Les Européens, l’Iran et l’enjeu nucléaire

La prolifération est devenue l’une des menaces majeures de notre temps. Les trafics de matières, de technologies ou de vecteurs se développent. Des scientifiques franchissent les frontières pour apporter leur savoir-faire à des programmes clandestins. Le résultat est là : des Etats autrefois dépourvus d’armes de destruction massive sont sur le point d’en disposer aujourd’hui.
La prolifération exploite les failles de la mondialisation : fluidité des échanges, accès aux informations confidentielles, réseaux financiers opaques. Elle reposait hier sur des échanges structurés et connus. Elle s’appuie aujourd’hui sur des circuits secrets et variés, d’autant plus difficiles à combattre. Ce ne sont plus seulement les ventes d’armes qu’il s’agit de contrôler, mais aussi la diffusion de renseignements sensibles, la livraison de composants électroniques, les coopérations technologiques entre Etats.
Pourquoi ce phénomène suscite-t-il l’inquiétude profonde de la communauté internationale ? Avant tout parce qu’il se greffe sur les régions en crise, de la Corée du Nord au Moyen-Orient. Il ne peut donc que favoriser davantage encore l’instabilité, multiplier les risques d’affrontements, creuser les déséquilibres. La prolifération est une allumette sur une poudrière. Il est temps de l’éteindre.
Des accords internationaux existent. Pendant des décennies, ils ont apporté la preuve de leur efficacité. Les vingt Etats nucléaires que redoutait le président Kennedy au début des années soixante n’ont pas vu le jour : le traité de non-prolifération nucléaire a permis de déjouer ces prédictions.

Mais ne nous y trompons pas : ces accords ont pu être contournés dans le passé et menacent de l’être davantage encore dans le futur. Leur valeur dépend désormais de notre capacité à les faire respecter et à les mettre pleinement en oeuvre.

L’Iran a valeur de test.

Depuis des décennies, ce pays souhaite se doter d’une capacité de production d’énergie nucléaire. Cette ambition est légitime. Mais elle ne le restera que si l’Iran apporte la preuve du caractère strictement civil de son programme. Or les rapports de l’Agence nationale de l’énergie atomique ont éveillé des doutes dans l’ensemble de la communauté internationale. Face aux ambitions iraniennes, l’inquiétude grandit.

L’alternative est claire : soit nous laissons ce pays poursuivre des activités clandestines, avec la certitude d’entrer dans une logique de confrontation qui conduira à l’impasse ; soit nous entamons un dialogue exigeant, qui permettra de définir une voie de sortie dans l’intérêt de tous. En se rendant à Téhéran le 21 octobre, mes collègues britannique, allemand et moi-même avons résolument fait le choix de la seconde option.

Nous l’avons fait pour l’Iran, avec la conviction forte que ce pays doit exercer des responsabilités majeures dans la région. Le rétablissement de la confiance doit permettre à l’Iran de devenir un véritable pôle de développement et de stabilité. Son histoire, sa situation géographique, sa population, ses richesses naturelles l’y prédisposent.

Nous le faisons pour l’Europe. Notre continent entretient des liens anciens et profonds avec la culture et le peuple iraniens. Il ne peut se désintéresser d’un Etat avec lequel il a ouvert depuis des années un dialogue qui n’omet aucun de nos sujets de préoccupation : droits de l’homme, terrorisme, sécurité régionale. Il ne peut davantage ignorer les risques inacceptables que ferait peser sur lui un Iran doté de l’arme nucléaire. En prenant l’initiative, nous rappelons que l’Europe a vocation à définir et à défendre ses propres intérêts stratégiques.

Nous le faisons pour la région du Proche et du Moyen-Orient, dont les populations aspirent profondément à la sécurité, à la paix et au développement.

Nous le faisons enfin pour la communauté internationale, animés du souci de définir une nouvelle méthode de règlement des crises de prolifération. Chacun le voit : qu’il s’agisse de l’Irak, de la Corée du Nord ou de l’Iran, nous avons besoin de procédures de contrôle efficaces et de moyens de réponse adaptés. Nous devons être en mesure de peser les risques, de parvenir à la transparence sur les programmes, de démanteler les installations prohibées.

Depuis des mois, les mises en garde se sont multipliées : conclusions européennes, déclaration des pays du G 8 sur la non-prolifération, résolution du conseil des gouverneurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique. Ces textes définissent des exigences auxquelles l’Iran doit répondre. Ce sont elles qui ont inspiré notre action. Ce sont elles que les autorités iraniennes ont acceptées lors de notre visite à Téhéran le 21 octobre : coopération sans réserve avec l’Agence internationale de l’énergie atomique, signature et mise en oeuvre immédiate d’un accord de garanties renforcées, suspension des activités d’enrichissement de l’uranium.

Ces engagements devront naturellement être vérifiés et mis en oeuvre. Mais nous sommes sur la bonne voie : celle du travail en commun et de la compréhension de nos exigences réciproques. Nos discussions sont le fruit d’un long processus. Elles ont été conduites dans un esprit de respect mutuel, avec la volonté réelle d’aboutir. A nous de poursuivre dans cet élan.

L’effort engagé par les Européens doit s’inscrire dans la durée. Car notre initiative dépasse le seul cas de l’Iran.

Elle est d’abord l’illustration de ce que peuvent les Européens, quand ils sont capables d’évaluer eux-mêmes les menaces, de définir les réponses et de les mettre en oeuvre. Une Europe forte est dans l’intérêt de tous : de nos concitoyens européens, qui voient ainsi leur sécurité mieux garantie ; des Etats-Unis, qui ne peuvent que se féliciter de cet appui supplémentaire au service de la stabilité et de la paix ; de la Russie, dont les liens avec l’Iran pourront se développer plus facilement dans un climat de confiance ; des enceintes multilatérales, dont les résolutions ont plus de chance d’être respectées.

Notre initiative traduit aussi une exigence qui se trouve au coeur de la diplomatie française : la responsabilité collective. En matière de prolifération, la communauté internationale n’obtiendra de succès durables que si elle fait preuve d’unité et de déter mination. Le strict respect des engagements internationaux doit être garanti. Cela implique de mettre sur pied les moyens d’un contrôle efficace, par exemple en créant au sein des Nations unies un corps d’inspecteurs permanents. De nouveaux instruments doivent également être élaborés, dans le respect des règles de droit existantes : la participation active de la France à l’initiative américaine contre la prolifération en est un témoignage. Demain, les engagements pris dans ce cadre permettront d’arraisonner des cargaisons d’armes illicites et de tarir les filières les plus importantes.

Ce principe de responsabilité collective nous a permis de progresser en Iran. Il doit nous permettre de faire des pas plus importants encore au Proche et au Moyen-Orient. Personne ne peut se résigner à la crise, qui fait toujours le lit de la violence et de l’extrémisme. Combien de jours de deuil et de haine cette région devra-t-elle encore subir ? Il est temps de nous mettre tous au travail pour forcer les portes de la paix. C’est possible.

Les principes que nous avons mis en oeuvre dans le cas iranien - unité des Européens, respect de notre partenaire et dialogue sans complaisance avec lui, lucidité sur les enjeux, fermeté sur les objectifs - doivent continuer à inspirer l’Europe et ses alliés dans l’ensemble de la région. Ils n’apporteront pas de solution immédiate. Mais ils permettront de passer de la crise à la confiance, du mutisme au dialogue. Comme pour l’Iran, ce serait une étape décisive.

 

Source : ministère français des Affaires étrangères.