Irak : les chemins de la reconstruction

L’Irak vient de tourner une page de son histoire avec la chute d’une dictature et l’espoir d’un avenir meilleur.

Pourtant, un enchaînement tragique de désordre et de violence s’est mis en place. Les attentats se sont multipliés. Le fanatisme et la haine ont frappé partout : l’ambassade de Jordanie comme les Nations unies et le mausolée de l’imam Ali de Nadjaf.

Désormais, le risque est réel de voir se perpétuer un engrenage de l’échec, alimenté par l’absence de perspective politique tangible. Cette situation suscite le désarroi des organisations internationales sur place et l’anxiété de tous ceux qui sont présents sur le terrain. Le plus grave danger est celui de la démobilisation et du désespoir du peuple irakien. Seul un sursaut, appuyé par la communauté internationale, peut permettre de sortir de l’impasse.

La responsabilité de chacun est clairement posée.

Le président Bush a marqué sa volonté d’ouverture et nous nous en félicitons. Pourtant, le projet de résolution déposé au Conseil de sécurité ne témoigne que d’avancées encore limitées dans le rôle dévolu aux Nations unies. Nous sommes de ce fait dans une situation de plus en plus paradoxale : peut-on demander à l’ONU d’intervenir davantage sur le terrain sans lui accorder la capacité d’action ni les conditions de sécurité indispensables ? Le projet de résolution peut-il s’inscrire, en effet, dans la continuité de ce qui a déjà été fait ? Est-ce à la mesure de la situation ? Est-ce de nature à enrayer les mécanismes de décomposition en Irak ? Nous ne le pensons pas.

Loin de nous l’idée de minimiser l’ampleur de la tâche et sa complexité, ou d’entretenir l’illusion de la facilité. Mais nous avons une conviction : en poursuivant dans la voie actuelle, nous courons le risque d’entrer dans une spirale sans retour. Le temps est compté. Au lendemain de la guerre, l’administration directe de l’Irak par les forces de la coalition a suscité, en dépit d’efforts soutenus, un malaise persistant dans la population. La remise en route des services publics essentiels, la réfection des infrastructures, s’en sont trouvées retardées d’autant. L’attente légitime des Irakiens a été déçue.

Une autre voie reste possible, plaçant le peuple irakien au cœur du processus de reconstruction et faisant appel à la responsabilité de la communauté internationale.

Nous partageons tous le même objectif : établir la stabilité et les conditions de la reconstruction en Irak. La France est prête à travailler au sein du Conseil de sécurité avec les Etats-Unis et les autres pays engagés sur le terrain, pour le bénéfice de l’Irak. Mais il faut sortir de l’ambiguïté qui conduirait à un échec pour le peuple irakien, avec le risque d’un discrédit de la communauté internationale. Cela suppose une approche radicalement nouvelle.

D’autant que c’est l’ensemble de la région qui est menacé. Nous avons tous conscience que le problème dépasse le cadre de l’Irak : c’est la stabilité du monde arabo-musulman qui est en jeu. Au Proche-Orient, l’option exclusivement sécuritaire ne fait qu’entretenir le cycle de la violence et des représailles au risque d’anéantir les perspectives politiques. Cette démarche - ayons le courage de le dire - ne mène à rien. Loin de promouvoir la stabilité, elle attise les rancœurs, les incompréhensions et les frustrations. Partout, les organisations terroristes profitent de la moindre faiblesse pour renforcer leur implantation et nourrir une violence qui nous concerne tous.

Comment sortir du piège et créer les conditions de la stabilité en Irak ?

Avant tout, reconnaissons que la présence étrangère constitue en elle-même un point de fixation. Quelle que soit la bonne volonté de chacun, elle cristallise les frustrations, focalise les mécontentements, fausse la donne politique : toutes les parties concernées se déterminent par rapport à elle au lieu de se mobiliser en faveur de l’Irak. L’effort de reconstruction implique que l’on travaille sur des bases claires et donc que l’on fixe une échéance à la période actuelle de transition. C’est la clé de tout progrès.

Il importe donc avant tout de respecter le sentiment national irakien, nourri d’une histoire millénaire et porteur de la stabilité future du pays. A l’inverse, il faut éviter de renforcer les logiques particularistes ou communautaristes.

L’Irak est une terre de mémoire. Son attachement à ses traditions et à son identité l’a déjà conduit à rejeter les tutelles extérieures qu’on a voulu lui imposer. Il en est résulté tout au long du siècle dernier des soubresauts qui ont ébranlé en profondeur le pays. De révolution en coup d’Etat, il n’a pu trouver la paix à laquelle il aspire profondément.

