À la « une » de son édition du lundi 27 octobre 2003, le quotidien français Libération titre : « Nucléaire : la petite bombe de Chirac. La France s’apprête à réviser sa stratégie de dissuasion afin de pouvoir frapper même de manière préventive des "États voyous" ».

Cependant, à aucun moment, Libération ne rapporte les éléments qui le conduisent à affirmer que la France adopterait la doctrine bushienne de frappe nucléaire préventive. Publiée en janvier 2002 sous le titre Nuclear Posture Review, celle-ci reprend les théories de Paul Wolfowitz et préconise l’usage de mini-bombes contre des objectifs décisifs à l’intérieur d’États voyous.
Le dossier de Libération ne fait état que de la révision de la doctrine nucléaire française qui doit intégrer désormais la multiplicité des menaces. Il ressasse à sa manière des informations archi-connues : voici plusieurs années que les stratèges français réfléchissent aux conséquences de la prolifération nucléaire, de l’apparition de nouvelles armes nucléaires (mini-nukes), et de la multiplication des menaces biologiques et chimiques. Jacques Chirac s’est d’ailleurs déjà prononcé pour l’usage de « la » bombe comme arme de dissuasion face aux menaces chimiques et biologiques. Il pourrait prochainement annoncer d’autres évolutions.

Mais le changement de doctrine nucléaire que le quotidien attribue à la France n’a rien à voir avec cette évolution. Il constituerait un virage politique à 180°, impliquant le renoncement au droit international actuel. Il invaliderait le positionnement français à l’OTAN, le discours de Jacques Chirac à l’ONU et l’ensemble des positions de la diplomatie française face à l’Empire états-unien.

Bien qu’immédiatement démenties par l’Élysée, les allégations de Libération ont été largement reprises à l’étranger, notamment aux États-Unis.

Le dossier de Libération intervient alors que le Pentagone s’apprête à rendre public un rapport du Defence Science Board (Future Strategic Strike Force) qui recommande l’usage préventif de bombes nucléaires de faible portée (mini-nukes) contre des bases « terroristes ». Ce document a été examiné par Donald Rumsfeld et ses principaux collaborateurs, samedi 25 octobre, comme permettant de justifier une frappe nucléaire contre les bases du Hamas en Syrie et du Hezbollah au Liban. Le Pentagone a mis en œuvre une campagne de « communication » pour préparer l’opinion publique internationale à cette éventualité. Quoi de plus efficace que de faire croire à la conversion de la France à la doctrine de guerres nucléaires préventives ?

Démenti de l’Élysée (dépêche de l’agence Reuters sur le site de Libération).