Sire,
Altesse,

Merci de nous recevoir aujourd’hui dans le cadre somptueux, magique de ce Palais impérial, au cœur de cette ville de Fès où s’est façonnée, pour une grande part, à l’abri de ses murailles, dans le secret de ses ruelles et de ses palais, l’histoire du Maroc. C’est ici, à l’ombre de la Qaraouine, que vit et rayonne, insensible aux atteintes du temps, l’âme du Maroc éternel, de ses sages, de ses savants, de ses entrepreneurs.

Fès, où s’est également jouée souvent notre histoire commune, avec ses ombres et ses lumières. Fès, où fut signé, en 1912, le traité établissant le protectorat. Mais Fès aussi où le Général de Gaulle vint, aux heures incertaines de l’été 1943, se recueillir au sanctuaire de Moulay Idriss et rendre l’hommage de la France combattante aux fondements spirituels du Maroc, pays ami dans l’épreuve. "Fès, la ville arabe, écrit le Général de Gaulle, que je parcourus en tous sens et qui, dans le hourvari des trompettes et sous la forêt des bannières, éclata en manifestations tout à fait exceptionnelles pour cette cité séculairement farouche".

Des mots qui résonnent avec force soixante ans plus tard, tandis que mon épouse et moi-même vivons, Sire, à votre invitation, des moments extraordinaires. Moments inoubliables où la joie partagée, la chaleur de Votre accueil, la chaleur aussi du peuple marocain et l’éclat qu’il donne à notre amitié le disputent à l’émotion. Emotion intense de revenir au Maroc et de Vous voir, Sire, en souverain de ce grand peuple si proche du nôtre. Emotion aussi d’être reçu par Vous comme je le fus il y a huit ans par Votre auguste père, le Roi Hassan II -que Dieu l’ait en Sa Sainte garde-.

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Sire, les années passent, le monde évolue, plein d’espoirs et de promesses, mais aussi d’incertitudes et de dangers. Aujourd’hui, devant l’accueil des Marocains et de leur souverain, je me dis que, décidément, parmi les choses qui ne changent pas et ne changeront jamais, il y a l’amitié intangible, indéfectible, entre le Maroc et la France.

Bâtir, voilà le mot d’ordre que Vous avez lancé à Votre peuple à l’orée de Votre règne, il y a quatre ans. Bâtir sur les fondations solides de la société marocaine, sur ses traditions ancestrales et sur cette tolérance qui imprègne depuis toujours l’âme de Votre peuple. Bâtir un Maroc moderne, ouvert sur l’Europe, engagé dans la mondialisation et préparé à la compétition, où chacun trouve sa place sans rien renier de son identité profonde.

Sire, ma conviction est que Vous mettez en œuvre une évolution décisive, qui permettra au Maroc de résoudre l’apparent dilemme entre tradition et modernité. Surmonter cette contradiction, à laquelle sont confrontés tant de sociétés, tant de pays, constitue certainement l’une des conditions d’un monde apaisé.

Depuis 1999, sous Votre conduite, le Maroc a entrepris une transition politique audacieuse et exemplaire. Vous la menez d’ailleurs avec détermination. Ce soir, je veux saluer la vision qui vous guide : celle d’un Maroc résolument engagé sur la voie du développement économique, de la justice sociale et de la démocratie.

Vous venez de le rappeler, Sire, l’effroyable tragédie du 11 septembre, la folie meurtrière qui l’a commandée, ont ébranlé le monde. Au printemps dernier, le Maroc a été durement touché, à son tour, et la France, vous le savez, a partagé sa douleur.

Partout dans le monde, une lutte sans merci s’est engagée contre le terrorisme. Le Maroc y prend toute sa part. Mais Vous avez compris, Sire, il y a longtemps, que lutter contre le terrorisme, c’est aussi rendre leur dignité aux hommes et aux femmes plongés dans la misère. Que les extrémismes se nourrissent de l’humiliation et de la frustration. Que les meilleures armes contre le fanatisme, ce sont l’instruction, un travail, de l’espoir.

