car les recherches de compromis créent des tensions entre lui et les organisations fondamentalistes. Nous devons nous rappeler que nous sommes en guerre et qu’une guerre se gagne par des stratagèmes et de l’astuce.

« Oslo, 13 Septembre 1993 : la confusion »

Oslo - Sept. 13, 1993 : The embarrassment
Jerusalem Post (Israël)

[AUTEUR] [Daniel Pipes] est administrateur de l’US Institute of Peace. Il est directeur du Middle East Forum et auteur de Militant Islam Reaches America. Il est collaborateur de Benador Associates et a fondé Campus Watch, une organisation dont le but est de soutenir la vision néo-conservatrice du Proche-Orient dans les universités états-uniennes. Voir à ce sujet, l’investigation du Réseau Voltaire : « Le Centre pour la politique de sécurité : les marionnettistes de Washington ».

[RESUME] Il est gênant de revenir, dix ans après les accords d’Oslo, sur les déclarations plus qu’enthousiastes de Bill Clinton, Yasser Arafat, Shimon Peres et de l’ensemble de la presse. La poignée de main entre Yitzak Rabin et Yasser Arafat servait de symbole au processus de paix. Le respect des aspirations à la dignité et l’autonomie pour les Palestiniens et à la reconnaissance et la sécurité pour les Israéliens avaient suscité un optimisme largement partagé. Pourtant, Oslo a davantage aggravé la situation qu’elle ne l’a amélioré.
La plus grande erreur de ces accords était de se baser sur l’idée que les Palestiniens avaient abandonné leurs espoirs de détruire l’État juif. Les Israéliens pensent que des concessions peuvent faire plier les velléités palestiniennes alors qu’elles ne sont qu’un signal de démoralisation et de faiblesse.
Le passage à une guerre totale, en Septembre 2000, a montré les limites de ce processus. Mais, avec l’échec de la « feuille de route » suite à la démission de Mahmoud Abbas, aucune politique nouvelle n’apparaît. Je propose une approche totalement différente pour la prochaine décennie :
 Prendre conscience de l’erreur d’appréciation d’Oslo et de la feuille de route (les Palestiniens n’ont pas accepté l’existence d’Israël) et ne pas la refaire.
 Comprendre que la diplomatie ne pourra rien tant que les Palestiniens n’abandonneront pas leur fantasme anti-sioniste.
 Faire accepter l’existence d’Israël par les Palestiniens.
 Faire comprendre aux Palestiniens que plus vite ils le feront, mieux ce sera pour eux.
 Permettre à Israël de montrer aux Palestiniens que leur cause est désespérée.
A partir de là, les négociations concernant les autres domaines pourront recommencer. Plus tôt nous adopterons une bonne politique, plus tôt cela sera possible.

« L’Afrique n’est pas une variable d’ajustement »

L’Afrique n’est pas une variable d’ajustement
Le Monde (France)

[AUTEUR] Abdoulaye Wade est président du Sénégal.

[RESUME] La 5ème Conférence de l’OMC qui commence à Cancun aurait du être une source d’espoir pour les populations pauvres ; elle est sujet d’inquiétude. La politique agricole de l’OMC se solde par un constat d’échec total.
J’ai souvent demandé, en vain, si ces négociations avaient pour objectif la réduction de la pauvreté ou si la pauvreté de nos pays était une conséquence de ces rencontres. Elles se limitent à un conflit d’intérêt entre les agriculteurs des pays développés, oubliant que le sort de 45 % des habitants de la planète dépend de ces tractations.
Cela m’avait poussé à dénoncer ces subventions à l’OMC et lors du G8 d’Évian, au nom de quatre pays d’Afrique occidentale. Paradoxalement, les pays d’Afrique sont sollicités dans ces négociations, mais comme une variable d’ajustement des décisions à prendre.
Dans cette perspective, les huit pays de l’Union Économique et Monétaire Ouest Africaine ont demandé à l’OMC une réduction des soutiens internes et des subventions à l’exportation, ainsi qu’un renforcement des dérogations en faveur des pays en développement et des moins avancés. En prolongement, j’avais proposé d’être lucide sur l’OMC, de tirer les leçons de son échec et de la rapprocher du FMI et de la Banque Mondiale afin d’éviter les politiques contradictoires. L’OMC est nécessaire justement pour éviter que les puissants n’écrasent les faibles ; il est indécent de demander aux pays pauvres de s’adapter à une compétition inégale.
Face à ces politiques inadaptées, l’Afrique et d’autres régions doivent participer à une modification de la pensée économique, tout en produisant des efforts internes. C’est le sens de la loi d’orientation agricole que le Parlement sénégalais discute et de la proposition de la fondation d’un Davos agricole animé par d’autres écoles économiques que celles des pays ultralibéraux d’Occident.