Aujourd’hui, l’urgence est de transférer la souveraineté au peuple irakien lui-même afin de lui permettre d’assumer pleinement ses responsabilités. Alors les différentes communautés trouveront, je l’espère, la force de travailler ensemble. Alors un pas sera fait dans le sens d’une plus grande justice : il appartient, en effet, aux Irakiens de prendre les décisions qui engagent l’avenir de leur pays. Mais c’est aussi affaire d’efficacité : pour les différentes communautés irakiennes comme pour les Etats voisins, seule la perspective d’un destin politique souverain peut alimenter l’espérance et permettre à la société de se reconstituer.

Cela signifie-t-il un départ immédiat des forces de la coalition ? Certainement pas, et de nombreuses voix s’élèvent à juste titre pour souligner que cela créerait un vide pire que la situation actuelle. Ces forces pourraient rester sous le commandement du principal contributeur de troupes. Faut-il élargir leur composition ? L’essentiel, selon nous, n’est pas d’accroître le nombre de soldats sur le terrain, mais de définir pour leur action un mandat précis des Nations unies, limité dans le temps, avec des rapports réguliers et détaillés au Conseil de sécurité. L’une des priorités, notamment, est aujourd’hui la sécurisation des frontières et l’arrêt des infiltrations. Un redéploiement des forces de la coalition pourrait être étudié, en liaison avec les Irakiens, afin de répondre à ce risque majeur.

Accélérons la formation d’une armée nationale irakienne sur le modèle de ce que nous faisons en Afghanistan. Cela suppose de faire appel en partie aux forces irakiennes démobilisées, dont les compétences seront indispensables pour rétablir durablement la sécurité. Le même travail devrait être accompli dans le domaine de la police. A terme, nous pourrions aboutir à une répartition des tâches plus conforme au respect de la souveraineté irakienne et, sans doute, plus efficace : la sécurité extérieure en priorité pour les forces des Nations unies, la sécurité intérieure pour les autorités irakiennes.

Dans ce cadre, et alors que s’ouvre à New York la négociation d’une nouvelle résolution, nous proposons la séquence suivante.

Les actuelles institutions irakiennes, c’est-à-dire le Conseil de gouvernement et les ministres récemment nommés, seraient considérées par le Conseil de sécurité des Nations unies comme le dépositaire de la souveraineté irakienne pour la période de transition. Dans un délai très court, par exemple d’un mois, un gouvernement provisoire irakien pourrait être constitué à partir de ces instances, et se verrait transférer de manière progressive le pouvoir exécutif, y compris l’activité économique et budgétaire.

Un envoyé personnel du secrétaire général des Nations unies serait mandaté afin d’organiser des consultations avec les institutions irakiennes existantes et les autorités de la coalition et de recueillir le soutien des Etats de la région. Cet envoyé personnel ferait rapport au Conseil et proposerait un calendrier définissant le transfert graduel des pouvoirs vers le gouvernement provisoire et les modalités d’achèvement de cette transition politique.

Ce calendrier devrait prévoir les étapes d’un processus constitutionnel avec l’objectif de soumettre un projet de texte avant la fin de l’année. Des élections générales pourraient être envisagées dès que possible, d’ici au printemps 2004.

La France est prête à prendre dans ce cadre toutes ses responsabilités. Dès lors que la souveraineté de l’Irak serait rétablie, une conférence internationale pourrait être convoquée afin d’aborder l’ensemble des problèmes liés à la reconstruction du pays. Elle viserait à rétablir la cohérence et l’efficacité de l’action internationale en faveur de l’Irak. Dans le domaine de la sécurité, il faudra décider des contributions à la future force des Nations unies ainsi qu’à la formation de l’armée et de la police. De même, il faudra définir les engagements en matière d’aide économique et les modalités de l’assistance à apporter à la remise en ordre de l’administration irakienne.

Tel est le sens des propositions que nous présentons au Conseil de sécurité. Nous le faisons dans un esprit de dialogue avec les Etats-Unis comme avec tous nos autres partenaires. Nous nous retrouverons dès samedi à Genève avec les membres permanents du Conseil de sécurité et le secrétaire général, Kofi Annan, convaincus que la communauté internationale peut construire son unité autour d’un projet exigeant et ambitieux.

C’est un défi sans précédent. Il exige de nous compréhension et adaptation aux réalités du terrain. Il exige aussi que chacun veuille bien oublier les querelles du passé et renoncer aux partis pris idéologiques. La reconstruction de l’Irak est un devoir partagé.

Source : ministère français des Affaires étrangères