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Notre exceptionnelle amitié, Sire, nous avons souhaité la mettre au service de Votre dessein pour le Maroc. Votre visite d’Etat en France a érigé notre relation en partenariat stratégique.

Tous les secteurs de la vie de nos deux pays sont traversés par ce mouvement continu et croissant, dont nous ouvrons aujourd’hui une nouvelle étape. En tous domaines, nous, Français, sommes vos premiers partenaires, souhaitons l’être, voulons l’être. Nos relations reposent, pour une large part, sur le supplément d’âme que leur apportent les Marocains installés en France et les Français établis au Maroc. Ils sont un lien vivant entre nos deux rives et je tiens à leur rendre un chaleureux hommage.

Nos Premiers Ministres et les membres de nos gouvernements se rencontrent régulièrement pour transformer en projets concrets notre volonté de rapprochement. Nous soutenons, bien sûr, la politique de proximité sociale dont le début de Votre règne porte la marque. Développement des infrastructures et du logement social, privatisations, renforcement du tissu des P.M.E., mais aussi soutien à la société civile et au monde associatif, le Maroc jette les bases d’une prospérité nouvelle et la France se tient à ses côtés.

Depuis toujours, l’éducation est au centre de notre relation. Elle nous permet, à travers les années, de rester proches, familiers, confiants. Grâce aux choix faits notamment par Votre auguste père, l’enseignement du français et l’enseignement français ont gardé au Maroc droit de cité. Cet attachement, qui place Votre pays à l’avant-garde de la Francophonie, a permis à des générations de Marocains de se sentir à l’aise dans deux langues, deux pensées et deux mondes. Forts du bilan impressionnant des établissements marocains et de nos propres établissements au Maroc, dont tant d’élèves s’illustrent chaque année aux concours de nos grandes écoles, nous recherchons ensemble les formules qui ouvriront les voies de l’excellence au plus grand nombre.

Le secteur audiovisuel contribue aussi à une meilleure compréhension entre nos peuples et nos cultures. Dans la lignée du succès de la radio Médi 1, la France est prête à s’associer au Maroc dans le projet de chaîne de télévision Médi 1 Sat. Ce partenariat nous permettra de promouvoir dans notre région une information internationale attractive et de qualité, conforme à nos valeurs de liberté, de justice et de tolérance.

Enfin, Vous le savez, la France s’est faite Votre avocat le plus ardent auprès de ses partenaires de l’Union européenne. Je me rendrai demain à Tanger afin de marquer notre engagement pour la réussite de la coopération entre le Maroc et l’Union, dans le cadre d’un "statut avancé" pour votre pays, tel que vous l’avez évoqué. Le Maroc a fait depuis longtemps le choix de l’Europe. Il doit en être le partenaire privilégié. La France veillera au maintien des dotations qu’il reçoit de l’Union européenne et militera pour la conclusion de la négociation agricole engagée avec l’Union, dans un esprit d’équilibre et de réciprocité.

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Sire, c’est enfin au service d’une certaine vision du monde que nous avons placé la relation entre le Maroc et la France. Vous et nous sommes également attachés à la paix entre les peuples et au respect de la dignité et de l’identité de chacun.

Cette vision, nous la portons ensemble dans notre espace euro-méditerranéen, pour le promouvoir en zone de paix, de stabilité et de prospérité.

Au Proche-Orient, miné par le désespoir et par la haine, seule une volonté politique résolue à appliquer, de part et d’autre, le droit tel que l’ont énoncé les Nations Unies, ouvrira la voie à une solution juste et durable fondée sur la fin de l’occupation commencée en 1967 et la coexistence de deux Etats, dans la paix et la sécurité.

