Vision 2010 : les perspectives économiques entre les Etats-Unis et le Moyen-Orient

Monsieur le Président, je vous remercie pour ces mots de bienvenue.

C’est pour moi un honneur de me trouver parmi vous ce matin. Nous
sommes à l’endroit idéal pour discuter de l’avenir du Moyen-Orient. En
effet, l’influence qu’exercent les Américains d’origine arabe dans
cette ville - et dans tout l’Etat du Michigan - est réellement
impressionnante, et je les remercie de nous accueillir ici cette
semaine.

Nous allons passer une grande partie de cette conférence à nous
pencher de près sur les problèmes du monde arabe. J’aimerais commencer
par vous demander d’en imaginer les possibilités... d’imaginer à quoi
ressemblerait la région du Golfe si les pays arabes se trouvaient en
première ligne au sein de l’économie mondiale... d’imaginer à quoi
ressemblerait notre monde si les pays arabes représentaient un modèle
de société éclairée et solidaire... d’imaginer ce que l’avenir du
Moyen-Orient serait si cette région n’etait pas enracinée dans les
conflits mais ancrée dans les partenariats.

Il y a deux ans, moins de deux semaines après la tragédie du 11
septembre, j’ai prononcé un discours dans le Minnesota dans lequel je
disais qu’il était facile d’imaginer ce monde-là car il a déjà existé.
Il nous suffit simplement de faire un retour vers le passé, vers une
civilisation qui fut jadis considérée comme la plus grande
civilisation du monde.

Cette civilisation donna naissance à un super-Etat de la taille d’un
continent qui s’étendait d’un océan à un autre, des ciels du nord aux
tropiques et aux déserts. Entre ses frontières vivaient des centaines
de millions de personnes, de religions et d’ethnies différentes. Une
de ses langues est devenue la langue universelle du monde arabe
permettant la communication entre tous ces peuples aux mille terres.

Cette civilisation reposa sur des découvertes. Ses écrivains
inventèrent des milliers d’histoires. Ses poètes parlèrent d’amour
alors que d’autres avant eux étaient trop saisis de peur pour penser à
de telles choses. Tandis que d’autres nations craignaient les idées,
cette civilisation les faisait naître et prospérer.

Même si la civilisation occidentale partage ces caractéristiques comme
je le disais dans mon discours prononcé dans le Minnesota, la
civilisation dont je parle est bien celle du monde islamique couvrant
la période de l’an 800 à 1600. Ce monde englobait l’Empire ottoman et
les tribunaux de Bagdad, de Damas et du Caire, comptait des dirigeants
éclairés - tels Soliman le Magnifique - qui remirent en question nos
concepts du soi et de la vérité et contribuèrent au développement de
nos notions de tolérance et de droits civiques. Sous leur direction,
le monde arabe connut 800 ans de découvertes et de prospérité.

Puisque nous sommes réunis pour réfléchir à cette civilisation qui
existe toujours dans cette région, je vous demande d’imaginer un
instant ce qu’un chef tel que Soliman dirait s’il pouvait être ici
présent et s’il pouvait voir ce que le monde est devenu.

Je crois qu’il serait ravi de voir que le monde s’est inspiré de
l’exemple d’une société ouverte et coopérante qui rayonnait dans le
monde à cette époque lointaine. L’exemple de la société islamique a
contribué à l’émergence d’un monde au sein duquel la démocratie, la
transparence et l’Etat de droit offrent de nouveaux horizons aux
peuples.

Je crois également que Soliman s’interrogerait sur le manque de
coopération dans une région qui autrefois montra l’exemple au reste du
monde. Pourquoi cette région est-elle si fermée alors qu’elle enseigna
au reste du monde l’importance d’une société ouverte ? Pourquoi les 22
nations arabes disposent-elles chacune de leurs propres règles,
systèmes et obstacles alors que le reste du monde s’est inspiré de son
modèle et créa des blocs commerciaux prospères ?

Je crois que s’il voyait toutes les inventions de ce monde, il dirait
que l’humanité a su utiliser le savoir transmis par le monde
islamique, des architectes arabes qui créèrent des bâtiments et
permirent le développement des villes d’aujourd’hui aux mathématiciens
arabes qui développèrent l’algèbre et les algorithmes et grâce
auxquels les ordinateurs furent inventés.

Je crois qu’il se demanderait pourquoi cette région n’est plus un
centre de savoir alors qu’elle en partagea tellement avec le reste du
monde. Pourquoi - à une époque où l’alphabétisation est la clé de la
réussite - à l’ère de l’information, 65 millions d’adultes arabes
sont-ils toujours analphabètes ? Pourquoi, à une époque où la
technologie de l’information permet de créer des débouchés, seulement
la moitié de 1 % du monde arabe a accès à l’Internet- un taux plus
faible que l’Afrique subsaharienne ?

Je crois qu’il serait satisfait de voir que notre monde est devenu
inclusif et il pourrait dire que l’humanité a tiré des leçons de
la diversité du monde islamique - un monde autrefois basé sur la
méritocratie et non pas sur le lignage.