Sur le terrain, les parties sont engagées dans une épreuve de force dangereuse et sans issue. La France appelle à mettre un terme au terrorisme et à la violence, et à respecter la souveraineté des Etats. Au-delà, la communauté internationale doit assumer ses responsabilités. Elle doit donner toutes ses chances à la Feuille de route, et superviser elle-même son application. Pour formaliser son engagement et restaurer une dynamique de paix, la convocation aussi rapide que possible de la Conférence internationale, prévue par la Feuille de route, est une impérieuse nécessité.

De par son prestige et son audience, et au titre du Comité Al Qods que Votre Majesté préside, le Maroc exerce, sur ce dossier, une influence constructive, appréciée de tous. Soyez certain, Sire, que sa voix continuera d’être attentivement écoutée.

En Irak, la définition d’une perspective politique claire est indispensable et urgente. Pour réussir la stabilisation et la reconstruction, dont toute la communauté internationale partage l’objectif, cette perspective politique doit impérativement prendre en compte le fait que les Irakiens veulent et doivent être maîtres de leur destin.

Il appartient à l’ONU de donner sa légitimité à ce processus. C’est aussi à l’ONU qu’il revient d’accompagner le transfert progressif de souveraineté et des responsabilités administratives et économiques aux institutions irakiennes, selon un calendrier réaliste, et aussi d’aider à l’élaboration d’une constitution pour les Irakiens et à la tenue d’élections.

C’est à l’ONU enfin qu’il appartient de donner mandat à une force multinationale, commandée naturellement par le principal contributeur de troupes, afin d’assurer la sécurité de l’Irak et de tous ceux qui contribuent à la reconstruction du pays.

Ainsi, la communauté internationale et le peuple irakien, unis autour d’un projet commun, mettront, nous l’espérons, ensemble un terme aux décennies tragiques de l’histoire de ce grand pays.

Sire, Vous avez aussi comme grand dessein de poursuivre l’intégration maghrébine. Dans cet esprit, la France a proposé la mise en œuvre d’un partenariat renforcé entre le Maghreb et l’Union européenne dans le cadre du processus de Barcelone. Je me réjouis de la perspective du Sommet des Chefs d’Etat du "5 + 5", qui se réunira à Tunis à la fin de l’année. Je souhaite que cette rencontre contribue à insuffler un nouvel esprit. Ainsi s’amorcera une dynamique de paix et de partenariat qui permettra aux talents de tous les peuples de la région de s’exprimer pleinement.

Mais un obstacle subsiste, avec la question difficile du Sahara Occidental. Vous savez les efforts de la France pour tenter de le lever. Elle appuie les efforts en vue d’une libération totale et immédiate des prisonniers de guerre marocains détenus hors du droit international à Tindouf. Elle accompagne les discussions entre le Maroc et les Nations Unies, après le vote de la résolution 1495. Enfin, elle encourage le dialogue entre Rabat et Alger, pour contribuer à l’émergence d’une solution politique réaliste et durable, respectueuse de la souveraineté du Maroc et des aspirations des populations. Il va de soi qu’aucune formule ne pourra être imposée et que toute solution devra recueillir l’accord des parties.

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Sire, l’Histoire a tissé entre nos pays et nos peuples des liens d’une rare force et d’une exceptionnelle densité. Cette Histoire commune constitue la trame de notre amitié présente. Elle porte en elle la promesse de nos relations futures.

C’est fort de cette confiance et de cette espérance partagées que je vais maintenant lever, symboliquement et à la française, mon verre. En l’honneur de Votre Majesté. En votre honneur, Altesse, en vous remerciant de votre gracieuse hospitalité. En l’honneur de Votre famille, en y ajoutant une pensée particulière et affectueuse pour Son Altesse Royale le Prince Moulay Hassan, continuateur de l’illustre dynastie alaouite. A votre bonheur personnel et à celui des hautes personnalités marocaines et françaises qui nous entourent. A la prospérité et à l’avenir du peuple marocain, auquel le peuple français est uni par des liens si fraternels.

Vive le Maroc !

Vive la France !

Source : présidence de la République française