Mais je pense qu’il se demanderait aussi pourquoi une région qui a
transmis sa tradition d’ouverture au reste du monde exclut quasiment
la moitié de sa population ? Pourquoi les femmes, qui composent plus
de la moitié des étudiants dans le monde arabe, n’ont-elles pas les
mêmes chances dans le milieu du travail, pour créer une entreprise et
pour contribuer à la paix, la prospérité et le développement du monde
arabe ? Pourquoi le monde arabe, qui dispose d’un tel atout, ne
l’utilise-t-il pas ?

Je refuse de penser que le monde arabe était plus éclairé il y a 500
ans qu’aujourd’hui. Nous n’avons pas besoin de poser cette question à
Soliman.

L’an dernier, un groupe d’universitaires arabes s’est posé les mêmes
questions. Je crois que la raison pour laquelle nous sommes venus à
Détroit cette semaine est que nous savons tous qu’il n’est pas trop
tard pour agir. L’esprit de découvertes, d’innovation et de créativité
des pays arabes a montré la voie au reste du monde dans le passé et
pourra contribuer à un avenir encore plus prospère.

Nous devons bien sur être réalistes face aux problèmes et aux
obstacles qui entravent les progrès. Nous devons toutefois être
optimistes quant à la possibilité de les surmonter car sans optimisme,
aucun progrès ne sera réalisable.

En juin dernier, j’ai eu l’honneur de participer à la réunion de
milieu d’année du Forum économique mondial en Jordanie. A l’issue de
l’un des débats de groupe, j’ai aperçu un agent de la sécurité qui
écoutait les discussions. Il était égyptien et je lui ai demandé ce
qu’il pensait des débats. Il m’a répondu : "On parle beaucoup de
politique ici, et c’est bien. Mais si l’on veut faire les changements
nécessaires, il faudra se concentrer sur l’économie."

Naturellement, la raison pour laquelle nous sommes tous réunis ici est
parce que nous savons que pour assurer la prospérité durable du
Moyen-Orient, le défi sera non seulement politique, mais également
économique et éducatif sans oublier le défi posé par la diversité de
cette région.

En premier lieu, la question économique au Moyen-Orient est liée à la
démographie. En cinquante ans, la population a quadruplé et pourrait
augmenter de 100 millions de personnes dans les dix ans à venir. Alors
que la population croît à un taux de cinq pour cent, les prévisions
tablent sur une croissance économique de trois pour cent.
Contrairement à d’autres régions du monde où le commerce entre les
pays créent la croissance - comme l’Europe, où les deux tiers des
échanges ont lieu entre pays européens -, au Moyen-Orient, moins de
sept pour cent des échanges ont lieu entre les pays de la région.

Imaginez si d’ici à 2010 nous pouvions voir les 22 nations arabes
coopérer et parler d’une voix unique dans l’économie mondiale. Au lieu
des 22 marchés distincts, chacun ayant ses propres règles et barrières
douanières, imaginez si ces pays pouvaient trouver un moyen, comme l’a
suggéré sa majesté le roi Abdallah, de créer une société ouverte et
inclusive, transparente, avec des dirigeants tenus de rendre compte à
leurs citoyens et suscitant leur confiance. En bref, une société
rassemblant tous les éléments favorisant les investissements durables
et positifs pour la société et pour la politique. Il n’y a aucune
raison pour que tous les pays arabes réunis affichent un PIB inférieur
à celui de l’Espagne.

En tant que chef d’entreprise, je considère que cette région a le
potentiel de devenir un bloc commercial puissant de plus de 200
millions de consommateurs dont une caractéristique en fait le rêve de
tout investisseur : la moitié de la population a moins de 18 ans, ce
qui signifie que ces jeunes pourraient devenir des clients à vie. Si
nous arrivons à surmonter les règles complexes qui entravent la
liberté de circulation des biens, des services, des personnes et des
investissements, le Moyen-Orient pourrait devenir le miracle
économique des dix prochaines années.

Cela est également valable pour l’éducation. A l’heure actuelle, dix
millions d’enfants arabes entre l’âge de six et quinze ans ne sont pas
scolarisés. Si cette tendance se poursuit, ce chiffre passera à
quarante pour cent dans les dix prochaines années. Cette situation ne
permettra pas d’attirer les investisseurs.

Imaginez si d’ici 2010, chaque enfant au Moyen-Orient pouvait utiliser
pleinement ses capacités, si l’enseignement primaire et secondaire
était la norme et non pas l’exception, si les ordinateurs faisaient
partie de leurs vies. Le musulman moyen ici aux Etats-Unis obtient de
meilleures notes, fait des études plus poussées et gagne plus d’argent
que le citoyen américain moyen. Cela arrive ici et peut arriver
là-bas.

Je pense que les femmes doivent être encore plus parties prenantes à
cette équation. Si nous pouvons tirer une leçon de la mondialisation,
c’est que les sociétés qui ont le mieux réussi sont les plus
inclusives - des pays où toutes les voix sont entendues, où chaque
individu a la possibilité de réussir, où chaque personne peut réaliser
ses rêves. Ce n’est certainement pas une coïncidence si l’économie
américaine a connu une telle croissance au moment même où les femmes
et les minorités étaient encouragées à aller à l’université, à créer
leurs entreprises, à accéder à un poste électif.

Je n’ai jamais entendu d’orateur plus éloquent ou même rencontré de
personne aussi engagée que la reine Rania de Jordanie. Quand je pense
que la reine est issue d’une famille de réfugiés, se déplaçant
constamment pour fuir les conflits, je me dis que les qualités
exceptionnelles de cette jeune femme auraient pu ne jamais être mises
à profit. Je me demande ainsi s’il n’y a pas d’autres jeunes filles
qui aujourd’hui ont le même potentiel et qui attendent l’occasion de
pouvoir montrer ce qu’elles peuvent accomplir. Je suis convaincue de
la place des femmes si le Moyen-Orient veut réaliser son potentiel et
aller de l’avant. Si les femmes deviennent des partenaires réelles
dans ces sociétés, on ne peut même pas imaginer les avantages qu’en
retirera la région.

Pour relever chacun de ces défis, la technologie de l’information doit
jouer un rôle. Nous avons vu que dans les pays développés
l’utilisation appropriée des techniques de l’information ouvre de
nouvelles possibilités aux personnes et aux entreprises et que la
productivité et la croissance atteignent des taux inégalés auparavant.
Dans mon secteur d’activité, nous parlons de plus en plus de la
technologie de l’information comme étant soit un atout concurrentiel
soit un désavantage concurrentiel. Voyez tout simplement comment nos
vies ont changé dans ce pays.

Si ces techniques ont pu révolutionner un pays tel que les Etats-Unis,
leur potentiel pour des régions comme le Moyen-Orient est exponentiel.
Comme nous avons pu le constater, nos technologies les plus récentes
appliquées à des solutions telles la télémédecine, la télé-agriculture
et l’apprentissage à distance permettent aux pays de rattraper des
années de retard de développement, de combler l’écart entre les
communautés technologiquement avancées et les communautés
technologiquement retardées.

Chez HP, nous avons le privilège de pouvoir apporter notre pierre à
l’édifice. Nous nous sommes engagés à être un atout et un partenaire
dans le développement du Moyen-Orient. Nous sommes fiers d’être la
plus grande entreprise de technologie de l’information présente au
Moyen-Orient - de l’Arabie saoudite à l’Egypte, de la Jordanie aux
Emirats arabes unis - et d’utiliser les technologies de l’information
afin d’ouvrir de nouvelles perspectives à leurs citoyens.

Nous nous concentrons particulièrement sur l’éducation. Je suis fière
de vous annoncer aujourd’hui non seulement que nous allons coopérer
avec le royaume de Jordanie sur ses initiatives éducatives mais qu’en
début de mois, nous avons lancé un programme aux Emirats arabes unis
qui permettra aux étudiants de faire un stage chez HP pour former les
futurs gestionnaires de la région. En fin d’année, nous lancerons ce
même programme en Arabie saoudite.

Selon nous, ces activités sont bonnes en soi. Elles représentent
également une approche judicieuse sur le plan des affaires... à une
époque où dix pour cent seulement de la population mondiale peut se
permettre d’acheter nos produits. Nous savons que nos idées, clients
et employés futurs seront issus de marchés comme le Moyen-Orient.

Ce ne sont pas les cyniques et les sceptiques qui font avancer le
monde mais ceux qui se concentrent sur le possible.

J’ai commencé ce discours en vous présentant une image du passé.
Imaginez l’image que l’on pourrait donner de cette région dans une
génération. Nous sommes convaincus que si nous portons tous nos
efforts sur les possibilités et non pas les problèmes ; si nous nous
concentrons sur l’économie et non pas seulement la politique du monde
arabe - en l’espace d’une génération, nous serons en mesure d’offrir
une éducation à tous, dans des écoles équipées d’ordinateurs, avec des
étudiants et des parents en contact par le biais de l’internet. Nous
assisterons à l’émergence d’un bloc commercial au Moyen-Orient,
partenaire commercial important de l’Amérique, de l’Europe et de
l’Asie, au sein duquel les personnes pourront circuler et travailler
librement. Nous observerons le développement des échanges - source
d’emplois et de débouchés - entre les pays qui jouent un rôle
important dans l’économie du Moyen-Orient. Enfin, nous verrons la
région recouvrer la place qu’elle mérite en tant que berceau des
grands penseurs, façonneurs et rêveurs de ce monde.

A l’aube de notre coopération, souvenons-nous de l’exemple de Mahomet.
Alors que le prophète était encore un jeune homme, un bloc de pierre
se détacha de la Ka’ba. Les tribus de la Mecque se querellèrent pour
décider laquelle aurait l’honneur de le remettre à sa place. Plutôt
que de choisir une seule tribu, le jeune Mahomet trouva la solution en
plaçant le rocher sur un drap tenu en chaque coin par toutes les
tribus.

Que la sagesse du prophète Mahomet nous inspire au long de cette
semaine, et permette au monde arabe de mieux coopérer et d’écrire une
nouvelle page sur l’ère qui s’ouvre devant nous.

Je vous remercie de nous permettre de prendre part à ce devenir.

Traduction officielle du département d’État